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Insurrection populaire de 2014 : « Si c’était à refaire, je le referais », Nassourou Guiro

Publié le jeudi 31 octobre 2019 à 09h29min

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Insurrection populaire de 2014 : « Si c’était à refaire, je le referais », Nassourou Guiro

Ancien militant de l’UNIR/PS, aujourd’hui chargé de communication du Mouvement plus rien ne sera comme avant (MPRESCA) et acteur de la société civile, Nassourou Guiro se remémore, cinq ans après, ces moments historiques dont il fut un des acteurs. A l’occasion du 5e anniversaire de l’insurrection populaire, Lefaso.net est allé à sa rencontre. Il évoque ses souvenirs de ces moments historiques.

Lefaso.net : Cinq ans après l’insurrection populaire, quel regard jetez-vous sur les évènements des 30 et 31 octobre 2014 ?

Nassourou Guiro : Cinq ans après je ne regrette pas l’insurrection populaire. Si c’est à recommencer, je suis prêt à le refaire parce qu’elle permettra à la démocratie d’avancer et de donner la chance à tous les Burkinabè un jour d’être président. C’est pour cela que nous sommes sortis les 30 et 31 octobre 2014 pour dire au président Blaise Compaoré que le pays ne lui appartient pas, mais il appartient à tous les Burkinabè. Son départ était vraiment un acte salutaire, louable et très normal.

Nous savons que ce qui est en train d’arriver actuellement au Burkina Faso, ce sont les conséquences de la gestion de 27 ans de pouvoir qui nous ont conduits dans toutes ces erreurs. Mais ce qui est sûr, c’était un secret de polichinelle pour les Burkinabè qu’après le départ de Blaise, il y aurait une situation difficile pour le Burkina et nous reconnaissons ça. De fait, nous sommes face à la situation présente parce que nous sommes des hommes.

Nous sommes sur cette terre pour faire notre boulot et repartir rendre compte. Et nous devons réaliser quelque chose de bon pour ce peuple. Aujourd’hui, moi particulièrement, je ne regrette pas cette insurrection populaire.

Quand vous faites un comeback sur ce qui s’est passé et ce que le pays est aujourd’hui, est-ce qu’on peut établir un lien de cause à effet ?

On peut bien établir un lien. Vous savez, un pays, on ne le gère pas avec des gens qu’on ne connaît pas. L’ancien président a géré le pays avec des groupes de bandits (vous m’excusez), des gens qui attaquaient d’autres pays et revenaient dormir tranquillement. Des gens qui assassinaient des personnes dans des pays voisins et revenaient au Burkina chez leur mentor ; donc actuellement nous sommes en train de rendre la monnaie.

Demandez à un bon nombre d’Ivoiriens aujourd’hui ; ils vont te dire que ce qui est en train d’arriver aux Burkinabè, ce sont eux qui ont cherché. Beaucoup le disent en Côte d’Ivoire ; tu pars au Libéria, on dit pareil ; que c’est la monnaie de leur pièce qu’on est en train de leur rendre. Donc c’est à nous maintenant de chercher à comprendre comment nous allons faire pour trouver les solutions face à cette crise que vit actuellement le pays.

Je pense que nous avons les hommes capables de faire sortir le pays de cette situation. Ces hommes, c’est le peuple. Le peuple doit être soudé et comprendre que le pays lui appartient, et jouer son rôle. Il faut dénoncer tous ceux qui sont en train d’assassiner ce peuple, créer des Institutions communautaires de renseignement (ICR) comme ce que nous avons créé à Kongoussi. C’est ce que nous demandons à l’Etat de faire pour que les informations puissent circuler jusqu’au haut niveau et également permettre à la population de se défendre. Mais sachez que tous les grands pays ont tous traversé des crises et je pense que le Burkina Faso pourra faire quelque chose dans les jours à venir.

Vous qui avez été un des acteurs de cette insurrection, quel rôle avez-vous exactement joué lors des évènements ?

Lors de ces évènements, je ne peux pas tout détailler mais voici un peu ce que je peux dire. Si je prends bien avant les 30 et 31 octobre, j’étais quelqu’un qui s’est opposé catégoriquement au président Blaise Compaoré.

Opposé comment ? expliquez-vous plus à nos lecteurs.

