LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Aminata Elisabeth Ouédraogo née Bancé : L’éducation est une œuvre de patience...

Publié le lundi 23 mai 2005 à 06h58min

PARTAGER :                          

E. Ouédraogo et le ministre de l’Education

Mme Aminata Elisabeth Ouédraogo est une militante du féminisme. Enseignante de formation, acquise à la cause de l’éducation scientifique des filles, elle se bat depuis 2001, année où elle a été portée à la tête de l’association des femmes scientifiques du Faso pour la promotion de l’éducation scientifique et technologique des Femmes (FESCIFA/PRESCITEF) pour susciter le goût des sciences exactes, biologiques et appliquées chez la jeune fille burkinabè.

Dans cet entretien accordé à Sidwaya Plus, Mme Ouédraogo dit pourquoi les filles s’intéressent moins aux disciplines scientifiques, parle du plus que son association entend apporter pour promouvoir l’éducation scientifique des filles.

Sidwaya Plus (SP) : Pouvez-vous nous retracer votre parcours professionnel ?

Aminata Elisabeth Ouédraogo, née Bancé (A.E.O.) : Je suis enseignante de formation, titulaire du diplôme de maîtrise es sciences naturelles. Après quelques années d’enseignement, j’ai assumé les fonctions de directrice de l’Ecole normale de Ouagadougou (actuel lycée Bogodogo), puis du Cours normal de jeunes filles de Ouagadougou (actuel lycée Nelson Mandela), avant d’aller en 1980 à Paris, à l’Ecole Normale supérieure de Saint-Cloud, pour une formation d’inspecteur de l’enseignement secondaire en Sciences naturelles, discipline appelée aujourd’hui Sciences de la vie et de la terre( SVT).

J’ai exercé le métier d’inspecteur de cette discipline de 1984 jusqu’en 2001, année à laquelle j’ai été chargée par le ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, de la mise en place du Centre international pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique dont le siège se trouve à Ouagadougou.

SP : Qu’est-ce qui a présidé à la création du FESCIFA/PRESCITEF et quelles sont les grandes lignes de son combat ?

A.E.O. : Le constat montre que la (situation) présence des filles dans les disciplines scientifiques est loin d’être reluisante. Des organisations spécialisées dans l’éducation comme l’UNESCO ont mené des études dont les résultats sont, on ne peut plus, parlants. D’où une prise de conscience générale qui tend désormais, ce depuis des années à promouvoir les filles dans les mathématiques, les sciences physiques, les sciences de la vie et de la terre. La science est un moteur du développement. Comment nos pays en développement peuvent-ils amorcer la voie du progrès si une frange importante de leurs populations (les femmes qui représentent 52%) ne participent pas à l’avancée scientifique et technologique. Voilà tout le sens de notre combat, tant il est indéniable que l’éducation est la clé du développement. Pour cela, les femmes ont besoin de sortir de leur ignorance. D’abord peu nombreuses à l’école, elles le sont davantage dans les disciplines scientifiques. C’est pourquoi l’UNESCO a donc fait la promotion du développement des associations de femmes scientifiques pour favoriser une meilleure présence des filles dans les matières scientifiques et une meilleure réussite. Les associations et les ONG appuient les Etats dans ce sens.

C’est dans cette lancée qu’est née l’association "Femmes scientifiques du Faso pour la promotion de l’éducation scientifique et technologique des femmes (FESCIFA/PRESCITEF)" en 1996. Des femmes ont pris conscience de la sous-représentativité des filles dans les disciplines scientifiques et ont décidé de se battre pour améliorer cette situation. Ainsi, l’association a pour objectifs de : promouvoir l’éducation scientifique des jeunes filles, susciter des vocations chez elles pour les filières scientifiques, encourager et soutenir celles qui sont inscrites dans les filières scientifiques de l’université, encourager, sauvegarder et valoriser la qualification et la carrière de la femme scientifique. Nous entendons favoriser, contribuer à ce que les femmes du milieu rural tirent le maximum de profit du progrès scientifique et technologique.

S.P. : En 2006, l’association célébrera sa décennie d’action et de présence en faveur de l’éducation scientifique des filles. Quels sont les enseignements que vous tirez de la décennie de combat pour l’éducation scientifique des filles ?

