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5e anniversaire de l’insurrection populaire : « Nous avons des raisons d’être fiers de l’insurrection populaire », Cendrine Nama

Publié le lundi 28 octobre 2019 à 23h55min

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5e  anniversaire de l’insurrection populaire : « Nous avons des raisons d’être fiers de l’insurrection populaire »,  Cendrine Nama

Fin octobre 2014, le président Blaise Compaoré était poussé à la démission à la suite d’une insurrection populaire. Lefaso.net avait en son temps initié un dossier intitulé « Les héros de l’insurrection ». Il s’agissait d’un focus sur certains de ceux qui avaient pris une part plus ou moins active au mouvement. Parmi eux, une héroïne, Cendrine Nama. Représentante pays de l’ONG américaine United states institute of peace et aussi entrepreneur, artiste et activiste de la société civile, elle se remémore, cinq après, ces moments historiques dont elle fut une actrice. « Entre « regarder à la télé ou être regardé à la télé », notre originaire de Sapouy et titulaire d’un Master en management des projets a fait le deuxième choix », écrivions-nous. Dans l’interview qu’elle nous a accordée, en ce 5e anniversaire de l’insurrection, cette femme engagée n’a pas usé de la langue de bois. Elle donne ainsi le ton à une série d’articles consacrés à ces « héros de l’insurrection ». Le « héros » (ou l’ « héroïne »), dans notre conception, faut-il le rappeler, s’entend celui ou celle qui a participé à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.

Lefaso.net : Quel regard jetez-vous sur les événements des 30 et 31 octobre 2014 ?

Cendrine Nama : Tout ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre, c’était la matérialisation des aspirations d’une population qui a passé 27 années à subir un pouvoir dictatorial. Une population qui voulait un changement et qui est allée le chercher. Des millions de personnes mues comme un seul homme.

Comment avez-vous vécu l’insurrection populaire ?

L’insurrection populaire a été une aventure vivante dans laquelle je me suis impliquée. C’était le moment de faire entendre ma voix, de contribuer au changement que je pensais être juste pour la citoyenne que je suis et pour ma nation. Chaque fois que j’ai le sentiment que notre vivre-ensemble est mis à rude épreuve au Burkina Faso, je pense à ces Burkinabè unis comme un seul homme à un moment donné. Il y avait une sorte de chaîne. Il y avait des gens qui se soutenaient à chaque niveau. Cela était même perceptible sur le terrain.

Je me souviens que lorsque nous étions dans les rues à manifester le 30 octobre, au temps qu’on pourrait qualifier de chaud, je voyais de temps en temps des sachets passer par-dessus les têtes, de main à main jusqu’à moi, parce qu’on voulait se rassurer que j’avais au moins de l’eau. En fait, à un moment, les hommes ont essayé de me dire que c’était dangereux et que je devais me mettre à l’abri et rentrer parce qu’il commençait à y avoir des morts. Et je leur ai dit que la femme que je suis était citoyenne aussi préoccupée qu’eux par le devenir de la nation et que nos destins étaient liés. A partir de ce moment, on me cherchait toujours pour m’envoyer de l’eau quand des bonnes volontés nous en donnaient par-dessus les murs pour nous encourager. C’était une aventure qui nous rendait fiers d’être Burkinabè.

Comment avez-vous accueilli la chute de Blaise Compaoré ?

Un double sentiment. De soulagement et de défi. Soulagement parce que nous avions au moins réussi quelque chose. Exercer notre souveraineté. Et ensuite comme un défi, celui de continuer l’action de reconstruction entamée. Chose qui ne sera pas évidente au regard déjà de la manière dont les choses se passaient dès les lendemains de l’insurrection.

Comment jugez-vous les fruits de cette insurrection ?

Après 27 ans dans un certain moule, ce n’est pas toujours évident. Nous sommes en train aujourd’hui de faire ce que j’appellerais un apprentissage de la démocratie. Ce qui est déjà une très bonne chose. Les gens s’intéressent aux questions de gestion qui les concernent. Il y a moins de fatalisme dans certains aspects. Maintenant, on voit par-ci, par-là des manifestations qui pourraient nous faire penser que nous sommes en train d’aller à la dérive. Pour ma part, je me dis simplement, autant le droit à la grève est un droit constitutionnel, autant nous devrons savoir nous fixer des limites pour ne pas sombrer. Déjà, les bases doivent être posées ensemble.

Certaines actions fortes auraient dû être prises au sortir de l’insurrection pour que les fruits puissent être visibles aujourd’hui. Des choses sont mises en œuvre pour trouver des issues, la question c’est maintenant de réfléchir à des stratégies spécifiques aux préoccupations, avec une vision au-delà des élections et du mandat.

Dans quelles mesures l’on peut continuer à défendre les acquis de l’insurrection populaire, dont le 5e anniversaire sera commémoré ce 31 octobre 2019 ?

Aujourd’hui, il y a des millions de Burkinabè qui s’engagent et qui s’impliquent à faire du Burkina Faso, une nation plus forte et une nation rayonnante en prenant une part active aux décisions qui nous concernent. De plus en plus, nous voyons également des Burkinabè qui s’illustrent positivement tant au niveau national qu’international et qui suscitent ainsi la fierté de tous. Dans l’édification de notre nation, nous devrons garder l’esprit que nous avions pendant l’insurrection. Au-delà de nos divergences, nous devrons mettre l’intérêt supérieur de la nation en avant. Se rendre compte du chemin que nous avons parcouru.

