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La communication non violente : "L’arme redoutable" de Téné Thérèse Hien/Soma pour une paix et une cohésion sociale durable

Publié le mercredi 4 octobre 2023 à 22h20min

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La communication non violente :

« Le fruit de la justice est semé dans la paix par ceux qui travaillent à la paix », disent les saintes écritures. Cette citation pleine de sens représente toute la vision d’une véritable assoiffée de paix et de justice pour sa patrie. Son pays est le Burkina Faso, confronté aux affres du terrorisme depuis maintenant près d’une décennie. Elle, c’est Téné Thérèse Hien/Soma, une fervente combattante de l’injustice et de l’iniquité. Portrait !

À l’image d’un combattant déterminé à se battre contre vents et marrées jusqu’à la dernière goutte de son sang, Téné Hien se réveille chaque matin avec sa puissante arme pour apporter sa pierre à la restauration de la paix au pays des hommes intègres. Cette arme, c’est la Communication non violente (CNV) dont elle fait usage pour apaiser les cœurs et les esprits autour d’elle.

Enseignante de profession, face à la récurrence des violences en milieu scolaire (agressions verbales et physiques à l’issue desquelles interviennent parfois certaines armes), Téné Hien s’est engagée à enseigner la CNV aux élèves du Cours moyen 1ère et 2e année (CM1 et CM2) depuis 2012. Cette conviction inébranlable, lui est survenue après s’être plongée dans l’univers de la communication non violente à travers l’ouvrage « Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : Introduction à la communication non violente ».

Cette œuvre littéraire de Marshall Rosenberg, un psychologue américain, formateur et auteur renommé pour son développement de la CNV, a créé un véritable déclic dans le parcours de Téné Hien.
Et depuis, se sont enchaînées les formations et conférences qu’elle anime dans le cadre de la paix et la cohésion sociale. C’est ainsi qu’elle prend pleinement conscience de l’impact que peut avoir les mots sur les personnes. Car aussi bien qu’ils sont capables de construire, les mots sont facteurs de destruction dans bien des cas. En témoigne cet extrait biblique « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue »., illustre-t-elle.

« La misère de l’autre me fait pleurer. Elle me touche au plus profond de mon âme », énonce Téné Hien avec la volonté de distiller la joie et la paix autant que possible (photo prise à la Place de la nation, lors d’une conférence sur la paix le 25 janvier 2023)

L’histoire du jeune Cissao

L’une des histoires qui l’a le plus marquée est celle du jeune Cissao, que Téné dit avoir rencontré au Sénégal dans le cadre d’une formation sur la CNV. « Cissao a perdu des parents dans la guerre en Casamance. Il m’a dit que c’est une forte douleur de voir les siens baigner dans leur sang sous son regard impuissant. Les gens disaient qu’une fois avoir croisé le regard de Cissao, il fallait du courage pour le regarder de nouveau. Tant son visage exprimait la haine et la violence, au point qu’il avait les yeux rouges. Cissao pouvait pour un oui ou un non te poignarder », relate-t-elle.

Malgré l’homme amer et agressif qu’était devenu Cissao, Téné explique que les formatrices en communication non violente du Sénégal ont dû mettre les bouchées doubles pour le transformer. Aujourd’hui, c’est une personne aimable et inoffensive, témoigne-t-elle, pour l’avoir connu en 2023.

Éprise de compassion et du bien-être pour son prochain, Téné s’est alors investie à transformer ces élèves jadis dominés par la haine et la violence, en des personnes courtoises, respectueuses, dotées de bon sens et de valeurs. En traitant tout le monde avec respect et sans discrimination aucune, elle est parvenue à toucher bien plus que des élèves par ses actes empreints d’amour.

« Marshall Rosenberg a défini une autre forme de communication, celle de l’écoute qui favorise l’élan du cœur, nous relie à nous-mêmes, laissant libre cours à notre bienveillance naturelle. Elle permet de s’exprimer avec authenticité, tout en prenant soin de l’autre, dans le respect de sa dignité humaine », donne-t-elle ainsi un aperçu de la communication non violente.

Une enseignante dévouée pour le bien-être des enfants et des jeunes (Mme Hien et ses élèves à l’école de Zongo Nabitenga, pendant un cours sur la paix en janvier 2022)

L’expérience réussie de la CNV en milieu scolaire

Il s’établit alors clairement, pour madame Hien, que la communauté éducative à la croisée des chemins, s’interroge sur les moyens à mettre en œuvre pour lutter et prévenir les violences en milieu scolaire. « Les résultats concluants de deux projets exécutés dans l’école de Zongo Nabitenga, m’ont convaincue de l’impérieuse nécessité de vulgariser l’approche de la CNV dans les écoles. Car en 2015, l’école de Zongo Nabitenga a été reconnue comme source de changement par Ashoka Afrique de l’Ouest, le plus grand réseau mondial d’entrepreneurs sociaux proposant des solutions qui changent le système et qui fonctionnent à travers les pays du monde », a-t-elle confié.

