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Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (2/2)

Publié le mercredi 19 janvier 2011 à 00h13min

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Yacouba Barry, Arsène B. Yé, Lucien Bembamba, Jerôme Traoré et Assimi Koanda

Si l’arrivée de Bongnessan Arsène Yé dans le gouvernement, avec le titre de ministre d’Etat et le portefeuille de ministre auprès de la présidence chargé des Réformes politiques (cf. LDD Burkina Faso 0241/Lundi 17 janvier 2011), est significatif d’une évolution, à venir, du paysage politique burkinabé, l’entrée au gouvernement de Assimi Kouanda, l’est tout autant.

Figurant dans le Top Ten du gouvernement, Kouanda est nommé ministre chargé du cabinet présidentiel. Une attribution qui n’est pas sans susciter bien des interrogations auxquelles les premiers commentaires de la presse burkinabè ne répondent pas. Ainsi Ibrahima Sakandé, directeur général des Editions Sidwaya, dans son éditorial publié hier, lundi 17 janvier 2011, soulignait que « fortement sollicité à l’intérieur et à l’extérieur du Burkina Faso, le président du Faso a besoin d’un homme de confiance, de grande fidélité, pour gérer son agenda, tant à la présidence qu’au sein du gouvernement ». Une explication qui, en ce qui me concerne, ne m’éclaire pas beaucoup sur le job de Kouanda qui se retrouve, ainsi, l’homme de la présidence du Faso au sein du gouvernement sans que l’on sache, jusqu’à présent, pour quoi faire. Certes Kouanda n’est pas un inconnu, loin de là : depuis le 5 mars 2004, il est le directeur de cabinet du président du Faso avec rang de ministre ; mais jusqu’à présent, il ne figurait pas dans les organigrammes gouvernementaux.

Kouanda est de la même génération que Yé. Il est né le 31 décembre 1956. Historien de formation, titulaire d’un doctorat de troisième cycle en histoire obtenu à l’université Paris I -Panthéon-Sorbonne, il a débuté sa carrière en 1984 à l’université de Ouagadougou. Il était alors assistant au département d’histoire et d’archéologie. En 1989, il sera inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître-assistant et va devenir le chef du département d’histoire et d’archéologie avant d’être nommé vice-doyen des affaires académiques à la faculté des langues, des lettres, des arts, des sciences humaines et sociales de l’université de Ouagadougou. Un parcours intellectuel et professionnel qui ne faisait pas abstraction, pour autant, de l’action politique.

Il a participé à la « Révolution » et s’y est notamment illustré, au lendemain de la publication (c’était le 3 octobre 1983) du fameux Discours d’orientation politique, le DOP, comme un des animateurs des Inter-CDR qui se voulaient en quelque sorte la garde rouge de la « Révolution » burkinabè contre « la déviation, les analyses gauchisantes et tous les trafiquants de mentalité ». Maire de la commune de Nongr-Maasom, à Ouagadougou, de 1989 à 1991, il sera conseiller municipal de la ville de Ouagadougou de 1995 à 2000. Il a été, également, avant sa nomination à la direction du cabinet du président du Faso, ambassadeur à Rabat, au Maroc. Ce qui ne saurait véritablement étonner compte tenu de sa réputation d’être un des meilleurs spécialistes de l’Afrique et du monde arabo-musulman. Directeur de cabinet du président du Faso (fonction où il a pris la suite de Yéro Boly qui, lui, conserve le portefeuille de ministre de la Défense et des Anciens combattants), il n’a jamais cessé d’enseigner ; c’est d’ailleurs son activité la plus « publique », en bon « sahélien » Kouanda n’est pas homme à rechercher les feux des projecteurs.

