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Touorizou Hervé Somé : « L’insurrection est chose tellement sérieuse que ceux qui nous dirigent ne doivent pas nous amener à la faire fréquemment »

Publié le mercredi 2 novembre 2016 à 23h26min

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Touorizou Hervé Somé : « L’insurrection est chose tellement sérieuse que ceux qui nous dirigent ne doivent pas nous amener à la faire fréquemment »

Le Docteur Touorizou Hervé Somé, enseignant-chercheur à Ripon College aux Etats-Unis, fait partie des cyber-insurgés qui ont activement participé, par leurs prises de position argumentées, à l’éveil des consciences et à la mobilisation des esprits ayant conduit à l’insurrection d’octobre 2014. Deux ans après, que pense-t-il des changements intervenus et de l’évolution du Burkina Faso ?

Deux ans après, que pensez-vous de l’insurrection populaire ?

Avant tout propos, mes pensées vont vers nos frères et sœurs qui ont perdu la vie au cours de ce combat rude contre la dictature dynastique qui se dessinait à l’horizon dans notre pays. J’ai une pensée pieuse aussi pour les blessés et je souhaite à tous ceux qui souffrent encore dans leur corps et dans leur âme un profond rétablissement. J’appelle de tous mes vœux l’Etat à faire parler le coeur de ce peuple généreux du Burkina Faso afin que les individus et les familles soient dédommagés. L’argent ne ramènera plus jamais un frère, un mari ou une fille qui est parti pour de bon, et avant l’heure. De même, l’argent ne compensera jamais à hauteur exacte la douleur et les angoisses causées par le staccato des armes. C’est juste pour soulager un tant soit peu les cœurs et les corps. C’est grâce à vous les jeunes qui avez offert vos poitrines nues face aux chars et autres mitraillettes achetés avec l’argent du contribuable que l’on peut parler de démocratie aujourd’hui (sinon on parlerait toujours de démocratie comme on a fait depuis 1991, mais ce serait une blague de mauvais goût). Je souhaite que tout gouvernement qui vient au pouvoir puisse savoir faire la place à la jeunesse dans son programme politique, et cela, de façon réaliste. Je me suis dit que quand la jeunesse n’a plus peur de mourir pour les causes justes, les dictateurs ont des problèmes, car c’est notre peur qui fait en réalité leur force. Le Burkina Faso vient de loin.

L’insurrection populaire était justifiée sur le plan moral et citoyen, ne serait que sur ces deux plans-là. Elle a même trop tardé car la démocratie hybride burkinabè n’était qu’une démocratie nominale en tape- à l’ œil. Avec la mort cruelle de Norbert Zongo et de ses trois compagnons, on aurait dû nous insurger jusqu’au bout déjà depuis décembre 1998, car le pouvoir avait montré son vrai visage hideux. Si on avait encore des doutes quant au caractère mortifère du défunt régime, la preuve avait été faite par 4. Le peuple était étouffé par la manière dont les choses étaient gérées. Même si mon propre grand- père revenait à la vie aujourd’hui, s’il avait le pouvoir et voulait le gérer de cette façon néo- patrimonialiste comme un chef de « tribu » à la tête d’ un état moderne, que le peuple ait le courage de se lever et d’affirmer son droit et sa raison. Quitte à ne pas se laisser voler sa lutte par la suite.

La veille citoyenne doit donc être de mise. Si le peuple baisse les bras, les mêmes pratiques politiques que nous avons désapprouvées ont mille chances de ressurgir. Le peuple est intelligent et il sait qu’il a des droits, pas seulement des devoirs. Que tout dirigeant qui arrive sache que le peuple a droit à sa révolte. S’ ’il n’est pas là pour travailler pour le peuple, il aura ce qu’il aura lui-même invité dans son salon. C’est seulement quand les dirigeants auront un minimum de peur, je ne parle même pas de respect, pour le peuple, qu’ils auront la sagesse d’administrer les affaires du peuple au bénéfice du peuple. Tout pouvoir tend à se corrompre, absents les contre- pouvoirs et la peur que le peuple peut sanctionner et va sanctionner, comme la magistrale déculottée que le peuple du Burkina a administrée, pas à Blaise en tant qu’individu, mais à un système politique vermoulu qui croyait que sa raison d’ être, c’ était lui- même.

L’insurrection a-t-elle tenu ses promesses à votre avis ?