Opposer à Blaise, parce qu’il a tué simplement le président Thomas Sankara qui était un Burkinabè intègre et qui a mis le Burkina sur les rails de sorte qu’on sentait comme un pays en progression partout dans le monde. Depuis son assassinat, moi je n’étais plus d’accord avec le président Blaise Compaoré et j’ai donc joué mon rôle aux côtés de l’UNIR/PS, le parti de Me (Bénéwendé) Sankara.

Quel rôle avez-vous joué exactement ?

En 2011, nous sommes sortis dire à Blaise de dégager et j’étais avec Me Sankara et les gens n’ont pas écouté. Les 30 et 31 octobre 2014, j’étais encore sur le terrain. En ce temps, je n’étais pas de la société civile mais j’étais sur le terrain en tant qu’élément de l’UNIR/PS. Le 30 octobre à 4h du matin, j’ai trouvé des gens sur les rails, là où on a construit l’échangeur du Nord, qui avaient bloqué la voie et qui rackettaient les gens.

Quand je suis arrivé, je leur ai dit que ce n’est pas notre rôle de racketter les gens.
Nous avons demandé à la population de sortir et d’aller à l’Assemblée nationale pour assister au vote. Et il fallait laisser les gens aller assister au vote librement. Ainsi, il n’allait pas y avoir tous ces dégâts. Mais quand vous vous opposez à ce que les gens assistent à un vote, alors que la Constitution garantit ce droit aux Burkinabè, c’est de la force. C’est ce qu’on nous a fait avec ces milices et en bon Burkinabè intègre, nous avons dit non. Et voilà pourquoi nous avons dit non les 30 et 31 octobre.

Quelle stratégie avez-vous mise en place ce jour-là ?

Je ne vais rien vous cacher : nous n’avons rien mis en place. Mais nous avons pris une décision ferme et le destin en main puisque ce jour, après avoir levé des barrières au niveau des rails à Tampouy, j’ai continué à l’Assemblée nationale et quand je suis arrivé au rond-point du 2-Octobre, la gendarmerie m’a arrêté pour me signifier qu’actuellement, on ne peut pas aller à l’Assemblée. J’ai insisté mais le gendarme ne m’a pas dit mot. Avec ce silence j’ai fait le tour pour passer vers le Camp fonctionnaire. A ma grande surprise, j’ai trouvé un char garé. C’est là que j’ai dit au conducteur de l’engin que moi-même je peux conduire ce char pour aller à Kossyam aujourd’hui et le conducteur n’a pas réagi. Puis j’ai continué et quand je suis arrivé au niveau de Photo Luxe, vers le commissariat central. C’est là j’ai pris les deux voies pour partir vers le rond-point des Nations unies.

C’est vers le ministère des Transports qu’on m’a arrêté. J’ai signifié aux policiers que je partais à l’Assemblée nationale ; ils ont dit non et m’ont ordonné de m’arrêter. Et leur chef qui dormait dans une voiture s’est réveillé. Il a demandé ce qu’il y avait. J’ai dit que je partais à l’Assemblée. Le chef me demande si c’est tout seul que je veux aller à l’Assemblée. Et j’ai dit oui.

Le policier s’est arrêté pour me regarder longuement avant de dire : « mon ami, tu es seul mais si on te laisse, devant-là tu ne pourras pas arriver ». Puis il a dit à ses collègues de me laisser. L’ordre a été exécuté et j’ai fait le tour de Ouagadougou pour organiser certains camarades aussi qui étaient mobilisés comme moi. Je leur ai dit d’aller en groupe et les gens partaient en groupe, puisqu’ils ne dormaient pas.

Je suis allé prier à la mosquée qui est au secteur 8 de Gounghin à 5h du matin. A la fin de la prière, j’ai dit à l’imam de nous bénir car nous partons pour faire partir le président Blaise Compaoré aujourd’hui. Mais l’imam ne m’a rien dit. D’autres fidèles me qualifiaient de fou. C’est quand je suis ressorti de la mosquée qu’un monsieur m’a poursuivi pour me dire « monsieur, nous vous encourageons et vous avez notre bénédiction ». Mais il n’a pas pu dire ça dans la mosquée.

Ainsi j’ai laissé ma voiture et me suis fait remorquer à moto par un jeune de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) qui m’a amené vers la station Shell qui est au rond-point des Nations Unies, vers 5h.

Comment avez-vous fait pour passer les barrages de la sécurité ?

Il y avait des barrages mais j’avais des stratégies. Je connaissais des voies pour y accéder.

