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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso ! (12)

Publié le samedi 19 décembre 2015 à 07h19min

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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso ! (12)

L’économique plutôt que le politique ? La victoire de Roch Marc Christian Kaboré, un an après une « insurrection populaire » historique et une longue « transition » qui a ramé à se transformer – sans jamais y parvenir (ce qui n’était pas sa vocation) – en « révolution », est l’expression de la priorité que les électeurs accordent à la résolution des problèmes économiques et sociaux. D’où, sans doute, un président ayant une expérience des affaires de l’Etat et dont la compétence en matière de gouvernance économique est avérée. Avec une image nationale plus forte que l’image internationale de son principal concurrent : Zéphirin Diabré.

Si la situation sociale du Burkina Faso s’est fortement dégradée tout au long des années passées, la situation économique n’est pas plus favorable. La crise politique de 2014 a eu un impact négatif non seulement sur l’activité industrielle et commerciale mais également sur l’attractivité du pays. Surenchère syndicale et sociale, propos anticapitalistes de certains acteurs de la « transition », retour du discours sur la nationalisation des moyens de production, cessation d’activité d’entreprises privées appartenant au « clan Compaoré » (on estime à 5.000 le nombre d’emplois ainsi affectés), volonté de remettre en question les accords industriels et surtout miniers… sont venus s’ajouter aux dégâts considérables occasionnés dans les villes lors de « l’insurrection populaire ».

Le tout alors que les cours de l’or et du coton étaient à la baisse et que l’activité des services (tourisme, hôtellerie, restauration, transports, etc.) a souffert de l’annulation de manifestations internationales tandis que l’investissement public a été au point mort tout au long de l’année 2015. La désorganisation de l’économie a également entraîné une baisse des recettes douanières et fiscales du fait d’une fraude accrue. Seul point positif – et non négligeable pour un pays enclavé : la chute des cours des produits pétroliers (qui représentent 1/3 des importations du pays). Malgré tout, le bon déroulement de la « transition », malgré les difficultés rencontrées et la tentative de coup d’Etat de Gilbert Diendéré, a permis à Ouagadougou de demeurer « dans les petits papiers » des bailleurs de fonds.

Mais chacun sait qu’il n’y a pas de perspective économique sans visibilité politique. Et les soubresauts de la « transition » ont conduit au gel ou au retard dans les réalisations, la priorité des instances de la « transition » ayant été les dépenses de fonctionnement et celles liées à l’organisation des élections couplées. Si, en 2015, l’inflation a été contenue (on peut même redouter les tendances déflationnistes), le déficit commercial se sera aggravé ainsi que le déficit budgétaire, ce qui a entraîné une aggravation de l’endettement interne et extérieur. Cependant, globalement, la situation reste saine avec une croissance qui devrait atteindre les 4,9 % en 2015, sensiblement au-dessus de la performance 2014 (4 %), loin de celle de 2013 (6 ,6 %), mais, cependant, un point noir demeure : les économistes le qualifient « d’organisation de type macro-céphalique », la capitale concentrant l’essentiel des infrastructures économiques modernes alors que le monde rural concerne encore plus des 3/4 de la population.

Il faudra aussi que la situation économique et sécuritaire de la région s’améliore et que la relation entre Ouagadougou et Abidjan soit redevenue sereine après avoir été mise à mal par l’accueil en Côte d’Ivoire du chef d’Etat déchu et, surtout, de son entourage, et le débat sur l’implication de Guillaume Soro dans la logistique du coup d’Etat de Diendéré.

C’est dans ce contexte que l’on évoque avec insistance la nomination de Bissiri Joseph Sirima au poste de premier ministre. Ce qui ne saurait étonner. L’homme n’est pas une tête d’affiche politique, pas du genre à s’exhiber ; mais il est « l’homme intègre ». Est-il pour autant celui que mon ami Pascal Zagré espérait voir resurgir après avoir « constaté dans ce pays, depuis un certain temps, un laisser-aller, sinon l’abandon pur et simple de l’observance de certains principes chers à cette partie d’Afrique et qui fait encore la fierté des Burkinabè dignes de ce nom, à savoir la sobriété et la modestie » ? Ces lignes ont déjà plus de vingt ans*, mais Pascal Zagré (dont le nom a été donné à l’avenue qui, à Ouaga 2000, depuis le Laico Hotel conduit au palais présidentiel) se posait déjà la question : « L’homme intègre succombera-t-il à la tentation de la corruption, au comportement ostentatoire ? ». Corruption et ostentation ne sont pas les valeurs auxquelles adhère Sirima. Même s’il raconte qu’il lui a « été rapporté » qu’il s’était « refusé de marcher tant que l’on ne [lui] mettrait pas une boucle d’oreille en or. Sitôt fait, a-t-il ajouté, une semaine après j’ai marché ».

