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5e anniversaire de l’insurrection populaire : « Blaise Compaoré est parti, mais nos préoccupations ne sont toujours pas réglées », Ousmane Paré

LEFASO.NET | Par LEFASO.NET

Publié le mardi 29 octobre 2019 à 23h41min

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5e anniversaire de l’insurrection populaire : « Blaise Compaoré est parti, mais nos préoccupations ne sont toujours pas réglées », Ousmane Paré

Militant de la libre pensée et de la liberté d’expression, Ousmane Paré, journaliste, rédacteur en chef à radio Oméga, a, lors des événements des 30 et 31 octobre 2014, usé de son micro pour informer les auditeurs de cette radio sur les différents événements qui se déroulaient. Lefaso.net l’a rencontré pour savoir, 5 ans après l’insurrection, quel regard il jette sur cette lutte ?

Lefaso.net : Lors des événements des 30 et 31 octobre 2014, quel a été véritablement votre rôle ?

Ousmane Paré : Je pense que mon rôle s’est véritablement résumé à celui de journaliste. Avant l’insurrection, je participais en tant que journaliste à des émissions-débats sur plusieurs médias. Il y avait des émissions qui étaient animées sur la radio Femina FM, la radio Oméga FM, donc je participais à des débats et c’était une période où les positions étaient tranchées « pour ou contre l’article 37 », « pour ou contre le référendum ».

C’est un peu ce qui m’a conduit les 30 et 31 octobre, d’abord à commenter les différentes activités, à commenter les différentes manifestations et ensuite à me retrouver sur le plateau de la radio Oméga pour faire vivre aux auditeurs les événements qui vont se succéder. Pendant les événements d’octobre 2014, j’étais enseignant de profession, mais j’intervenais sur certaines radios pour analyser les sujets d’actualités. Donc c’est ainsi, que je me suis retrouvé essentiellement pour commenter ce qui se passait, pour dire ce que nous pensions à l’occasion du déroulement des différentes manifestations, des différents événements et surtout dire aussi ce qu’il fallait faire ou ne pas faire.

Quel regard jetez-vous sur ces événements ?

Le regard aujourd’hui que l’on peut porter, c’est qu’on peut dire que c’est quelque chose qu’on sentait venir. On se dit aussi qu’on aurait pu l’éviter, malheureusement, on n’a pas pu l’éviter ; maintenant à qui la faute ? On peut dire que les responsabilités sont partagées. Mais je pense que la plus grande responsabilité incombait au pouvoir en place à l’époque, parce que, s’il n’y avait pas eu cet entêtement, je pense qu’on n’en serait pas là aujourd’hui. Parce que d’une manière ou d’une autre, tout le monde regrette un peu ce qui s’est passé. Il y a eu des pertes énormes, d’abord en vies humaines.

Il y a des gens qui ont perdu leur emploi et jusqu’à présent qui peinent à en trouver, des gens qui sont marqués à vie en raison des différentes blessures et les conséquences, on peut les multiplier ou les citer… C’est vraiment dommage. Ceux qui étaient au pouvoir ne sont plus au pouvoir, ils ont perdu beaucoup de choses, ceux qui les ont chassés aujourd’hui ont eu des morts ou des blessés. C’est un peu ce regard mitigé qu’on peut porter sur ces évènements.

En même temps, il y a cette satisfaction, parce que ça permis aussi de faire comprendre aux politiques qu’il y a des limites à tout et qu’à tout moment les populations peuvent mettre fin à leur pourvoir. Je pense que c’est cela aussi le plus important, que ceux qui viennent au pouvoir après se disent tout simplement : il y a toujours des limites. L’autre aspect aussi, c’est la limitation des mandats présidentiels. C’est un pas considérable pour ce qui concerne la limitation des mandats, c’est un ancrage démocratique au profit de notre pays.

Vous qui avez été un des acteurs de ces événements des 30 et 31 octobre, comment jugez-vous les fruits de cette insurrection ?

C’est là toute l’inquiétude, toute l’interrogation aujourd’hui. Il y a eu des morts, des blessés, beaucoup de pertes, Blaise Compaoré n’est plus au pouvoir et je pense qu’aujourd’hui pour la plupart des acteurs dont moi, on reste un peu sur notre soif. Parce que les gens ont chassé Blaise Compaoré, d’abord pour l’ancrage de la démocratie, mais aussi pour qu’il y ait une amélioration substantielle des conditions de vie.

Aujourd’hui, le bilan qu’on peut faire d’abord pour les questions de démocratie, les acteurs syndicaux se plaignent des libertés syndicales. Parce qu’il y a de plus en plus un certain nombre de restrictions concernant ces libertés. En tant que journaliste vous avez constaté ces restrictions au niveau de la liberté d’expression avec certaines émissions, le traitement de l’information lié aux attaques terroristes.

