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Burkina : Le 17 octobre 1958, le Mogho Naaba Kougri tente un putsch pour établir une monarchie constitutionnelle

Publié le mercredi 13 mars 2024 à 21h10min

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Burkina : Le 17 octobre 1958, le Mogho Naaba Kougri tente un putsch pour établir une monarchie constitutionnelle

L’histoire politique du Burkina Faso est jalonnée de coups d’État répétitifs. Les analystes ne sont pas unanimes sur la date du commencement de ces coups d’État. Pour certains, le premier coup d’État a eu lieu en 1966 lors du soulèvement populaire contre le régime du premier président Maurice Yameogo lorsque l’armée est intervenue pour prendre le pouvoir sous le leadership du lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana.

Pour d’autres, ce qui s’est passé le 3 janvier 1966 n’est pas forcément un coup d’État mais un soulèvement populaire car pour eux, c’est le peuple et non l’armée qui a obligé le président Maurice Yaméogo à démissionner, quand bien même l’armée finira par gérer le pouvoir. Pour cette catégorie d’analystes, on ne peut pas parler de coup d’État car il n’y avait pas des factions dans l’armée et l’avènement au pouvoir de Lamizana faisait l’unanimité en son sein.

Alors considèrent-ils que c’est à partir de 1980 que le premier coup d’État est intervenu lorsque le colonel Saye Zerbo, à travers le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) mettait fin au règne de Lamizana. Quoi que l’on dise, il paraît évident que le Burkina Faso a une longue tradition de putschs et que l’on peut faire remonter les origines des pronunciamientos à 1958. En effet, Le 17 octobre 1958, le Mogho Naaba Kougri a essayé de perpétrer un putsch pour établir une monarchie constitutionnelle. Avant de tenter de restituer les événements de cette date, il importe de savoir qui est Mogho Naaba Kougri.

33e empereur des Mossis de Ouagadougou, au Burkina Faso, Moussa Congo fut intronisé le 28 novembre 1957, à 27 ans, sous le nom de Mogho Naaba Kougri. Il succède à son père le Mogho Naaba Saaga II qui était décédé quelques jours auparavant, le 12 Novembre de la même année. Mogho Naaba Kougri serait né en 1930. Il est décédé le 8 décembre 1982. Après sa mort, son fils le Mogho Naaba Baongo II, l’actuel roi des mossis, lui succède au trône.

Ce qu’il faut souligner d’emblée, est que le Naaba Kougri et son père ont régné dans un environnement à la fois complexe et déterminant marqué par la seconde guerre mondiale, l’indépendance et les menaces que constituaient les colons ou les nouvelles élites africaines dans l’exercice de leur pouvoir. C’est ainsi que Benoît Beucher relève que le « Mogho Naaba Saaga II est intronisé en pleine seconde guerre mondiale et doit préserver les intérêts de la royauté à l’heure de la naissance de l’Union africaine, de la loi cadre et des partis politiques africains. Naaba Kougri quant à lui, assiste jusqu’à son décès survenu en 1982, à la marche rapide de la Haute Volta vers l’indépendance, avant d’avoir à composer avec les dirigeants formés par le colonisateur, pour qui la royauté est parfois vue comme un archaïsme condamné à disparaître ».

Tout comme son père, Naaba Kougri a subi une formation à la fois traditionnelle et moderne. Après avoir suivi les rites initiatiques, il fut envoyé à "l’école du blanc" car compte tenu du contexte colonial, le roi ne pouvait se payer le luxe de l’ignorance devant l’administration coloniale. Cette formation moderne va jouer un rôle majeur dans son accession au trône. Il sera soutenu par les nouveaux partis politiques, notamment le RDA, dont Ouezzin Coulibaly était le leader en Haute Volta. C’est grâce à ce dernier qui voyait en lui un chef moderne qu’il sera intronisé comme 33e Roi de Mogho, au grand dam du gouverneur Ivon Bourges qui soutenait la candidature de son oncle, le Doulougou Naaba. Cette politisation des affaires internes à la royauté est peut-être le début du rapport complexe qui a marqué le pouvoir traditionnel et le pouvoir moderne.

La Royauté contre la République

Le contexte politique dans lequel Naaba Kougri est arrivé au trône est très complexe et lui commande une stratégie de management conséquent pour préserver le prestige de sa royauté. En effet, D’un côté, il avait en face ses ministres de la cour qui lui en voulaient pour ses collusions avec les politiques partisanes et de l’autre côté, il devait faire face aux nouvelles élites qui, se méfiant du traditionalisme, voulaient en finir avec l’aristocratie royale mossi.

Tout compte fait, Mogho Naaba Kougri a hérité de son père d’un parti politique influent capable de tenir tête au RDA dirigé par les nouvelles élites africaines. L’Union pour la défense des intérêts de la Haute Volta(UDIHV) devenue plus tard l’Union voltaïque(UV) est un parti puissant forgé par les chefs traditionnels du Mogho qui entendaient conserver le prestige de la royauté dans la nouvelle configuration politique marquée par des élections et, par la suite, un désir imminent d’indépendance.