Grâce à cette approche, Téné a réussi l’exploit de réconcilier l’école et le village Zongo Nabitenga, situé dans l’arrondissement n°8 de la capitale burkinabè. Aussi, les résultats scolaires se sont améliorés, ainsi que les relations entre parents d’élèves et enseignants. Les relations entre enseignants ont connu un progrès de même que celles entre élèves et enseignants.

« Madame Hien a vite compris qu’elle pouvait mettre en relief toutes ses connaissances sur la non-violence, le vivre ensemble afin de changer l’image donnée à cette école », Ben Moussa Traoré, proche collaborateur de Téné Hien

Ainsi, Ben Moussa Traoré révèle qu’avec l’implication de toute la population et la contribution de certains partenaires, Téné a pu créer au sein du village, un environnement favorable à l’apprentissage. Ce qui a entraîné des résultats probants avec un taux de réussite scolaire évoluant de 48% à 80% aux examens ces dernières années. Et cela a permis de réconcilier le village et son école avec une bonne implication des parents d’élèves, a-t-il attesté.

Enseigner donc la CNV en milieu scolaire, va significativement, selon Téné, insuffler un changement de comportement et pourra être désormais considérée comme une action à portée sociale. « La nécessité d’inculquer des notions d’empathie et de paix dans les esprits encore malléables de nos tout-petits s’impose », a-t-elle recommandé. Elle soutient que cela leur permettra de grandir avec le sentiment d’être des artisans de paix.

Lire aussi Prix de la femme Ouaga FM : La lauréate de la 12e édition, Téné Thérèse Hien/Soma, empoche deux millions de F CFA

Pour madame Hien, partant du fait que tout enseignant espère travailler dans un climat apaisé et serein, mais que peu réussissent à le mettre en place, l’expérience de Zongo Nabitenga se veut un outil pédagogique visant à créer un cadre propice à l’épanouissement des élèves et de leurs encadreurs. L’ayant expérimenté de fond en comble, l’experte de la communication non violente croit dur comme fer que la CNV peut être un renforcement des leçons d’éducation civique et morale. Mieux, elle estime que la CNV crée les conditions favorables pour l’enfant pour produire des résultats concrets, preuve de son changement.

« Les supports sur lesquels le maître s’appuie, rendent cet enseignement attrayant. Parce que l’enfant s’amuse en apprenant et n’oublie pas ce qui l’amuse et l’intéresse. Il fait siens ces nouvelles découvertes. L’exemple des élèves de Zongo Nabitenga pourrait inspirer d’autres écoles du Burkina », relève-t-elle.
En tant que formatrice en CNV, l’approche bienveillante et respectueuse de Téné a rapidement gagné l’égard et l’admiration de ses participants, qui la considèrent comme une guide exceptionnelle.

« Après avoir bénéficié de la formation sur la CNV, j’ai l’ultime conviction que nous pouvons résoudre certains conflits sans passer par la violence », Wenddenda Parfait Zombré, ingénieur agronome et styliste

Un homme transformé par la CNV

« Tout est parti d’une formation avec madame Hien au talent d’oratrice formidable. Elle a su captiver toute mon attention et mon intérêt tout au long de la formation qui était une découverte pour moi, mais aussi et surtout des questionnements sur ma relation avec les autres. La décision fut prise, je me suis résolu à changer mon langage pour prendre soin de moi et de mon entourage », partage son expérience de la CNV, Wenddenda Parfait Zombré.

Ingénieur agronome et styliste, Parfait Zombré affirme désormais essayer au maximum, d’observer sans juger, de dire ce qu’il ressent, en respectant la dignité de celui à qui il s’adresse et en mettant l’écoute active en pratique. « Les étapes de la communication non violente, l’observation, le sentiment, le besoin, la demande sonnent dans ma tête comme un verset biblique. En tant que styliste et promoteur de la marque de vêtements Noli, ma manière de travailler en équipe a beaucoup changé et même les couturiers le disent. Dans mon entourage, je fais l’effort de contaminer les autres avec ce langage bienveillant », a-t-il renchéri.

Mère Teresa du Burkina Faso

À l’image de Mère Teresa, détentrice du prix Nobel en 1979, Téné est d’une générosité inestimable. Pour son instinct de maternité remarquable, Téné est aussi bien estimée par sa famille, à l’instar de sa sœur, madame Diane Pamart/Soma. « Ma sœur que j’aime beaucoup est une femme forte de ses convictions. Elle est engagée auprès de sa communauté chrétienne et auprès des personnes défavorisées. Quand je veux la définir, le premier mot qui me vient à l’esprit est “générosité’’. Je vais vous raconter une anecdote pour étayer mon propos. Un jour, elle m’a appelée pour me dire que j’ai un nouveau neveu de 19 ans. Elle avait été attristée d’apprendre qu’un orphelin de père, avec une mère démunie, risquait de ne pas pouvoir passer le baccalauréat, faute de moyens, car abandonné par ses autres frères pour ses convictions religieuses. Pire, il avait été mis à la porte, dépouillé de l’héritage qui lui revenait et ne savait où loger. Ma sœur a refusé que le jeune parte rejoindre sa mère au village. Elle lui a trouvé une maison, a payé les frais de dossier du bac, lui a ouvert ses portes au sens large du terme », relate-t-elle.

