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Intervention militaire de la CEDEAO au Niger : L’Afrique ne veut pas de guerre pour la démocratie, mais contre le terrorisme

Publié le dimanche 20 août 2023 à 22h19min

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Intervention militaire de la CEDEAO au Niger : L’Afrique ne veut pas de guerre pour la démocratie, mais contre le terrorisme

Depuis le 26 juillet 2023, un coup d’Etat est intervenu au Niger. Ce putsch de généraux, dont le chef et initiateur n’est personne d’autre que le général chargé de veiller sur la sécurité du chef d’Etat nigérien, vient plonger le pays, la zone du Liptako-Gourma dite des trois frontières entre le Mali, le Burkina, le Niger, tout le Sahel, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique entière dans l’expectative, l’angoisse. D’autant plus que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dès sa première réunion, a brandi des menaces d’intervention armée contre les militaires putschistes.

Plus de trois semaines après cette prise de pouvoir, c’est un champ de disputes, de propos belliqueux, d’évacuation de ressortissants européens, d’attaques d’ambassades, d’annonces de fin de l’aide publique au développement, de dénonciations de conventions, de mesures de rétorsion et de réciprocité qui se présente au Niger et chez ses deux voisins du Mali et du Burkina qui se sont engagés aux côtés du nouveau régime militaire.

La CEDEAO va-t-elle aller au bout de ses menaces guerrières ? De quel soutien bénéficiera-t-elle auprès de l’Union africaine (UA) et de l’Organisation des nations unies (ONU) ? Les Etats de la CEDEAO qui veulent réinstaurer le régime constitutionnel, légal et démocratique du Niger vont-ils demander l’aval de leurs parlements respectifs pour mener cette guerre pour la démocratie ? Quelle est le sentiment de l’opinion publique en Afrique de l’Ouest pour cette guerre ? Que pensent les Etats occidentaux de cette volonté de sauver le président Mohamed Bazoum ? Quelles sont les stratégies mises en place par la France, l’Union européenne, les Etats unis, la Chine et la Russie ?

La preuve est faite, encore une fois, que les coups d’Etat ne font pas avancer les pays, mais créent des problèmes. Celui du Niger est champion en la matière car il fait planer sur nos têtes une guerre où les Africains vont s’entretuer. Voilà plus de deux semaines que l’ultimatum de la CEDEAO a pris fin le 06 août 2023. Même si les va-t’en guerre continuent de se préparer et ont même choisi une date de l’intervention militaire, il faut dire que l’affaire est mal engagée et que le camp de la paix est plus fort et ne cesse de se renforcer. Les peuples ouest africains, dans leur grande majorité, pensent que l’ennemi principal ce sont les groupes terroristes et que l’instabilité politique des pays sahéliens est une conséquence de leurs actions.

La CEDEAO divisée par l’intervention armée et fragilisée par sa politique antérieure sans principes

Ce qui fragilise l’option de la guerre de la CEDEAO, c’est qu’elle ne l’a pas utilisée dans les autres pays comme la Guinée, le Burkina et le Mali. Dire que c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase dans le cas du Niger, n’est pas faire preuve de principes. En ayant traité les coups d’Etat à la tête du client, les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont mis eux-mêmes en danger, et c’est dommage que ce soit maintenant avec le Niger qu’ils voient le péril, le risque de contagion et de perte chacun à son tour du pouvoir par coup d’Etat. Dans les pays en première ligne pour envoyer les troupes militaires au Niger, il y a des problèmes pour obtenir l’aval des institutions. A commencer par le Nigéria du chef en exercice de la CEDEAO, Bola Ahmed Tinubu. Obtenir l’aval du sénat nigérian n’est pas garanti car les sénateurs des Etats de la fédération faisant frontière avec le Niger sont opposés à cette guerre. Ces Etats ont les mêmes populations que celles qui vivent au Niger, notamment les Haussa, avec la même langue, la même culture, avec des familles de part et d’autre.

Naturellement ces populations ne veulent pas aller tuer leurs frères nigériens. Peut-on aller rétablir une légalité à l’étranger en violant ses propres lois ? Voilà une question qui sera posée au Nigeria, à la Côte d’Ivoire, au Bénin, au Sénégal et à la Guinée Bissau qui sont les Etats prêts à envoyer des troupes au Niger. L’idéal serait que ces pays obtiennent un vote unanime du parlement pour envoyer leurs militaires se battre à l’étranger, or la plupart des partis d’opposition sont contre cette intervention. Quand on ajoute que cet engagement des hommes est doublé d’un engagement financier à envoyer les militaires au Niger sur le budget national et à supporter les frais de la guerre pendant au moins 90 jours, il n’est pas évident que tous les parlementaires acceptent cette dépense extraordinaire, non budgétisée.

