Les héros de l’insurrection populaire (n°9) : Cendrine Nama

L’insurrection populaire qu’a connue notre pays, a été une affaire d’hommes mais aussi de femmes. Une d’elle a attiré notre attention. Il s’agit de Cendrine Nama. Cette artiste musicienne burkinabè désignée ambassadrice de bonne volonté par l’organisation Beyond 2015 et le Secrétariat Permanent des Organisations Non Gouvernementales (SPONG) le 12 septembre dernier, n’a pas voulu manquer à l’appel de l’histoire. Entre « regarder à la télé ou être regardé à la télé », notre originaire de Sapouy et titulaire d’un Master en management des projets a fait le deuxième choix.
C’est une habituée des marches-meetings de « Non au référendum ! Non à la modification de l’article 37 » de l’opposition, qui était aux devants des choses lors de la marche des spatules le 27 et le jour de l’insurrection. Cet engagement et cette combativité, elle dit le tenir de sa mère mais surtout de son père qui n’est autre que Germain Nama, Directeur de publication du journal l’Evènement.
Ni la peur, ni la maladie d’asthme n’ont eu raison de la détermination à sortir le 30 pour nous dit celle qui est déjà mariée coutumièrement, « assainir » le pays pour ses futurs enfants.
LeFaso.net : On vous a vu très engagée sur les réseaux sociaux et sur le terrain, de qui détenez-vous cette combativité ?
C’est peut être génétique ou du fait de mon appartenance ethnique...Les Gourounsis ne sont-ils pas réputés pour ne pas se laisser marcher sur les pieds (rires).
Mes parents m’ont inculqué des valeurs morales et éthiques tels que l’amour du travail bien fait, le respect des libertés et le courage dont notamment celui d’assumer ses opinions.
A la maison nous étions libres de faire entendre dans le respect nos opinions, de discuter, d’échanger avec nos parents quand nous avions des avis qui pouvaient diverger des leurs. Mon père m’a appris qu’il n’y avait rien de valeureux à vivre dans la peur et à se terrer dans le mutisme juste pour un simulacre de paix. Je crois que c’est cela préférer vivre un jour comme un lion que 100 ans comme un mouton.
Donc pour en revenir à la question cet esprit doit me venir en grande partie de mes parents, de mon éducation.
LeFaso.net : Avant d’en venir au jour historique du 30, parlez-nous de cette journée particulière du 27 ; la marche des femmes à laquelle vous avez participé.

En marge de la semaine de désobéissance civile, j’ai décidé de participer à la marche de protestation organisée par le Collectif des Femmes pour la Défense de la Constitution (COFEDEC) le lundi 27 octobre 2014. L’objectif de cette marche était le même que celui de la plupart des manifestations du moment : demander au Président du Faso de retirer la loi portant révision de la Constitution conformément aux dispositions des articles 163 en vue de la convocation d’un référendum.
Rendez-vous était pris pour 15h devant la maison du peuple pour le rassemblement afin de démarrer la marche chacune munie de sa spatule.
Nous nous préparions à cela quand nous avons vu au journal de 13h le maire de la ville de Ouaga dire que cette manifestation n’était pas autorisée et que des dispositions seraient prises pour nous en empêcher. Cela ne nous a aucunement freinées. Nous nous sommes malgré tout rendues au lieu du rassemblement.
Quelle ne fut pas ma fierté de voir que bon nombre de ces femmes étaient des mères voir des grand-mères d’un certain âge sorties pour leur peuple, pour leurs enfants parce que c’en était devenu trop.
A 16h nous avons entamé la marche spatules brandies scandant des phrases comme : « touche pas à ma constitution ». Au niveau de la barrière des CRS, nous avons opéré une brève halte afin de leur faire comprendre qu’ils devaient nous laisser passer parce que nous n’étions pas là pour eux mais pour passer un message à celui qui pensait être le seul capable à diriger ce pays sacrifiant la stabilité et la sécurité de notre nation, et que, nous ne nous laisserions pas démonter par une simple barrière...
Après une courte discussion, nous avons forcé le passage et les CRS au final ne nous ont pas opposé de résistance. Nous avons donc pu continuer notre marche toujours en brandissant nos spatules.
LeFaso.net : Etre femme et se mettre aux devants des choses, a-t-il été un avantage ou a-t-il présenté beaucoup de difficultés pour vous durant cette période ?

