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Procès du putsch : L’expert Younoussa Sanfo, le lieutenant Jacques Limon et les 146 millions

LEFASO.NET | Par Tiga Cheick Sawadogo

Publié le mardi 19 mars 2019 à 11h00min

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Procès du putsch : L’expert Younoussa Sanfo, le lieutenant Jacques Limon et les 146 millions

L’expertise des téléphones portables. Voilà une expression qui a beaucoup retenti dans la salle d’audience depuis le début du procès du coup d’Etat de septembre 2015. Celui qui a fait parler les appareils (téléphones, ordinateurs, disques durs, clés USB, CD, disquettes), restauré les messages même supprimés était donc très attendu.

Younoussa Sanfo, ingénieur informaticien, expert en cyber sécurité et en investigations numériques était à la barre toute la journée du 18 mars 2019. Montré du doigt jusqu’alors par certains accusés pour avoir été celui qui a inventé, fabriqué de toutes pièces des éléments pour les incriminer, l’expert s’est voulu clair. « C’est impossible de tripoter des données et à la fin, avoir des preuves fiables », et tout ce qu’il a fait peut être vérifié, et même soumis à une contre-expertise.

« L’expert viendra », disaient les avocats de la défense, de la partie civile et le parquet, quand certains messages qu’auraient émis ou reçus certains accusés leur étaient lus à la barre et qu’ils en déclinaient toute responsabilité, arguant que c’était une fabrication faite par le génie de l’expert. « Ces messages ne sont pas de moi », s’étaient défendu certains. Les différentes parties reportaient donc le débat, en attendant la comparution de l’expert. Eh bien, il était là ce 18 mars pour expliquer son travail d’expertise.

Younoussa Sanfo dit avoir reçu environ 72 périphériques (téléphones portables, ordinateurs, disques dures, CD, disquettes, USB…) de la part du juge. Objectif, récupérer toutes les informations, même supprimées, chiffrées, seulement en lien avec le coup d’Etat. Il s’est mis alors à la tâche. Mais très vite, il se rendra compte que 96% des messages étaient supprimés, en plus tous les numéros de téléphones n’étaient pas identifiés chez l’opérateur de téléphonie au nom de ceux qui les utilisaient ; certains téléphones étaient codés. Il lui a donc fallu contourner le système de sécurité pour accéder au ventre des appareils. C’est cela entre autres son travail d’expert, et il le fait depuis de années.

Younoussa Sanfo notera que quand il travaille, ce sont les données, la matière première des périphériques qui l’intéressent, pas les auteurs. D’ailleurs, précisera-t-il, il n’a pas d’antécédants avec aucun des accusés dans le box, mais il connait certains d’entre eux.

Le parquet ne tardera pas à lancer la question tant attendue. L’expert n’aurait-il pas créé, tripoté, inventé certains messages ou éléments pour les introduire dans les téléphones de certains mis en cause, aux fins de les enfoncer ? « Je n’ai pas à le faire. J’ai une déontologie », souligne -t-il. Mieux, il explique au président du tribunal que son travail n’a pas consisté à travailler directement sur les téléphones, ordinateurs et autres périphéries. Non, ce n’est pas ainsi.

Quand le périphérique est allumé, il l’éteint. C’est le seul acte qu’il a directement posé sur certains. Selon les normes en la matière, un dispositif est utilisé pour faire la copie conforme de l’appareil. Et tout le travail de l’expert se fait sur la copie, l’intégrité de l’appareil d’origine n’est nullement entachée. Ce qui permet de faire d’autres expertises ou même une contre-expertise au besoin.

Mais pour faire ces copies, n’ayant pas le matériel qu’il faut, il a fait appel aux services d’un laboratoire d’expertise en récupération des données.

« C’est impossible de tripoter des données et à la fin d’avoir des preuves fiables », révèle l’expert en investigation numérique qui précise qu’il n’a fait que ce que le juge lui a demandé.