L’insurrection a tenu beaucoup de ses promesses. Bien sûr, ce n’était pas un long fleuve tranquille et comme tout projet, elle ne peut pas être jugée sur la base de 100% de réalisation. Très peu de projets de moindre portée le sont. Pourtant, la Transition était un projet énorme, « gigantissime », vu le facteur temps et les défis à relever. Le 30 et 31 octobre, Blaise Compaoré a perdu le pouvoir, pouvoir qu’il pouvait toujours garder s’il avait eu la sagesse et l’ humilité d’ écouter la rue, car la rue fait aussi partie des Burkinabè. Ce ne sont pas des Vietnamiens qui battaient le pavé à longueur de semaines. Mais tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, elle se casse. Les populations étaient sorties pour empêcher le tripotage scélérat et perfide de notre constitution. On n’en attendait pas tant ! On a eu plus que le prix qu’on marchandait.

Mais je suppose que vous voulez parler de la Transition, en tant que le « directoire » consensuel mis en place suite à l’insurrection populaire. Elle a fait beaucoup de choses. Elle a fait de grandes choses qui vont entrer dans les annales de notre histoire, qu’on les ait aimées ou pas. Il est vrai aussi qu’elle aurait pu mieux faire certaines. L’un dans l’autre, le bilan est bon à prendre. Je ne fais pas partie de ceux qui vont chercher à jeter la pierre à la Transition de façon primaire sans même tenir compte des conditions et du délai court d’un an dans lesquels elle devait travailler. Déjà, le 25 mai 2015, j’ai publié un point de vue sur Lefaso.net, et intitulé « Novembre 2015, date-butoir de la transition au Burkina : Le bébé qui ne veut pas naître à bonne date naît généralement au forceps ». Je soulignais qu’il fallait tout faire pour ne pas prolonger la transition. Même si je n’ai pas été totalement compris en son temps par tous, c’était ma manière à moi de manifester ma crainte que des empêcheurs de « Transiter » en rond n’étaient pas forcément loin.

Je tenterai toujours de garder mon indépendance de penser par moi- même et cela ne veut pas dire que je jouis de l’infaillibilité papale, loin s’en faut. Je veux bien errer, mais dans le sens de la bonne foi. Par exemple, la Transition a travaillé plus de ¾ de son temps la baïonnette du RSP dans le dos. Les gens n’aiment pas la vérité quand cette vérité bouscule leurs certitudes. Je m’en suis rendu compte. Ne serait-ce que parce que la Transition a pu réveiller une justice zombie qui ne « savait » pas qu’ elle pouvait faire bouger les choses comme le dossier du Président Thomas Sankara et de celui de Norbert Zongo, dossiers imprescriptibles devant la conscience collective des burkinabè et de l’ humanité tout entière ; et ne serait-ce que parce que la Transition a su titiller l’ ours du RSP au point de le pousser à l’erreur fatale, rien que sur la base de ces deux éléments, la Transition aura fait œuvre utile. Je le répète ici, comment aurions- nous pu nous défaire de ce Frankeinstein de RSP que même son géniteur redoutait ? L’histoire nous permettra certainement de juger à sa juste valeur la contribution de la Transition à l’enracinement de la démocratie au Burkina Faso et peut- être en Afrique, lorsque toutes les passions se seront évanouies, et toutes les choses tassées là où elles doivent l’être. On reproche certaines choses à certaines personnes de la Transition, mais en quoi cela invalide-t-il la Transition à moins que l’on ait été foncièrement contre l’insurrection elle- même dès le départ pour des raisons que l’on ne peut pas dire très haut ?

Que pensez-vous du Burkina post- insurrection deux ans après ?

De la même manière que j’ai manifesté ma mansuétude pour la Transition au risque d’ irriter ceux qui ne veulent pas entendre parler de la Transition, même pas la voir en peinture, de la même manière, je le ferai pour le pouvoir actuel, sans me dérober au devoir de franchise et de cohérence avec moi- même d’ abord, c’est l’essentiel. Le pouvoir, c’est aussi souvent l’impuissance. Le gouvernement actuel n’a pas hérité de l’appareil d’état dans les conditions les plus idoines. On ne succède pas à un pouvoir trentenaire « impunément ». On hérite forcément de tendances lourdes qu’il faut apurer. Les attentes des populations sont très fortes, surtout après que la rue a pris le pouvoir qui a failli être confisqué par l’armée comme en 1966. En plus, quelques semaines après l’arrivée au pouvoir du nouveau président sorti des urnes, les affreux terroristes ont frappé en plein cœur de Ouagadougou.

