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Eau et assainissement : Un défi stratégique à relever, selon Arnauld Adjagodo, coordonnateur de la Mission Faseau

Publié le mardi 25 juin 2019 à 10h00min

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Eau et assainissement : Un défi stratégique à relever, selon Arnauld Adjagodo, coordonnateur de la Mission Faseau

À quelques semaines de la fin des subventions accordées aux organisations de la société civile et aux médias membres de la Mission Faseau pour leurs activités de promotion et de défense des droits liés à l’eau et à l’assainissement, nous avons rencontré le coordonnateur de la Mission, Arnauld Adjagodo. Avec lui, il a été question du bilan avant l’heure des activités menées sur le terrain, à Dédougou et à Nouna, zones d’intervention du projet.

Lefaso.net : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs poursuivis par la Mission Faseau ?

Arnauld Adjagodo : La mission Faseau, qui est un projet de promotion des droits humains liés à l’eau et à l’assainissement au Burkina Faso, est une initiative d’une dizaine d’OSC et de médias qui se sont mis en consortium avec l’ONG WaterAid. Le projet est financé par la Coopération danoise et vise fondamentalement à fortifier une société civile représentative et défendant les droits humains liés à l’eau et à l’assainissement auprès du gouvernement. Dans sa mise en œuvre, on espère que le ministère de l’Eau et de l’Assainissement, le Parlement, le ministère en charge des Droits humains défendront mieux les droits des consommateurs d’eau et des services d’assainissement.

Quel était l’état des lieux avant la mise en œuvre de ce projet ?

Avant le démarrage de cette initiative en 2017, la constitutionnalisation du droit à l’eau à l’assainissement était déjà faite depuis novembre 2015. Mais la connaissance de ces droits, que ce soit au niveau des décideurs techniques, des populations, des acteurs, des ONG, des médias, était très faible. Les moyens de mise en œuvre ou de réclamation de ces droits étaient également faibles. Ce qu’on retient également des études de base qui ont été faites, c’est que la question de l’approche fondée sur les droits humains est intégrée dans certains documents stratégiques du secteur de l’eau et de l’assainissement. Mais le déficit que l’on a constaté réside au niveau des mesures de suivi de la mise en œuvre de ses droits humains.

On a constaté au niveau du Parlement et du ministère en charge des Droits humains un déficit de travail en collégialité. Il y a un déficit d’intersectorialité par rapport à la mise en œuvre de des droits. L’eau est un défi transversal. La question de la mobilisation de l’eau dépasse les frontières du ministère de l’Eau. Dans les ministères de l’Éducation, de la Santé, on a besoin d’eau et de bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement. L’accès à l’eau est également un élément qui permet aux citoyens de mieux se sentir citoyens à part entière du pays. Lorsque dans une localité, il n’y a pas d’ouvrages d’eau, les gens ont l’impression d’être abandonnés.

À quelques semaines de la fin de ce projet, quel est le bilan ?

En 2018, la Mission Faseau a engagé la mise en place de subventions au profit de six OSC et de quatre médias. Dans ce deuxième trimestre de 2019, les subventions prendront fin. Nous pouvons dire, même si les activités ne sont pas terminées, que le bilan est glorieux. Parce qu’en termes d’offre informationnelle sur les questions d’eau et d’assainissement, sur la satisfaction des services d’eau en tant que droit, il y a eu une nette amélioration. Vous avez pu voir tout ce qui a été mis en place, par les journaux et dans les réseaux sociaux, par rapport à l’accès et la qualité des services d’eau. Pendant la période chaude, vous avez vu les sorties du gouvernement pour expliquer les efforts déployés.

Les médias et les OSC ont contribué à sensibiliser aussi bien les autorités et les décideurs techniques à leurs responsabilités par rapport aux résultats qu’on enregistre dans le secteur. Ils sensibilisent aussi les populations et les associations à leurs responsabilités en matière d’adoption de bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement de base. Il est vrai que l’État doit construire des latrines dans les espaces publics, mais il appartient à chaque citoyen d’observer les bonnes pratiques d’utilisation de ces latrines.

