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Guillaume Soro : portrait d’un chef rebelle en Premier ministre (2/4)

Publié le mardi 10 avril 2007 à 07h53min

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Guillaume Soro

A la suite du coup d’Etat du 24 décembre 1999 qui propulse au pouvoir Robert Gueï, les oppositions vont, quelque temps, se regrouper autour du général bien qu’il ait été l’homme de la répression contre le mouvement de contestation des étudiants au début des années 1990. Guillaume Soro et Martial Ahipeaud, qui avaient choisi de s’installer à Londres dans les dernières années du règne de Henri Konan Bédié, vont regagner la Côte d’Ivoire.

Soro est pris en charge par le professeur Bamba Moriféré. Moriféré, secrétaire général du Parti pour le progrès et le socialisme (PPS), n’était pas un nouveau venu sur la scène politique ivoirienne même s’il a été toujours en marge des grands mouvements de l’opposition (mais il avait participé, quelques années auparavant, au Front républicain). Doyen de la faculté de pharmacie d’Abidjan, il avait été élu, le 10 novembre 1985, député PDC1 dans la circonscription de Daloa-Commune et avait accédé à la vice-présidence de la commission des affaires sociales et culturelles de Y Assemblée nationale.

En janvier 1989 (sous le régime du parti unique), il avait été interpellé par la police alors qu’il était porteur de documents "compromettants". L’affaire fera la "une" de la presse locale. Il s’agissait du manifeste du Modejust, groupuscule dénonçant la politique menée par le... PDCI. Le Modejust prônait un Etat qui ne soit "l’instrument d’aucun parti politique" et une armée "intégrée dans le processus de construction nationale", cessant ainsi "d’être l’instrument de la répression intérieure". Quand le multipartisme sera institué, le Modejust ne réapparaîtra pas ; Moriféré aura créé le Parti socialiste ivoirien (PSI) avant de fonder le PPS.

Soro va être chargé de structurer l’organisation de jeunesse qui, au sein de la coalition formée autour de Gueï, entend liquider définitivement le régime PDCI. Quand l’explosion de la coalition va entraîner la rupture entre Gueï et Ouattara, chacun des deux leaders étudiants va choisir son camp. Ahipeau, originaire de l’Ouest, rejoint celui de Gueï (également originaire de l’Ouest). Soro, originaire du Nord, rejoint celui de Ouattara. Quant à Charles Blé Goudé, il est, tout comme Laurent Gbagbo, originaire du Centre-Ouest. Soro avait "trouvé salutaire le coup de force" des militaires installant Gueï au pouvoir. Mais, dira-t-il, par la suite, "nous étions convaincus que la tentation de l’argent et le pouvoir étaient des ennemis que seule une organisation politique solide pouvait conjurer". Il ne sera pas entendu (si tant est que son message ait été aussi clair en ce temps-là). Résultat : "Un régime de terreur s’était installé sous Gueï très vite allié à Laurent Gbagbo et à ses séides ".

L’opposition à Gueï et à Gbagbo va être laminée par une lecture restrictive de la loi fondamentale avant même de pouvoir participer à la présidentielle d’octobre 2000. Et dans la confrontation Gueï-Gbagbo, le professeur va l’emporter sur le général. Le jeudi 11 janvier 2001, Soro reprend la route de l’exil : Mali, Burkina Faso, France. Il s’inscrit en maîtrise d’anglais et en sciences politiques à l’université Paris VIII tout en maintenant le contact avec les militaires ivoiriens qui, ayant participé au coup de force de 1999 mais originaires du Nord, se trouvent dans le colimateur du nouveau régime. Soro prône l’action politique mais c’est du côté des militaires qu’il cherchera une issue à la crise qui secoue la Côte d’Ivoire.

Arrive alors, près de deux ans plus tard, l’affaire du 18-19 septembre 2002. C’est dans un livre publié au printemps 2005, Pourquoi je suis devenu un rebelle (cf. LDD Côte d’Ivoire 0141 à 0144/Lundi 9 à Jeudi 12 mai 2005), que Soro apportera quelques éclaircissements sur cet événement. "Face à un régime excluant, raciste, violent, une rébellion a éclaté. Occupant très vite tout le nord du pays, les combattants du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) lancent le 19 septembre 2002 une offensive contre le régime de Laurent Gbagbo. Nos troupes progressent vers Abidjan. Bien qu’un peu embarrassée, la France apporte au régime un appui logistique et surtout s’interpose, au prétexte de protéger ses ressortissants".

