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Procès : Un verdict d’apaisement

Publié le lundi 19 avril 2004 à 00h25min

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Autres temps autres mœurs, des personnes accusées d’atteinte à la sûreté de l’Etat, un euphémisme juridique pour dire coup d’Etat, ont été jugées par un tribunal, fut-il militaire, après des enquêtes préliminaires effectuées par des officiers de police judiciaire (OPJ) et une instruction à l’issue de laquelle 4 non-lieux ont été prononcés en faveur notamment du Judas de service, celui qui a vendu la mèche à qui de droit.

Dans un passé pas si lointain que ça, c’était, on le sait, à celui qui avait le jarret le plus ferme et l’index le plus rapide pour caresser la détente. Ou alors on te kafcidentait et "Il n’y avait rien". Il faut donc se féliciter de ce que ce procès a eu lieu. C’est son premier mérite.
Et cela, malgré les interrogatoires musclés dont on accable certains OPJ ; malgré également la présence suffisamment dissuasive du colonel Gilbert Diendéré, qui se serait improvisé OPJ pour assister, au camp de gendarmerie de Paspanga, à certaines auditions ; malgré aussi la partialité dont on accusait le président du tribunal, Franck Sibila Compaoré, dont le patronyme était déjà suffisamment suspect aux yeux de certains justiciables ; malgré les nombreuses zones d’ombres qui subsistent après 10 jours de procès, les questions restées sans réponses et les dépositions souvent kafkaïennes des prévenus ; malgré enfin l’incident du samedi 10 avril, lors duquel les avocats de la défense ont fait la grève du prétoire pour protester contre la manière dont le juge Compaoré conduisait les débats :

les avocats et leurs clients voulaient s’attarder sur l’expédition libérienne (une des causes de la frustration des présumés putschistes) et sur l’affaire Norbert Zongo (qui vaudrait à certains d’être à la barre), pendant que les magistrats, eux, voulaient s’en tenir à l’objet de l’audience, la tentative de putsch, que rien ne saurait justifier. Des scènes somme toute normales voire banales dans un palais de justice où batailles de procédure, pressions multiples et multiformes, incidents d’audience... font presque partie de la routine.

Le régime a sans doute voulu faire œuvre de transparence en trimbalant au prétoire des problèmes qui, jadis, se réglaient à la gâchette.

Il y est peut-être parvenu, même si des pyrrhoniens comme Halidou Ouédraogo se méfient des aveux trop spontanés. Il a sans doute raison mais si en bon droit, on ne peut plus tenir compte des aveux, surtout quand ils n’ont pas été faits sous la contrainte, on ne sait plus trop bien à quelle justice se vouer. Il est vrai que, le parallélisme des formes dut-il en souffrir, on peut douter des aveux qui ne nous arrangent pas et prendre pour parole d’évangile les "confidences" ou les "révélations" faites par la même personne et au sujet desquelles notre religion est déjà faite.

Mettons donc que la réalité des menées subversives n’étaient pas que vue de l’esprit même si ses meneurs sont plus de zoros de foires qui prenaient leurs rêves pour des réalités que de vrais putschistes déterminés, avec les moyens et les hommes conséquents ainsi qu’une organisation sans faille.

Mais si l’objectif du pouvoir peut être considéré comme atteint parce qu’il aura démontré que pour une fois il n’a "rien inventé", il ne sera pas sorti indemne de ce jugement qui fut, on l’a vu, une tribune de rêve pour ses contempteurs, dont les objectifs, ainsi que l’a confessé le cerveau présumé du coup d’Etat, sont tout aussi atteints. Dans ce jeu du "qui perd gagne et qui gagne perd", il s’agissait en effet pour le capitaine Ouali Luther Diapagri et compagnie de faire le procès de la "compaorose", ce mal sournois qui rongerait le Burkina jusqu’à la moelle, et ils y sont effectivement parvenus.

L’espace d’une décade, le procès aura parfois viré à une catharsis au cours de laquelle des gens frustrés et froissés se sont donné à cœur joie même si le tribunal ne leur a pas toujours permis de se défouler comme ils l’auraient souhaité. C’est tout juste en effet si Franck Compaoré et ses camarades ne considéraient pas le procès fait aux dignitaires de la IVe République comme une tentative de diversions pour occulter les vrais chefs d’inculpation.

