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Karamokoba Sanogo : L’exécution d’un érudit pacificateur

Publié le lundi 8 avril 2024 à 22h30min

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Karamokoba Sanogo : L’exécution d’un érudit pacificateur

Figure emblématique de la religion dans le Manden, homme de savoir, doué et respecté, la renommée de Karamokoba fut largement répandue au-delà des frontières. Sa notoriété morale et intellectuelle va faire de lui un personnage incontournable dans la zone. Il fut un passage obligé pour les explorateurs et les colons qui voulaient prendre en main le contrôle du territoire. Mais d’où vient cet illustre personnage qui a été exécuté ? Quel a été son parcours ? Pourquoi a-t-il été tué si brusquement et sauvagement par le capitaine français Voulet ?

Né en 1820 à Lanfièra, dans l’actuel Sourou, Karamokoba y passa ses premières années d’études avant de les poursuivre à Djenné. De son vrai nom Alfa Ahmed Baba, il est issu de l’ethnie marka ou dafing, la première ethnie à embrasser l’islam en Afrique de l’Ouest. Il appartient au clan maraboutique des Sanogo, premiers diffuseurs de l’islam dans le Manden. C’est le 3e fils de Karamoko Lanfiera, le fondateur du village dans les années 1780. Il fait ses premières études à côté de son père qui était un grand érudit. Son père était appelé Walidjou, c’est-à-dire saint. A Djenné où foisonnement les intelligences et les savants, Karamokoba chercha le savoir à tout prix : d’abord sous la dépendance du Dina de l’empereur peulh du Macina : Cheikou Ahmadou. Et puis, auprès de 12 célébrités du savoir parmi lesquels le grand maître de la Qadria Alfa Moctar. Après 15 années d’études à Djenné, il regagna Lanfiera pétri de connaissances en théologie, en grammaire, en droit et histoire musulmane. Il rentra alors avec le grade d’Alfa, qui représentait le plus haut grade de l’enseignement supérieur. Karamokoba fut désigné même Alfa, c’est-à-dire l’intellectuel.

Karamokoba fut un religieux stratège bien cultivé. Pour maintenir l’héritage de l’influence de l’islam dans son village, combat que menait son père, il met à contribution ses qualités intellectuelles et relationnelles. Méthodique, patient et tolérant, il réussit à faire progresser l’islam dans le Marka et chez les Samos, il développa un commerce inter-régional très florissant (où les Dafings et les Dioulas jouèrent un grand rôle), mettant en place une diplomatie efficace qui a pu aboutir à des relations excellentes avec le royaume de Kong, du Gwiriko et du Mossi. A cet égard, le témoignage de Louis Parfait Monteil en 1891 est fort éloquent : « Karamoko est très instruit ; il a énormément lu, de la littérature arabe il est vrai, mais ce qui prouve son intelligence, c’est que la science sophistiquée qu’elle contient n’a pas réussi à lui fausser le jugement qui est très large et très juste. Son esprit est curieux de toutes choses ; le nombre de questions qu’il m’a posées sur les sujets les plus variés, mais surtout sur l’histoire musulmane, l’astronomie, la géographie, est considérable. Chaque fois, il m’a étonné par la justesse, la précision de ses réflexions. Karamokoba, Lanfiera dans ce milieu absolument ignorant de Markas qui ont depuis longtemps oublié jusqu’aux pratiques extérieures du culte musulman, s’est peu à peu créé, par sa seule intelligence, une situation d’oracle sans cesse consulté, sans cesse écouté. Sa réputation de sainteté, de sagesse, et aussi de tolérance a bientôt franchi les limites du Dafina, pour rayonner jusqu’à Bandiagara, Bobo-Dioulasso, Salaga et Say. Les élèves ont afflué, plusieurs d’entre eux sont allés à la Mecque et à leur retour ont continué la déférence que son grand savoir lui a conquise ».

L’une des causes de l’exécution de Karamokoba le mardi 24 novembre 1896 par les colons est sans doute sa probable proximité avec Samory Touré. En tout cas, c’est ce qui a été brandi comme prétexte par Voulet afin de pouvoir l’éliminer. Aussi, il a été dit que Karamokoba incitait les Samos à la révolte. Ces accusations orchestrées par Voulet et ses suppôts vont valoir à Karamokoba une peine d’exécution. C’est ainsi qu’il fut fusillé et jeté dans les décombres. Sa bibliothèque fut brûlée et sa mosquée saccagée et démolie complètement par les troupes de Voulet.

Mais les véritables raisons de son exécution résident dans le fait que Karamokoba est perçu comme un concurrent par Ouidi, le chef de Barani. En effet, Ouidi Sidibé craignait l’ampleur de l’influence de son voisin Karamokoba de Dafina. Ce dernier jouissait d’une autorité morale et intellectuelle de grande envergure et était capable de s’entendre avec les Samos et les Markas hostiles à l’islam et aux colons français. La région de Samorodougou faisait l’objet de vives tensions et Ouidi était décrié et devenu impopulaire aux yeux des populations locales. Il utilisait des méthodes violentes pour imposer l’islam dans la région. Pourtant Karamokoba jouissait toujours d’une respectabilité énorme aux yeux de ces populations.

Compte tenu de sa culture large et de sa personnalité fort impressionnante, il réussit à entretenir d’excellentes relations et travaillait pour la paix entre les religions et les cultures. C’est un pacificateur qui gagnait l’admiration de tous. Ouidi n’était pas content de cette attitude influente de son voisin. C’est ainsi qu’il va profiter de l’arrivée de Voulet pour semer la confusion et la méfiance sur les relations excellentes que Karamokoba entretenaient avec ses voisins et les occidentaux. C’est lui qui semble dire à Voulet que Karamokoba incitait les Samos à la révolte et qu’il faut l’éliminer s’il veut conquérir Ouagadougou. Aussi, la suspicion de sa complicité avec Samory Touré était fabriquée par Ouidi pour les mêmes raisons. En réalité, même si les deux hommes se connaissaient, il était improbable qu’ils eurent le même avis sur les conquêtes car Karamokoba n’approuvait pas les conquêtes de Samory et disait préférer la voie pacifique. Il était un guide religieux et un homme sage, intelligent épris de paix, de tolérance, de cohésion et d’union.
Réf : Cent ans d’histoire, Bassirou Sanogo, P628

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net

Photo d’illustration Getty images

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