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Les héros de l’insurrection populaire (n°18) : Sibiri Nestor SAMNE

Publié le vendredi 20 février 2015 à 23h12min

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Les héros de l’insurrection populaire (n°18) : Sibiri Nestor SAMNE

De son Saponé Natal, il s’est retrouvé à Lexington aux Etats Unis d’Amérique. La recherche du savoir et d’un mieux- être l’y ont conduit. Comme beaucoup d’autres Burkinabè vivant hors de la mère patrie, il n’a pas hésité lui aussi, au détour d’un fait d’actualité nationale, à prendre sa plume pour donner sa lecture des choses. En amont comme en aval de l’insurrection populaire que notre pays a connue les 30 et 31 octobre 2015. Sibiri Nestor Samné, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est notre héros du jour. Suivez- le plutôt.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Sibiri Nestor SAMNE (S. N. S.) : Je suis né dans le village de Timanemboin à Saponé, le 1er Janvier 1974. Je suis marié, père de deux garçons et d’une fille. Catholique pratiquant, j’aime ma foi et je suis actif dans ma paroisse. J’aime parler ouvertement de ce qui peut être perfectionné ; on me taxe parfois de vouloir bousculer les habitudes. Je n’hésite pas à interpeler sur les insuffisances, pas pour dénigrer mais en vue de pousser à un débat franc qui aboutisse à un grand bien. Sous certains cieux, un tel esprit est injustement mal compris, mais il est positivement apprécié par d’autres cultures. Ouvert et optimiste, j’aime le social et l’humanitaire. J’adore la musique (j’ai quelques compositions), le théâtre, la dance. J’aime là où il y a la joie et la bonne ambiance de solidarité non teintée d’hypocrisie. Je ne suis pas parfait, mais j’ai toujours demandé la grâce de reconnaître vite mes erreurs, de pouvoirprésenter mes excuses à temps afin de rétablir le lien cassé entre un parent, un ami, ou une connaissance. Fier de mes origines, je suis attaché aux bonnes valeurs de mes traditions. Je nourris la passion pour la préservation de ma culture, ce qui fait la spécificité d’un peuple.

Lefaso.net : Quel est votre parcours ?

S. N. S. : J’ai fait l’Ecole primaire Centre A et le premier cycle à Saponé. Après mon BEPC obtenu en 1992, j’ai été orienté au Lycée Zinda Phillipe Kaboré pour le second cycle, d’où je suis sorti avec un BAC série scientifique (BAC D). J’ai été accepté au grand séminaire St Jean-Baptiste de Wayalghin(Ouagadougou). J’y suis resté pendant cinq ans durant lesquels, j’ai étudié la philosophie, bénéficié d’une initiation à la théologie, à l’anthropologie et à la sociologie. En 2000, je suis parti pour l’Institut des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC) à Abidjan où j’ai fait une Maitrise professionnelle en Journalisme-Production, avec Option Réalisation. Rentré au pays en 2004, je me suis exercé dans la consultation en communication, le cinéma et l’audiovisuel. Je compte à mon actif, plusieurs documentaires, des spots audiovisuels et quelques fictions. En 2010, conformément à un rêve de longue date, j’ai décidé de partir pour les USA, à la quête d’un savoir plus grand en vue d’élargir ma vision du monde et des choses. Après un bref séjour à Houston dans le Texas et d’un autre de 3 ans a New York, je vis maintenant à Lexington (dans l’Etat de Kentucky) où je poursuis mes études à l’Université de Kentucky ; toujours pour répondre au désir d’être mieux outillé en vue de me réaliser pleinement et servir mon pays. Lexington est reconnu aux Etats Unis comme la capitale mondiale des Chevaux. A ses habitants, je répète avec fierté que le Burkina Faso est l’allié naturel de leur ville parce que nous avons le Cheval en commun.