Nous avons accompagné beaucoup d’initiatives et les acteurs étatiques répliquent les actions pour montrer aux gens comment promouvoir les droits humains liés à l’eau et à l’assainissement. Il y a donc beaucoup d’actions qui sont menées pour faire connaître les droits et les responsabilités liés à ces droits. C’est le premier pas pour un dialogue entre les débiteurs d’obligations et les détenteurs des droits, la population.

Quelles sont les difficultés rencontrées par la mission Faseau ?

C’est la première fois que les organisations de la société civile et les médias se mettent ensemble pour travailler pour la promotion et la défense des droits humains liés à l’eau et à l’assainissement. Il faut déjà les féliciter pour cela. Il faut dire que les difficultés que l’on a enregistrées se situent au niveau du dispositif institutionnel, qui a pris plus de temps pour se mettre en place. C’est normal et il faudrait en tirer les leçons pour aller de l’avant.

Le temps que l’on avait prévu pour aller aux actions concrètes de défense des droits humains a été long. Il fallait former tous ceux qui allaient mettre en œuvre les actions. Certains ont pris part à une activité de renforcement de capacités organisée par IRC. Les membres ont planifié des activités mais ce n’était pas suffisant pour les différents journalistes et OSC qui iraient sur le terrain. Ils n’étaient pas sur un même pied en matière d’information sur l’utilisation des principes de l’AFDH. Je veux parler des principes de redevabilité, de transparence, de participation, d’inclusion et de durabilité.

Au niveau étatique où l’on attendait également des changements d’application des principes, il a fallu également informer les différents cadres de l’administration qui sont au niveau national et déconcentré : les cadres du ministère en charge de l’Eau et de l’Assainissement ; les cadres de la direction régionale de la Boucle du Mouhoun, qui est la zone d’intervention du projet ; les conseillers municipaux ; les associations d’usagers de l’eau ; les associations de développement ; les cadres de l’ONEA, etc.

Un autre aspect qu’il faut évoquer, c’est que les différents acteurs n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble et d’obéir à certaines procédures adoptées dans le cadre de la Mission Faseau : procédure de transfert de fonds, procédure de justification de tranche avant la formulation de nouvelles demandes de fonds.

Selon une étude de WaterAid, le budget alloué au secteur de l’eau et de l’assainissement sur la période 2014-2019 est en baisse d’année en année, comparativement au budget alloué au secteur de la santé et de l’éducation. Pensez-vous que les problèmes d’eau au Burkina soient fonction de la hausse ou de la baisse du budget ?

On peut remettre au second rang la question de l’allocation budgétaire mais elle finira toujours par rejaillir au premier plan. Il y a d’abord la question de la définition des types de services que nous voulons donner aux populations en matière d’eau et d’assainissement. Voulons-nous continuer toujours avec les pompes à motricité humaine ? Dans quelle proportion allons-nous mettre en place d’autres services améliorés et qu’est-ce que cela entraîne comme organisation en filigrane dans le secteur ? C’est ce qui n’est pas encore entièrement mis en place. Qu’est-ce que cela demande en termes de moyens à mobiliser ? Il ne faut pas seulement mettre en place des ouvrages. Il faut également les gérer de façon continue et qu’on ait les ressources pour les entretenir, garantir la qualité de l’eau, garantir un prix abordable pour les populations et garantir un taux de panne acceptable qui ne va pas finalement compromettre l’objectif de santé publique.

Nous savons qu’il y a un audit institutionnel qui est en cours et il est important que les conclusions de cet audit et les conclusions de la politique tarifaire que l’on va appliquer pour répondre aux différents services soient mis en place. Il faut également qu’on ait un dispositif de suivi évaluation fonctionnel parce que si l’on met en œuvre des actions et qu’on n’est pas capable de les mesurer de façon constante, il risque d’avoir un déphasage important entre ce que les techniciens vont communiquer et l’accès réel des populations à la ressource.

