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Braquage de la BCEAO en 2002 : « Sia Popo Prosper était prêt à nous satisfaire, quel que soit le montant », révèle Enoch Sorgho

Publié le mardi 22 mars 2022 à 10h00min

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Braquage de la BCEAO en 2002 : « Sia Popo Prosper était prêt à nous satisfaire, quel que soit le montant », révèle Enoch Sorgho

Chef de la brigade de recherches à l’époque, le commissaire principal de police Enoch Sorgho est l’une des pièces maîtresses dans l’arrestation du célèbre braqueur de la BCEAO, Sia Popo Prosper, à l’aéroport de Ouagadougou. Vingt ans après, Enoch Shorgo se souvient encore que l’illustre cambrioleur de la Banque centrale des États d’Afrique de l’ouest (BCEAO) était prêt à tout pour les satisfaire (entre 16 et 20 milliards de francs CFA auraient été emportés lors du braquage). Il nous livre sa version des faits de l’histoire dans cette interview, après celle qu’a accordée Béatrice Sanon à Lefaso.net.

Lefaso.net : Quelle est votre version des faits de l’arrestation de Sia Popo Prosper à l’aéroport de Ouagadougou en 2002 ?

Commissaire Enoch Sorgho : Au début, nous ne savions pas que c’était Sia Popo Prosper. J’étais à l’époque le chef de la brigade de recherches à l’aéroport de Ouagadougou. Je me souviens que c’est un soir lors de l’ouverture du vol Air France pendant l’enregistrement. Je n’étais pas sur place parce que j’avais des céphalées. Donc je suis rentré pour chercher de quoi me soulager. Et à mon retour, le jeune collègue qui travaillait avec moi m’a informé qu’il avait été saisi par la compagnie Air France pour contrôler le passeport d’un passager. N’ayant constaté aucune anomalie lors de la vérification, il a demandé à ce que le passager soit enregistré. Après l’avoir écouté, je lui ai cependant demandé, quel était l’origine de ce passeport ? Il a répondu qu’il s’agissait d’un passeport ghanéen.

J’ai alors cherché à le rencontrer. Et c’était un homme confortablement assis dans la salle d’embarquement que j’ai aperçu. Il venait de remplir toutes ses formalités et attendait l’heure de son départ. M’étant approché de lui, j’ai moi-même vérifié son passeport. À l’issue du contrôle que nous effectuons habituellement (vérification de l’identité, toucher du visa…), j’ai compris que quelque chose n’allait pas.

Je lui ai donc fait savoir que son visa avait un problème et qu’il ne pouvait pas voyager dans ces conditions. C’était un visa Schengen falsifié. Il m’a néanmoins demandé si j’en étais sûr. Ma réponse était que je lui donnais ma tête à couper, au cas où son visa serait en règle. C’est ainsi que j’ai exigé qu’il sorte de la salle d’embarquement. On l’a emmené au niveau du comptoir d’enregistrement et j’ai ordonné qu’on annule son voyage. Puis, on l’a conduit au poste de police avec tout ce qu’il avait comme bagages pour le garder, le temps de continuer notre travail. Et lorsque nous avons fini toutes les formalités pour le départ du vol Air France, nous avons relevé l’identité qui se trouvait sur son passeport et consigné ses bagages, avant de lui permettre de rentrer pour revenir le lendemain.

Si je n’étais pas revenu ce jour-là, Sia Popo Prosper serait parti. Puisque mon jeune collègue avait déjà donné son ok. J’avais mis en place un dispositif pour effectuer un dernier contrôle des passagers avant de monter dans le car. Mais cela ne l’aurait pas empêché de s’en aller si je n’étais pas arrivé à temps. Cependant, s’il arrivait à passer entre nos mailles avec le type de visa qu’il détenait, il aurait été intercepté à l’aéroport Charles-de-Gaulle. À cet instant, on dira qu’il est passé par l’aéroport de Ouagadougou et c’est moi qui aurais endossé la responsabilité, parce que cela relevait de mes attributions (le contrôle documentaire) en tant que chef de brigade de la recherche. Il m’aurait été certainement difficile, en ce moment, de prouver que je n’avais pas été corrompu par Sia Popo Prosper.

Pourquoi votre jeune collègue a-t-il donné son ok ? Sia Popo ne lui avait-il pas mouillé la barbe ?

Bon, je ne peux pas dire qu’il a empoché quelque chose en contrepartie, mais quelque part, il n’était pas encore bien aguerri dans le métier. Cela faisait un bout de temps qu’il travaillait à mes côtés mais il apprenait toujours parce qu’il y a des aspects qu’il ne maîtrisait pas.

Même si le doute a commencé à s’installer quand nous (mon jeune collègue et moi) avons procédé à l’interrogatoire, nous ne savions toujours pas qu’il s’agissait de Sia Popo Prosper au lendemain de son interpellation. Puisque l’identité qui se trouvait sur le passeport était Aqua John.

« Voyant que les choses se compliquaient pour lui, Sia Popo Prosper était prêt à tout pour qu’on le laisse partir », révèle le commissaire principal de police, Amidou Enoch Shorgo.