Parlant de mon parcours, je voudrais ajouter avec votre permission une étape importante de ma vie. C’est une portion de mon parcours. Bien qu’elle ne soit pas scolaire, académique ou professionnelle, elle m’a donné un diplôme spécifique. A partir de mon CE1, mon papa (paix à son âme) a perdu la vue. Homme de relations, il comptait beaucoup d’amis dans les villages environnants et il tenait de temps en temps à leur rendre visite. Ne pouvant plus faire du vélo, il a fait de moi, fort heureusement, son nouveau « moyen de déplacement ». Ainsi, j’étais devenu son guide par le lien d’un bâton : « je tirais mon papa »comme on le dit en langue mooré, « mam da tata m baaba ». Les jours où il n’y avait pas classes, je devais m’apprêter à parcourir des kilomètres et des kilomètres à pieds avec lui. C’est ainsi que j’ai connu Kombissiri (35 km de Saponé) à pieds avec mon père. Il en a été de même pour Komsilga, Ipeelsé. Ce travail de conduite et de guide, je l’ai fait jusqu’à ma cinquième avant d’y être remplacé par mes jeunes frères. A son école, j’ai appris beaucoup par rapport à la tradition moaga, et je me suis inspiré de tout ce que peut contenir une « bibliothèque » que représente un vieillard en Afrique ; le recours aux proverbes dont je fais usage dans certains de mes écrits, en est un exemple.

Lefaso.net : Depuis les Etats-Unis, vous avez activement participé aux débats sur la situation politique ; quelles sont vos motivations ?

S. N. S. : Je profite de cette opportunité pour apporter ma version des choses. A chaque fois que je publie un écrit, je reçois des notes de félicitations qui m’encouragent, des critiques constructives qui contribuent à la qualité de mes futures productions. Mais il y a aussi ceux qui me talonnent en disant : « Samné, tu écris pour qui ? Qui est derrière toi ? Quel est ton bord politique ? Certains me le demandent ouvertement mais d’autres de façon voilée.Chose curieuse, mais révélatrice d’une réalité : il serait communément admis que quand on écrit, on le ferait pour quelqu’un. Je précise à haute et intelligible voix que j’ai toujours écrit par conviction personnelle. Celui à qui je pense à chaque fois que j’écris, c’est le peuple de mon pays. Jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais été militant d’aucune formation politique et je n’ai jamais agi sous les ordres d’un responsable de parti politique, en tout cas pas pour le moment. Ce qui me confère une liberté relativement moins contrainte. Je respecte l’engagement citoyen de tous et de chacun. Je loue le sacrifice des militants actifs des partis politiques tout en insistant qu’on n’a pas forcément besoin de militer dans un parti pour pouvoir donner son opinion sur un sujet d’intérêt général, surtout en rapport avec la paix sociale.

Ma motivation se fonde essentiellement sur une conviction : chacun de nous est une chance sacrée pour sons pays, quel que soit notre niveau social. Riche ou pauvre, de l’intérieur ou de l’extérieur, chacun est une perle rare. De ce constat découle l’impérial devoir et le noble honneur de contribuer à un mieux-être de notre pays. Le Président Kennedy, en voulant éveiller cette conscience en ses concitoyens Américains et les pousser à s’engager au servie de leur pays, leur recommandait ceci : « Ne te demande pas qu’est-ce que mon pays peut faire pour moi, mais pose-toi plutôt la question, qu’est-ce que je peux faire pour mon pays » ? Ayant en moi cette vive conscience, je ne puis accepter me taire quand la nécessité de parler s’impose. Sur tout sujet qui porte les germes de menace de la paix sociale, je ne tarde pas à donner mon point de vue, qui n’est pas forcément de l’évangile mais qui a l’avantage de contribuer au débat dans l’objectif d’éviter le pire. Cet engagement est né de mes expériences choquantes vécues à Abidjan pendant mon séjour (2000-2003). Pour pouvoir dire, « venez regarder, il faut d’abord voir » selon une philosophie locale.

