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Mauvaise campagne agricole au Burkina : « La pluviométrie étant la principale cause de notre misère, il faut changer de mode de production », propose Bassiaka Dao

Publié le samedi 26 février 2022 à 22h30min

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Mauvaise campagne agricole au Burkina : « La pluviométrie étant la principale cause de notre misère, il faut changer de mode de production », propose Bassiaka Dao

La situation alimentaire au Burkina Faso 2021-2022 est catastrophique et le point de presse de la Confédération paysanne du Faso (CPF) qui s’est tenue le vendredi 18 février 2022 l’a très bien illustrée. Nous sommes allés à la rencontre du président de la CPF Bassiaka Dao pour en savoir davantage sur la situation et recueillir les solutions pour que le pire ne survienne pas.

Lefaso.net : Quel est le bilan de la campagne agricole pour cette année 2021-2022 au BF ?

Bassiaka Dao : La situation actuelle dans notre pays est critique. Actuellement, 67% des familles ne pourront pas atteindre la période de soudure. Si au moins nous étions à 80% qui pouvaient couvrir leurs besoins, ce ne serait pas si alarmant que ça. Des familles ne pourront pas atteindre la fin du mois de février. Ils ont besoin d’une assistance rapide. Il y a des commerçants qui ont des magasins qui sont pleins, qui font de la rétention et qui attendent la surenchère.

L’urgence aujourd’hui est que les décideurs politiques arrivent à réunir autour de la même table les producteurs, les commerçants et les institutions afin qu’ensemble nous puissions négocier et permettre à l’institution centrale, notamment la SONAGES, de pouvoir entrer en possession d’une certaine quantité de céréales pour approvisionner les magasins à prix social. C’est une question de patriotisme. C’est de la nation qu’il s’agit. C’est pour notre propre bien. C’est pour que nos parents, nos frères, nos sœurs, nos enfants puissent avoir de quoi se nourrir.

C’est pour cela qu’il faut que chacun mette de l’eau dans son vin et que l’Etat intervienne très vite pour racheter les céréales afin d’assister ces personnes vulnérables. Les paysans n’aspirent qu’à trouver leur pitance quotidienne. Ils sont affamés. Ils ne peuvent qu’attendre que quelque chose soit fait par leurs frères ou par les autorités. C’est pourquoi nous demandons que cette solidarité soit d’abord nationale. Il ne faudrait pas que des gens quittent ailleurs pour venir nous aider si nous-mêmes nous pouvons le faire.

La CPF a-t-elle interpellé l’Etat pour qu’on n’en arrive pas là ?

Depuis de longues années, la situation a imposé à la CPF une interpellation de l’Etat afin que nos rendements ne soient pas tributaires de la pluviométrie. Etant dans une zone sahélienne, la pluviométrie est devenue capricieuse. Sur cinq années, nous avons deux années d’abondance, deux très mauvaises et une moyenne. Pour pallier ce déficit, nous avons proposé que l’on procède à la maîtrise des eaux de surface à travers de grandes retenues d’eau.

Aussi que l’on exploite la nappe phréatique à travers des forages agricoles à gros débit. Cela aurait permis pendant les périodes de sécheresse d’irriguer les plantations et de continuer à produire. Malheureusement, nous ne sommes pas écoutés. Un paysan ne peut pas travailler pendant quatre mois et vivre huit mois. La pluviométrie étant la principale cause de notre misère, il faudrait simplement changer de mode de production.

Même si ce processus prenait dix ans, au moins nous aurions de grands barrages qui pourront servir pour la postérité. Comme si cela ne suffisait pas, l’insécurité est venue remettre en cause tout ce qui pouvait être fait pour remonter la pente. Les millions de déplacés qui arrivaient à obtenir leur pitance à travers l’agriculture n’ont pas pu produire. Ils n’ont plus de cheptel. Ils sont des laissés au compte de l’Etat, des associations de bienfaisance et des particuliers qui leur apportent de quoi survivre.