Il a affirmé qu’il partait en voyage d’affaires. Ayant raté son vol à Accra, il tentait de le rattraper à Ouagadougou. Nous avons pu remarquer qu’il était passé par le poste frontière de Dakola (situé à 12 km au Sud de Pô) qui avait mis son cachet sur son passeport pour faciliter son entrée au Burkina Faso. Il a expliqué par la suite qu’il avait une commande de grosses cylindrées et que c’était un marché qu’il ne devait rater sous aucun prétexte.

Ce qui m’a également fait tiquer, c’est que dans nos échanges, il n’avait pas un accent anglophone et maîtrisait la langue de Molière. Et le fait qu’il voyageait avec deux valises juste pour des affaires me rendait perplexe. Voyant que les choses se compliquaient pour lui, Sia Popo Prosper était prêt à tout pour qu’on le laisse partir. Il disait qu’il était prêt à nous satisfaire en nous offrant tout ce qu’on voulait, pourvu qu’on lui permette d’effectuer son voyage.

C’est ainsi qu’après l’audition, nous sommes allés voir madame Sanon qui était notre chef et assurait l’intérim, puisque le commissaire qui était notre chef était absent. Nous lui avons fait le compte-rendu à l’issue duquel elle a également demandé à l’entendre en notre présence. À un moment donné, nous avions même émis l’idée d’annuler son visa, confisquer son passeport et le libérer.


Lire aussi : Braquage de la BCEAO en 2002 : Béatrice Sanon, la policière à l’origine de l’arrestation de Sia Popo Prosper n’a pas été décorée


Ce qui nous a cependant intrigués, c’est qu’il portait des dreadlocks le jour où je l’avais interpelé. Tandis qu’il s’est ramené le lendemain sans cette coiffure. À cela, il faut ajouter que son insistance à vouloir coûte que coûte voyager éveillait davantage les soupçons.

En faisant par la suite la photocopie de son passeport, la photo noir-blanc m’a beaucoup alerté parce que j’avais sur mon bureau un journal de Fraternité Matin (un quotidien ivoirien) dans lequel il y avait un avis de recherche. La photo de ce dernier ressemblait exactement à celle qui était sur la copie que je tenais.
C’est à cet instant précis que je suis allé voir madame Sanon qui a demandé si nous n’avions pas affaire à Sia Popo Prosper. Je lui ai dit que lorsque je regarde dans le journal et la photocopie du passeport que j’ai faite, cela me paraît bizarre. On dirait qu’il s’agit de la même personne. Et madame Sanon a sursauté, demandant ce qu’il fallait faire dans cette situation.

Même si l’on avait sous la main la photo de Sia Popo Prosper que nous avait envoyée Interpol dans le cadre des avis de recherche, il était difficile de le reconnaître parce qu’il portait un chapeau sur la photo d’Interpol. C’est ainsi que j’ai proposé à madame Sanon de se référer à Interpol pour vérifier son identité aux fins de savoir s’il s’agit effectivement de Sia Popo Prosper ou pas.

Quand les éléments d’Interpol sont arrivés, il y a un ancien parmi eux à qui nous avons soufflé ce qu’on a découvert. Mais ce dernier a aussitôt déclaré que ça ne devait pas être l’homme recherché. Apercevant les hommes d’Interpol, Sia Popo Prosper m’a demandé ce qu’il se passait. Je lui ai fait savoir qu’il s’agissait juste d’une identification à laquelle il devra se soumettre. Et c’est dans ces conditions qu’Interpol l’a emmené.

Les larmes de Sia Popo Prosper pendant son extradition vers la Côte d’Ivoire
Ce que j’ai remarqué, c’est que Sia Popo Prosper était un homme serein et confiant. On ne sentait pas la peur en lui, quand il s’exprimait. La seule fois que j’ai vu ses larmes couler, c’est lorsque les autorités ivoiriennes sont venues le chercher à la base aérienne. Il m’a regardé les larmes dans les yeux et m’a dit : « C’est grâce à toi j’ai tous ces problèmes-là ».

Aviez-vous eu des nouvelles de Sia Popo Prosper après son arrestation ?

J’ai appris par les ondes que Sia Popo Prosper s’était évadé depuis la Côte d’Ivoire. Mais quelques temps après quand je suis revenu de ma formation d’officier pour intégrer la Brigade de contrôle de la migration (un service rattaché à l’aéroport de Ouagadougou), un homme est venu un jour me saluer. J’étais ce jour-là parti non loin du service pour faire laver ma voiture et le monsieur m’a demandé si je le connaissais. J’ai dit que je ne le connaissais pas. Il m’a ensuite interrogé cherchant à savoir si j’étais bien celui qui avait interpelé Sia Popo à l’aéroport. Et j’ai dit oui, c’est moi.

C’est en ce moment qu’il m’a dit qu’il y a quelqu’un en Belgique qui demande de mes nouvelles. J’ai demandé de qui il s’agissait, quand il m’a informé que c’est Sia Popo Prosper. Mon interlocuteur m’a confié qu’ils se retrouvaient avec Sia Popo Prosper souvent les soirs en boîte de nuit. Mais je ne sais pas si ce que disait ce monsieur était vrai ou pas. C’était entre 2005 et 2006.