Nous savons aussi que tous nos voisins ne sont pas des amis et chercheront à nous étouffer, surtout par l’économique et le sécuritaire. Je ne suis pas totalement à l’aise pour juger sévèrement le nouveau gouvernement, au regard des contraintes écologiques qui ont entouré son arrivée au pouvoir, malgré certains mécontentements qu’on lit ça et là, et que somme toute, le gouvernement gagnerait à ne pas prendre à la légère. Je suggèrerais donc au régime actuel, et même s’ il n’ a rien sollicité de ma part, d’envoyer des signaux forts sur la justice( gage d’ une réconciliation nationale vraie et aussi son préalable ) et la sécurité, et de sécuriser le front social aussi qui commence à donner un peu de la voix. Les gens ont des inquiétudes. Vraies ou fausses, fondées ou pas, c’est à lui de communiquer pour rassurer.

Bien entendu, il y a séparation théorique entre l’ Exécutif et le Judicaire mais si le citoyen lamda voit que les dossiers emblématiques de justice comme celui de Thomas Sankara, de Norbert Zongo et du coup d’ état de septembre 2016 sont jugés sans galvauder le droit et que d’une manière générale, le palais de justice est le lieu où le droit est dit et bien dit pour tout le monde, et au quotidien, ainsi pourra- t- il être rassuré qu’ il y a une réelle rupture d’ avec une certaine justice qui n’est que l’ égide trompeuse de quelques « juges acquis », terme fort malheureux, s’ il en est. Par ailleurs, je ne m’y connais pas en matière d’instruction judiciaire, mais les auteurs du coup d’Etat auraient déjà dû être jugés aujourd’hui, pour être condamnés s’ ils ont été convaincus de ce dont on leur reproche, ou simplement libérés et blanchis, toujours sur la base du fond de dossier. Ce serait la preuve que nous avons une justice forte qui rassure. Cela nous aurait évité les libérations provisoires que beaucoup craignent être des libérations définitives. (Nous répéter qu’il y a séparation entre le législatif et le judicaire n’est pas suffisant car je parlais tantôt de tendances lourdes) Mais on verra et on avisera en son temps. Il me semble donc que la manière dont les choses de la justice seront jugées et la manière d’agir (surtout ) et de réagir à l’insécurité seront un test décisif pour le nouveau président élu et son gouvernement.

Un juge acquis ou affairiste (c’est la même chose) ne pourra délivrer qu’un verdict acquis, donc corrompu. Quant à l’insécurité ambiante, nous n’avons pas le choix dans cette guerre asymétrique que nous livrent des individus mal dans leur peau qui veulent détruire le monde, mais au nom de Dieu qui, pourtant, n’a pas besoin d’un soldat pour défendre Sa cause. Or, quand la sécurité va, tout peut aller. Je sais que les forces militaires et paramilitaires du Burkina Faso sont très bien formées. Elles ont été prises, culottes baissées, un certain nombre de fois et j’ai foi qu’ils vont tirer les leçons. J’ai du respect pour nos militaires et para- militaires et je suis sûr qu’avec une meilleure coordination des actions, elles pourront sécuriser nos frontières. A tous ces braves hommes tombés sous les balles des intolérants, que la terre du Burkina Faso leur soit légère. Comme vous le voyez, je suis globalement optimiste même si les choses ne sont pas faciles sur bien des plans, et malgré la viscosité économique ambiante. J’ai envie de dire que ça pourrait ressembler au pire avant d’être meilleur. Je vois le verre à moitié plein.

Si c’était à refaire ?

Si c’était à refaire ? Il fallait le refaire sans réfléchir, comme mû par un arc réflexe. Je ne vois pas comment le peuple allait accepter l’arbitraire qui se dessinait sous nos yeux. J’ai une famille, des enfants et des amis et connaissances, un village et une ville dans un pays que nous avons tous le devoir de laisser pérenne comme nos ancêtres nous l’ont légué, et même mieux. Je vis dehors mais je vis aussi dedans. Comment aurais- je pu ne rien faire dans les limites de mes modestes capacités quand le bateau battant pavillon Burkina Faso tanguait en plein dans l’iceberg géant de l’irresponsabilité politique et morale ? La plupart des Burkinabè ont fait quelque chose, chacun à son humble niveau.

C’ est pourquoi nos prières individuelles et collectives sont montées tout droit au ciel, symboliquement parlant, comme une alouette, et Dieu les a exaucées. Bien sûr, l’insurrection est chose tellement sérieuse que ceux qui nous dirigent ne doivent pas nous amener à la faire fréquemment. Il y va de notre maturité politique en tant que peuple. Mais si un gouvernement ne nous donne pas le choix, personne ne pourra arrêter une insurrection tout comme personne ne la décrète. Lavoisier a déjà planté le décor : « Les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Donc, si c’était à refaire, je vous demanderais sans réfléchir, Dr. Paré, de mettre mon nom sur la liste des insurgés ; je rigole un peu ici, car il n’y avait pas une liste d’ insurgés, et vous aussi vous jouiez humblement votre partition qui était la vôtre pour le renforcement de la démocratie au Burkina Faso. Je suis sûr de ne pas me tromper car là où se trouvaient les insurgés des 30 et 31 octobre, là aussi se trouvait le peuple réel.