A cette époque, la politique avait ravivé un climat de tension entre les populations qui, pourtant, vivaient en paix en Côte d’Ivoire. C’était la période tristement sacrée de l’exploitation de la notion d’Ivoirité. On opposait les Sudistes aux Nordistes et les musulmans aux chrétiens. On assimilait les dioulas au Burkinabè. Un jour en 2001, un grand frère, prêtre du pays, est arrivé du Burkina. Il m’a demandé de l’accompagner à Williams Ville pour remettre des commissions. Sur le chemin du retour, nous avons négocié les services d’un taxi compteur. Très vite, nous avons reconnu que le conducteur était un Burkinabè et ce, grâce son accent et à ses cicatrices ethniques. Quelle joie de retrouver un parent. Mais attention, cette joie ne durera pas longtemps. Après 5mn de conduite, nous devons traverser une zone de barrière gardée par des militaires. D’un geste de la main, un d’eux intime l’ordre au chauffeur de garer. Ce jour-là et à cette place appelée le carrefour de la mort, nous avons frôlé la mort. Au militaire qui menaçait de tirer sur nous, je posais la question suivante : « s’il vous plait monsieur, pouvez-vous nous dire ce que nous avons fait pour mériter la mort ? » Apres avoir secoué la tête, peut-être surpris de ma question, il dit ceci : « votre frère Mossi, Alassane Ouattara, veut prendre la Cote d’Ivoire et vous les mossi, vous êtes des assaillants ». Sa réponse m’a fait voyager loin dans mes pensées et m’a conduit à un dialogue moins protocolaire avec la Vierge Marie : « Mariam Songo, j’ai appris que toi, tu as eu la chance de monter au ciel avec ton corps. Ce soir, dans quelques instants, il se peut que l’on te rejoigne, mais sûrement pas avec nos corps ». Et ce qui me faisait peur, c’était le sort probable de nos corps qui n’auraient peut-être pas la chance d’être remis à nos familles respectives pour être inhumés. Fort heureusement, nous avons été libérés par la clémence de leur supérieur qui est arrivé sur le champ, quelques instants après. Ainsi, notre voyage au ciel a été reporté à un autre jour qu’on espère maintenant lointain (rire).

Rentré chez moi, je n’ai pas pu dormir toute la nuit. Je me suis mis à penser à comment la politique était en train de détruire l’Afrique. Comment a-t-elle réussi à vider notre être africain pour nous transformer en chiens et chats, les uns contre les autres ? Quelle est cette maudite politique fabriquée ou adoptée par les Africains pour se détruire au bonheur d’autres continents. Quel est ce monstre qui pousse les enfants d’un même pays à se renier ? Quelle est cette pratique qui sabote l’œuvre de Dieu qui nous voudrait pourtant unis, joyeux et épanouis. J’ai abouti à la conclusion que personnellement, je devais aussi contribuer à ce que la politique soit plutôt perçue comme un outil de développement mais non pas comme un instrument de destruction mutuelle. L’histoire de la Côte d’Ivoire a failli me donner la phobie de la politique. Cependant, elle a réussi à me rendre moins ami à ceux qui, parce qu’ils sont à cours d’idées constructives, voudraient tirer sur les ficelles de l’ethnie et de la religion pour gagner en politique.Ils sont les pires ennemis de l’Afrique et des virus mortels pour l’humanité.

J’ai commencé ma participation au débat politique bien avant de partir pour les Etats Unis. Déjà en 2008, quand il n’était pas même question du sénat et de la révision de l’article 37, j’avais déjà attiré l’attention sur les dangers de l’implication des chefs traditionnels dans la politique partisane. L’article porte le titre « Chefferie traditionnelle et politique : La confusion offense le pouvoir et érode l’autorité ». Il avait été publié par l’Observateur Paalga et relayé dans le lefaso.net. En son temps, j’ai reçu des menaces de la part de certains politiciens et chefs traditionnels. Beaucoup ironisaient en disant simplement « c’est un enfant » et pourtant, ils oublient que souvent, « de la bouche des enfants, peut sortir la vérité ». En 2013, j’ai été tristement content du traitement irrespectueux dont bon nombre de chefs traditionnels ont été victimes de la part de leur mentor politique. Je dis, tiens, voilà qui donne raison aux balbutiements de l’enfant Samné. Malheureusement, c’était tard pour eux car les Mossé disent que le ‘si je savais’ est toujours le benjamin d’une femme » (Mbangeyapaag bi yoaga).