C’est vrai que ce travail nécessite des ressources financières mais cela va demander aussi de la volonté politique pour pouvoir finaliser ce qui est en cours en termes d’audit institutionnel, de politique tarifaire, de dispositif complet de suivi évaluation. Ce que les populations recherchent, ce ne sont pas des ouvrages mais c’est que l’eau potable coule de façon constante et à un prix abordable.

Parlons de la gestion des ouvrages d’eau. Certaines communes préfèrent les gérer elles-mêmes tandis que d’autres préfèrent l’affermage. Quelle est la stratégie la plus raisonnable ?

La question des services d’eau potable est une question assez sérieuse. Assurer de manière constante le service d’eau aux populations est assez complexe. Les textes permettent aux communes d’opter pour l’affermage. L’affermage permet de confier la gestion des ouvrages à un spécialiste, à des techniciens qui sont capables de suivre de façon permanente la qualité de l’eau vendue, qui sont capables de suivre la quantité d’eau produite par rapport à la quantité d’eau vendue, qui sont capables de payer les redevances dues à la commune, de faire la maintenance de ces ouvrages, de remplacer les pièces qu’il faut au moment opportun.

Pour ce qui concerne les communes qui essaient de gérer directement les ouvrages, il peut se poser des problèmes de gouvernance. Lorsqu’un conseiller municipal ne paye pas la redevance à la commune, qu’est-ce que le maire peut faire contre cet acteur qui contribue également aux prises de décisions au sein de la commune ? Il faut également noter que la plupart des associations d’usagers n’ont pas les capacités techniques nécessaires pour organiser la gestion des forages.

Comment appréciez-vous la gestion de la période chaude (entre mars et avril) par le gouvernement ?

Au niveau des OSC, il y a eu plusieurs interpellations sur la qualité des services octroyés aux citoyens pendant la période chaude. Aujourd’hui, il faut que l’eau devienne un défi stratégique ; il faut faire de l’eau un défi à relever non pas seulement par le ministère en charge de l’Eau, mais un défi à relever par la présidence du Faso et le Premier ministère. Il est important que, quand on veut parler de l’accès à l’eau potable, on tienne compte de l’éducation, de la santé, de l’assainissement, de la question de la femme. Quand les femmes n’ont pas d’eau à la maison, elles ne peuvent pas pratiquer d’activités génératrices de revenus. Il faut que l’eau devienne un défi stratégique. Et quand ce sera le cas, nous allons aussi avoir les procédures appropriées qui vont faciliter les décaissements et la mise en œuvre des projets.

C’est ce message qu’il faut lancer à toutes nos autorités pour qu’elles comprennent que tant que l’eau va rester un défi sectoriel, il nous sera difficile d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés et nous risquons de prendre beaucoup de temps pour y arriver, parce que donner de l’eau potable n’est pas facile. Construire des ouvrages, c’est une part du défi, mais gérer l’ouvrage efficacement de façon durable, c’est encore une autre part du défi.

Y a-t-il un problème de vision ou d’anticipation des autorités en la matière ?

Il y a un certain nombre d’arguments qui ont été présentés par le ministère, à savoir le retard des entreprises qui exécutent les travaux. Mais de manière globale, il faut constater que la planification stratégique et la mise en œuvre des opérations n’a pu se faire convenablement et c’est ça qu’on observe chaque année depuis plus de trois ans. Il y a chaque fois des ruptures dans la mise en place des services d’eau, soit en milieu urbain, soit en milieu rural. Il faut plus de planification stratégique et il faut pouvoir mettre en place les ressources humaines, financières et toute l’organisation qu’il faut au niveau du secteur pour pouvoir combler le déficit que l’on constate aujourd’hui en matière de gestion et des services d’approvisionnement en eau potable.

Quand nous prenons le couple eau et assainissement, qu’est ce qui peut expliquer que l’assainissement soit le conjoint pauvre ?

Tout comme l’eau, l’assainissement est une question transversale. Par exemple, le ministère de la Santé a des prorogatives très importantes par rapport à la mise en place et au respect des règles d’hygiène, d’assainissement de base. Dans le code d’hygiène publique en cours actuellement, les acteurs de la justice ont également un rôle à jouer.