Pour lui, tout ce qu’il a fait est vérifiable auprès des opérateurs de téléphonie. Et si le travail ne convainc pas certaines parties, il y avait la possibilité de commanditer une contre-expertise.

Aussi, lors de sa comparution, le Général Gilbert Diendéré avait soutenu avoir utilisé un seul téléphone portable, alors que le rapport d’expertise des appareils faisait ressortir que le téléphone du Gal avait deux IMEI (International mobile equipment identity). Comment cela est-il possible ? demande le ministère public à l’expert. Il explique : « Si on met une carte Sim dans un téléphone A, l’opérateur fournit un numéro IMEI. Si le même numéro est mis dans un téléphone B, on aura un autre numéro IMEI ». Par conséquent, le numéro de Diendéré a été utilisé par deux téléphones différents. C’est ce qui justifie les deux IMEI.

Younoussa Sanfo a par ailleurs refusé de commenter les affirmations des accusés. « Ce que les gens disent devant ce tribunal, je n’ai pas à les contredire. Je ne désigne pas de coupable, ce n’est pas mon rôle », a précisé l’expert selon qui, son travail a consisté à analyser les appareils et à fournir les résultats au juge, dans un rapport qui fait 512 pages.

Le Lieutenant Jacques Limon persiste et signe

C’était certainement l’accusé le plus attendu après la déposition de l’expert. Le Lieutenant Jacques Limon fait partie de ceux qui n’accordent aucun crédit au travail du chef d’Intrapol. Pour lui, tout est pur montage. Et s’il est inculpé, c’est simplement parce qu’il a refusé d’avaliser le marché de l’expertise à hauteur de plus de 146 millions de FCFA, alors qu’il était en service au ministère de la Défense.

Younoussa Sanfo serait même venu à son bureau à plusieurs reprises pour l’inciter à signer le marché. Tous ses déboires découlent de ce refus, selon lui. Appelé une fois à la barre, il a maintenu sa ligne de défense. « C’est la manipulation de ce marché qui a conduit au détournement des 147 millions. Je suis ferme là-dessus », a rempilé le Lieutenant.

Mais selon l’expert, il n’en est rien. Younoussa Sanfo fera alors des révélations. Le Lieutenant Jacques Limon serait venu le voir à son domicile pour lui signifier que la hiérarchie militaire et la justice militaire étaient favorables à son acquittement, mais le seul hic, c’est lui l’expert. Ce dernier lui aurait répondu qu’il n’est en aucun cas le problème, il a juste fait un travail et le rapport a été déjà transmis au juge. « C’était la première et la derrière fois que je le voyais », note l’expert.

Le Lieutenant Jacques Limon se dira « surpris », parce qu’il ne connaissait même pas chez Younoussa Sanfo. Par contre, il s’y est déjà rendu, mais pas seul. Il était accompagné du directeur de la justice militaire, le Colonel Sita Sangaré.

Des avocats de la défense ont encore une fois de plus dit tout le mal qu’ils pensaient du travail de l’expert. « C’est un très mauvais travail », clame l’avocat du Lieutenant, Me Mamadou Sombié qui ajoute que s’il avait la possibilité, c’est à la roquette que l’expertise des téléphones serait détruite.

Pour Me Dieudonné Bonkoungou également, le travail de l’expert est sujet au doute et ce n’est pas fiable. Parce que selon lui, il a eu le temps de travailler à introduire des éléments de nature à charger certains accusés. Ce d’autant plus que dès le 17 septembre 2015, ses services étaient demandés par la gendarmerie nationale dans le cadre d’un coup d’Etat en cours.

L’audition de Younoussa Sanfo se poursuit ce 19 mars 2019 au tribunal militaire. Et il faut peut-être s’attendre à d’autres révélations, car comme l’affirme l’expert, si la loi l’autorise à ne pas répondre à certaines questions des avocats notamment celles qui n’ont rien a voir avec la mission qui lui a été confiée, il tient à y répondre quand même parce qu’il n’a rien à cacher.

Tiga Cheick Sawadogo

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