S’il faut admettre que ma contribution ne date pas d’aujourd’hui, je dois reconnaître qu’elle a gagné en fréquence à partir de 2013. La question du sénat, de la révision de l’article 37 et du référendum, refermait en elle les germes de l’explosion sociale. En plus, elle n’était pas indispensable, nécessaire et utile à la fois. Et encore, le Président Compaoré comptabilisait déjà 27 ans au pouvoir. Alors, je fais juste un petit raisonnement pour découvrir que c’était un risque inutile. C’est vrai que le peuple était divisé sur la question mais en réalité ceux qui soutenaient ce projet pensaient plus à leurs propres intérêts qu’au bien réel du Président Compaoré lui-même. Certains se sont mués en charlatans harceleurs, d’autres en griots modernes pour raconter au Président rien que ce qu’il voudrait entendre. Tout cela, dans le seul but égoïste de tirer le maximum de profits possibles. J’ai senti qu’ils voulaient le conduire avec fanfare au poteau pour être « crucifié ». Bien que je ne le connaisse pas personnellement, j’ai pris le risque, comme beaucoup d’autres, de lui signifier les multiples dangers d’une telle option politique hasardeuse. Après avoir répondu à M. Bamba Alex, j’ai eu l’opportunité d’adresser mes inquiétudes « face-to-face » à Monsieur Blaise lors de son passage à New York en Septembre 2013. Ma motivation à ce niveau, c’était de l’aider à conserver les acquis engrangés pour un repos mérité après presque trois décennies de dur labeur. Hélas, ai-je tenté de conclure aujourd’hui, avec tout ce qui est arrivé les 30 et 31 décembre 2014. Les Mossé ont raison quand ils affirment que « si tu refuses des conseils utiles, tu ne pourrais qu’utiliser tes genoux pour essuyer tes larmes. (Togess ti ka reegnintamyesda ne ruuma).

Lefaso.net : Au sein de la diaspora, il y a eu les mêmes contradictions ; l’avez-vous noté à New-York ?

S. N. S. : Les mêmes contradictions ont été vécues au sein de la diaspora à New York. Je n’étais pas très surpris de cela car conscient de la réalité que la diaspora n’est qu’une ramification partie du tronc qu’est le pays d’origine. C’est naturellement logique que la gangrène qui a attaqué la base se répercute sur les branches. Il est dit que « quand les crocodiles du marigot se battent, les puits dont les veines sont reliées à ce marigot en reçoivent les coups. Ce qui affecte la patrie mère est automatiquement ressenti. Au sein des membres du bureau de l’Association des Burkinabe de New York (ABNY), il y a des membres du CDP et des membres de l’Opposition. Très souvent, ils n’ont pas su tracer la ligne asymptotique entre leur appartenance politique et leur serment de militant d’une association qui se voudrait apolitique. Cela a parfois paralysé l’esprit de solidarité que nous devrions construire entre nous, frères et sœurs d’un même pays. Nécessité que les accointances politiques mal gérées au sein de la diaspora à New York ont parfois bannie. Pourtant, loin de chez soi, on nourrit le besoin d’être unis et soudés pour se sentir plus forts et soutenus. Seul, on n’est jamais assez fort. Mais, j’ose croire que le temps allant, chacun peut gagner en sagesse pour épouser la résolution de progresser. Savoir minimiser ce qui nous sépare des autres pour exalter ce qui nous réunit, est indispensable pour la construction d’une grande famille, de laquelle chacun tirera les ressources nécessaires pour tenir la route de l’aventure qui requiert une force dans l’esprit et l’âme. Seuls les Hommes de mauvaise foi ne changent pas.

Lefaso.net : Comment avez-vous vécu l’insurrection populaire des 30 et 31
octobre 2014 au Burkina Faso ?

S. N. S. : D’abord la marche des femmes le 28 avec les spatules a été un symbole fort et ne m’a pas laissé sans crainte. La mobilisation des 30 et 31 octobre m’a impressionné. Je suivais l’évolution des choses pas à pas sur Facebook. Les oreilles collée sur RFI, les yeux rivés sur France 24, je ne voulais rater aucune nouvelle sur l’évolution de la situation. Quand j’ai appris que l’hôtel Independence a été brulé, j’ai compris que les choses iront mal. Le comble me sonne avec le bâtiment de l’Assemblée Nationale qui part en fumée. J’avais une interrogation en classe, mais j’ai demandé l’autorisation de reporter cela car je n’avais pas l’esprit sur place et je ne voudrais pas me faire du mal en prenant une mauvaise note. Ce jour-là, je vous assure que j’ai été le plus distrait de la classe. Tout me paraissait comme de la fiction. Je n’en croyais pas à ce que je lisais et entendais. Entre temps, quelqu’un a posté la photo d’un manifestant tombé sous les balles. Une peur chargée s’empare de mon esprit. Je m’imaginais à la place de ses parents, une stratégie pour moi de mieux compatir à leur douleur. Ma déception a atteint son paroxysme à la nouvelle que la courbe du nombre des morts grimpait. N’avions-nous pas les moyens d’éviter cela, ai-je crié. Quand j’ai appris que le président Compaoré a accepté de démissionner pour éviter un« bain de sang », j’ai poussé un ouf de soulagement. Enfin, il a fini par comprendre le message du peuple, pas de son peuple courtisan, mais de l’autre peuple. J’ai apprécié cette décision car il n’est jamais trop tard pour faire le bien, mais Il y avait déjà des pertes en vies humaines à déplorer. Je devais apprendre une fois de plus que la folie existe partout et que des Hommes, pour la protection de leurs intérêts, peuvent se transformer en loups pour leurs semblables. Malheureusement, pour n’amasser que des biens périssables et jouir d’un pouvoir incapable de les rendre immortels.