La hausse des prix des denrées alimentaires constatée en ce moment est-elle justifiée ?

Cette année, les prix des intrants agricoles ont doublé. Le sac de 50 kg d’engrais que l’on achetait à 15 000 FCFA est passé à 25 000 ou 30 000 FCFA dans certaines provinces. Cela est justifié par plusieurs facteurs parmi lesquels on peut citer le covid. Les pays producteurs des matières premières se sont recroquevillés sur eux-mêmes. Leurs capacités de production ont faibli.

Du coup, pour rentabiliser et éviter la faillite, ils surenchérissent les prix et les répercussions tombent automatiquement sur le consommateur, surtout quand il n’y a pas un mécanisme de régulation des prix. C’est ce qui fait aujourd’hui que les céréales sont devenues chères. Ceux qui produisaient par exemple du maïs n’ont pas eu d’engrais. Au bout d’un mois, ils ont arraché les épis pour planter du sésame. C’est tout cela qui explique la vie chère aujourd’hui. Il faut que l’on songe à valoriser les zones de production.

Certains disent que les ressources se font de plus en plus rares et que la population va croissante. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

Les ressources naturelles se font de plus en plus rares certes, mais le vrai problème se pose au niveau de leur gestion. Quand on prend la politique de sécurisation foncière en milieu rural où l’Etat a sa part, les collectivités ont leur part et le reste revient au privé. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Avec l’avènement de la promotion immobilière, l’agriculture péri-urbaine est détruite autour des grandes villes et des villages. Il y a des zones d’habitation conçues spécialement pour habiter. Il y a des zones de production, là où il faut seulement produire pour l’alimentation. Il y a aussi des zones de conservation pour que certaines espèces ne se perdent pas dans la nature.

Mais aujourd’hui, on a tout bradé au nez et à la barbe des décideurs politiques. Si les ressources se font de plus en plus rares, c’est parce qu’ils ont élaboré des politiques qu’ils ont eux-mêmes foulées aux pieds par la suite. On détruit toutes ces zones de production pour y couler du béton et cela se fait très souvent avec la bénédiction des décideurs politiques. La population ne constitue en aucun cas un problème. La preuve, Ouagadougou est deux fois plus grand que Paris, mais Paris est plus peuplé que Ouagadougou. Se plaignent-ils pour autant de faim comme au Burkina Faso ? C’est cela qu’il faut voir. Le rôle de l’Etat est de pouvoir nourrir son peuple avec sa propre production.

Que fait la CPF pour remonter la pente ?

Depuis la création de la CPF en novembre 2002, ce que nous faisons principalement ce sont les plaidoyers et les lobbyings pour attirer l’attention des décideurs politiques sur le réel vécu des paysans. L’élaboration de la politique de sécurisation foncière est un plaidoyer qui a été mené par la CPF. Malheureusement, certains disent aux paysans que l’Etat leur a donné des terres et qu’ils peuvent en faire ce qu’ils veulent.

Nous accompagnons aussi les paysans dans la professionnalisation, qu’ils soient agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, arboriculteurs ou chasseurs, l’objectif étant que chacun puisse maîtriser et vivre de son métier. Troisièmement, nous agissons pour le renforcement des capacités de tous nos membres pour permettre aux acteurs du milieu paysan de connaître leurs rôles, leurs droits et leurs devoirs. Nous avons travaillé à créer la centrale d’achat d’équipements agricoles et des intrants pour faire de la mécanisation le levier de notre développement.

La CPF se bat jour et nuit pour que la voix du paysan soit entendue dans les cadres de concertation que ce soit à l’échelle communale, provinciale, régionale, nationale, etc. Avant, c’était les fonctionnaires qui étaient invités. Le problème c’est qu’ils connaissent l’agriculture mais ils ne savent pas ce que l’agriculteur vit au quotidien dans la pratique. Aujourd’hui donc, la CPF est une institution qui est reconnue comme interface entre les autorités et les paysans.