Parlez-nous de votre stratégie pour arriver là-bas à moto.

C’est quand je suis arrivé à la station Shell que El hadj Mousbila Sankara est venu me trouver, de même que Basic Soul du Balai citoyen. Nous étions les trois têtes que les gens connaissaient. En ce moment, le rond-point des Nations unies était déjà encerclé par les Forces de défense et de sécurité. Et c’est là-bas qu’ils ont commencé à nous gazer vers 6h du matin. Ainsi, le jeu commença. Ils nous tiraient et nous remplissions l’eau dans des bidons pour revenir mouiller le gaz, afin de permettre aux autres personnes de passer les barrages pour venir.

Dites-nous quelque chose sur vos stratégies.

La lutte n’est pas finie et elle continue jusqu’au Nord. Donc je ne peux pas vous dévoiler les secrets. J’ai été à Kongoussi et les jours à venir, j’irai au Nord pour dire à ceux qui pensent que le pays leur appartient que le Burkina appartient à tous les Burkinabè, mais pas à des terroristes.

Au regard de tout ce qui se passe actuellement au Burkina, ne regrettez-vous pas l’insurrection populaire ?

Je ne regrette pas ce que je vis actuellement. Je m’attendais à ça. Quand quelqu’un vous impose sa force, c’est à vous de travailler.

Qui vous a imposé cette force et de quelle force s’agit-il ?

Le terrorisme, c’est la gestion de 30 ans qui nous a amenés dans ce chaos. Mais sachez que ces terroristes-là sont financés par quelqu’un.

Qui par exemple finance les terroristes ?

Je ne sais pas. C’est le juge qui gère les affaires antiterroristes-là qui peut vous en dire plus sur leurs financements, mais je vous assure qu’ils sont financés par des gens. Sinon, on ne peut pas se lever prendre des motos, des armes et des munitions qui coûtent cher pour venir tuer des innocents sur le terrain et repartir. C’est à nous de travailler pour démasquer ce réseau afin de libérer le pays.

On a l’impression qu’avec l’insurrection, les Burkinabè croient avoir plus de droits que de devoirs.

Non, ce n’est pas vrai. La loi est là, mais il y a des gens qui ne veulent pas la respecter. Elle est là pour nous tous. Respectons la loi. C’est notre devoir et sans lois, il n’y a pas de pays.

Quels sont les actes que des gens ont posés lors de l’insurrection et que vous regrettez ?

C’est par exemple ceux qui sont allés brûler les cours des gens ; ce n’est pas normal. Est-ce que c’est ce qu’on leur a demandé ? Lors de cette insurrection, les gens n’avaient pas les mêmes visions. Notre sortie, ce n’était pas contre nos populations mais contre la force qu’on voulait nous imposer. Il y a eu des actes que les manifestants ne devraient pas faire comme brûler les cours des gens. Ce sont ceux qui n’ont pas compris l’esprit de la lutte qui ont posé de tels actes. Sur cette affaire de saccager les concessions des gens, la justice doit faire son travail.

L’insurrection populaire a créé des frustrations entre Burkinabè et certains parlent de réconciliation. Quel est votre avis sur cette question ?

Quand ils parlent d’une réconciliation nationale, moi je ne comprends pas parce que personne n’a dit qu’il a tort. On ne sait pas qui a tort et c’est ça le problème majeur de notre pays. En ce qui me concerne personnellement, je ne regrette pas cette insurrection et si c’est à reprendre, je vais le faire. Je pense qu’actuellement au Burkina, personne ne pourra dépasser encore deux mandats au pouvoir. Celui qui viendra pour essayer de le faire nous croisera sur son chemin.


A LIRE AUSSI : Les héros de l’insurrection populaire n°17 : Nassourou Guiro


Propos recueillis par Issoufou Ouédraogo
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Vos commentaires

  • Le 1er novembre 2019 à 07:32, par le pays va mieux En réponse à : Insurrection populaire de 2014 : « Si c’était à refaire, je le referais », Nassourou Guiro

    Je suis parfaitement d’avis avec ce monsieur. C’est une interview digne d’intérêt qui doit publié par tout. Exactement ce que nous vivons aujourd’hui c’est le prix de compression avec les bandits. Tous ceux qui accusent l’incompétence du régime actuel ne sont pas francs ou n’ont pas la capacité de raisonner. Ou tout simplement sont eux aussi complices.

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