5e anniversaire de l’insurrection populaire : « Je ne vois pas en quoi j’ai failli », Me Bénéwendé Sankara
LEFASO.NET | Par LEFASO.NET
Il a été l’un des acteurs-clés de l’insurrection populaire de 2014. Il fut aussi un opposant farouche au putsch contre les institutions de la Transition. Bénéwendé Stanislas Sankara, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est le président de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste (UNIR/PS), avocat à la cour et 1er vice-président de l’Assemblée nationale. Au micro de Lefaso.net, il a accepté de revenir sur les contours et les acquis de l’insurrection populaire, cinq ans après.
Lefaso.net : Après l’insurrection de 2014, quand vous jetez un regard en arrière, quelle lecture en faites-vous aujourd’hui ?
Me Bénéwendé Sankara : Comme je le dis toujours, une insurrection ne se décrète pas du tout ; c’est le point culminant d’un amorcement d’amertume, d’injustice et de sentiments de négation. C’est tout cet ensemble de frustrations qui crée en l’homme, et individuellement chez les citoyens, une révolte interne, intérieure, qui se transforme en une révolte collective. A un moment donné, si vous n’apportez pas une solution aux problèmes de la société, il y a la révolte sociale comme réaction à ce que cette société, dans son ensemble, dans ses composantes, rejette ; notamment le gouvernant, c’est-à-dire les autorités qui ont la charge de diriger le pouvoir d’Etat. On en a vu sous tous les cieux.
Vous aurez remarqué de façon séquentielle qu’il y a eu plusieurs mouvements sociaux : une crise politique et sociale très importante en 2008, une crise militaire en 2011, et les élections politiques en réalité n’ont pas pu apporter des réponses aux revendications, aux aspirations des populations. Et la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand il y a eu cette tentative de modification pour maintenir [au pouvoir] le président Blaise Compaoré, malgré la contestation.
Et la conséquence fut donc l’insurrection populaire généralisée. Vous avez remarqué que ce n’était pas une insurrection comme on a vu en 2011 avec la mutinerie chez les militaires, en 2008 avec la lutte sociale sur le train de vie qui était devenu trop cher. Ici, c’était une insurrection pour dire non à la modification de l’article 37 de la Constitution. Il y avait une raison, une cause pour cette insurrection.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que 60% de ceux qui sont sortis pour l’insurrection avaient d’autres mobiles, parmi lesquels le règlement de comptes politiques ? Aujourd’hui, quand vous prenez du recul, qu’est-ce que vous en dites ?
Je pense que c’est une analyse, de mon point de vue, qui est très fausse. Elle n’est pas exacte, elle n’est pas du tout juste. On se tromperait en arguant qu’il y avait des règlements de comptes dans l’insurrection. Depuis 2011, il y avait des tentatives à travers la création d’un ministère d’Etat piloté par le Dr Arsène Bognessan Yé, qui avait créé le CCRP [ndlr : Conseil consultatif sur les réformes politiques]. Vous avez, depuis cette date, une tentative du pouvoir de Blaise Compaoré de passer à la manœuvre, à la manipulation en vue de faire un forcing pour modifier la Constitution, notamment l’article 37.
Si vous avez suivi notre histoire, moi en tant que chef de file de l’opposition politique, j’avais rejeté avec fracas le CCRP et toute cette manipulation-là. La conséquence a été que la lutte politique s’est exacerbée, malgré les élections de 2012 qui ont été des élections acceptables avec l’émergence d’autres forces politiques. On a eu, pour la première fois, une carte d’électeur infalsifiable que la classe politique a applaudie. Ce qu’on n’a jamais vu, c’était la prise en charge des délégués des partis politiques dans les bureaux de vote. Tout cela n’a pas empêché la crise politique au sein du parti politique majoritaire qui était le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Et c’est cette crise qui a engendré la division au sein de ce parti, aboutissant à la naissance du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), qui s’est affiché comme un parti politique de l’opposition.