Quelle doit être la contribution de l’Etat ?

L’un des aspects les plus importants qu’il faut mettre en œuvre, c’est la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale et halieutique. C’est un cadre de référence qui permet à chaque acteur de travailler dans la cohérence. Il s’agit de mettre en place des stratégies qui vont se retrouver dans une seule et même politique. Cela permettra d’éviter que chaque nouveau dirigeant politique qui arrive ne change pas des donnes déjà enclenchées, mais que nous puissions travailler dans la continuité. Toutefois il est possible que l’on fasse une relecture pour adapter les textes aux réalités.

Mais il ne faut pas que les stratégies apportées par chaque nouveau responsable politique s’écartent de la politique de base. Cela nous permettra dans dix ans de résoudre les problèmes de maîtrise d’eau, d’aliments, de bétail, etc. Deuxièmement, l’Etat doit organiser des cadres de concertations et définir un statut des agriculteurs, dire qui est agriculteur et qui ne l’est pas. Il faut prendre en compte les préoccupations du monde rural et travailler à ce que les filières soient porteuses.

Ici par exemple, un maraîcher qui cultive sur une superficie de 0,5 ha est plus compétitif qu’un agriculteur qui travaille sur 5 ha de coton parce que tous les jours il propose quelque chose sur le marché et est permanemment aux abords des grandes agglomérations. Il faut scinder les choses et ne pas tous les mettre dans un même sac, cela pour dire qu’ils ne sont pas tous agriculteurs. Notre agriculture doit être repensée. Il ne suffit pas de recueillir les avis d’une personne qui cultive sur 100 mètres carrés ou d’une brave dame qui a une seule chèvre pour dire que l’on a pris en compte les doléances des paysans.

Ce n’est pas cela l’agriculture ou l’élevage. Il faut plutôt structurer les activités et ne pas les confondre. Troisièmement, il faut que l’Etat travaille à subventionner l’achat des engrais pour permettre aux agriculteurs de pouvoir mener leurs activités sereinement. Avec l’avènement de la Banque agricole du Faso, nous pensions que l’accès au financement serait un peu plus souple, mais aujourd’hui c’est la croix et la bannière.

Un autre point concerne l’accès au marché. L’Etat doit contractualiser à travers la SONAGES avec des organisations professionnelles sur les céréales afin d’obtenir des quantités bien précises et bien définies. Ainsi, chaque organisation produit selon ce qui lui est commandé. Ce peut être du coton, de l’arachide, du sésame, du mais, du petit mil, du sorgho, etc. Cela permet à tous ces secteurs de se développer et de contribuer à nourrir la population.

On évite ainsi qu’à la dernière minute, on se retrouve à courir derrière nos braves mamans qui n’ont recueilli que le minimum vital et qui, souvent, vont le vendre pour obtenir quelque chose d’infime. En travaillant avec les organisations, l’Etat est sûr que peu importe la densité de la saison, il aura au minimum telle quantité de céréales. L’Etat doit travailler à responsabiliser les acteurs et à les accompagner, tout en distinguant les organisations à caractère coopératif des associations. L’une est en effet professionnelle et l’autre non.

Ce que l’on peut faire, c’est d’accompagner les associations. Il ne faut surtout pas les mettre sur un pied d’égalité avec les organisations professionnelles parce que ce n’est pas du tout pareil. Tandis que l’un produit juste pour un besoin familial, l’autre produit pour toute la ville, voire tout le pays. Il ne faut pas oublier de travailler permanemment au renforcement des capacités de tout un chacun dans son domaine d’intervention car chaque jour il y en a qui arrivent dans le milieu et il y en a aussi qui le quittent.

Propos recueillis par Erwan Compaoré (stagiaire )
Lefaso.net

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