A.E.O. : L’éducation est une œuvre de patience dont les fruits ne se récoltent que plusieurs années après. Nous avions élaboré un plan stratégique en vue de répondre aux objectifs de l’association. Nous sommes particulièrement convaincues que les filles sont dans une situation de sous-représentativité et de sous-performance non pas parce qu’elles le désirent mais à cause des pesanteurs socioculturelles. Les résultats de nos études de 2000 et 2004 le confirment. De nombreux pesanteurs socioculturelles freinent la réussite et la présence des filles dans les disciplines scientifiques. Il n’y a pas cette fille qui ne voudrait pas être la meilleure de sa classe. Nous disons que du chemin reste encore à parcourir si nous voulons promouvoir l’éducation scientifique des filles. Elles sont profondément marquées par l’éducation familiale qui veut que leur place soit à la maison. Nous disons non à cela et qu’il faut plutôt amener les filles à prendre la parole en classe ou même en public. Nous organisons des cours d’appui au profit des jeunes filles dans les disciplines scientifiques en vue de combler leur retard. Cela leur donne l’occasion de s’exprimer et de poser des questions. Toutes choses qui visent à renforcer leurs capacités afin qu’elles soient meilleures. Ces cours sont dispensés gratuitement par des femmes scientifiques. Pour encadrer efficacement les jeunes filles en mathématiques, sciences physiques et sciences de la vie et de la terre, il faut suffisamment des femmes scientifiques. Ce qui est loin d’être la réalité. Or, c’est parce qu’il n’y en a pas que nous organisons les cours. Alors , nous avons recours au service de collègues hommes moyennant une "rémunération". Donc, les cours d’appui ont une incidence financière que l’association supporte. Nous appelons les partenaires à soutenir cette activité pour permettre des résultats tangibles tout en remerciant d’autres comme FAWE/Burkina, l’UNESCO qui appuient les initiatives de FESCIFA/PRESCITEF.

S.P : Quels sont les éléments qui freinent l’orientation ou la réussite des filles dans les disciplines scientifiques et de quels moyens disposez-vous pour les aplanir ?

A.E.O : La FESCIFA/PRESCITEF est présente dans les provinces où existent des femmes scientifiques. En plus des cours d’appui, les camps scientifiques sont aussi des opportunités pour promouvoir et susciter des vocations scientifiques chez les jeunes filles. Ces camps sont des regroupements d’élèves filles pendant plusieurs jours au cours desquels sont dispensés des enseignements sur les disciplines scientifiques, (maths, sciences physiques, SVT). Sont inclues la réalisation d’activités communes qui intéressent les filles, informatiques et la santé de la reproduction. Ces camps sont des tribunes pour permettre aux filles de développer la confiance en elles -mêmes vis-à-vis des disciplines scientifiques. Nous travaillons à l’avènement du déclic "Ô, c’est facile", chez les filles en vue de les inciter à s’intéresser davantage aux filières scientifiques. Quand on sait que celles-ci ont toujours été présentées comme n’étant pas l’apanage des filles eu égard à leur complexité "relative". Nous battons en brèche l’idée selon laquelle les matières scientifiques sont "trop dures" pour les filles et que par conséquent elles doivent les laisser aux garçons. Les camps scientifiques sont justement des occasions au cours desquelles elles découvrent qu’en réalité les mathématiques ou même la physique ne sont pas la mer à boire pour elles. Ils permettent de démystifier les matières scientifiques tout en combattant ces préjugés qui empêchent les filles à s’orienter vers ces disciplines.

S.P : Quelle peut être la contribution des femmes scientifiques au développement du Burkina Faso ?

A.E.O. : Au Burkina Faso, l’approche genre est de plus en plus intégrée dans les politiques de développement entreprises. Le ministère de la Promotion de la femme a ses répondants, ses points focaux dans chaque département ministériel. Cela permet de promouvoir le genre. Ceux-ci doivent développer des actions de pressions afin que les femmes soient prises en compte et que le développement de ce pays doit aussi passer par elles. Voilà pourquoi des actions comme celles que mène notre association sont très importantes. Cela permet de favoriser les femmes qualifiées et partant à accroître leur nombre dans les administrations publiques et privées.

S.P. : Que pensez-vous de la discrimination positive ?

A.E.O : Elle est une mesure visant à combler le gouffre qui existe entre l’homme et la femme. La situation actuelle est marquée par un grand fossé entre les filles et les garçons, entre les hommes et les femmes en matière d’accès à l’éducation et pire dans les disciplines scientifiques. Je dois dire que ce n’est même pas un fossé mais plutôt un gouffre (grands rires). Comment faire alors pour combler ce gouffre sans créer d’autres formes d’injustices au détriment cette fois-ci des hommes ? La discrimination positive en est une mesure qui en elle-même est très salutaire encore faut-il bien peaufiner la stratégie de mise en œuvre de manière à ne pas heurter, trouver des stratégies qui ne révoltent pas, voilà le fonds du problème. Il faut trouver les bonnes stratégies et les expliquer à l’ensemble des composantes du peuple burkinabé de manière à ce qu’elles soient acceptées par tous.

