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Déclaration de politique générale de Tertius Zongo : Portrait d’un Premier ministre burkinabè en directeur de vol d’une nation partie à la conquête de la… croissance durable.

Publié le lundi 21 mars 2011 à 01h05min

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C’était hier soir, jeudi 17 mars 2011. Tertius Zongo, Premier ministre et chef du gouvernement burkinabè prononçait devant l’Assemblée nationale la traditionnelle déclaration de politique générale. 137 minutes (deux de plus que lors du précédent exercice, le jeudi 25 mars 2010 sur le Discours sur la situation de la nation).

Il évoque, à ce sujet, « un rituel de connivence démocratique entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif », « une complicité républicaine ». C’est dire que cette prestation est bien plus un moment de récréation… studieuse que de suspicion d’entrave de l’action gouvernementale par les « élus du peuple ». Il est vrai que c’est une performance sans risque, la majorité présidentielle étant, au sein de l’Assemblée nationale, massivement… majoritaire. Avec Zongo, c’est surtout l’occasion de faire le point sur la situation économique du Burkina Faso et de fixer l’attention des commentateurs sur une certaine « façon d’être ».

Cette fois, il nous la joue à « l’américaine », version conquête de l’espace et marche sur la lune. Ce qui ne saurait étonner : ancien ambassadeur à Washington, Zongo est « made in USA » par bien des aspects (y compris ceux qui relèvent de la religion). On se souvient de ce dialogue, entre Houston et la mission Apollo 13, le 13 avril 1970, à 21 h 07, quand les cosmonautes ont été confrontés à une difficulté qui leur interdira, du même coup, l’alunissage. « Houston, we have a problem ». Réponse immédiate de Eugène Kranz (qui avait américanisé son nom en Gene Kranz), le directeur de vol (il avait déjà à son actif la première marche sur la lune) : « Failure is not an option ». « L’échec n’est pas une option ». Une affirmation qui claque comme un mot d’ordre et qui va faire le tour du monde.

Kranz en fera le titre de son autobiographie et Barack Obama l’a réutilisée lors de sa campagne pour la présidentielle. « L’échec n’est pas une option », affirme à son tour Zongo qui ajoute : « Et ceci pour une bonne raison : le peuple burkinabè attend avec impatience les résultats de ses choix politiques et la concrétisation des promesses qui lui ont été faites ». Et ces choix politiques tiennent en quatre mots : « Bâtir, ensemble, un Burkina émergent ». Or, les Burkinabè veulent bien bosser dur - et Zongo ne manque jamais de rendre hommage à cette détermination et cette constance dans l’effort - mais ils veulent aussi que ce boulot soit payé à tous, et pas seulement aux « promoteurs » ; et à son juste prix.

Zongo est un Premier ministre qui aime bien plus l’économie que le politique. Mais, du même coup, il a un sens des réalités que n’ont pas nécessairement les « tout politique ». Y compris quand la politique déraille. Or, aujourd’hui, le gouvernement est rudement interpellé par la population burkinabè et, tout particulièrement, sa jeunesse (dont Zongo rappelle qu’elle représente 60 % de la population) : « Ouaga, we have a problem ». Et, une fois encore, ce problème s’appelle Zongo. Justin L. Zongo cette fois, élève du lycée privé Kaboré Gesta de Koudougou. Mort le 20 février 2011 de « causes controversées » explique le premier ministre. Tabassage pour les uns (Zongo a été arrêté à deux reprises par la police), maladie pour les autres. Dans le contexte qui est celui des « révoltes populaires », cette mort suspecte a mis le feu aux poudres et a provoqué des émeutes un peu partout dans le pays, y compris dans la capitale.