Lefaso.net : Comment appréciez-vous l’issue finale ?

S. N. S. : L’issue finale est une source de leçons pour tous. D’abord, elle a répondu en général à l’aspiration du peuple qui a vu sa lutte aboutir. Galvanisé par son refus justifié, il a réussi à convaincre le Président de retirer tardivement la loi. Mais au-delà de cette issue majeure je note les suivantes :
 La démission et le départ du Président a dû le surprendre lui-même aussi bien toute la classe politique nationale que l’opinion internationale. J’ai compris par là qu’il ne faut jamais pousser à bout le poltron car on finit par en faire un bourreau. Le peuple est sorti de son sommeil car ses nuits étaient hantées de cauchemars.
 Le bilan est lourd à noter avec des pertes en vies humaines. Tout cela est arrivé en partie à cause de la mauvaise communication de certains des leaders. Ils ont contribué à exciter la colère du peuple. « S’ils brûlent vos maisons, brûlez les leurs » lançait le secrétaire du CDP Assami Kouanda. Il y a eu d’autres affirmations tristement célèbres qui ont desservi Blaise. La vérité exprimée à un prix à payer par celui qui a eu le courage de la proclamer- prix parfois très cher- mais elle vous met en conformité avec votre conscience, source de paix véritable. Guillaume Soro, l’actuel président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, a fait une confidence édifiante un jour à un Ivoirien du bord FPI vivant à Bruxelles. Ce dernier, s’en prenait à Guillaume Soro sur un ton de colère, mais lui, d’un calme impressionnant que j’ai aimé, a répliqué en disant :« quand le 28 novembre l’élection s’est tenue, j’aurais pu disparaître dans la nature ; mais le 30 Novembre, je suis allé voir Monsieur dans sa maison à 21h avec Camaraté Souleymane, mon protocole. Ce jour-là, pour y aller, beaucoup m’ont traité de fou. Quand je suis arrivé, j’ai vu des regards méchants. Je dis, ma responsabilité c’est de lui dire et de le sauver, de l’aider. Je me suis assis, j’ai dit, monsieur le Président, les nouvelles ne sont pas bonnes pour vous, c’est Monsieur Alassane Ouattara qui a gagné les élections. Monsieur le président, je suis venu vous parler non pas en tant que premier ministre, mais en tant que fils et frère. Laissez le pouvoir ; si vous laissez le pouvoir, vous serez un grand homme pour l’Afrique. Il y avait combien de personnes en Côte d’Ivoire qui pouvaient aller tenir ce discours de vérité ? Si tous ceux qui disent qu’ils aimaient Gbagbo étaient allés ce jour-là après moi, lui dire de laisser le pouvoir, il ne serait pas à la Haye » (Transcrit d’une vidéo sur youtube). Et moi, je réaffirme que s’il y avait eu beaucoup d’amis sincères auprès de Blaise, il aurait conservé mieux de ses 27 ans du pouvoir. Je sais que beaucoup l’ont fait et ils ont dû payer un lourd tribut mais ils doivent avoir la conscience tranquille maintenant.