Ce courant qui a fragilisé le CDP est venu soutenir une plateforme revendicative d’une opposition unie, organisée et qui avait comme revendication de taille la non-modification de l’article 37, non au référendum, non au Sénat. Il était suicidaire pour le pouvoir de faire un forcing ; malheureusement, c’est ce qui est arrivé avec ce fameux conseil des ministres qui a décidé d’envoyer un projet de loi modificative de la constitution à l’Assemblée nationale. C’était en tout cas le détonateur, la décision qui a déclenché l’insurrection populaire.
Seriez-vous encore prêt à participer à une insurrection populaire ?
Jamais ! Je ne suis plus dans la logique de faire une insurrection. Je suis maintenant dans la logique de construire une démocratie véritable pour ce pays, pour notre peuple. Je crois qu’en 2014, c’est ce que je fais, c’est ce que le parti auquel j’appartiens, à savoir l’UNIR/PS, a fait et a toujours fait depuis 2000. Bientôt 20 ans que le parti existe ; nous allons toujours travailler dans la vision de construire les fondamentaux d’une démocratie vivable avec des institutions pérennes et très fortes.
Pensez-vous avoir bâti des institutions fortes pour une démocratie forte au Burkina Faso ?
Pas du tout. Ça ne se fait pas en un seul jour ; c’est une construction permanente. Il faut plutôt travailler, après l’insurrection populaire qu’on a connue les 30 et 31 octobre 2014, à poser les fondements solides d’une vraie démocratie dans ce pays. Et je pense que le président Roch Marc Christian Kaboré est sur cette voie.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que l’insurrection a été un mal pour les Burkinabè ?
Non, il ne faut pas confondre les choses. L’insurrection est la résultante d’une frustration. Une insurrection intervient quand on est pratiquement déçu d’une attitude donnée ; c’est une réaction équivalente. C’est ça qui a abouti à cette insurrection des 30 et 31 octobre. Il y avait un comportement collégial pour dire « non ». Après ça, il y a eu une transition en 2015, laquelle transition avait pour rôle essentiel, fondamental, de faire en sorte que les Burkinabè renouent avec leur histoire à travers des élections démocratiques.
Je crois que le monde entier a salué les élections qui ont eu lieu au Burkina Faso en 2015. Et le président Roch Marc Christian Kaboré a été élu sur la base d’un programme. Cinq plus tard, il va certainement faire le bilan du pouvoir d’Etat. D’ailleurs, depuis les indépendances, dans l’histoire de notre pays, il y a eu beaucoup de soubresauts ; c’était en dents de scie avec des Etats d’exception que nous avons connus jusqu’à une insurrection. Cela doit enrichir notre démocratie. C’est pourquoi je parlais tantôt des fondements d’une démocratie véritable pour la postérité.
En cinq ans de mandat, ce qu’on constate, c’est qu’il y a une amorce de l’ancrage institutionnel. Il y a une amorce institutionnaliste, pluraliste, inclusive ; une amorce de cette liberté à laquelle les Burkinabè aspiraient. Il faut travailler à consolider cela, parce que la démocratie, quand elle s’exerce, quand elle s’assume, elle devient le tremplin du progrès économique et social. Le bémol est que cela est intervenu dans un contexte de terrorisme auquel le Burkina Faso fait face.
Est-ce qu’il y a eu des choses que vous auriez dû faire mais que vous n’avez pas faites, pendant et au sortir de l’insurrection ?
Moi, je ne vois pas en quoi j’ai failli. Une insurrection n’est pas un mouvement organisé, planifié et exécuté. Une insurrection, comme son nom l’indique, est un soulèvement dans l’énervement. Le président ayant fui, il n’y avait plus d’institutions. Le peuple s’est assumé en mettant en place une charte de la Transition et, cela, sous le contrôle de la communauté internationale.