Pour être franche à aucun moment je n’ai agi en tant que femme ...Je pense que j’avais même oublié cet aspect. J’agissais en tant que citoyenne patriote mue par une soif de justice et par l’atteinte des objectifs communs que s’étaient fixée la jeunesse burkinabè, à savoir, arrêter la forfaiture mise en place par l’ex président Compaoré, faire respecter nos droits et notre volonté.
Pendant les marches et les affrontements je ne sentais pas la fatigue, je ne sentais même plus mes pieds (rires). Je ne saurais donc dire qu’être une femme a constitué un quelconque handicap ou un quelconque avantage. Il fallait être endurante, alerte et combative et je l’ai été comme des milliers d’autres Burkinabè.
LeFaso.net : Après la « marche des spatules », racontez-nous votre journée du 30, jour de l’insurrection populaire. De l’assaut sur l’Assemblée nationale à la marche vers Kossyam.
La journée du 30 était vraiment une journée historique pour le Burkina Faso.
Nous nous étions donné rendez-vous au Rond-point des Nations-Unies dès 7h afin d’assister au vote de la loi à l’Assemblée.
Déjà debout tôt le matin, je me préparais à rejoindre les autres quand je vis que mon père se préparait aussi pour rallier la manifestation de son côté. Pour le taquiner je lui ai demandé, "Papa est ce que si ça chauffe même tu peux courir ??"
Et lui de me répondre, "Et comment !!! Si je me mets à courir tu ne peux même pas me suivre "
J’en ai ri aux larmes avant de prendre la route pour le lieu du rassemblement.
Je dois l’avouer, je suis sortie la peur au ventre vu l’important dispositif que nous avions vu mettre en place pour nous empêcher d’accéder à l’Assemblée. A ce moment-là je n’imaginais même pas revenir indemne chez moi. Mais qu’à cela tienne, il fallait agir pour notre patrie, pour nous, pour les enfants que nous mettrons au monde.
Arrivée sur l’avenue Kwame Nkrumah, alors que j’y étais conduite par un ami à moto, on s’est rendu compte que nous ne pouvions plus avancer qu’à pieds. Il a donc parqué son engin dans un des espaces environnant et on a continué allègrement à pieds en causant .
Au niveau du siège du CDP on a remarqué qu’ils avaient mis en place un dispositif de fête. Chose que je ne comprenais pas sur le moment. Beaucoup portaient des T- shirt ‘’Oui au référendum’’ et nous regardaient avec des sourires assez moqueurs. Certains nous disaient même qu’on perdait notre temps. Je n’ai même pas pris la peine de leur répondre quoi que ce soit, je leur ai fait un grand sourire et j’ai continué ma route.
C’est dans cette lancée qu’à un moment sans que je ne sache d’où cela venait, je sentis quelque chose d’assez brûlant frôler ma jambe tomber avec un bruit assourdissant et du gaz s’en échapper en jets.
Du coup j’ai compris que les choses seraient plus difficiles que prévues. On ne voulait même pas nous laisser approcher à 1000m à la ronde.
Là commence la première course poursuite. Je me suis mise à courir dans les dédales de Kwame Nkruma avec derrière un pick up de CRS. C’est avec un grand soulagement que je vis un certain nombre de manifestants venir à ma rescousse.
J’ai donc fait volteface avec eux et nous avons réussi à obliger le pick up à changer de direction. Ils m’ont donné de l’eau pour me nettoyer et me protéger du gaz lacrymogène et nous avons ensemble continué en direction de l’Assemblée. Ce ne fut pas un parcours jalonné de courses poursuites, d’attaques au gaz lacrymogène... Pour se protéger nous avions des écharpes mouillées, certains utilisaient leurs habits. Nous avancions les mains en l’air face aux militaires pour leur dire que nous n’étions pas des menaces. Ils nous laissaient avancer jusqu’à un certain niveau puis se mettaient à nous bombarder de Gaz. A ce moment-là il fallait bien riposter si nous voulions avancer. Nous utilisions des cailloux, bouts de bois et tout ce que nous pouvions ramasser ...il nous arrivait même de prendre les Gaz pour un retour à l’envoyeur.
J’ai pu pendant cette journée admirer la solidarité du peuple burkinabé.
Je n’ai à aucun moment vu abandonner un blessé ou une personne tombée. Nous partagions l’eau, les mouchoirs, le beurre pour les narines instinctivement... On ne se sentait vraiment pas seul et savions que nous pouvions compter les uns sur les autres.
La dernière barrière et la plus ardue était mise en place au niveau d’Azalai hôtel, un peu avant. A ce niveau les tirs au Gaz étaient plus fournies et à un moment un projectile a pris mon voisin en plein dans la poitrine et l’a projeté avec force en arrière, un autre manifestant fut touché au visage.
Les effets du Gaz étaient si nocifs que je me suis même mise à saigner du nez et même une personne s’est évanouie.
A chaque assaut nous nous voyions obligés de reculer pour revenir en force. J’’ai pu remarquer que des hélicoptères étaient aussi utilisés pour nous bombarder de Gaz.
Tout ceci jusqu’à ce que nous réussissions à passer toutes les barrières pour investir l’Assemblée et que s’en suive tout ce que vous avez pu voir.
L’Assemblée nationale prise d’assaut, les députés en fuite, nous avons entamé la marche jusqu’à Kossyam afin de demander à Blaise de libérer les lieux parce que nous ne voulions plus de lui comme président.
Arrivés entre Lybia et Palace hôtel, notre marche a été stoppée par un dispositif de militaires qui eux ne semblaient pas être là pour juste nous dissuader à coup de Gaz lacrymogènes. S’en sont suivis des tirs à balles réelles. A ce niveau deux personnes sont malheureusement tombées sous les tirs.
Devant notre insistance à continuer sur Kossyam, des militaires sont venus nous parler nous dire qu’ils avaient pris les choses en main, que Blaise Compaoré n’était déjà plus président et que nous devions rentrer chez nous pour écouter les infos.
Voilà comment nous nous sommes donc démobilisés ce jour-là avec à l’esprit d’avoir atteint notre objectif.
LeFaso.net : Ce qui ne fut pas le cas ?