Sia Popo Prosper ne vous a-t-il pas proposé de l’argent pour que vous le laissiez partir tranquillement ?

En toute sincérité, il ne nous a pas proposé de l’argent, mais il disait qu’il était prêt à nous satisfaire quel que soit le montant.

Vous n’avez pas cédé à la tentation ?

Non non, nous n’avons pas cédé !

L’arrestation de Sia Popo Prosper était-elle un travail d’équipe ?

Oui, cela a été un travail d’équipe. Je me souviens qu’un correspondant de RFI était venu me voir et avait abordé le sujet de la somme qu’avait proposée la BCEAO et autres. Mais je lui ai également souligné que l’arrestation de Sia Popo Prosper était un boulot d’équipe.

Pourquoi êtes-vous seulement deux à avoir été décorés, alors qu’il s’agit d’un travail d’une équipe de trois personnes ?

C’est difficile pour moi de donner une réponse. Mais je me rappelle que c’était en 2003 qu’a eu lieu la décoration. Les responsables de la police avaient été interpelés à l’Assemblée nationale. On leur a demandé ce qu’ils avaient fait pour les policiers qui ont arrêté Sia Popo Prosper. C’est ainsi que les parlementaires ont exigé que nous soyons décorés.

« Mme Sanon devait être décorée à l’époque. Même le jeune qui était avec moi ne méritait pas la décoration, mais cela a été fait à titre exceptionnel », laisse entendre le chef de la brigade de recherche à l’époque, Enoch Shorgo.

Donc après que j’ai reçu cette information, des formulaires à remplir pour la décoration nous sont parvenues. Cependant, lorsque la liste a paru, j’ai constaté l’absence du nom de Mme Sanon. J’ai cherché à comprendre à l’époque sans trouver de réponses.

Sinon à cette période-là, Mme Sanon devait être décorée. Même le jeune qui était avec moi ne méritait pas la décoration, mais cela a été fait à titre exceptionnel parce qu’il ne remplissait pas toutes les conditions. Puisque pour être décoré, il faut avoir au moins quinze ans de service.

Auprès de qui avez-vous cherché à comprendre pourquoi Mme Sanon ne figurait pas sur la liste des policiers à décorer ?

Ni Mme Sanon, ni le commissaire à l’époque qu’elle secondait ne m’a donné de réponses en tant que telles. Ce que j’ai appris, c’est qu’elle avait déjà été décorée. Mais est-ce que cela empêchait qu’elle soit à nouveau décorée ? Je ne sais pas. Et ce qui m’a déçu, c’est que j’ai vu des gens dans la même année qui ont été décorés simultanément de la médaille d’honneur de la police ainsi que de celle de chevalier de l’ordre du mérite.

Quelle est la distinction que vous avez particulièrement reçue ?

J’ai été décoré de la médaille de chevalier de l’ordre du mérite. Sinon cela m’a dérangé de savoir que Mme Sanon n’ait pas été décorée. Alors qu’elle faisait partie de l’équipe.

Le torchon brûlait-il entre Mme Sanon et le commissaire Ambroise Kafando ?

Même si toutefois le torchon brûlait entre eux, je n’ai senti en toute franchise aucun conflit entre le commissaire et Mme Sanon. Car à l’époque, pour ceux qui me connaissent, tout ce qui me préoccupait, c’était mon travail. Pour toutes les missions qui m’étaient confiées, je m’efforçais de satisfaire mon supérieur. Le commissaire Ambroise Kafando était une personne avec qui j’ai beaucoup appris.

Où était le commissaire quand Mme Sanon assurait son intérim ?

Le commissaire était en repos médical au moment où nous avions interpelé Sia Popo Prosper. Habituellement, quand de telles situations surviennent, c’est directement au commissaire que l’on rendait compte. Mais comme il était absent, le point des interventions se faisait à Mme Sanon qui représentait le commissaire.

Lorsque les autorités ivoiriennes sont venues chercher Sia Popo Prosper, certaines criaient-elles « pourquoi est-tu passé par Ouagadougou » ?

Je n’ai pas souvenance de cela. Mais tout ce que je peux dire, c’est que Sia Popo Prosper était confiant. Même pendant l’interrogatoire, il nous a fait savoir qu’il n’était pas seul dans l’affaire et qu’il y avait des gens derrière ce coup. On savait par là qu’il avait des protecteurs.

Propos recueillis par Hamed NANEMA
Lefaso.net

Crédits Photos : Auguste PARÉ


ENCADRE

À l’instar de Sia Popo Prosper, plusieurs trafiquants de drogue on été appréhendés à l’aéroport de Ouagadougou grâce au contrôle documentaire, révèle le commissaire principal de police, Amidou Enoch Shorgo, aujourd’hui directeur de la production à l’Office national d’identification. Selon lui, tous ceux qui sont dans les réseaux de trafic n’hésitent pas à se procurer de faux documents pour pouvoir passer entre les mailles de la police et de la justice.

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