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Déplacés de Sirgadji : Rahouf, l’enfant de quatre ans qui a fui les terroristes

LEFASO.NET | Par Edouard K. Samboé

Publié le jeudi 13 juin 2019 à 23h30min

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Déplacés de Sirgadji : Rahouf, l’enfant de quatre ans qui a fui les terroristes

Les attaques terroristes au Burkina ont causé le déplacement de milliers de personnes. Certains ont tout perdu dans leur fuite, et n’ont plus que le souvenir traumatisant d’avoir été contraints de quitter une terre qui les a vu naître, grandir et prospérer. Aujourd’hui, ces déplacés sont confrontés à des besoins en logement, nourriture, santé, assainissement, etc. Dans cette situation, ce sont les enfants qui paient le plus lourd tribut. C’est le cas de Rahouf Taposba, 4 ans, qui a fui le village de Sirgadji dans le Sahel, avec sa mère, son frère et sa sœur, pour trouver refuge à Pazani, un quartier périphérique de Ouagadougou.

Pazani. Ce nom ne vous dit sans doute rien. Pourtant, c’est un quartier de Ouagadougou, la capitale burkinabè. Une zone dite non-lotie, située dans l’arrondissement N°9, au secteur 38 de Ouagadougou. C’est dans ce quartier que vit Rahouf Tapsoba , depuis la nuit du 10 juin 2019. À quatre ans à peine, Rahouf a le ventre ballonné, à cause de ses conditions de vie. Son seul soutien, c’est sa mère, puisque son père, un orpailleur, a quitté le domicile depuis plusieurs mois.

Rahouf Tapsoba et sa petite soeur Djomira Tapsoba

D’ailleurs, il n’a été présent à la maison que rarement, à cause de son attrait pour l’or, confie la mère de Rahouf, Gourma Tapsoba. Malgré la chasse continue aux métaux précieux, la misère n’a pas quitté la famille Tapsoba. Rahouf manque presque de tout : l’amour paternel, la tranquillité, la sécurité. Et le comble, c’est que son avenir est incertain.


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Aujourd’hui, cet enfant au visage innocent a élu domicile à Pazani, par la force des choses, depuis la nuit du 3 juin. La terre de Ouagadougou, qui lui semble étrangère, fait désormais partie intégrante de son avenir. Le bruit des bars et des engins auquel il n’est pas habitué va désormais faire partie de son environnement.

La mère et les soeurs de Rahouf

En avril dernier, des individus armés ont fait irruption dans le village de Rahouf, Sirgadji, dans la province du Soum. Ils ont pointé une kalachnikov sur sa mère, pendant ce temps, Rahouf était caché sous la paille de la case de sa mère, en gémissant. Cette énième visite des assaillants était de trop. La famille de Rahouf décida alors de s’enfuir « pour éviter de se faire fusiller lors de la prochaine visite »


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Doyen de la famille des Tapsoba, chef de famille

D’ailleurs, les individus armés ont prévenu les habitants de Sirgadji : « Nous reviendrons vous faire la peau ». Ce jour-là, « ils ont tué douze personnes. C’est là qu’on a compris que c’était plus sérieux qu’avant ; qu’ils allaient certainement mettre leurs menaces à exécution », explique Gourma Tapsoba, 38 ans, mère de trois enfants dont Rahouf. C’est ainsi que la famille Tapsoba a quitté le village, mais en toute discrétion. C’est le doyen de la famille, le grand-père de Rahouf, qui a pris la décision. « Ils avaient tué les autres et ils ont dit qu’ils vont nous tuer (…) J’ai demandé à la famille de fuir et nous y voilà », justifie le vieillard de 80 ans.

La fuite commence la nuit…

Tout comme Rahouf, les autres enfants ne savaient pas qu’ils allaient fuir Sirgadji. Tout comme Rahouf, les enfants de Sirgadji aimaient naïvement le calme précaire qui régnait dans le village. Mais c’est dans ce calme précaire que les bagages se firent. Un moment d’angoisse, se rappelle la maman de Rahouf : « Vraiment, c’était triste. J’ai presque tout perdu, même la volaille. Au cours du voyage, mes poussins sont morts… ».


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Le voyage jusqu’à Ouagadougou s’est fait à bord d’un camion censé transporter des bêtes. Dans ce camion se trouvaient les proches parents de Rahouf, dont sa mère, sa grande sœur (7 ans) et son petit-frère (un an et huit mois). La famille a aussi embarqué la volaille, de petits ruminants, des meubles et des vivres. Ils étaient plus de 100 personnes dans ce camion.

Aujourd’hui, après les secousses et la fatigue, Rahouf et les autres sinistrés ont élu domicile dans une école privée, dans l’arrondissement N°9 de Ouagadougou. En plein air, ils ont passé la nuit, livrés aux moustiques et aux reptiles. Les premiers secours sont venus des voisins et des parents vivant dans la zone. Ils leur ont apporté de l’eau et de la nourriture.


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Le maire de l’arrondissement, Albert Bamogo, trouve la situation « inquiétante ». Il entend pourvoir aux besoins des déplacés, en collaboration avec le gouvernement. Pourtant, les besoins de premières nécessités sont pressants.

Albert Bamogo, Maire de Pazani

Rahouf et sa famille sont venus s’ajouter à d’autres infortunés installés plus tôt à Pazani. Mohamed Nikiéma vit ici avec les siens depuis le 1er juin. Ils sont plus de 800 individus, dont des nourrissons et des personnes âgées. Même si les enfants jouent dans la cour de l’école, leur apparente gaieté ne saurait cacher leur état de malnutrition.