Le doute n’est pas possible. Il s’agit bien d’un mouvement organisé nationalement qui vise à la conquête du pouvoir et qui opère sous l’autorité du MPCI. "J’ai décidé, écrit Soro, que l’heure était malheureusement venue de programmer une indispensable insurrection". Insurrection, le mot est lâché, qui nécessite un cadre organisé. Or, généralement pour les observateurs, le MPCI est postérieur au déclenchement des hostilités ; il a été souvent présenté comme une structure politique de récupération du mouvement pour le compte, notamment, du RDR de Alassane Ouattara. Soro, dans son livre, démentira cette vision des choses. "Le premier tract du MPCI a été diffusé en Côte d’Ivoire du 25 septembre au 12 octobre 2001 [...] Tout ceci est bien antérieur au déclenchement de l’offensive, le 19 septembre 2002". Il nous dit que le MPCI devait s’appeler, tout d’abord, Merci (Mouvement révolutionnaire de Côte d’Ivoire), puis MLPCI (Mouvement de libération patriotique de Côte d’Ivoire). "Révolutionnaire" pour le côté politique, "patriotique" pour le côté militaire. Finalement, le patriotisme l’emportera sur la révolution. Soro nous dit aussi qu’il a rédigé les statuts et les règlements du MPCI et qu’il était "le principal civil parmi les militaires et celui qui faisait la promotion de l’idéologie politique". L’insurrection devait être déclenchée en trois points : Korhogo au Nord, Bouaké au Centre et Abidjan au Sud. Messamba Koné menait l’attaque contre Korhogo ; Diarassouba Oumar (alias Zaga-Zaga) avait en charge Bouaké ; Ouattara Yssouf (alias Kobo) devait conquérir Abidjan.

La prise de pouvoir à Abidjan va échouer. Et Soro va se retrouver pris au piège dans la capitale où Gueï a été assassiné alors que Ouattara échappera de peu aux tueurs. Soro raconte qu’il va prendre contact avec un officier français pour sortir du piège ; l’officier refusera. Quant à Cheick Tidiane Gadio, le ministre des Affaires étrangères du Sénégal, il affirmera ne pas "pouvoir aider" le rebelle ivoirien. Le général malien Diarra, présent au titre de la Cédéao, affirmera, de son côté, que les Français estiment toute exfiltration impossible. Ce n’est que près d’un mois plus tard, au lendemain du cessez-le-feu du 17 octobre 2002, que Soro "déguisé en fille", a pu s’extraire d’Abidjan, gagner Bassam, s’embarquer sur une pirogue pour rejoindre le Ghana puis le QG des "rebelles " à Bouaké.

La suite se déroule sous les projecteurs. A Bouaké ; Soro sort de l’ombre mais revendique un programme minimal : "Nous demandons l’abrogation de la loi sur l’identification des personnes, la révision des lois foncières rurales, la refonte de la Constitution avec le rejet de l’ivoirité, et de nouvelles élections législatives et présidentielle " (Jeune Afrique/L ’Intelligent du 5 janvier 2003).

Lors de la Table ronde de Linas-Marcoussis, qui aboutira à la signature des accords éponymes, il sera, en tant que secrétaire général du MPCI, le chef de la délégation qui comprenait alors Louis-André Dacoury-Tabley, Sidiki Konaté, le colonel Michel Gueu et l’adjudant Tuo Fozié. L’attribution à Soro du portefeuille de ministre de la Défense (et plus généralement l’entrée des "rebelles" dans le gouvernement de Seydou Diarra, le premier ministre désigné à l’issue de Marcoussis) va être une pomme de discorde avec Gbagbo.

Soro, finalement, acceptera un poste de ministre de la Communication avec le rang de ministre d’Etat ; il faudra attendre le mois d’avril 2003 pour que puisse se tenir le premier conseil des ministres auquel les "rebelles" seront appelés à participer. Ils en boycotteront, à plusieurs reprises et parfois pendant de longs mois, les réunions qui, il faut le dire, ne sont guère productives.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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