Tant qu’on ne va pas mieux faire connaître les différentes règles à observer dans ce domaine, tant que les acteurs de la justice ne vont pas aussi sanctionner ceux qui prennent leurs ordures pour venir jeter dans la rue, ceux qui défèquent à l’air libre en milieu urbain ou qui n’observent pas les règles d’utilisation des latrines publiques et autres, les gens vont toujours penser qu’on peut faire n’importe quoi. Il doit avoir des actions concertées, des actions de contrôle de la direction en charge de la santé publique.

C’est l’absence d’une action concertée autour de l’assainissement et l’insuffisance des moyens financiers qui font qu’aujourd’hui l’assainissement continue d’être un parent pauvre. Nous savons que les défis liés aux maladies diarrhéiques, aux maladies telles que le Sida ne pourront jamais être relevés si nous ne relevons pas les défis liés à l’hygiène.

À quoi devrait-on s’attendre après le 30 juin 2019, date de la fin des subventions accordées aux membres de la Mission Faseau ?

Les initiatives à succès que nous avons répertoriées vont être répliquées entre juillet et décembre 2019, où nous allons poursuivre la mise en œuvre de la mission Faseau. Nous commençons déjà par observer un certain nombre d’effets induits dans des villages où Savane FM a organisé une caravane de presse. Et les acteurs communaux qui ont été formés, essayent de mettre en place des latrines à domicile. Il y a ceux également qui ont établi de nouvelles règles pour l’utilisation des latrines dans les marchés et les mairies. À Nouna et à Dédougou, on constate que les comités de veille citoyenne commencent par jouer leur rôle.

Au-delà du grand travail qui se fait pour la mise en place d’un environnement favorable, nous sommes en train d’accompagner le ministère de l’Eau et de l’Assainissement à opérationnaliser un certain nombre d’outils qui vont lui permettre de mieux voir comment la prise en compte des droits à l’eau et à l’assainissement s’améliore.

Le même travail se fait avec le ministère de la Justice pour lui permettre de mieux assurer la justiciabilité des citoyens. Le travail avec les députés de l’Assemblée nationale devrait permettre enfin d’avoir de meilleures interpellations.

Nous espérons également que les communes de Dédougou et de Nouna, et la direction régionale de l’eau et de l’assainissement de la Boucle du Mouhoun vont mettre en œuvre les principes de l’AFDH. De manière concrète, il faut qu’il y ait des supports pour permettre aux citoyens lambda de savoir quelles sont les villages qui bénéficient d’ouvrages fonctionnels ou non. Il faut qu’on ait des rapports de performance au niveau de la direction régionale ou des communes qui soient accessibles aux citoyens.

À quand le passage à l’échelle ?

Il est trop tôt de pouvoir dire que nous allons faire un passage à l’échelle ou pas pour la mission Faseau même, si c’est ce qui est souhaité. Dans les échos qui nous reviennent, il y a beaucoup de directions régionales qui souhaitent qu’on aille dans la mise en œuvre de cette approche dans leur zone d’intervention. Nous travaillons avec nos partenaires Oxfam et l’Ambassade royale du Danemark pour voir dans quelle mesure donner une bonne suite à ces préoccupations.

Votre mot de fin ?

Nous réaffirmons la disponibilité de la mission Faseau à poursuivre ses actions de sensibilisation auprès des populations et des citoyens pour qu’elles se rendent compte de leurs obligations par rapport au paiement de l’eau, à l’observance des règles d’utilisation des latrines et autres ouvrages d’eau. Nous allons également poursuivre les actions de défense des interpellations et nous allons dire aux autorités que notre but premier est de faire en sorte qu’elles perçoivent au mieux les réalités vécues sur le terrain par les populations.

Nous n’avons nullement l’intention de porter atteinte à la crédibilité et à l’image des structures gouvernementales. Mais il s’agit pour nous de faire connaître ce qui est la réalité des services donnés aux populations et permettre à ce que les choses puissent évoluer dans le bon sens.

Entretien réalisé par Herman Frédéric Bassolé
Lefaso.net

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