 La formation du Comité de Transition qui a travaillé à l’élection du Président et des membres du CNT est une preuve de la maturité du peuple avec sa volonté de se mettre rapidement au travail pour gérer les urgences et tourner la page de l’histoire.
 Tout ce qui est arrivé est un message fort que rien n’est éternel. « Vanités des vanités, tout est vanité » dit Qohélet (1, 2 et 12, 8). Tout bien matériel est périssable. Il en découle que le meilleur investissement qui soit, de la part d’un leader politique, c’est ce qu’il met à construire un pays ou une communauté où il fait bon vivre pour tous. C’est le seul crédit qui permet de s’éterniser au pouvoir. Le forcing ou les assurances creuses des charlatans et marabouts de tout acabit ne peuvent pas endormir éternellement un peuple. « Le salut d’un roi n’est pas dans son armée, ni la victoire d’un guerrier dans sa force. Illusion que des chevaux pour la victoire.. », nous confie le psalmiste. (Psaume 32)

Lefaso.net : Comment appréciez-vous la contribution de la presse à ces événements ?

S. N. S. : Je peux affirmer sans ambages que je suis fier de la presse de mon pays. Il est dit que « quand ton rival ou ta rivale a bien cultivé son champ il faut le faciliter objectivement car ce n’est pas son « vuvuzela », facteur de votre litige qui a cultivé ». Juste pour signifier que même si vous n’aimez pas la presse il faudrait au moins lui reconnaître son travail responsable. Je saisis l’occasion pour rendre un vibrant hommage à elle toute. A vous, « lefaso.net », je dis simplement mais avec plein de reconnaissance, merci pour le service citoyen rendu. La presse dans son ensemble a su organiser, orienter le débat dans le respect de l’éthique et de la déontologie du métier. Des brebis galeuses, il y en a toujours eu dans un groupe, mais la maturité de la grande majorité a heureusement neutralisé la mauvaise foi ou l’ignorance de la petite portion. Tout est perfectible et de nombreux défis restent à relever dans ce domaine ; mais fort de la bonne foi de chaque média, de l’aspiration à un plus grand professionnalisme de chaque acteur, j’ai foi que la presse jouera toujours son rôle de moteur du développement par l’éducation du peuple.

Lefaso.net : Quel regard portez- vous sur la transition telle qu’elle est conduite ?

S. N. S. : L’équipe de la Transition, du président aux membres du CNT (Conseil national de transition, ndlr) en passant par les ministres sont à la limite surpris de leurs nouvelles responsabilités. Les résultats de l’insurrection ayant été une surprise pour tous. Les Mossé disent « lingrsaamdaodo », la surprise trahit parfois le courage et l’assurance en soi. C’est de là, que j’essaie de comprendre et de pardonner leurs pas manqués du départ. Nul n’est parfait, voilà une réalité qui est connue de tous ; donc le danger, ce n’est pas de se tromper mais le refus d’accepter que l’on peut se tromper. Dans la mesure où ils acceptent cette vérité, je pense qu’ils réussiront le mandat que le peuple leur a confié. Cette mission selon moi, devrait se focaliser sur l’organisation d’élections dans les délais prévus et l’urgence d’asseoir un décor fixe qui imposera aux futurs acteurs politiques de jouer leur rôle dans le strict respect des règles de la démocratie. L’écoute du peuple et leur disposition à accepter les critiques, détermineront le degré de leur réussite dans la difficile tâche de gérer cette situation d’exception, la transition.
Le développement récent des événements, à savoir la pression du RSP (Régiment de sécurité présidentielle, ndlr) sur le premier ministre me fait tiquer. Chacun de nous, là où il est, a contribué d’une manière ou d’une autre au succès du peuple ; mais cela ne confère pas à chacun le droit d’imposer sa couleur individuelle à la marche de la transition. Que le RSP accepte qu’il est une composante du peuple sans lequel il n’aurait pas eu sa raison d’être. Il en découle qu’une revendication démesurée de sa part pourrait donner raison à ceux qui pensent qu’ils seraient des éléments « dressés » au service d’une politique privée qui se moque éperdument des intérêts du peuple Burkinabè. En clair, chacun doit accepter de mourir d’une certaine manière en lui, pour permettre l’émergence d’une bonne santé nationale. Le Burkina traverse une étape importante de sa vie et ceux qui ont la sacrée chance d’y assumer une responsabilité particulière devraient se ranger du bon côté de l’histoire. Une chose est claire, on ne peut jamais gagner contre le peuple.

Lefaso.net : On s’achemine vers une non-participation de la diaspora aux élections ; comment réagissez-vous ?