Au printemps 2010, alors que la rumeur bruissait que Kouanda serait le directeur de campagne du « candidat » Blaise Compaoré à la présidentielle, je l’avais interrogé sur la distanciation qui, selon moi, caractérisait le mode de fonctionnement de Blaise depuis un certain temps. Il m’avait rétorqué que cette distanciation était l’expression que les relais politiques mis en place depuis la démocratisation de la vie politique fonctionnaient bien : le président préside, le gouvernement gouverne, le parlement parlemente, l’administration administre, l’opposition s’oppose, la presse met la pression. « La forme a peut-être changé, me concédera-t-il, mais pas le fond. Des institutions ont été mises en place depuis l’instauration de la démocratie, il faut qu’elles fonctionnent en toute indépendance. C’est ce qu’elles font. Notre système politique, diversifié, ne nécessite plus l’omniprésence du chef de l’Etat sur la scène politique », me déclarera-t-il en substance. Il ajoutait : « Le bilan du président du Faso est globalement perçu positivement et les Burkinabè sont, par ailleurs, satisfaits de l’image qui est désormais celle de leur pays » (cf. LDD Burkina Faso 0224 et 0225/Mardi 29 et Mercredi 30 juin 2010).

Kouanda sera, effectivement, le directeur de campagne de Blaise. Un job qui avait été assuré, pour la présidentielle du 13 novembre 2005, par une figure emblématique du régime Compaoré : Salif Diallo. Et la rumeur ouagalaise laissait entendre qu’il pourrait reprendre du service dans la perspective du 21 novembre 2010 ; ce qui aurait été un étonnant retour au pays natal du fils prodigue, le départ de Diallo du gouvernement, à la veille du vingt-cinquième anniversaire de la « Révolution » (cf. LDD Burkina Faso 0137/Mardi 25 mars 2008), ayant été un événement politique majeur. Ce ne sera pas Diallo mais Kouanda qui sera nommé directeur national de la campagne présidentielle 2010 (avec Jean-Léonard Compaoré comme directeur national adjoint).

Et la rumeur ne fera qu’enfler à Ouagadougou. Blaise, déjà, avait annoncé sa probable candidature sur une télévision étrangère (France 24), à l’occasion d’une manifestation se déroulant à… l’étranger (le sommet France-Afrique de Nice). Le voilà qu’il nomme un directeur de campagne avant même d’être officiellement désigné par les partis qui le soutiennent. « La déclaration de candidature de Blaise Compaoré à la chaîne de télé France 24 ajoutée au choix d’Assimi viennent montrer que le président est seul maître à bord et qu’il peut se passer à tout moment du CDP », écrira ainsi Isaac Konfé.

Kouanda va remplir son contrat : le taux de participation sera, officiellement, supérieur à 50 % (mais il y avait peu d’inscrits sur les listes électorales) et le président sortant va l’emporter au premier tour avec 81 % des voix.

A moins de soixante ans (il les fêtera dans quelques jours, le 3 février 2011), Blaise entame donc son deuxième et dernier quinquennat. La Constitution de 1991, limitait à deux le nombre de septennats présidentiels ; le 27 janvier 1997, l’Assemblée des députés du peuple, présidée par Arsène Bongnessan Yé, va réviser la Constitution : le président peut se présenter autant de fois qu’il le désire. « La limitation des mandats suscitait des ambitions présidentielles précoces, susceptibles d’empêcher le pays d’avancer », commentera Yé en 1997.

En mai 2000, à la suite des tensions suscitées par « l’affaire Zongo », nouvelle révision de la Constitution et de son article 37 : « Le président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct […] Il est rééligible une fois ». Certains opposants vont déclarer Blaise « hors jeu » pour 2005 dès lors qu’il avait été élu (sous l’ancien régime constitutionnel) en 1998. Ils avaient, juridiquement, tort. Blaise sera non seulement réélu en 2005 mais aussi en 2010. L’article 37, cependant, demeure le sujet de conversation préféré des hommes politiques burkinabè. Ceux de la majorité qui aimeraient bien être vizir à la place du vizir ; ceux de l’opposition qui trouvent là un sujet de débat politique en un temps où il ne passionne plus les Burkinabè.

C’est dans ce contexte que Kouanda rejoint le gouvernement sans lâcher la présidence. Afin, sans doute, d’éviter les discordances dans le discours et de mettre un frein aux ambitions. Il s’agit de rappeler aux ministres que le Burkina Faso a un patron légalement élu qui s’appelle Blaise Compaoré. Et qu’il est là encore pour cinq ans. Après, on verra !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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