S.P. : Il est de plus en plus question de mise en place d’un système de quota au sein des partis politiques au profit des femmes. Etes-vous pour ou contre les quotas ?

A.E.O. Bien sûr, je suis pour l’instauration des quotas en faveur des femmes. Savez-vous, l’Union africaine donne déjà l’exemple avec une parité femme-homme au sein de ses instances. Pensez-vous qu’on peut parvenir à cette parité au Burkina en croisant les bras ? Il faut des mesures pour la favoriser, nous devons commencer par là. C’est un minimum que d’instaurer les quotas. Tant que nous laisserons les 52% que représentent les femmes, derrière, nous n’amorcerons pas le pas du développement véritable.

SP : Les quotas, semble-il, relèvent plutôt d’un raccourci pour permettre aux femmes de gravir les échelons au sein des partis politiques. Les détracteurs soutiennent que les femmes doivent se battre pour mériter leurs places dans la vie politique nationale. Comment réagissez-vous à cela ?

A.E.O : Croyez-vous que les femmes refusent de s’engager politiquement ? Non, ce n’est pas vrai ! C’est la société qui les contraint à rester à la traîne. Leur situation en politique est semblable aux difficultés qu’elles rencontrent à l’école, les filles ont-elles de mauvaises notes parce qu’elles le désirent ? Certainement pas. Elles sont issues d’un système social qui les place aux seconds rôles, incapables qu’elles sont de prendre la parole en public. Le monde familial veut que la fille soit réservée et qu’elle ne doit pas faire ceci ou cela. Un travail de patience doit être fait pour les sortir de cette situation. Pour cela, il faut favoriser l’émergence des leaders féminins. Elles doivent être encouragées pour les permettre d’apporter leur pierre à l’édification d’un Burkina meilleur.

S.P. : Quels sont les fondements du CIEFFA ?

A.E.O. : Le Centre international pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique (CIEFFA) est le fruit de la clairvoyance des plus hautes autorités burkinabé. Depuis que la communauté internationale a tiré sur la sonnette d’alarme concernant la situation économique et sociale des femmes, une attention particulière leur a, depuis lors, été accordée. En 1993, le Burkina organisait en collaboration avec l’UNESCO et d’autres partenaires une conférence panafricaine sur la situation des filles et cette rencontre était parvenue à la conclusion que leur situation était préoccupante notamment en matière d’éducation. Notre pays avait alors estimé qu’il fallait suivre les recommandations de cette rencontre. C’est dans cette optique que des démarches ont été entreprises pour la création du CIEFFA en 1999 au terme de multiples demandes insistantes auprès de l’UNESCO. Au début, l’idée était de mettre en place une structure sous régionale. Le Directeur général de l’UNESCO à l’époque a estimé qu’il fallait créer un Centre international qui couvrirait toute l’Afrique. Le CIEFFA n’est cependant pas un centre de l’UNESCO. C’est un centre des Etats africains que l’UNESCO appuie. Le Centre travaille à promouvoir l’éducation des filles et des femmes en vue de leur pleine participation à l’élimination de la pauvreté, à l’avènement d’un monde de paix pour un développement humain durable. Nous voudrions que les femmes participent aux côtés des hommes à l’œuvre de développement dans leur pays respectif et qu’elles s’impliquent davantage dans les actions de paix. Ceci, afin de mieux lutter contre la pauvreté.

S.P : D’ après vous, que faut-il pour relever le taux de scolarisation des filles au Burkina ?

A.E.O : Les parents doivent accepter d’envoyer les filles à l’école. Mais une chose est de les envoyer, une autre est qu’elles y restent le temps qu’il faut et que les parents s’occupent d’elles. C’est-à-dire favoriser leur fréquentation scolaire, ne pas les enlever pour les marier etc. C’est la condition sine qua non pour relever le taux de scolarisation des filles à l’école burkinabé. Cela permettra en même temps, par l’accès du plus grand nombre de filles à l’enseignement supérieur, d’assurer leur représentativité dans les sphères décisionnelles. Des dispositifs visant à une meilleure présence des femmes au sein des instances de décision doivent être pris.

S.P. : Au regard de vos occupations, avez-vous le temps de prendre du repos ou de lire ou encore de vous occuper de votre famille ?

A.E.O : Même très occupées, nous devons continuer de nous battre pour améliorer le sort de nos filles. Ne dit-on pas qu’une fille bien éduquée est l’avenir d’une Nation entière. L’espoir que nos sœurs se sentiront mieux demain grâce à la bataille que nous menons, est notre sève et notre réconfort. Il est important que des gens se sacrifient pour la cause de l’éducation scientifique des filles au regard de l’urgence que cela commande pour les générations présentes.

