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Les héros de l’insurrection populaire (n°12) : Bendi Parfait Gnoula

Publié le samedi 30 mai 2015 à 20h03min

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Les héros de l’insurrection populaire (n°12) : Bendi Parfait Gnoula

Ils étaient deux amis sur le terrain, lui a eu plus de chance que son compagnon. Le cou transpercé par une balle, son compagnon Yempabou Aristide Fabrice Ouoba, 31 ans, rappeur connu sous le nom d’artiste Fab la Faim est mort sur le théâtre des opérations. A quelques centimètres du second. Le second, Bendi Parfait Gnoula, 39 ans, lui s’est tiré avec des blessures au dos. Par balles aussi. Une date pour cette aventure commune qui marquait à jamais leur séparation : jeudi 30 octobre 2014. Fabrice a été enterré au cimetière municipal de Ouagadougou, Parfait reprend timidement son métier qu’il exerce depuis près de quinze ans maintenant : la coiffure. Nous avons rendu visite, Rue 13.59, à cet autre témoin de l’insurrection ayant conduit à la chute du Président Blaise Compaoré. A l’occasion de la Journée d’hommage aux martyrs de l’insurrection populaire ce 30 mai 2015, nous vous proposons ce témoignage d’un des témoins oculaires de la mort d’un martyr.

Lefaso.net : Monsieur Gnoula, où étiez- vous le 30 octobre 2014 ?

Bendi Parfait Gnoula (B.P.G.) : Le 30 matin je suis venu à mon salon, j’ai vu que c’était bizarre, je ne pouvais pas travailler. Donc j’ai été le voir chez lui. Quand je suis parti, c’est moi- même qui l’ai réveillé, et je lui ai demandé ce qu’il pensait de la manifestation du jour. Il m’a répondu que c’est ce jour- là qu’on devait défendre notre honneur, parce qu’il trouvait anormale la volonté du président (Blaise Compaoré, l’ex président, ndlr) de modifier la constitution pour se représenter. Pourquoi interner des députés pour voter une loi ? On n’aime pas ça. On était contre ça, mais on n’a pas de parti. Non ! Notre parti c’est la Justice. Moi je ne suis ni d’un parti politique, ni d’une organisation de la société civile. Je suis du parti de la vérité.

On était sur le terrain. Quand on est sorti, on est arrivé au niveau de Koulouba (quartier de Ouagadougou, ndlr), de là- bas on nous a appris que l’Assemblée (l’Assemblée nationale où devait se tenir le vote du projet de loi modifiant la constitution, ndlr) a pris feu. On était content et on a fait demi- tour on revenait à la maison. Au niveau du mur de l’espace où les gens s’essaient à la conduite (espace avant le canal des 1200 logements, ndlr), on nous a appris que l’Armée est sortie. Chacun a couru pour se trouver une cachette. On a vu les militaires qui descendaient à Boinssé yaar, sans tirer. Après eux, on est ressorti pensant que c’était le seul groupe. C’est quand on est ressorti au niveau du goudron qu’on a vu une deuxième équipe. On s’est donc arrêté pour que le convoi de militaires passe. Le dernier véhicule qui est arrivé à notre niveau a ouvert le feu. Moi j’étais couché à terre et j’entendais la mitrailleuse qui résonnait. A ce moment, j’ai dit à mon gars de rester couché.

Après leur départ, je me suis mis débout et ai vu mon gars toujours couché, mais dans du sang. Pour moi, il s’était percé la tête en voulant se coucher. Mais j’ai bien regardé, ce n’était pas sa tête mais une balle qui avait transpercé son cou. Lui il est mort sur le champ. Il y a eu un attroupement sur son corps et c’est là que des gens m’ont fait savoir que moi aussi je saignais.