Reste à savoir s’il y aura la passerelle que d’aucuns espèrent entre l’instruction du commandant Francis Somda et celle de son "bleu" Wenceslas Ilboudo, chargé du dossier Norbert. Car l’effet d’annonce passé et la pression du procès retombée, il n’est pas sûr que devant Wens, ceux qui sont prêts à donner les noms des assassins et commanditaire(s) du directeur de publication de l’Indépendant le fassent avec la désinvolture dont ils ont fait montre au tribunal militaire. Surtout s’ils n’ont pas la preuve formelle, pour ne pas dire matérielle, de leurs allégations, car, on l’imagine, de fortes présomptions et des suspicions sérieuses ne suffisent pas.

On en a d’ailleurs vu, parmi les croisés de l’impunité, qui se sont rétractés dès 1999-2000 à partir du moment où Wenceslas Ilboudo voulait les entendre sur P-V. après certaines de leurs déclarations. Prudence donc. Cela dit, si le procès des putschistes du dimanche pouvait ressusciter l’instruction de l’Affaire des affaires, ce serait le meilleur cadeau posthume qu’on puisse faire à Norbert, à quelques mois du sixième anniversaire de son assassinat.

En attendant, Ouali, Bayoulou, Naon et Bassana iront méditer derrière les barreaux sur leur (triste) sort, puisqu’ils ont été condamnés à des peines d’emprisonnement ferme de 10 ans pour le premier, 6 ans pour les deux suivants, et 5 ans pour le dernier. Trois autres inculpés s’en tirent avec des sursis : il s’agit du commandant Pooda Siéou Bernardin, du sergent Bako Baliboué et ... du pasteur Israël Paré, celui qui aurait "envoûté" certaines de ses brebis.

Six accusés ont enfin été acquittés : parmi eux Norbert Tiendrébéogo, président du Front des forces sociales (FFS), qui devrait retrouver son poste à la SGBB, auréolé d’une ligne supplémentaire dans son C.V. qui va s’en trouver étoffé puisqu’il est désormais hissé au rang de martyr. La Conséquence immédiate de toutes ces condamnations est, pour les 4 militaires qui ont écopé de peine de prison ferme", "l’exclusion de l’armée ainsi que la privation du grade et du droit d’en porter les insignes et l’uniforme" ainsi que le stipule l’article 155 du Code de justice militaire.

Ces verdicts sont donc naturellement sujets à diverses interprétations. A-t-on d’ailleurs jamais vu une sentence mettre tout le monde d’accord ? Ce n’est donc pas ici où la justice est déjà suffisamment décriée qu’on y parviendra. Qu’à cela ne tienne, l’autorité de la chose jugée, sous réserve de ce que certains des condamnés se pourvoient en cassation (dans un délai de cinq jours), doit s’imposer à tous.

Surtout que, toutes proportions gardées, le tribunal n’a pas eu la main lourde ne serait-ce que parce qu’il n’a pas suivi le parquet qui, dans son réquisitoire, demandait des peines autrement plus sévères.

On a d’ailleurs la vague impression qu’on a épinglé ceux que l’on voulait vraiment avoir, lesquels, en retour, n’ont pas eu de mots assez durs contre le régime avant de quitter la scène avec le sentiment, tout militaire, du devoir accompli.

Verdict d’apaisement donc (surtout avec l’acquittement de Norbert Tiendrébéogo) pour un procès forcément politique dont Blaise Compaoré et les siens auraient cependant tort de ne pas tirer tout le profit dans le sens de plus de démocratie, de rigueur dans la gestion de la chose publique, de solidarité et de moins d’injustice, car ce sont les frustrations comme celles qu’ont connues les Ouali qui font le lit des putschistes. Et l’Etat, son chef en premier, n’aurait pas tout à fait gagné son procès s’il ne saisissait pas là l’occasion de policer davantage ses mœurs politiques, encore marquées par les survivances de l’Etat d’exception, et d’être au service de tous les Burkinabè au lieu de se comporter en chef de clan.

L’Observateur Paalga

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