Aujourd’hui, la CEDEAO est divisée sur l’option militaire. Des pays comme le Cap Vert, sont contre la guerre. Le Togo n’en veut pas et le Ghana soutient du bout des lèvres etc. Dans ces conditions quelle légitimité aura cette intervention ? De plus elle a besoin d’être avalisée par l’Union africaine et le conseil de sécurité de l’ONU. L’Union africaine, à travers son Conseil paix et sécurité, vient de la rejeter en quelque sorte après une réunion houleuse le 14 août 2023 dont les conclusions ne sont pas encore publiées et l’Onu ne sera pas plus royaliste que le roi en optant pour la guerre. Elle est d’ailleurs en ce moment à Niamey pour des négociations avec les militaires putschistes sans la présence de la CEDEAO et de l’Union africaine au sein de sa délégation pour signifier son indépendance vis-à-vis des points de vue de ces organisations.

De tous les voisins du Niger, personne n’est pour la guerre sauf le Bénin et le Nigéria. Le Tchad et l’Algérie sont contre une intervention militaire qui ferait du Niger une seconde Libye. Dans le camp de la paix, il y a les organisations de la société civile qui ont cette angoisse que l’intervention militaire vienne ajouter une crise supplémentaire et d’autres maux au lourd fardeau des peuples du Sahel, notamment les organisations religieuses et les chefferies coutumières qui se sont prononcées contre l’intervention militaire au Niger. On peut citer la conférence épiscopale Burkina Niger, celle du Togo, et même le regroupement des chefs religieux catholiques de l’Afrique de l’Ouest, espèce de pendant de la CEDEAO au plan spirituel, la CEREAO qui s’est prononcée contre la guerre au Niger. De même les chefs spirituels et coutumiers du Nigéria comme le sultan de Sokoto et des sheick salafistes de ce pays prônent le dialogue.

La coupe est pleine si on ajoute la voix du reggae man ivoirien avec sa casquette d’ambassadeur de la paix, Alpha Blondy, aux nombreux anonymes. La guerre est annoncée, on a bandé les muscles, mais elle n’est pas pour demain, il y a beaucoup d’impondérables qui ne sont pas entre les mains des présidents apeurés par la succession des coups d’Etat.

Le Niger objet de convoitises multiples, emmène le camp occidental à se diviser

C’est avec le dernier coup d’Etat que beaucoup de gens se sont rendus compte du poids géostratégique du Niger. Deuxième base militaire américaine du point de vue des investissements après Djibouti. Le Niger a deux bases de drones à Niamey et Agadez et abrite 1500 soldats américains. Et dans cette affaire d’intervention militaire de la CEDEAO, chacun joue ses intérêts et les Américains ne veulent pas se fâcher avec les nouveaux dirigeants et partir pour laisser le champ libre à la Russie et à sa créature sulfureuse Wagner. La France a encore une fois fait une mauvaise partie. Il est vrai qu’elle avait contre elle d’être l’ancienne puissance coloniale. C’est pour cela qu’elle devait se faire oublier ne pas communiquer outre mesure et se ranger derrière les déclarations de l’Union européenne.

En ne faisant pas ainsi, elle a radicalisé la junte qui, au départ, soutenait et félicitait l’apport des troupes étrangères. La France lui a facilité le travail en l’aidant à se lancer dans le populisme et à demander le départ des troupes françaises. Quelle que soit l’issue de la crise, ce départ va se faire. Et en engageant des mesures de rétorsion contre le Mali et le Burkina avec la suspension de l’aide publique au développement, des visas et des vols d’Air France, les autorités françaises donnent du grain à moudre au moulin du ressentiment anti français. Puisque ces mesures n’ont pas été prises au début des putschs de ces pays selon le principe de ne pas soutenir des régimes anticonstitutionnels. Ces mesures sont contre productives car elles ne visent pas les autorités mais les populations, la jeunesse étudiante qui recherche des formations absentes dans ces pays.

Par contre les Etats unis jouent pour être toujours dans le match sans se faire des auto goals. L’Union européenne va se réunir à la fin du mois pour se prononcer sur la situation au Niger. En ne se précipitant pas, elle verra les difficultés de l’option militaire et pourra se décider s’il faut être absent du Niger et laisser les migrants africains venir en Libye et débarquer en Italie. La Russie et Wagner attendent de tirer les marrons du feu si les occidentaux font des erreurs. Les Chinois qui, sans bruit, font des affaires ont les puits de pétrole du Niger, ils devaient achever la construction du plus long pipeline de pétrole d’Afrique sans le coup d’Etat. Ils ont interrompu les travaux comme celui du barrage de Kandadji et ont évacué leurs ressortissants. Le monde s’était donné rendez-vous au Niger pour ses ressources, mais les Nigériens restaient parmi les plus pauvres de la planète.

Ce coup d’Etat des généraux n’a pas réussi à obtenir la reddition du chef de l’Etat Mohamed Bazoum qui, en militant, résiste face à son garde du corps qui a du mal à obtenir tous les leviers du pouvoir au plan national et international. Au plan national, il agite un procès en haute trahison punie par la peine capitale par le code pénal nigérien. La CEDEAO doit se dire que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes et retisser le fil du dialogue avec la junte nigérienne pour arriver à des transitions comme au Mali au Burkina et en Guinée. Il peut arriver que des chefs d’Etat se trompent. Avec cette décision précipitée d’intervention militaire, les chefs d’Etat de la CEDEAO n’ont pas été inspirés, ils auront fait beaucoup de torts à la crédibilité de l’organisation.

Sana Guy
Lefaso.net

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