Et je profite dire à ceux-là qui pensent que la Transition n’avait aucun fondement juridique, qu’ils se trompent, parce que cette charte a été reconnue par les Nations unies, la CEDEAO, en tant qu’instrument juridique fondamental. C’est pourquoi d’ailleurs les élections ont été suivies par la communauté internationale. La ligne conductrice a été purement et simplement de renouer avec l’Etat de droit et de permettre, dans un temps bien limité, à ce que les organes de cette Transition permettent la dévolution du pouvoir du peuple à des autorités légitimes.
Pensez-vous qu’il y a une corrélation entre l’insurrection et la crise sécuritaire au Burkina ?
Une corrélation entre l’insurrection et les questions sécuritaires ? Moi, je ne vois pas de relation directe. Tout le monde pointe du doigt certaines accointances de l’ancien président Blaise Compaoré avec certains chefs rebelles comme le groupe AQMI et bien d’autres groupes qui se pavanaient à Ouagadougou et y tenaient même des réunions. Est-ce que ces gens-là, au regard de ce que nous lisons aussi dans la presse, ne se retrouveraient pas quelque part et voudraient venger leur mentor pour une raison ou pour une autre ?
Dans tous les cas, c’est une hypothèse. Mais je ne dis pas de façon formelle que c’est la raison. Toujours est-il que les attaques auxquelles le Burkina fait face, sont de deux natures. Les premières attaques ont été revendiquées par des groupes islamistes qu’on connaît et qui existent toujours. Même tout dernièrement, l’attaque qui a eu lieu dans le camp de Koutougou, semble-t-il, a été revendiquée. Donc, quand c’est revendiqué, on a quelque part le visage de l’ennemi. Mais quand ce n’est pas revendiqué, toutes les hypothèses sont permises. Donc, je ne dis pas que l’insurrection a forcément un lien avec cette situation.
Comment rassurer certains Burkinabè qui trouvent qu’au temps de Blaise Compaoré, il y avait plus de sécurité ?
Il ne faut pas confondre la sécurité et la dictature. Souvent on se tait parce qu’il y a de la dictature. La sécurité sans la liberté n’est pas de la sécurité. Maintenant, vous parlez des attaques ; c’est ce qui amène à spéculer sur le compte de Blaise Compaoré. On dit sous son règne, il n’y avait pas d’attaque. Posons-nous la question, pourquoi il n’y avait pas d’attaque ? C’est parce qu’il composait avec l’ennemi d’aujourd’hui.
Allez-y visiter certaines déclarations de l’UNIR/PS dans les années 2002 à 2005, quand nous avons prévenu que si le Burkina Faso abrite, comme on a vu pour la Côte d’Ivoire, des rebelles et des djihadistes, qu’on ne soit pas étonné un jour de menace. Nous l’avons affirmé en son temps. Et nous avons chaque fois déploré et regretté que le président Blaise Compaoré abrite ces gens sur le sol du Burkina Faso. Pour la Côte d’Ivoire, vous connaissez la suite. Si des terroristes sont entretenus, blanchis et nourris dans un pays sous le contrôle d’un chef d’Etat, et un jour qui fuit ; dites-moi, qu’est ce qui reste ? Vous croyez que ces terroristes, qui sont sans foi ni morale, ne vont pas vous attaquer ? Certainement oui, parce que vous vous êtes attaqués à leur protecteur. Ils n’ont rien à perdre, ils vont vous attaquer, rien que pour vous faire du mal.
Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui étaient avec Blaise Compaoré à l’époque où ces terroristes séjournaient ici !
Je suis d’accord avec vous, mais ils ont changé. Blaise [Compaoré] aurait dû changer avant qu’il ne soit tard aussi. C’est vraiment ça la différence. Ils ont changé. Comme le dit l’artiste musicien ivoirien Alpha Blondy, « seuls les imbéciles ne changent pas ».
Vous savez, la politique d’un parti politique peut changer. Vous pouvez changer de façon radicale votre façon de voir les choses. Aujourd’hui, le président Kaboré a affirmé urbi et orbi qu’il ne peut pas négocier avec des terroristes, parce qu’il a choisi le camp de la démocratie et les principes de la démocratie qui sont universels. Moi, en tant qu’UNIR/PS et sankariste, je le soutiens dans cette position.