Réaction des autorités, répression et sanctions. Bilan : six morts ; le gouverneur de la Région du Centre-Ouest et le directeur régional de la police relevés de leurs fonction ; les policiers « suspectés » inculpés et placés sous mandat de dépôt. Une mort qui ne peut que « susciter la colère et l’indignation » a souligné le premier ministre qui a ajouté que le « Burkina Faso est un Etat de droit et l’Etat a la responsabilité de protéger toutes les vies humaines, et ceci quelles que soient les opinions politiques des citoyens » et réaffirmé que « nul ne saurait être considéré comme étant au-dessus des lois de la République ».

Un événement dramatique qui permet de recadrer les choses… et les gens. « Nous devons également réfléchir aux problèmes de fond dont ces événements ne sont que les révélateurs. Ils concernent aussi bien le fonctionnement des services de l’Etat, y compris ceux du maintien de l’ordre, que les relations entre les citoyens et le système judiciaire, le développement politique et économique de notre pays, l’offre d’opportunités éducatives et d’emplois pour notre jeunesse, notre conception de la liberté et le comportement citoyen pour la préserver et l’approfondir ».

Nous sommes en 2011, pas en 1998 (le dimanche 13 décembre 1998, Norbert Zongo, journaliste et directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, était retrouvé carbonisé, avec ses compagnons, dans son 4 x 4 sur la route de Léo, non loin de Sapouy). Et cette nouvelle « affaire Zongo » met en cause l’administration et non pas les arcanes de la présidence du Faso.

Tertius Zongo a conscience que la prise en compte des susceptibilités « politiques » des uns et des autres ne saurait se mettre en travers de sa détermination à ancrer durablement le Burkina Faso dans un Etat de droit, condition sine qua non d’une croissance à deux chiffres impérative alors que les motifs de réelle « contestation » sociale ne manquent pas : « augmentation des prix des produits alimentaires », « niveau des prix des hydrocarbures de plus en plus préoccupant », « persistance de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire », d’où « l’aggravation de la pauvreté » tandis que « les mécanismes de création d’emplois et de distribution des fruits de la croissance » ont démontré une « efficacité limitée ».

Tertius Zongo, premier ministre depuis le 4 juin 2007, peut se réjouir de ce que, « au total, on assiste à un accroissement de la production nationale, notamment agricole, à un raffermissement de la gouvernance économique qui, par ailleurs, s’illustre à la fois par la qualité du pilotage de l’économie, l’existence d’un cadre plus attractif des affaires et la lutte contre la corruption sans oublier le renforcement de la gouvernance politique au double niveau national et local » ; mais il n’est pas du genre à promettre la… lune. Il met l’accent sur les « formes très changeantes » de la corruption et de l’insécurité du fait « du dispositif des sanctions en décalage, de l’extraversion culturelle et de la perte de nombreuses valeurs au sein de nos sociétés ».

C’est la première fois, me semble-t-il, qu’un chef de gouvernement se refuse à banaliser corruption et insécurité (ces deux fléaux se nourrissant l’un l’autre par bien des aspects) en soulignant qu’ils évoluent à l’instar de la société dans laquelle nous vivons et qu’il convient d’adapter les moyens de lutter contre l’un et l’autre. De même, il souligne que le « renforcement des capacités humaines et institutionnelles [engendrent] de faibles productivités du travail et des lourdeurs administratives en déphasage avec les exigences de célérité et de compétitivité qui caractérisent aujourd’hui la gouvernance des affaires ».

Cela signifie que le développement n’est pas linéaire et que plus l’on progresse plus on engendre, dans le même temps, des dérives qui viennent annihiler les efforts réalisés. Il ne suffit donc pas d’entreprendre ; il faut aussi réformer sans cesse. C’est pourquoi il met l’accent sur la nécessité de la « consolidation d’acquis considérables ». Or, et je ne cesse de l’écrire, ce sont justement ces acquis humains et sociaux qui, trop souvent, sont remis en question par la métamorphose de la société burkinabè.

Au-delà de ces considérations générales - sociétales - il y a dans cette déclaration de politique générale bien d’autres aspects, strictement économiques, sur lesquels je vais prochainement revenir.

Jean-Pierre BEJOT

La Dépêche Diplomatique

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