S. N. S. : Les Mossé disent « si la dance familiale se mène dans un plat, chacun de la famille doit y mettre son pied ». Alors, tout peuple qui érige en loi par la ruse, l’exclusion d’une partie de lui-même, finira par payer le prix, tôt ou tard. Le prix c’est que l’état de sa démocratie en prendra un coup. Durant les 27 ans passés, je refuse de croire que c’est par manque de moyens techniques que le vote des Burkinabè n’est toujours pas une réalité aujourd’hui. La thèse du manque de volonté ou de calcul politique semble gagner les esprits. Pourtant, voilà une stratégie de promotion du patriotisme que l’on néglige. Plus, tous se sentent impliqués dans la gestion des affaires du pays, plus, le patriotisme gagne du terrain dans les cœurs des citoyens. Certains, à les entendre parler, vous donnent l’impression que les burkinabé de l’étranger sont « d’autres Burkinabé ». Ca frise l’esprit de division. Mais la sagesse suggère de ne jamais se moquer de celui qui se noie tant que tu n’as pas traversé la rive. Même si on est certain de ne pas être intéressé par l’autre bord de la rive, il importe de toujours mesurer son langage car on ne maîtrise, ni les futurs projets de ses proches parents ni ceux de sa propre descendance. « Le feu n’est pas à enjamber » si tu portes une queue.
C’est vrai que la transition ne peut résoudre tout dans le même intervalle de temps, mais a l’allure où vont les choses, elle devrait l’inscrire comme une des équations incontournables à résoudre par le régime à venir. A la diaspora, ainsi qu’à tous ceux qui se sentent brimés dans leurs droits, je dis ceci : il y a une formule générale à mémoriser pour être appliquée : « n’attendez jamais que l’on vous tienne vos droits sur un plateau d’or. Si vous ne les réclamez pas, quelqu’un d’autre les consommera pour ensuite donner l’impression au reste du monde que c’est vous qui ne voulez pas de vos droits. » Au burkinabè de l’intérieur et de l’extérieur, n’oublions pas après tout qu’ensemble, on est plus fort.

Lefaso.net : Comment voyez-vous l’évolution du Burkina pour les années à venir ?

S. N. S. : L’évolution du Burkina, je la voudrais exemplaire pour l’Afrique et le monde entier. Je souhaite un Burkina, qui s’inspirant des exemples des autres et s’appuyant surtout sur ses propres valeurs intrinsèques a lui, offrira au reste du monde, un modèle unique de développement et de démocratie. Là-dessus, je ne me laisse par engloutir par le pessimisme même si l’optimiste semble se situer à un très haut niveau. « Vouloir c’est pouvoir » dit-on. Si on est conscient du fardeau à porter, on sait comment préparer son joug. Sur ce, chacun doit chercher à comprendre son rôle, l’accepter et s’engager à l’accomplir. Pour moi les grands axes incontournables de développement dans un contexte démocratique sont universellement déjà connus. Ils ont été déjà déclinés en long et large par beaucoup de mes aînés dans leurs écrits, dont mon petit-fils ou grand-père Hervé Somé de Wisconsin. Mais comme la répétition est pédagogique, j’y reviens à ma manière. Sans l’éducation, la santé et la justice, le mot « développement » ne sera qu’un « mot-jouet » au service des « élites » pour exploiter leurs peuples. Par l’éducation, la promotion de la santé et l’établissement d’une justice équitable, notre Burkina sera le meilleur cadeau à ses enfants et un point d’attraction pour le citoyen du monde
 L’éducation- La véritable première richesse d’un pays, ce sont ses Hommes. La valorisation des ressources humaines par l’éducation doit être le premier chantier et l’assurance d’un avenir prometteur. La Bible dit quand Dieu a créé les premiers Hommes, Adam et Eve, Il les a placés dans le Jardin d’Eden. Mais il n’a pas été dit que le Créateur leur a fait don d’une mallette remplie de billets de banque. Dieu leur a plutôt confié la mission de continuer l’œuvre de la création. Donc, tout ce dont le monde dispose comme savoirs aujourd’hui (sciences, moyens sophistiqués de transport, la technologie etc.) sont des produits de l’intelligence de l’homme, forgé par l’éducation et éclairé par la grâce de Dieu. Vivre, c’est donc ajouter un plus à ce qui existe. Dans cette même logique, chaque génération de Burkinabè a le devoir de léguer aux générations futures, un Burkina meilleur. Mais comment répondre a cette responsabilité si on ne reçoit pas d’abord des générations précédentes, l’élément de base qu’est l’éducation. Le Burkina sera meilleur si on fait de l’éducation qualifiée, un droit accessible à tous.
 La santé. La perdrix a dit « sans vie, pas d’œufs », pour signifier que si elle est en bonne santé, tout est possible même la difficile mission de transmettre la vie. Pas besoin de m’étaler là-dessus car il est reconnu que la santé est la base de tout. « laafi la buum-bu »
 La justice. Sans une justice équitable, le Burkina virerait à un enfer pour les faibles.Le Burkina Faso, cette justice ressemblera de plus en plus à une jungle où les petits et les faibles seront mangés par les plus forts et les moins civilisés. L’injustice engendre l’insécurité qui ne garantit pas un développement possible. Une justice corrompue est un second bourreau pour les victimes et un stimulant pour les coupables. Une telle justice est une anesthésie pour la promotion du patriotisme, un bulldozer qui rase les fondements de l’édifice du développement. Notre Burkinabè peut être meilleur si on travaille à permettre à la justice de dire à tous qu’aucun burkinabè n’est au-dessus de l’autre et que nous sommes tous égaux devant la loi.