Après leur passage, on a dénombré au moins cinq personnes qui ont été touchées ; il y a un petit aussi qui avait le pied cassé, donc il fallait agir urgemment. Il n’y avait ni véhicule de croix rouge, ni véhicule de Sapeurs pompiers pour nous emmener, c’est un particulier de bonne volonté qui nous a emmenés à la croix rouge pour les premiers soins. Après les soins, on m’a donné une ordonnance en me disant que je pouvais rentrer chez moi. Donc je suis revenu en famille, et la famille m’a envoyé faire une radiographie dans une clinique de la place. C’est à l’issue de cette radiographie qu’on m’a fait comprendre que c’est une balle qui m’a blessé le dos. Je suis donc revenu chez moi poursuivre les soins. Et le reste, je l’avais laissé dans les mains de Dieu en attendant.

Lefaso.net : Ça s’est passé où et à quel moment, ce que vous racontez ?

B.P.G. : C’est le 30 même. Quand l’Assemblée a pris feu et qu’on revenait. En revenant de la ville, c’est après le canal à votre gauche, presqu’en face de la pharmacie Saint Lazare.

Lefaso.net : Comment est- ce que vous avez réagi quand vous avez appris que votre ami était décédé ?

B.P.G. : Je n’en revenais pas ! Pas du tout content de sa mort. Il est mort devant moi. Dans l’urgence je n’ai pas eu le temps de le regarder…. (Il coupe son souffle quelques secondes avant de poursuivre)….Je ne suis pas content. Mais du 30 à aujourd’hui, la douleur passée, je peux dire que je suis content parce qu’il aura trouvé la mort pour qu’il y ait un changement dans ce pays.

Lefaso.net : Qu’est- ce qui vous a motivé à vous engager dans cette lutte ?

B.P.G. : Depuis que Blaise est au pouvoir, la jeunesse et même ma vie personnelle ce n’est pas ça. Donc dans l’ensemble je voulais un changement. On voulait un changement radical. Même si on a récolté les pots cassés. Les corps de mon ami et d’autres ont été exposés à la place de la révolution pour montrer à Blaise Compaoré que dans un régime démocratique on ne se tue pas. Pourquoi il y a des morts ? Pourquoi il y a des morts ? Je me demande. Pourquoi ils ont tiré sur nous ? On n’était pas armé, on ne les a pas dérangés. Même si on a manifesté, on n’était pas armé ! Pourquoi ils tirent sur la population ? Je ne comprends pas.

Lefaso.net : Vous avez donc conscience que vous auriez pu périr vous aussi dans cette insurrection ?

B.P.G. : Bien sûr, je suis mort ressuscité. C’est parce que j’ai la main de Dieu sur moi, sinon ce n’est pas ma force. C’est parce que Dieu l’a voulu que je suis là aujourd’hui à témoigner. Sinon je ne sais pas comment je me suis retrouvé à terre ! Je rends grâce à Dieu pour ça. Je le remercie beaucoup…Je le remercie beaucoup.

Lefaso.net : Si les choses étaient à reprendre est- ce que vous seriez prêts à sortir pour manifester encore ?

B.P.G. : Bien sûr ! Pour le changement je suis prêt. Je combats pour mon pays, je combats pour mon futur.

Lefaso.net : Et pour votre ami, quelque chose a- t- il été entrepris ?

B.P.G. : Je ne sais pas si la famille a entrepris quelque chose mais à mon niveau, j’ai adressé une demande au procureur. J’ai porté plainte contre X pour l’assassinat de Ouoba Fabrice. Pour ça, la Gendarmerie m’a convoqué pour m’entendre et j’attends la suite.

Lefaso.net : Quand est- ce que vous avez entrepris cette démarche ?

B.P.G. : C’était le mois dernier à la Justice.

Lefaso.net : Qu’attendez- vous des nouvelles autorités ?

B.P.G. : A ces autorités, j’aimerais dire qu’il y a eu des martyrs dans cette lutte. Certains sont morts malheureusement, mais on ne doit pas oublier qu’il y a des blessés qui ont besoin d’être soutenus. Et mon mot de fin, que les âmes de toutes ces personnes décédées reposent en paix. Que la terre leur soit légère.

Propos recueillis par Samuel Somda et Cyriaque Paré
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