Ce parti, composé majoritairement de mossis, entendait pourtant représenter toutes les ethnies et était épris d’un nationalisme voltaïque qui a abouti en 1947 à la reconstitution de la Haute Volta dans ses limites territoriales d’antan. Compte tenu de cette influence majeure, le parti Rassemblement démocratique africain (RDA) dirigé par Houphouët-Boigny, a fait un rapprochement avec les membres de l’UDIHV afin d’être représentatif dans l’Assemblée nationale française. Mais cette amitié politique sera de courte durée car le mouvement du souverain mossi connaît des dissensions.

Joseph Conombo (né en 1917), député de l’UDHIV, a créé son propre parti, le Parti social de l’éducation des masses africaines (PSEMA) et part avec deux députés sur quatre. Ce n’est pas la première fois que l’UDHIV subit une scission. En 1955, le député Nazi Boni avait crée le Mouvement populaire africain (MPA). L’UDIHV, devenue l’Union voltaïque, a encore le soutien de l’archevêque, le très dévot monseigneur Thevenoud (en poste depuis 1949) qui voit en le RDA, un « suppôt de satan » et le gouvernement colonial, des colons rassemblés au sein du Rassemblement pour la France.

Aux élections législatives territoriales, l’UV a remporté treize sièges de députés et le RDA que trois députés. La présidence de l’Assemblée territoriale revient donc à un candidat mossi de l’UV. Le Rassemblement du peuple français, organe du parti gaulliste en Haute Volta, envoie trois colons sur les bancs de l’Assemblée territoriale. Ouezzin Coulibaly qui s’est présenté en Côte d’Ivoire sous les couleurs du Parti démocratique unifié (créé en septembre 1956) n’a pas eu de siège. Le RDA accusera le gouvernement colonial d’avoir truqué les votes en faveur de l’Union Voltaïque.
Le RDA accusera le gouvernement colonial d’avoir truqué les votes en faveur de l’Union voltaïque.

Ouezzin Coulibaly revient en Haute Volta et tente un rapprochement avec le père du Mogho Naaba Kougri et Joseph Conombo. Si le PDU et le PSEMA acceptent d’aller ensemble, l’Union voltaïque reste un allié. Coulibaly accepte de prendre la vice-présidence, Conombo la présidence et le Mogho Naaba Kougri la présidence d’honneur.

Relégué à une présidence d’honneur, le Mogho Naaba ne peut que constater combien il s’est fait duper. Pour Ouezzin Coulibaly, vice-président du Conseil, il n’est pas question d’instaurer une quelconque monarchie. La Haute Volta s’enfonce dans une crise politique.

Le putsch manqué

Constatant la mort du vice-président du gouvernement Ouezzin Coulibaly et la chute de son gouvernement, le Mogho Naaba Kougri va profiter de l’occasion pour perpétrer un putsch afin d’asseoir une monarchie constitutionnelle. C’est ainsi que le 17 octobre 1957, il prend en otage l’Assemblée nationale avec ses troupes.

Avec 3 000 de ses partisans armés d’arcs, de flèches et de vieux fusils, le souverain des Mossis pénètre sans crainte le palais de l’Assemblée territoriale. Il entend faire pression sur les députés qui doivent se réunir vers 11 heures et fait porter une lettre au gouverneur Yvon Bourges afin que ce dernier valide l’avènement d’une monarchie constitutionnelle. Le gouvernement colonial ne daignera pas lui répondre.

Le souverain des Mossis, revêtu de sa tunique de guerre en coton marron foncé et coiffé de son bonnet de guerre, pénètre à cheval dans le palais et réclame en vain que les députés votent l’instauration de la monarchie. Il a le soutien du colonel Chevreau, un des leaders des colons français (il aurait donné l’ordre à son régiment de rester en caserne) et du PSEMA de Conombo. Une épreuve de force s’engage entre le gouvernement colonial et les Mossis au fur et à mesure que les heures passent. La police coloniale et la garde républicaine interviennent, tirent en l’air sur la demande de Maurice Yaméogo, dispersent la foule et les partisans du souverain mossi.

Le coup d’État du souverain des mossis échoue totalement le 20 octobre lorsque les parlementaires s’entendent finalement pour placer à la tête du gouvernement, Maurice Yaméogo.

Mais quelques mois après, le Mogho Naaba Kougri va donner des explications sur les raisons profondes de sa tentative de coup d’État. En effet il écrit en ces termes : « Notre intention n’est pas d’abandonner la direction du pays aux seuls élus mais d’avoir une étroite collaboration avec eux, car, si l’élu d’aujourd’hui a des droits, l’élu de plusieurs siècles a conservé aussi les siens ».

Bertrand Wendkuni Ouédraogo
Crédit photo : Agence intercontinentale
Références

- Benoît Beucher, Outres mers, revue d’histoire, N,370-371. Année 2011. P99-109.
- Droit constitutionnel et institutions politiques, mars 2007).
L’œil Du Droit

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