A ce niveau, on ne peut pas dire qu’on est tout à fait satisfait. L’autre élément, ce sont les conditions de vie des populations. Les revendications notamment pour les questions de parcelles ont eu un impact considérable sur la chute de Blaise Compaoré et présentement les mêmes problèmes demeurent. Les gens voulaient rêver, parce que l’insurrection a fait rêver les gens. Ils se sont dit, si on a pu faire partir Blaise Compaoré, c’est qu’on peut faire aussi beaucoup choses.

Malheureusement, les gens se sont vite rendu compte que ça s’arrêtait là. Il n’y a pas eu un autre changement, la paupérisation ne fait que prendre de l’ampleur, les gens ont faim.

Sur les questions des libertés et au regard de toutes les manifestions qui se tiennent aujourd’hui, on se pose la question de savoir si ceux qui sont aux commandes sont capables effectivement de diriger le Burkina. Les attaques terroristes sont un sujet d’actualité quotidienne, même si le pouvoir actuel nous dit ou nous fait comprendre qu’il n’est pas responsable. Mais ce qu’on veut, c’’est simplement des réponses et ce sont ces réponses justement qu’on n’a pas. Mais en même temps, c’est de se poser les bonnes questions sur notre responsabilité en tant que citoyen ; est-ce qu’il suffisait de faire partir Blaise et se croiser les doigts ou bien d’autres actions devaient suivre.

On a vu les erreurs qu’on a multipliées sous la transition, on n’a pas su se poser les bonnes questions. Les mêmes erreurs justement se poursuivent avec les luttes syndicales ; est-ce qu’il faut focaliser les luttes sur les intérêts individuels égoïstes corporatistes ou bien il faut se dire qu’à un certain moment, en tant que Burkinabè, il faut se donner la main, essayer d’imposer aux dirigeants une conduite à tenir pour le futur du Burkina. Quelles sont les bases qu’on pose aujourd’hui, quels sont les éléments qu’on doit imposer aux dirigeants pour qu’on puisse avoir une base pour le développement de notre pays ?

Je pense que c’est avec toutes ces questions qu’on se dit, certes Blaise est parti, mais nos préoccupations ne sont toujours pas réglées. C’est vrai qu’on dira que ce n’est pas du jour au lendemain qu’on change les choses, mais du jour au lendemain on peut au moins construire les bases d’un développement harmonieux. On l’a vu ailleurs et nous aussi on peut le faire. Les dirigeants ont cette responsabilité, mais nous aussi en tant qu’individu, on a notre part de responsabilité. Nous devons créer les conditions, les bases pour la construction de notre pays.

Est-ce à dire que si c’était à refaire, vous ne seriez pas partant ?

Ce que je dis, c’est qu’on doit encore continuer dans cette insurrection. Mais quel type d’insurrection ? On a fait une insurrection pour résoudre des problèmes, malheureusement les problèmes n’ont pas été totalement résolus. On doit encore faire une insurrection pour résoudre ces problèmes. Maintenant, cette insurrection c’est sous quelle forme ? Une insurrection dans la rue, pas forcément ; parce qu’on a vu que ça ne résout pas les problèmes. Ça peut être dans la manière de faire les choses. On peut créer un cadre pour imposer le rythme à suivre à l’autorité. C’est quelque chose qui est faisable et possible. Ce n’est pas forcément dans la rue.

Si chacun est exigeant avec lui-même en adoptant un code de conduite, en disant par exemple non à la corruption, parce que la corruption avait pris de l’ampleur sous Blaise Compaoré, on aurait gagné un tant soit peu. Aujourd’hui, comment pouvons-nous nous organiser pour lutter contre cette corruption ? C’est une des questions que nous devons nous poser. En ce qui concerne les conditions de vie, la cherté de la vie, sous Blaise Compaoré il y a eu beaucoup de manifestations. Aujourd’hui, quelles réponses exige-t-on des dirigeants ? Pour moi, il n’est pas question qu’on dise qu’on est déçu parce que l’insurrection n’a pas porté ses fruits. Il faut qu’on se dise tout simplement qu’on a franchi une étape et qu’il y a d’autres étapes qui restent à être franchies. Comment on y arrive, c’est à nous de mûrir la réflexion afin de trouver la bonne réponse.


A LIRE AUSSI : 5e anniversaire de l’insurrection populaire : « Nous avons des raisons d’être fiers de l’insurrection populaire », Cendrine Nama


Propos recueillis par Juste Ephrem ZIO

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