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Jacqueline Ki-Zerbo : L’éducatrice, l’intellectuelle et la militante

Publié le lundi 18 mars 2024 à 21h25min

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Jacqueline Ki-Zerbo : L’éducatrice, l’intellectuelle et la militante

« On ne peut pas être de tous les combats ». Cette affirmation de Patrick Senécal, dans les Flambeaux ne semble pas être la chose la mieux partagée chez l’une des figures majeures de l’histoire de notre pays. Jacqueline Ki-Zerbo, puisque c’est d’elle dont il s’agit, a été, tout comme d’ailleurs son mari, de tous les combats de son époque. De l’éducation à des séminaires intellectuels en passant par la politique, Mme Ki-Zerbo a laissé un parcours à la fois passionnant et fascinant.

Jacqueline Ki-Zerbo est née en septembre 1933 au Mali, précisément à Ségou, capitale bambara, une ville conservatrice où la résistance au colonisateur a été sans ambages. Fille de Lazare Coulibaly qui était membre de l’UNTM (Union des travailleurs maliens) et de l’UGTAN (Union générale des travailleurs d’Afrique noire dont Sekou Touré fut un dirigeant), Jacqueline Ki-Zerbo fut éduquée dans la rigueur et dans le sérieux. Intelligente à l’école, elle aura des résultats brillants qui vont la conduire en France pour des études anglophones dans la prestigieuse université Paris Sorbonne. C’est là-bas (à Paris) qu’elle va convoler en noces heureuses avec Joseph Ki-Zerbo, un étudiant de la Haute Volta venu pour des études d’histoire. Ils célèbrent alors leur union en 1956 dans l’approche des vents de l’indépendance.

Mme Ki-Zerbo, une héroïne de l’éducation panafricaine

De retour de Paris, Jacqueline Ki-Zerbo va faire valoir ses compétences dans l’enseignement partout en Afrique. D’abord, elle enseigne l’anglais à Dakar. La fin des années 50 fut une période de bouleversements profonds en Afrique. L’indépendance devient de plus en plus une exigence inéluctable. Le programme politique du MLN (Mouvement de libération nationale), créé par son mari juste après l’indépendance du Ghana en 1957, préconisait l’indépendance immédiate. La Guinée de Sékou Touré répond à cet appel et vote le Non.

Jacqueline Ki-Zerbo va se rendre alors immédiatement à Conakry pour remplacer les enseignants français qui ont été rappelés par De Gaule. C’est ainsi qu’elle dirigera le cours normal de Jeunes filles de Conakry. Elle s’y attache avec dévouement et commence à former les futurs cadres. Elle revient au pays en 1961 pour diriger le cours normal de jeunes filles de Ouagadougou qui préparait les scolaires aux examens du brevet. Là-bas, elle fera sa carrière la plus longue en y restant jusqu’en 1974.

« Maman Jacqueline », « mère Jacqueline », « Mme Ki-Zerbo », sont des surnoms que ses élèves du cours normal de jeunes filles de Ouagadougou lui ont donnés. Pour elles, Jacqueline ne jouait pas seulement un rôle d’éducatrice ; elle était aussi une maman qui leurs prodiguait de sages conseils et n’hésitait pas à les mettre en garde contre les éventuelles séductions des garçons. Elle répétait chaque fois ceci à l’endroit de ses filles qui étaient sous le coup des caprices de leur puberté : « ils vous suceront comme des oranges et rejetterons la peau ».

Protectrice, aimable et soucieuse de l’avenir et des conditions d’études de ses élèves, elle les accompagnait, même dans les dortoirs et les mettait à l’abri de tout acte susceptible de mettre à mal leurs études. Mme Ki-Zerbo n’hésitait pas à se rendre à l’hôpital lorsqu’une élève y est hospitalisée. L’une de ses élèves (Catherine Kéré) devenue enseignante à l’université, témoigne en ces termes : « dans l’après-midi, elle quittait souvent son bureau pour passer dans nos dortoirs pour voir si nous étudions correctement. Elle voulait des cahiers soignés et vérifiait si les exercices étaient faits. La moindre ampoule morte était changée, les tableaux sont repeints chaque trimestre et les bancs réparés. »

C’est une éducatrice non seulement soucieuse de la transmission des connaissances à ses filles mais aussi très attachée à faire d’elles des filles conscientes de leurs responsabilités en tant que futures femmes africaines. C’est elle qui a formé la première génération des filles après les indépendances qui sont aujourd’hui des docteurs, des inspectrices des douanes, des médecins. Nous pouvons citer quelques unes : Alice Tiendrébéogo, Catherine Kéré, Adèle Ouédraogo, Odile Nacoulma...

Jacqueline Ki-Zerbo la lionne, la femme garçon

Jacqueline Ki-Zerbo n’était pas seulement une éducatrice, elle était aussi une intrépide militante. D’abord politiquement, c’est grâce à elle, que le MLN, le parti de son mari, est sorti pour la première fois de la clandestinité. Lors du soulèvement populaire du 3 janvier 1966 qui a vu le régime de Maurice Yameogo s’effondrer, elle a joué un rôle majeur.

Avant la chute du régime, c’est la traque aux ennemis et Mme Ki-Zerbo ne va pas échapper à une descente musclée de la gendarmerie dans son école. La cible principale était son mari, qui a été couvert par les militants du MLN dans un lieu sûr. Comme ils n’arrivaient pas à arrêter Joseph Ki-Zerbo, c’est elle qui a été arrêtée et conduite à la gendarmerie. Mais ses élèves, qui criaient déjà leur ras-le-bol dans la cour de l’école parce qu’elles n’avaient plus rien, vont descendre à la gendarmerie lorsqu’elles ont appris que leur mère est arrêtée. « Libérez madame Ki, Libérez notre mère ! » furent leurs mots d’ordre.

La gendarmerie envahie par cette foule d’élèves ne pouvait que lâcher la militante intrépide qui est allée rejoindre ses élèves. Elle fut accueillie comme une héroïne au milieu de ses enfants. Certains la considéraient comme une lionne car elle ne reculait pas devant l’injustice. Mme Ki-Zerbo était engagée à faire du Burkina et de l’Afrique un pays et un continent respectable aux yeux du monde. Elle sensibilisait ses élèves sur leurs devoirs en tant que citoyennes et les invitait à lire des livres comme Rouge est le sang des noirs, je ne suis pas un homme libre de Peter Abrahams.

Ce n’est pas seulement sur le plan politique que le militantisme de Jacqueline Ki-Zerbo sera reconnu. Sur le plan social, elle sensibilisait les filles à devenir responsables d’elles-mêmes, à s’affranchir du poids de la tradition et à faire valoir pleinement leurs droits dans un environnement où les femmes sont reléguées au second rang. Elle était une féministe convaincue. Le féminisme de Mme Ki-Zerbo n’était pas un féminisme de paresse et d’irresponsabilité. Elle était très dure avec les filles et elle les appelait à se cultiver, à travailler dur pour sortir de l’anonymat et contribuer au développement de leur pays. Elle les invitait à lire Gandhi pour prendre conscience de leurs responsabilités dans le changement qui doit advenir au Burkina et en Afrique. Au-delà du militantisme, Jacqueline Ki-Zerbo fut une intellectuelle.
Jacqueline Ki-Zerbo, l’intellectuelle

La bataille du développement c’est aussi la bataille des idées et Jacqueline Ki-Zerbo en faisait son combat. Panafricaniste convaincue, elle partageait avec son mari cette idée géniale : [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net

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