Toutes ces libertés que nous sommes en train d’exercer sont des acquis. Un pays qui se développe, c’est un endroit où il fait bon vivre, où on donne de l’espoir, des opportunités à toute la population ; où des compétences sont capitalisées, les forces mises en synergie. Et ce n’est qu’ensemble que nous transformerons le Burkina Faso en cet espace-là. Chacun à son niveau a sa partition. Qu’est-ce que nous faisons pour notre pays ? Quel exemple donnons-nous ? Oui. Parce que l’éducation est la plus grande arme que nous avons. Et avec ce que je vois, je ne sais plus quelles valeurs ont veut incarner, véhiculer…

A votre avis, est-ce qu’il y a un changement du point de vue de la gestion du pouvoir par le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) par rapport à l’ancien régime ?

Pour ma part, il y a des actions, des choses qu’on essaie de changer mais aussi du tâtonnement parfois. C’est compréhensible un peu. Mais aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de l’à-peu-près. On a besoin que les choses commencent à se dessiner.

Pouvons-nous imaginer un retour de Blaise Compaoré au Burkina ?

Qu’entendez-vous par retour ? Au Burkina Faso ? Qui l’a chassé du pays ? On ne lui a pas dit d’aller en Côte d’Ivoire. On lui a dit de quitter Kosyam. S’il en a le courage qu’il vienne et qu’il assume ses responsabilités. Moi, je ne pense pas qu’il y ait un Burkinabè qui ne veut pas qu’il revienne.

Le Burkina Faso s’enfonce depuis quatre ans et demi dans une spirale de violences, attribuées à des « groupes armés terroristes ». Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

On est dans une situation où il faut qu’on revoie toutes nos habitudes et stratégies. On doit se défendre contre un ennemi invisible. Une guerre asymétrique, dit-on. De l’expérience que j’ai pu me faire ces années à travailler sur ces questions, c’est que dans la lutte contre le terrorisme, le gouvernement et les forces de l’ordre à eux seuls ne peuvent pas relever ce défi. Pour venir à bout de ce mal, il faudrait non seulement que nous nous impliquions tous et que l’Etat en face s’organise à la coordination de ces synergies. Qu’il sache les capitaliser. Ce qui viendra renforcer les actions d’urgence.

En sus des actions d’urgence, il faut réfléchir à une stratégie à moyen et long termes pour combattre le mal à la racine. Désamorcer la graine qui fait que le fils d’un pays se retourne contre son propre pays. Cela n’est possible que parce qu’à un moment, il s’est senti marginalisé par un système pour qui il n’a aucune espèce d’importance. Pour cette personne, le mot apatride ne veut rien dire puisqu’il ne se sent aucun attachement à sa patrie. C’est tellement triste de voir cette situation qui nous endeuille chaque jour un peu plus, ces milliers de déplacés dans leur propre pays.

Mais je pense que ce sont aussi des actions qui doivent inclure nos voisins touchés par le même mal. Pour éviter de juste repousser le mal juste un peu plus loin pour qu’il n’us reviennent après un repos dans une forêt voisine. Nos gouvernants sont à pied d’œuvre face à cette insécurité grandissante. On peut le voir à travers les actions par-ci et par-là. En espérant que la gravité guide des manœuvres plus élaborées et plus pointues.

Quelles sont vos attentes à l’endroit des partis politiques et du gouvernement ?

Je suis triste de la politique de mon pays. J’aimerais voir des partis qui sont comme des écoles, qui vous apprennent la vie politique et l’éthique. Aujourd’hui, pour beaucoup de jeunes qui veulent s’engager en politique, c’est parfois parce qu’ils n’ont rien eu d’autre ou pour eux c’est un excellent moyen d’avoir de l’argent et de côtoyer le pouvoir facilement. Ce qui aidera à faire des affaires ou je ne sais quoi d’autre. Aujourd’hui, la politique c’est ce qui peut aggraver notre situation si elle n’est pas bien calibrée et ne s’inscrit pas dans une vision plus consciente.

Pendant qu’on est là à parler du terrorisme, si vous entendrez que dans un village des populations se sont hachées pour une raison, allez écouter voir. Si ce n’est pas le foncier, il y a la politique derrière qui divise. On peut être des adversaires sans en arriver à la violence. Il faut vraiment que tous ceux qui sont des responsables politiques s’engagent à changer. Qu’ils fassent de leurs partis des partis qui rayonnent. Moi j’ai envie de voir des vraies figures politiques.

A l’endroit des membres du gouvernement, on a besoin que toutes les décisions prises soient faites avec moins de populisme et plus de vision stratégique. C’est à mon avis plus défendable. Ils doivent aussi faire attention aux sorties hasardeuses. C’est dangereux ! On est déjà dans les problèmes. Lorsqu’on ne sait pas trop quoi dire, on peut aussi se taire et prendre le temps de réfléchir avant de prendre la parole. Il y a des paroles qui ont l’effet de bombes.

Dans le cadre de la commémoration du 5e anniversaire de l’insurrection populaire, quel est votre message à l’endroit de vos compatriotes ?

Je dis aux Burkinabè des 30 et 31 octobre combien je suis fière d’être leur sœur. Je les invite à toujours garder en mémoire les moments que nous avons traversés. Ces vies que nous avons exposées et même perdues parce que nous croyons à un destin commun. La lutte n’est pas finie. C’est l’occasion d’avoir une pensée pieuse pour tous nos martyrs. Ainsi, chaque Burkinabè, là où il est, doit continuer le travail pour construire un Burkina Faso fort. Sachez que toutes les choses que vous faites et dont vous savez que ce n’est pas bien, c’est un mauvais exemple que vous donnez. Il y a quelqu’un qui le voit et qui le reproduit. A quelques jours de la commémoration du 5e anniversaire de l’insurrection populaire, je souhaite un joyeux anniversaire aux dignes fils de feu Thomas Sankara. Que Dieu nous permette de voir un Burkina Faso qui grandit avec des populations toutes engagées pour le rayonnement de leur pays.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
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