Ah mais vous avez tous vu comme moi l’apparition de Blaise Compaoré à 21h sur Canal 3 avec son : « je vous ai compris ».
Depuis le temps qu’on lui parle, qu’on lui envoie des signaux pour lui faire comprendre, il a fallu que le peuple sorte, que des frères tombent pour qu’il comprenne. Il n’avait rien compris du tout. Il aurait dû comprendre plus vite mais il nous a poussé à bout et voilà... Je vous ai compris c’est quand même trop facile tout de même.
Nous ne voulions plus qu’il comprenne quoi que ce soit. Nous ne voulions simplement plus de lui à la tête de notre pays. Il fallait donc qu’on ressorte pour maintenir la pression et je suis sortie le 31.
Blaise Compaoré a régné 27 ans presque 28 ans sur un Burkina qu’il a fini par prendre pour sa cour de récréation. Il avait fini par se prendre pour un monarque à qui tout était dû au détriment du peuple. C’en était trop.
LeFaso.net : Vous êtes asthmatique nous avez-vous dit. Avec ce dispositif sécuritaire et cette tension qui étaient perceptibles, n’avez-vous pas eu peur, n’était-il pas risqué pour vous de sortir ?
Rien n’aurait pu me dissuader tant que mes jambes pouvaient me porter. J’étais muée par la soif d’accomplir mon devoir envers ma nation. Et ce devoir là pour moi était la chose la plus importante.
LeFaso.net : Comment ont réagi vos proches en vous voyant autant engagée ?
Mes parents eux n’ont rien trouvé à redire. Si en général c’était plutôt mon père et moi qu’on pouvait retrouver dans les différentes marches et meetings organisés, celle gigantesque du 28 Octobre a vu la participation de toute ma famille présente ici. Papa, maman, ma petite sœur et moi. Mon frère étant aux études à l’extérieur.
Tout ceci pour dire que nous étions tous engagés à notre manière dans cette lutte.
LeFaso.net : Peut-on maintenant dire que la lutte est terminée et qu’il y’a eu gain de cause avec le départ du président ?

Nous pouvons dire que nous avons gagné une grande bataille. Nous avons réussi à chasser Blaise Compaoré et toute sa suite. Avec Blaise, c’était tout un système qui était gangrené, pourri, un système qui voulait nous asservir et nous bâillonner. Du coup, avoir réussi à les faire partir ne peut constituer qu’une victoire. Mais je pense que nous ne devons pas nous endormir. 27 ans d’exactions de tout genre, crimes, malversations, tripatouillages ne peuvent être surmontés facilement. C’est un travail de reconstruction de longue haleine et nos consciences doivent rester en veille afin de dissuader tout système à venir qui voudrait prendre la même voie.
Mais je crois que dorénavant toute personne qui dirigera ce pays, sentira comme une épée au-dessus de sa tête. Je crois que dorénavant, le peuple a pris conscience de sa souveraineté.
LeFaso.net : Nous avons un président de la transition, un premier ministre et un nouveau gouvernement. Quelles sont vos attentes envers ces nouvelles autorités et quelles devraient être leurs priorités selon vous.
Oui, un président et un premier ministre qui je l’espère, se mettront au travail des maintenant afin de remettre notre pays sur les rails.
J’attends d’eux qu’ils travaillent à démarrer la mise en œuvre d’institutions fortes et qu’ils nous conduisent dans les meilleurs conditions aux élections 2015.En un an nous ne pouvons pas attendre d’eux des miracles mais ils peuvent déjà entamer les chantiers de reconstructions. J’attends d’eux qu’ils travaillent à la paix et à la cohésion sociale et non a la division comme l’avait fait l’ancien régime. J’espère qu’ils apprendront des erreurs de leurs prédécesseurs à savoir que nous sommes très loin d’être un peuple mouton comme le clamait des partisans de l’ex majorité. Nous sommes simplement un peuple non violent qui ne réagit que lorsqu’on l’y oblige ou lorsque ses droits fondamentaux sont bafoués. Qu’Ils sont là en tant que serviteurs du peuple qu’ils ne l’oublient surtout pas et qu’ils accomplissent leur devoir.
Je salue la détermination, le courage dont a fait preuve le peuple Burkinabé dans cette période de lutte qui aura conduit à la chute de Blaise Compaoré et à la libération de notre pays du joug de ce dictateur.
Je m’incline devant chaque homme et chaque femme burkinabè qui aura de près ou de loin contribué à ce que nos objectifs soient atteints.
Je rends hommage à tous nos frères tombés sur le champ de bataille et présente mes condoléances les plus attristées non seulement aux familles éplorées mais aussi à toute la nation. Je suis Fière d’appartenir à un si grand peuple .Vive le Burkina Faso !
Réalisé par Amélie GUE et Cyriaque Paré
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