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Jean-Claude Bamago dit « man », artiste musicien : “Mille mercis au Moro Naba”

Publié le lundi 12 février 2007 à 09h58min

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Jean-Claude Bamago

Revenu de la Côte d’Ivoire en 1969 après y avoir fait son enfance et ses armes dans la couture et la musique, Jean Claude BAMOGO dit « Man » a marqué et continue de marquer la musique moderne de son pays le Burkina Faso. De l’Harmonie Volta, le Super Volta, l’Afro soul système en passant par le CVD et la Komen Moogo, Man a été un artiste musicien chanteur et un formateur d’artistes.

Quelque peu en retrait aujourd’hui à cause d’une maladie de laquelle il s’est remis, l’homme restera un monument de notre musique ; on retiendra encore pendant longtemps le titre fétiche « Panaki » qui traverse les âges sans aucune « ride », sinon même il rajeunit avec les multiples reprises d’autres musiciens. Nous avons rencontré l’homme Jean Claude BAMOGO, bon père de famille, pour revivre l’histoire musicale et voir les perspectives.

On a l’impression que vous aimez plus la chanson « Panaki » que toutes vos autres chansons, qu’en dites-vous ?
Jean Claude BAMOGO dit Man : J’aime toutes mes chansons, mais il faut reconnaître que « Panaki » est un morceau dans mes morceaux. Pour preuve, « Panaki » a été repris par maître PACERE Titinga dans son célèbre livre sur la Bendrologie, l’orchestre de la police nationale l’a aussi repris, « les Petits chanteurs aux poings levés » sous la Révolution l’ont interprété, Albert Patoin OUEDRAOGO, universitaire, en a fait une étude et j’ai travaillé pour cela avec au moins une quinzaine d’étudiants qui ont fait des mémoires là-dessus. Les jeunes rappeurs de Faso KOMBAT ont aussi fait une belle reprise de cette chanson. Tout cela me pousse à en être fier.

Avec votre surnom « Man » on pressent que vous aviez fait le « malin » à l’époque. Aujourd’hui êtes-vous seulement le « vieux père » ?
JCBM : Je ne faisais pas le malin à l’époque, j’aime m’habiller convenablement. J’accepte qu’on m’appelle aujourd’hui le « vieux » même si je ne me sens pas si vieux que ça. Dans mon esprit je reste jeune.

Pouvez-vous nous expliquer l’histoire de votre surnom « Man » ?
JCBM : Quand je suis revenu de la Côte d’Ivoire en 1969, je suis allé au village à Yako et c’est là-bas qu’un soir, le Super Volta devait jouer. Etant musicien moi-même, je suis allé pour voir le matériel de l’orchestre et certains musiciens dont Youl DOUMBIA ont demandé à venir chez moi pour prendre une douche. Après qu’ils se sont lavés, on a fait les présentations. Moi, je me suis présenté « Wendsinyélembé BAMOGO ». Youl n’a pas pu retenir mon nom, il a alors commencé à m’appeler « le Man ivoirien » et voilà comment est parti le nom « Man » que je porte depuis plusieurs années. Après notre rencontre, j’ai demandé à intégrer l’orchestre le Super Volta. Le groupe m’a accepté et c’est alors que je suis reparti à Abidjan pour ramener mes bagages et m’installer au pays.

Que pensez-vous de la façon très osée de l’orchestre de la police dans cette reprise de « Panaki » ?
JCBM : J’ai été à la base de la création de l’orchestre de la police avec mon ami feu Pascal SAWADOGO, le commissaire. Nous étions amis quand il jouait avec les « Djinns » de Saint-Camille. Je l’ai connu avant qu’il ne soit dans la police, et quand il est devenu policier à la création de l’orchestre de la police, il est venu me voir pour répéter avec ses musiciens sur mon matériel à l’Afro soul système. C’est ainsi qu’est né l’orchestre de la police. Malheureusement, mon ami Pascal a perdu la vie lors d’un accident. Mais quelques années après, on a encore reformé l’orchestre et les responsables de la police ont souhaité qu’il reprenne « Panaki » pour la sortie de leur première cassette. J’étais ravi de voir ma chanson intéresser la police. Je suis un doyen et ma satisfaction est de voir mon œuvre poursuivie par les jeunes. J’ai donné le morceau et même l’ouvrage de Maître PACERE. Alors, un jour, on m’a appelé pour venir compléter la chanson car le chanteur n’arrivait pas à y mettre le feeling que j’ai mis à la fin. Je suis donc allé en studio et j’ai posé ma voix sans même chercher à écouter l’ensemble de leur travail. Quelle ne fut pas ma surprise quand le morceau a été mis sur le marché !!! Je ne reconnaissais plus mon travail de base.
Ma chanson a été rendue vulgaire et cela ne m’a pas plu. J’ai passé plusieurs nuits blanches à cause de cela. Je n’arrivais pas à comprendre qu’on puisse dénaturer ma chanson à ce point. Je suis même allé à la justice pour me plaindre et c’est le juge KOMI Sambo Antoine qui m’en a déconseillé en avançant des raisons convaincantes. J’ai accepté ses conseils et finalement j’ai eu ce que je voulais, en ce sens que les plaintes se sont élevées un peu partout contre les paroles trop osées ajoutées à la chanson. Les femmes se sont plaintes et la chanson a été interdite sur les antennes. J’ai accueilli cela avec grand plaisir et depuis lors je dors en paix. Les autres ont fait le combat pour moi. Un artiste ne dit pas les choses de façon crue. Je pouvais faire pire qu’ eux si c’est pour dire la « merde », mais en tant qu’artiste il faut penser aux différentes oreilles qui peuvent écouter une œuvre, les enfants, les jeunes, les anciens et anciennes. Il faut respecter tout le monde car l’artiste a un rôle d’éducateur, de formateur. Il ne doit donc pas tomber dans le vulgaire.

Mais dans votre version il y a aussi des mots qui touchent le dessous de la ceinture et qui attaquent les Samos !
JCBM : Moi je n’ai pas dit crûment les choses, j’ai fait des comparaisons subtiles et il faut bien réfléchir pour mieux saisir le sens. J’ai mis du sérieux dans l’amusement, n’oubliez pas que cette chanson a été créée sous la Révolution et je ne vous dis pas combien les gens étaient un peu trop sérieux ! On dénonçait la féodalité et tout et j’ai chanté les chefs coutumiers pour montrer leur importance. Beaucoup de gens avaient prédit que les CDR allaient me faire du mal, mais tout le monde a compris que je suis un artiste et que l’œuvre des chefs et anciens ne doit pas être oubliée. J’ai voulu être un témoin et un éducateur pour la jeune génération. Les révolutionnaires contrairement à ce qu’on a prédit ont aimé la chanson et j’ai fait les tournées dans tout le pays. Un artiste n’est pas n’importe qui, il éduque. Concernant les Samos, c’est la parenté à plaisanterie avec nous les Mossé, ensuite depuis mon enfance tous mes amis sont des Samos. Je ne pouvais pas chanter sans leur faire un petit clin d’œil. Ce que j’ai dit n’est pas bien méchant quand même.

Que dites-vous à la jeune génération montante avec le Rap et le Takiborsé ?
JCBM : Je leur dis bravo au Gouvernement, à la Cour suprême, au Pouvoir, aux premières Dames et à tous les Rappeurs. C’est bon ce que font les jeunes mais j’ai une petite inquiétude. Concernant les attaques par chansons interposées, je crains un dérapage. Quand on commence à s’insulter dans les chansons c’est pour s’amuser mais le public peut ne pas bien comprendre le sens caché et cela peut amener des problèmes. Je dis aux jeunes qu’il faut éviter de jouer avec la vie privée des gens, il aurait fallu y mettre beaucoup de pommade pour pousser le public à fouiller avant de trouver, c’est çà l’art. On peut répondre en chanson à quelqu’un qui a fait du mal sans le désigner crûment. En moré on dit cela « gom bindam », on désigne sans désigner. A part cela, je suis prêt à rejoindre leur mouvement même si c’est pour donner des conseils car les jeunes ont bien repris le flambeau et cela me fait plaisir.

Est-ce qu’ils viennent vers vous ?
JCBM : Oui je reçois beaucoup de jeunes artistes, femmes comme hommes. C’est dans ce cadre que j’ai travaillé avec Faso kombat pour la reprise de « Panaki ». Nous avons travaillé ensemble et lorsque leur produit est sorti le résultat m’a pleinement satisfait. Je reste ouvert à tout le monde. Si un jeune veut un ancien morceau ou bien souhaite que je l’aide à composer un nouveau, je suis toujours prêt et disponible. Nous sommes les anciens et notre aide peut pousser les jeunes à aller plus loin, c’est ça notre rôle et je tiens à le remplir.

Comment expliquez-vous votre retour avec « Panaki » ces derniers temps ?
JCBM : Tout est parti de la collaboration avec Roger WANGO que j’ai connu quand il était élève. Il est ensuite allé en France et à son retour avec du matériel il m’a proposé d’entrer en studio. On a commencé et juste avant la fin de l’œuvre je suis tombé gravement malade. Il était très touché, malgré tout, il a emmené ce qu’on a fait en France pour la finition et la sortie. Malheureusement il y a eu des problèmes avec l’ordinateur et certains morceaux sont perdus. Pour compléter l’œuvre je me suis rappelé que beaucoup de journalistes me parlaient du fait que ma première version de « Panaki » n’était pas propre pour les radios FM d’aujourd’hui. J’ai saisi alors l’occasion pour le reprendre proprement, voilà l’histoire de cette reprise de « Panaki ». Ce fut aussi l’occasion pour moi de retravailler avec mes vieux copains de Super Volta.

Comment se comporte l’œuvre sur le marché ?
JCBM : Les nouvelles ont bonnes de ce côté, l’œuvre se comporte très bien. Pour cette occasion je dis grand merci à Sa Majesté le Mogho Naba BAONGHO, il m’a toujours soutenu et je lui rends grâce. Pendant ma maladie il demandait chaque jour de mes nouvelles, c’est un honneur pour moi. Il m’a soutenu pour le clip car il aime ce morceau et il aime la culture. Je voudrais associer à ces remerciements mon épouse qui est mon réconfort à tout instant, et quand la famille est unie l’artiste comme tout autre homme ne peut qu’être content.

Dites-nous vos débuts dans la musique ?
JCBM : Je suis tombé dans la musique quand j’étais petit, ma mère chantait, mon père jouait de la guitare traditionnelle. C’est dans cette ambiance que je suis né et j’ai essayé de poursuivre leur œuvre. C’est pourquoi chez moi il y a de la musique en permanence, mon épouse travaille dans une banque de la place et elle est aussi dans la chorale de la cathédrale, mon fils Théo Bamos est artiste et j’ai des petits-fils qui sont en train de faire leurs armes.

Que pensez-vous de la situation en Côte d’Ivoire, ce pays qui vous a adopté ?
JCBM : J’ai passé mon enfance à Abidjan, j’y suis allé en 1962 à l’âge de 14 ans. Je m’y plaisais et la vie était belle.
Entre les Ivoiriens et les Voltaïques de l’époque, il y avait l’harmonie. C’est regrettable qu’aujourd’hui il y ait des problèmes graves entre les Ivoiriens et les Burkinabé par la faute des politiciens.
Pour moi, tous les Africains sont des frères et il faut s’aimer, s’entraider. Quand j’étais à Abidjan mes copains dans l’orchestre me traitaient de nouveau Mossi parce que je n’ai pas les cicatrices ethniques. Ça ne me plaisait pas trop mais ce n’était pas méchant. Pour moi, les Ivoiriens sont mes frères, quand je vois ce qui s’y passe actuellement, j’ai mal au cœur. Je prie pour que le Seigneur redonne la paix à mes frères et sœurs ivoiriens..

NDLR : L’entretien n’a pu se terminer normalement car l’interviewé a difficilement contenu ses émotions, en pensant à tous ceux qui sont tombés sous les balles, les machettes et les gourdins des sbires de GBAGBO. Tout en sanglotant il ne cessait de dire des prières pour la paix en Côte d’Ivoire, ce pays qu’il pense être aussi le sien, où il a toujours des amis, des parents.

Par Issa SANOGO

L’Opinion

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Vos commentaires

  • Le 23 février 2007 à 13:28 En réponse à : > Jean-Claude Bamago dit « man », artiste musicien : “Mille mercis au Moro Naba”

    J’ai connu que quelques chansons du talentueux JCB. Le talent est le mot juste quand on écoute ses oeuvres. Ses chansons durent en temps sans ennuyer, ses textes ont une coloration très culturelle.
    je pense qu’une chanson qui traverse le temps, est une chanson simple avant tout, artistique après tout.
    La disponibilité de JCB à aider, accompagner les jeunes, est une grandeur d’esprit ; esprit plein de ressource et qui partage. partager c’est d’abord posséder et après donner ou transmettre.
    j’apprécie cette interview qui donne l’occasion de connâitre d’avantage des grands hommes de la chanson burkinabé, à l’exemple de JCB.

    JCB, grand merci pour tout ce que tu nous as donné.

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