S.P : Créer une association pour défendre uniquement l’éducation scientifique des filles, ne vous paraît-il pas sexiste ?

A.E.O : Le féminisme a eu des aspects positifs. Je milite pour le féminisme. A un moment donné, il est utile de faire de la discrimination positive basée sur le genre pour corriger ou pour combler le gouffre qui existe entre les garçons et les filles. C’est donc avec conscience et légitimité que nous travaillons à faire disparaître ce déséquilibre entre genres masculin et féminin. C’est un mal nécessaire et nous pensons qu’il n’y a aucune gêne à se réclamer féministe. Nous sommes fières des féministes qui se sont battues ailleurs pour améliorer la situation des femmes. Une pression de plus en plus forte comme celle que nous avons vue les femmes exercer à New-York lors de la 49e session de la Commission sur la condition de la femme, est utile pour inverser la tendance et parvenir à la parité fille/garçon.

S.P. : Ne pensez-vous pas que cela risque de créer une autre discrimination en défaveur des hommes cette fois-ci ?

A.E.O. : L’objectif de la discrimination positive, loin de brimer les hommes, est de combler le gouffre qui existe entre les hommes et femmes, entre les garçons et les filles... C’est pourquoi nous devons veiller à la parité recherchée pour éviter de créer des injustices inutiles. D’autant plus que la parité permettra à l’homme et à la femme à part égale chacun, d’apporter son concours à l’édification d’un Burkina paisible et où le développement est de mise.

L’UNESCO ne s’est pas arrêté en si bon chemin en favorisant la naissance d’associations pour la promotion de l’éducation scientifique des filles et de l’éducation tout court des femmes en Afrique. Nous continuerons d’ailleurs à susciter l’apparition d’autres associations dans cette optique. Elle a aussi favorisé la création du Réseau africain des femmes scientifiques et ingénieurs(RAFESI) à Bamako en septembre 2000, dont nous assurons actuellement la présidence. Ce Réseau entend servir de cadre global de concertation , d’échange, d’information etc., entre ses membres, et d’autres structures nationales, régionales et internationales pour toutes les questions relatives à la promotion d’une culture scientifique et technologique pour les filles et les femmes, d’une part, et d’autre part jouer un rôle de plaidoyer et de lobbying en vue de contribuer au renforcement des capacités des réseaux membres et enfin assurer un rôle de moteur de développement socio-économique des Etats africains...

Entretien réalisé par S. Nadoun COULIBALY (coulibalynadoun2002@yahoo.fr)
Sidwaya


S’agissant de l’éducation scientifique des filles, quelle est la situation aujourd’hui ? L’étude sur le renforcement des capacités des filles en sciences et en technologie au Burkina commanditée par le Faso FESCIFA/PRESCITEF en octobre 2004, indique les résultats suivants :

Au BEPC session 2003, 27,9 % contre 22,0 % de garçons ont eu 07/20 et moins en mathématiques et 31,9 % de garçons contre 31,8% de filles ont eu 12/20 et plus. En sciences physiques la même année à la même session, 38,3% de filles contre 28,3 % de filles ont eu moins de 07/20 et 35,3 % de garçons contre 24,9% de filles ont eu 12/20 et plus. En sciences de la vie et de la terre, la même année et la même session, 20,4 % de filles contre 6,2 % de garçons ont eu 07/20 et moins et 38,8 % de garçons contre 31,6 % de filles ont eu 12/20 et plus.

Au baccalauréat D, en mathématiques en 2004, 61 % de filles contre 46 % de garçons ont eu 07/20 et moins et 16 % de garçons contre 11 % de filles ont eu 12/20 et plus. En sciences physiques la même année à la même session, 37 % de filles contre 32 % ont eu 7/20 et moins et 17 % de garçons contre 12 % de filles ont eu 12/20 et plus. En sciences de la vie et de la terre, la même année et la même session, 46 % de filles contre 43 % de garçons ont eu moins de 07/20 et moins et 18 % de garçons contre 20 % de filles ont 12/20 et plus. Comme on le voit sur toute la ligne sauf au baccalauréat 2004, les filles sont moins performantes que les garçons.

Au point de vue effectif c’est-à-dire présence des filles dans les séries scientifiques, elle se déduit automatiquement de la situation de sous scolarisation des filles que connaît le Burkina.

La situation que connaît notre pays sur ce plan est vécue aussi dans de nombreux pays africains.

Source : FESCIFA/PRESCITEF

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique