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La problématique de la liberté chez Jean-Jacques Rousseau

Publié le lundi 4 novembre 2019 à 15h43min

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La problématique de la liberté chez Jean-Jacques Rousseau

La liberté est une notion clé de la philosophie du philosophe de Jean-Jacques Rousseau. Sa réalisation et sa promotion dans l’État civil requièrent des conditions politiques et pédagogiques. Rousseau distingue la liberté naturelle qui est celle dont jouit l’homme naturel c’est-à-dire l’homme dans l’état de nature de la liberté conventionnelle qui est définie et garantie la loi et se traduit par un ensemble de droits reconnus aux citoyens. La réalisation de la liberté suppose un régime démocratique qui garantit l’égalité en droit des citoyens. L’éducation à la citoyenneté permet aux citoyens d’avoir une meilleure compréhension de la liberté, des droits et devoirs de chacun.

Introduction

La liberté est une notion clé dans la pensée politique et éducative du philosophe Jean-Jacques Rousseau. La thèse au fondement de la philosophie de Rousseau est la promotion de la liberté qui justifie ses écrits Émile ou de l’éducation et le Contrat social. La réalisation de la liberté requiert des conditions pédagogiques et politiques sans lesquelles elle serait impossible. Sur le plan pédagogique, il s’agit d’éduquer à la citoyenneté, à la liberté et dans le domaine politique et également de fonder la société civile sur un contrat. Comment Rousseau conçoit-il l’éducation à la citoyenneté et à la liberté ? En quoi la société contractuelle garantit-elle une liberté effective aux citoyens ? Notre travail comportera deux axes. Nous définirons d’abord la notion de la liberté et ensuite nous examinerons les conditions politiques de la liberté.

I. Qu’est-ce que la liberté

Chaque personne a le sentiment de la liberté parce qu’elle l’éprouve, la vit d’abord comme une donnée immédiate qu’elle peut manifester par des actes considérés comme l’expression de sa volonté. La liberté n’est pas une donnée matérielle constatable et est définie généralement en opposition à la contrainte. Une personne est contrainte lorsqu’elle n’obéit plus à sa propre volonté et agit sous la pression qu’on lui impose. C’est en ce sens que le philosophe E. Kant (1985, p.317) écrit : « Je dis donc : tout être qui ne peut agir autrement que sous l’idée de la liberté est par cela même, au point de vue pratique, réellement libre ». Il s’ensuit qu’une personne libre est celle qui n’est assujettie à aucune pression, contrainte extérieure à celles qu’elle s’impose elle-même. On peut légitimement parler d’une conscience de la liberté qui distingue l’homme de l’animal. Ce dernier obéit à ses instincts, est soumis au déterminisme et est incapable de s’autodéterminer, de se fixer librement des objectifs à réaliser.

La liberté est ce qui permet à l’homme de se soustraire à l’emprise de la nature, de dominer ses passions. L’homme libre est celui qui agit conformément à des motifs définis. La liberté est donc indissociable de la faculté de vouloir comme l’exprime Montesquieu (1979, p. 328) : « La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systèmes) dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté ». La liberté peut être analysée aussi sous l’angle politico-juridique.

Sous l’angle politico-juridique la liberté renvoie à un ensemble de droits qui autorise chaque individu à agir, à poser des actes. Les limites de ce pouvoir d’agir reconnu aux individus dans l’État sont définies par la loi qui protège logiquement chacun contre les violations ou la privation de ses droits. J. Rawls (1987, p.238) définit la liberté dans ce sens : « La liberté est une certaine structure des institutions, un certain système de règles publiques définissant des droits et devoirs ». L’ensemble des droits constitutifs de la liberté juridiques et politiques sont désignés par les termes libertés civiles et politiques. Ainsi, sous l’angle politico-juridique la loi limite l’autorité de l’État sur les citoyens, prévient l’arbitraire de la part des autorités politiques, des gouvernants mais aussi prescrit des limites de la liberté comme faculté de vouloir. Ce qui a conduit Montesquieu (1979, p. 292) à dire que :
Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent et, si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir.

Le siècle des Lumières, siècle de du philosophe Rousseau, fait de la raison la condition de la liberté. Il pense que la raison a un pouvoir émancipateur qui libère l’homme des préjugés, des dogmes qui le condamnent et le maintiennent dans l’esclavage, l’obscurantisme. Rousseau se démarque de cette conception de la liberté en démontrant que les œuvres de la raison ont accentué l’immoralité de l’humanité : « Avant que l’art ait façonné nos manières et appris nos passions à parler un langage apprêté, nos mœurs étaient rustiques mais naturelles ». Il distingue la liberté naturelle de la liberté conventionnelle. (1973, p.240)

Pour J.-J. Rousseau (1973, p.60) la liberté est l’essence de l’homme, « l’homme est né libre… », elle ne lui est octroyée par aucune institution. La liberté est consubstantielle à la nature humaine et les institutions ne peuvent que la reconnaître et la garantir, elles ne l’inventent pas. Pour lui, la nature est synonyme de liberté et l’entrée dans la civilisation est synonyme d’esclavage, d’aliénation. La liberté naturelle est celle dont jouit l’homme naturel vivant dans l’état de nature qui est l’état avant l’entrée en société. L’homme naturel est libre parce qu’il mène une vie solitaire et ne connaît pas l’usage de la raison. Les limites de la liberté naturelle sont celles des facultés de l’individu. En revanche, la liberté conventionnelle est celle accordée par la loi dans l’État qui précise ses conditions d’exercice et ses limites. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » écrit J.-J. Rousseau (1973, p.78)