Aujourd’hui, il n’est pas question de négocier avec un criminel. Négocier avec un terroriste pour obtenir quoi ? Pour que notre liberté soit aliénée ? Pour que notre dignité soit bafouée ? C’est justement contre ça (cette déshumanisation) que le président a dit : nous mènerons une guerre. C’est ça être un homme d’Etat ! Un homme courageux et de principes. C’est une guerre que le Burkina Faso a déclarée contre le terrorisme. Et moi, je suis convaincu que la démocratie triomphera et le terrorisme va mourir.
Pensez-vous que le président Kaboré, qui s’était opposé au coup d’Etat, peut garantir une justice équitable ?
Le président Roch Marc Christian Kaboré a tout fait pour garantir au système judiciaire, au pouvoir judiciaire, son indépendance et son autonomie. Il n’est plus le président du Conseil supérieur de la magistrature. Il n’intervient même pas ; même le ministre de la Justice n’intervient pas dans les affaires judiciaires.
Le président a souscrit au pacte national sur le renouveau de la justice, qui est en cours d’opérationnalisation. Les magistrats sont désormais libres, indépendants de mener la justice comme ils l’entendent ; seulement en suivant la règle de droit. Même si constitutionnellement, le président Roch Kaboré reste le garant moral de la justice. En fait, la justice est un service qui, désormais, appartient aux seuls magistrats. Mon sentiment, c’est que dans une démocratie comme celle du Burkina Faso, il n’aurait pas été judicieusement pensé d’enlever tous ses pouvoirs au chef de l’Etat.
De 2014 à 2019, quel bilan dressez-vous du combat politique que vous avez mené ?
On a été détourné du combat pour lequel on s’était engagé depuis 2014, pour maintenant mettre nos énergies pour lutter contre le terrorisme. Cela s’est fait au détriment des chantiers de développement. C’est un coup sérieux que le pays a reçu à ce niveau. Qu’à cela ne tienne, les économistes disent que le Burkina a connu une croissance.
Imaginez s’il n’y avait pas ces attaques, le saut qualitatif qu’on allait faire dans le développement économique et social dans ce pays. Donc, la volonté politique de construire ce pays existe, avec tout le monde. La tenue du dialogue politique est l’expression de cette volonté. C’est pour dire que le président Kaboré a un bilan très appréciable. Il demande seulement aux Burkinabè de la sérénité dans l’union sacrée pour qu’ensemble, nous puissions emprunter le même chemin de développement.
Le président pourrait-il envisager la libération des personnes condamnées dans le cadre du procès du putsch, dans une volonté de réconciliation nationale ?
Dans le cadre du procès, c’est un jugement. Le chef de l’Etat ne peut pas intervenir. Peut-être une possibilité de grâce présidentielle, qui est une prérogative constitutionnelle reconnue au président.
Cinq ans après, certains jeunes sont déçus des acquis de l’insurrection. Que leur répondez-vous ?
Il manque à certains jeunes la formation politique, la maturité nécessaire pour montrer qu’ils n’étaient pas sortis pour quelqu’un, mais plutôt pour eux-mêmes. Ces jeunes sont sortis pour le pays ; ce n’était pas pour servir quelqu’un. Mais une chose est claire, travaillons à éviter une insurrection dans ce pays. J’ai souvent dit que la France, ça fera bientôt trois siècles qu’elle a connu une révolution. Aujourd’hui, elle se fait citer parmi les pays qui clament qu’ils sont des pays de démocratie, de liberté.
Le Burkina Faso, depuis l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, a aussi emprunté la voie d’une démocratie. La construction va se faire avec des bas et des hauts, mais nous allons y arriver. Nous disons à ces jeunes de se former, de participer de façon citoyenne à l’œuvre de construction d’un Burkina Faso meilleur.
Interview réalisée par Edouard K. Samboé
Serge Ika Ki (stagiaire)
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