L’évolution du Burkina pour moi est comparable à une fonction à multiples variables. Les politiciens, les différents régimes qui vont se succéder en seront les « lead coefficients », c’est vrai, mais ils ne seront pas les seuls à déterminer l’état définitif de la courbe. Chacun de nous a sa partition à jouer. Pour réserver un terrain favorable qui puisse féconder l’aspiration à un changement positif à promouvoir par l’exécutif, le judiciaire et le législatif, il nous faut penser à une chose importante : la nécessité de formater notre disque humain, la conversion de mentalités tant au niveau individuel que collectif est indispensable pour une évolution positive de notre cher pays.

 Beaucoup dénonçaient le système de Monsieur Compaoré, car à un moment donné, ça devenait de plus en plus insupportable pour un large pourcentage de la population, tous ne pouvant pas diner à sa table. Mais, reconnaissons que ce qui a permis à Blaise d’instaurer ce système, est en grande partie la mentalité de son milieu. L’individualisme est fort prononcé, l’égoïsme qui nous caractérise est un venin. La jalousie aux conséquences criminelles dans nos familles, nos lieux de travail, nos communautés religieuses est un acide qui ronge et détruit les bases de nos valeurs humaines. Elle renforce seulement notre solidarité de façade. L’esprit de jalousie joue mortellement sur le développement de notre pays. Cet état d’esprit nous aide à nous affaiblir mutuellement pour nous offrir en proie facile aux ennemis du dehors. Il arrive que des membres d’une même famille s’éliminent mystérieusement pour des futilités. Combien d’offres de stages de perfectionnement ont pourri dans les tiroirs des DG, simplement parce qu’ils ne voulaient pas que leurs collègues en bénéficient. Voilà qui joue sur le potentiel de ressources humaines dont le pays pouvait disposer.

Combien d’écoles dont la construction a été bloquée pour la simple raison que le village bénéficiaire serait le village d’un rival politique. Combien auraient été empoissonnés mortellement par leurs collègues, parce que jaloux de leur promotion à des postes de responsabilité plus hauts ? Ce sont de tristes réalités de chez nous qui sèment l’idée en moi que l’on serait plus religieux que croyant. Pour moi, le religieux c’est celui qui, fidèle aux cultes, n’hésite pas à marcher sur son frère pour prétendre atteindre Dieu. Ce sont eux qui utilisent la religion pour leur propre calcul égoïste. Quant au croyant, c’est celui qui, même moins pratiquant, tiens compte de Dieu dans son action au quotidien. Il voit en chaque être humain, un visage de Dieu.Pour une évolution positive de notre cher Faso, portons des « charges positives ». Mais en fin, notre pays ne peut réussir le pari d’un avenir meilleur que par le chemin d’un pardon avec lui-même. De là, surgit l’épineuse question de savoir si notre Faso pourrait se payer le prix requis pour des bienfaits d’une réconciliation dans la vérité et la justice.

Entretien réalisé par Cyriaque Paré
Lefaso.net

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