Quand les premiers déplacés sont arrivés, ils ont élu domicile dans des écoles. Des chefs d’établissement, émus, ont décidé de leur ouvrir les salles de classes et de contraindre les élèves à des vacances forcées. Bien avant le groupe de Mohamed, il y a ceux qui sont arrivés à la mi-mai, souligne le responsable du recensement, qui a préféré garder l’anonymat. Mais rien ne présageait une augmentation rapide du nombre en si peu de temps, se lamente un assistant.


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Pour la ministre de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire, Laurence Ilboudo Marchal : « fin décembre 2018, le Burkina dénombrait 47 826 personnes déplacées internes reparties principalement dans les régions du Sahel, du Nord et du Centre-Nord (…) le nombre de personnes déplacées internes est passé de 87 000 en janvier 2019 (…) Toutes les treize régions accueillent désormais des personnes déplacées internes, mais les régions du Sahel et du Centre-Nord cumulent à elles seules 88,21% de ces personnes qui ont fui les violences. Les femmes et les enfants représentent 85% des personnes déplacées ».

Mariam Ouedraogo, première déplacée issue d’un village voisin de Sirgadji arrivée à Pazani

3,5% de la population affectées par l’insécurité alimentaire sévère

Mariam Ouédraogo, 27 ans, a quitté un village voisin de Sirgadji. Elle et les siens se sont installés dans une école privée de Pazani, depuis quelques semaines, après avoir reçu des menaces de mort de la part des terroristes. Aujourd’hui, la nourriture, les nattes, les moustiquaires, l’eau et l’assainissement font défaut. Une situation constatée par Mahamoudou Sawadogo, habitant de Pazani. Il est un témoin oculaire de ces arrivées, depuis le début. « Ils disent qu’ils ont été menacés de mort. Nous les avons accueillis. Depuis le commencement, nous leur apportons de la nourriture. Mais c’est difficile maintenant. Il faut que l’État nous aide », relate-t-il.


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Ils sont estimés à plus de « 1200 déplacés installés dans les périphéries de ouagadougou » par la ministre Laurence Marshal Ilboudo, en dehors des déplacés de Sirgadji dont fait partie Rahouf. Les autorités, lors de leur visite le 10 juin 2019, avaient promis « une assistance publique ». Pour le moment, les déplacés continuent d’affluer à Pazani, surtout la nuit.


Député Ousseni Tamboura : « Des déplacés sont arrivés à Ouagadougou depuis plus d’un an »


Pour le maire de l’arrondissement, Albert Bomogo, « le gouvernement est conscient des besoins de la population déplacée et une réponse rapide sera donnée dans les jours à venir ». Aussi, il note que c’est « un phénomène national qu’il faut prendre en compte avec le concours de toute la population burkinabè ».


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Selon l’estimation de Laurence Marshal Ilboudo, ministre de la promotion de la femme, de la famille et de l’action humanitaire : « 170.000 personnes sont en situation de déplacés », ce qui serait selon elle, « un défi jamais égalé » ; soit : « plus de 87 000 déplacés internes en janvier 2019 », dixit Laurence Marshal Ilboudo.

Député Ousséni Tamboura, élu du Soum

Une position partagée par le député Ousseni Tamboura, élu de la province du Soum, qui a reconnu « le caractère sérieux de ces fuites ». Il entend continuer à tirer la sonnette d’alarme, afin que des « solutions idoines d’envergure nationale soient trouvées, pour que ces déplacés soient en sécurité ». Il invite les bonnes volontés à venir au chevet des déplacés.


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En attendant l’aide promise par les autorités, Rahouf, sa mère, ses frères et les autres déplacés ne savent plus à quel saint se vouer. Ils se demandent si leur sort émane de Dieu ou des hommes. La famille de Rahouf n’espère plus retourner à Sirgadji. Elle préfère reconstruire sa vie ici ou ailleurs. Rahouf et les enfants de son âge auront peut-être un avenir différent de ce que leurs parents voulaient pour eux. Parce qu’ils étaient là, au mauvais endroit au mauvais moment, face à des personnes qui les ont contraints à fuir. À travers leur regard, on voit l’attente d’une assistance humanitaire d’urgence.


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Pour la ministre Laurence Marshal Ilboudo, l’avenir des déplacés installés dans les périphéries de ouagadougou y compris ceux de l’arrondissement N9 se trouverait « dans les sites déjà aménagés de Barsalgho, Foubè et Kelbo », qui selon elle, peuvent « prendre en charge convenablement les déplacés, du fait du matériel humanitaire présent sur les lieux ». A ce propos, elle affirmait : « Nous ne pouvons pas faire de site à Ouagadougou, parce que ouagadougou n’est pas un site révérenciel (…) Ouagadougou n’a pas la commodité nécessaire pour abriter ces déplacés". D’ailleurs, Laurence Marshal Ilboudo déclarait que les bus ont été affrétés pour conduire les déplacés installés dans les périphéries de Ouagadougou sur les nouveaux sites »


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Selon les décomptes des Nations unies : « plus de 1.200.000 burkinabè ont besoin d’assistance humanitaire ». Pour les OSC, il y a : « 250.000 déplacés internes à travers le territoire national ; plus de 100 villages vidés de leurs habitants ; plus de quatre-vingt-quinze (95) sites d’accueil des déplacés ; plus de 2000 écoles fermées avec environ 300.000 enfants sans scolarisation ».


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Par ailleurs, le gouvernement a relevé qu’outre les déplacés internes : « 5.744 expulsés de la forêt classée de la Leraba en République de Côte d’Ivoire se sont ajoutés aux 25.000 réfugiés maliens ». Ainsi, au Burkina Faso, plus 688.000 personnes, soit, l’équivalent de 3,5% de la population totale seraient affectées par l’insécurité alimentaire sévère.

Edouard K. Samboé
samboeedouard@gmail.com
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