L’insurrection populaire, c’était le refus de l’arbitraire et des multiples injustices qui ont eu cours dans ce pays pendant trop longtemps. Personne n’a décrété l’insurrection. Je le répète. L’insurrection n’est la propriété intellectuelle de personne en particulier. Elle est une praxis (la jonction entre la théorie et la pratique) qui tombe dans le domaine du patrimoine public. C’est l’accumulation des petites frustrations et des grandes qui nous a poussés tous et chacun à faire quelque chose. Elle a réussi grâce à la synergie d’actions multiples et multiformes.

Il y a donc une moralité politique à tirer de notre insurrection, pour la bonne gouverne de plusieurs générations à venir, et pour les autres pays d’Afrique, s’ils jugent utiles de s’en inspirer. Désormais, tu viens au pouvoir, tu fais ton mandat et tu laisses l’article 37 là où il se trouve. Il peut évoluer et s’appeler autre chose. Mais pour nous, ce sera toujours l’article 37. Il est chargé de symbolisme. Qui que tu sois ! Si tu travailles bien et que le peuple décide de t’accorder un second mandat, c’est le last. Aucune ruse ne prendra. C’est un grand acquis en or et il faudrait même constitutionnaliser l’insurrection populaire. Je sais qu’elle l’est déjà mais le langage est tellement macéré et enrobé dans le politiquement correct que certains dirigeants ne le perçoivent pas ainsi. Sinon que se révolter contre un régime qui veut confisquer la souveraineté populaire, quel bel exemple de maturité citoyenne du peuple ! Tous les grands éducateurs à la démocratie nous l’enseignent dans l’histoire des peuples. Nous devons en faire désormais notre mantra.

Un dernier mot de la fin ?

Je terminerai par des voeux pieux. Je souhaiterais que les Burkinabè apprennent à brûler moins leurs propres icônes, que ce soit nos grands hommes ou nos grandes œuvres individuelles ou collectives. Le pays regorge de talents ainsi que de bonnes pratiques qui peuvent servir de levier au développement, pourvu que l’on veuille bien s’en servir. Notre Insurrection sera toujours un jalon dans l’histoire de l’Afrique post-coloniale, cette pierre précieuse dont l’Afrique entière parlera toujours avec respect et déférence. Elle a tellement donné de l’espoir à tous les autres pays africains épris de démocratie !

Certains pourraient se dire « mais quelle présomption » de ma part ! Que non ! Je demanderai aux Burkinabè de quitter la vallée des larmes et d’être moins « modestes ». La modestie burkinabè telle que cultivée dans nos familles et dans nos différentes communautés reste une valeur sûre. Du moins, tant que nous sommes encore entre nous. Mais confrontée à ce monde globalisant où rien ne sera donné à personne par pitié, elle peut desservir car d’autres qui n’ont pas la même compréhension de notre modestie n’y verront que manque d’assurance. Ensemble, nous avons fait quelque chose de géant qui doit nous servir de boussole politique pour notre vivre ensemble. Ne pas le reconnaître comme tel, c’est faire dans la fausse modestie. Regretter l’avènement de notre insurrection populaire pour quelque raison que ce soit, c’est comme jeter le bébé en même temps que l’eau du bain.

Une autre question que je profite soulever par le biais de cette interview, c’est la politique qui est malheureusement toujours antagonique au Burkina- Faso, comme en Afrique en général. Je ne m’intéresse pas au bord politique des uns et des autres. Je m’intéresse au bord qualitatif de tous et de chacun. C’est ainsi que nous pourrons sortir de la politique antagoniste où le parti qui gagne les élections se croit obligé de ne travailler qu’avec les hommes de son parti, pour enfin embrasser une approche agoniste du développement. Vivement que nos politiques adoptent une vision multi-partisane dans laquelle on ne cesse pas d’être un citoyen avec la même force de proposition et de contribution une fois que l’on a appartenu à un parti qui n’a pas eu l’onction des urnes ; d’ où l’importance de placer l’homme(ou la femme) qu’ il faut, à la place qu’ il faut, la carte politique à considérer ne devant être que le rendement quantifiable et qualifiable. C’est cela la vraie démocratie apaisée, celle qui est principielle autant qu’elle rassemble toutes les forces vives de la patrie ; car le pays nous appelle tous et un seul doigt ne saurait ramasser la farine.

Propos recueillis en ligne par C. Paré
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