Cette conception de la liberté est la cause des relations difficiles entre Rousseau et les philosophes de l’Encyclopédie (Voltaire, D’Alembert…) considérée comme l’instrument de la vulgarisation du savoir, lequel savoir est la condition du progrès qui garantit le bonheur de l’homme. Rousseau reconnaît à l’homme naturel la raison mais elle n’est que virtualité, il ne s’en sert pas et de ce fait il est libre. La critique rousseauiste concerne moins la raison elle-même que son exercice. L’exercice de la raison est la cause de la dépravation, de la dénaturation et de l’aliénation de l’homme. A ce propos J.-J. Rousseau (1973, p. 308) affirme : « J’ose presque assurer que l’état de réflexion est un état contre nature et que l’homme qui médite est un animal dépravé ».

II. Les conditions politiques de la liberté

La liberté dans l’État requiert un ensemble de conditions sans lesquelles elle est impossible. Ces conditions peuvent être ramenées à deux : politique et pédagogique. Sous l’angle politique, la liberté suppose un État démocratique fondé sur le droit et régi par le droit. La démocratie institue une égalité juridique en reconnaissant à tous les citoyens les mêmes droits et institue ainsi une égalité entre gouvernants et gouvernés. L’égalité juridique en droit est la condition de la liberté pour tous. La source législatrice de la loi garante de la liberté est la volonté générale : « La volonté constante de tous les membres de l’État est la volonté générale : c’est par elle qu’ils sont citoyens et libres » écrit J.-J. Rousseau (1973, p.180-181). Une autre condition fondamentale pour réaliser une vraie démocratie est la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. La séparation des pouvoirs vise à éviter la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne ou groupe de personnes. Si une seule personne ou groupe de personnes détenait tous les trois pouvoirs le peuple ne peut éviter l’arbitraire dans l’élaboration et la mise en œuvre des lois. Le principe de la séparation des pouvoirs est affirmé aussi bien par Rousseau que par Montesquieu.

La démocratie ne peut réussir sans des citoyens suffisamment informés des principes d’un régime démocratique, de son fonctionnement et de leurs droits et devoirs. Autrement, il faut un esprit et une culture démocratique chez les citoyens, un comportement répondant aux exigences de la vie démocratique. C’est pourquoi, la démocratie ne peut se concevoir sans une éducation civique, à la citoyenneté qui permet aux citoyens de ne pas confondre la liberté et la licence. J.-J. Rousseau (1992, p. 164) est conscient du lien indissociable entre l’éducation et la démocratie lorsqu’il écrit : « L’éducation publique sous des règles prescrites par le gouvernement et sous des magistrats établis par le souverain, est donc une des maximes fondamentales du gouvernement populaire ou légitime ». L’éducation à la citoyenneté est une nécessité pour éviter que la démocratie ne soit qu’une pure illusion. Ainsi l’éducation à la citoyenneté est un moyen d’éveiller les consciences des citoyens et d’éviter la corruption de la démocratie qui deviendrait une dictature. L’adhésion de tous aux valeurs et principes de la démocratie garantit le bon fonctionnement des institutions démocratiques.

Conclusion

En somme, Rousseau n’accorde pas la primauté à la raison mais à la liberté. La conquête et la promotion de la liberté s’imposent à l’individu et à la collectivité comme un impératif catégorique. Cette conquête se traduit par la revendication des droits violés, des libertés confisquées, par la résistance aux régimes qui ont perdu toute légitimité parce qu’ils ne répondent plus aux aspirations du peuple. Lorsque les institutions démocratiques ne peuvent pas garantir les principes d’égalité, de justice, la liberté d’un régime démocratique, le risque que la démocratie s’effondre est réel.

BONANÉ Rodrigue Paulin,
Chargé de recherche en philosophie de l’éducation,
Institut des Sciences des Sociétés (INSS) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) – Ouagadougou, Burkina Faso
Mail : rodbonane@yahoo.fr

SOME/SOMDA Minimalo Alice
Chargée de recherche,
Institut des Sciences des Sociétés (INSS) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) – Ouagadougou, Burkina Faso
Mail : alicesomda14@gmail.com

Bibliographie
KANT Emmanuel, 1985, « Fondements de la métaphysique des mœurs », in Œuvres Philosophiques tome II, trad. Victor Delbos, Paris, Gallimard.
MONTESQUIEU, 1979, De l’esprit des lois, Paris, Garnier Flammarion.
RAWLS John, 1987, Théorie de la justice, trad. Catherine Audard, Paris, Seuil.
ROUSSEAU Jean-Jacques, 1958, Émile ou de l’éducation, Paris, Éditions Sociales.
ROUSSEAU Jean-Jacques, 1973, Du Contrat Social, Paris, Union Générale d’Éditions, coll. « 10/18 ».
ROUSSEAU Jean-Jacques, 1973, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Union Générale d’Éditions, coll. « 10/18 ».
ROUSSEAU Jean-Jacques, 1973, Discours sur les Sciences et les Arts, Paris, Union Générale d’Éditions, coll. « 10/18 ».
ROUSSEAU Jean-Jacques, 1992, « Discours sur l’économie politique », in Écrits Politiques Paris, Librairie générale française, p.157-206.
ROUSSEAU Jean-Jacques, 1992, Lettre écrites de la Montagne, in Écrits Politiques, Paris, Librairie générale française.

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