« Depuis une dizaine d’années, par le truchement du concept de la communication non violente, Thérèse prône le langage du cœur, la cohésion sociale et le bien-vivre ensemble »., Diane Pamart/Soma, sœur de Téné Hien

Téné Hien déteste l’hypocrisie, mais aime la transparence dans les relations humaines. Son plat préféré est le foutou accompagné de la sauce graine, un mets local bien prisé en Afrique de l’Ouest. Née à Soubakaniédougou (province de la Comoé, région des Cascades), Téné Hien est mariée et mère de quatre enfants. Elle a dû abréger ses études pour trouver rapidement un travail afin de soutenir son père qui avait été licencié avec le licenciement massif des enseignants en 1984. Alors qu’elle était en classe de 6e à l’époque. C’est ainsi que commença la carrière d’enseignante de Téné en première. Sa persévérance et sa détermination l’incitent à passer le concours spécial d’entrée à l’université, puis le concours des instituteurs principaux, auxquels, elle réussit brillamment.

Téné est aussi promotrice d’une association œuvrant pour le bien-être de la femme et de l’enfant. Son immersion dans l’univers de la communication non violente survient juste après avoir été séduite par la philosophie de Marshall Rosenberg. basée sur l’empathie, l’amour, l’humilité, l’écoute active. « Cette façon de se relier à l’autre en prenant en compte ses besoins est un exercice que j’aime beaucoup car cela me permet de bien me sentir, et de mieux comprendre les autres », déclare-t-elle.

Formation des jeunes de l’arrondissement n°8 de Ouagadougou, sur la CNV, en mars 2023

Son amour pour la CNV, lui a permis d’être formatrice et actrice de paix après avoir été suffisamment outillée dans le domaine. Pour Téné, renforcer le capital humain est aujourd’hui un impératif. Et faire connaître la CNV, peut y contribuer grandement. Selon elle, mise à la disposition des populations, la CNV peut aider à l’installation de la paix et de la cohésion sociale au Burkina Faso. « Si je dis ceci, c’est parce que je suis convaincue que beaucoup travaillent pour la paix et n’hésiteront pas à ce qu’on travaille ensemble, car l’objectif est le même : nous lever comme un seul homme pour nous battre et reconquérir notre droit d’existence paisible », nourrit-elle l’espoir.

Face à la crise sécuritaire et humanitaire que traverse le Burkina Faso, Téné suggère que soient mis à contribution, les médias pour promouvoir la CNV comme instrument efficace de prévention et de gestion des conflits. Elle juge également nécessaire de former suffisamment les gens à la culture de la paix à travers l’outil qu’est la CNV.

Conférence sur la paix avec les femmes chercheurs du Burkina Faso, le 8 juin 2023

« Je le dis parce que je suis persuadée que la guerre finira », clame-t-elle avec beaucoup de foi. « Mais la gestion de l’après-guerre me fait beaucoup peur. Nous avons fait l’expérience de la haine, de la violence, de la peur, et même de la mort. Comment arriver à réorienter surtout l’avenir des enfants qui sont nés et ont grandi dans cette guerre ? Comment arrivée à leur faire comprendre qu’à leur tour ils devront lutter pour une société plus juste et plus humaine ? C’est maintenant que nous devons le faire de façon simultanée avec le combat actuel », affiche-t-elle clairement ainsi ses préoccupations.

Sans vouloir paraître prétentieuse, Thérèse estime qu’il faut envisager une réforme au niveau du système éducatif en prenant sérieusement en compte l’éducation empathique. « C’est une nouvelle page de notre histoire que nous écrivons, ce serait peut-être possible de réorienter certaines lignes de notre éducation ». Telle est la vision de l’ambassadrice de la paix. Son profond désir de s’ouvrir au monde afin d’en découvrir ses merveilles et de propager cette belle et riche expérience, lui ont imposé l’amour du voyage. Le combat qu’elle mène au quotidien lui a valu la distinction du prix « Femme Ouaga FM de l’année » en 2019. Le thème retenu à cette édition était : « Contribution de la femme à l’édification d’un Burkina Faso de sécurité, de paix et de cohésion sociale ».

Hamed Nanéma
Crédit photo : Bonaventure Paré
Lefaso.net

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