Sirima est aujourd’hui député MPP de la province de la Comoé. Au sein du parti, il est secrétaire adjoint chargé de la prospective. Il a appartenu, en janvier 2014, au groupe des 75 adhérents du CDP qui ont choisi de prendre la porte dans le sillage de Roch Kaboré, Salif Diallo, Simon Compaoré, Placide Somé, Jean-Marc Palm…

Né le 14 janvier 1953, dans le Sud-Ouest du Burkina Faso, à Niangoloko (au Sud de Banfora, à une quinzaine de kilomètres de la frontière avec la Côte d’Ivoire), c’est un fils de famille (son père était chef de canton). C’est à Nice qu’il a fait ses études supérieures sanctionnées par un DESS en fiscalité internationale et un DEA en économie du développement. En 1983, au moment de la « Révolution » sankariste, il sera de retour en Haute-Volta. Il rejoindra la direction des études puis la direction de la prévision, qui venait alors d’être créée, du ministère de l’Economie et des Finances ; il va en devenir le premier directeur en 1984 sous l’autorité de Justin Damo Barro, un inspecteur du Trésor formé en France, puis d’Adèle Ouédraogo au temps du CNR, de Guy Somé, Bintou Sanogoh au temps du « Front populaire ».

Le 16 juin 1991, il est nommé ministre délégué auprès du ministre d’Etat, chargé du suivi des réformes économiques ; le ministre d’Etat (il est le seul alors à avoir ce titre) est, quant à lui, chargé de la coordination gouvernementale et s’appelle Roch Marc Christian Kaboré. Quand, quelques jours plus tard, Roch Kaboré perd son titre de ministre d’Etat et est nommé chargé de mission auprès de la présidence du Faso, Sirimi se retrouve ministre délégué à la présidence du Faso, toujours en charge des réformes économiques. Il restera au gouvernement jusqu’au 26 février 1992.

Dès la mise en place du « Front populaire », courant 1988, il avait été décidé que Ouaga entreprendrait de négocier un PAS avec les institutions de Bretton Woods compte tenu des tensions de trésorerie et de la rareté des réserves. Cette nouvelle orientation avait été entérinée par le programme d’action du gouvernement mais les premières négociations ne vont démarrer qu’en septembre 1989, l’unanimité n’ayant pas été assurée immédiatement au sein des nouvelles instances dirigeantes du pays.

C’est le 20 octobre 1989 que le Document cadre de politique économique (DCPE) sera soumis à la Coordination du Front populaire, sa plus haute instance tandis que des assises nationales sur l’économie seront organisées le 12 mai 1990 : 2.000 délégués de toutes les organisations politiques, syndicales, religieuses, traditionnelles… vont passer en revue ce que signifierait le PAS pour le Burkina Faso. En mars 1991, le pas était franchi ; le Burkina Faso était soumis à un programme d’ajustement structurel (PAS).

Ayant quitté le gouvernement au début de l’année 1992, Sirima va être en charge d’assurer le secrétariat exécutif du PAS. Une activité qu’il va assumer pendant onze ans.

* Pascal Zagré : « Les Politiques économiques du Burkina Faso. Une tradition d’ajustement structurel », éd. Karthala, Paris, octobre 1994. Zagré a été ministre du Plan et de la Coopération (1989-1990) et, à ce titre, a présidé la mission ministérielle en charge de la négociation du PAS. Il est mort à 46 ans en 1996 alors qu’il avait été invité par l’université de Boston et qu’il préparait les travaux du sommet des chefs d’Etat de France et d’Afrique que le Burkina Faso allait accueillir en décembre 1996.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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