Les héros de l’insurrection populaire : Sidi Sidibé
Et de trois pour notre rubrique consacrée aux héros de l’insurrection populaire de la diaspora. Notre invité du jour : Sidi Sidibé. A la suite des autres, c’est cet ingénieur en informatique, « un fils du pays » comme il préfère être appelé que nous vous donnons à découvrir.
Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Sidi Sidibé : Tout d’abord permettez-moi de vous remercier de l’intérêt que vous portez à ma modeste personne par la réalisation de cette interview. Cependant, je ne peux m’empêcher d’emblée de relever un fait qui émaille cette intention, à savoir me draper du costume de « héros de l’insurrection populaire ». Si jouir de la liberté d’expression est à considérer comme un acte héroïque, cela dénote qu’il n’y avait en réalité point de démocratie dans notre pays et met à nu un mensonge d’État. Je ne suis donc pas un héros. Mais j’accepterai toujours volontiers d’être un Hérault pour le peuple et porter aussi loin que faire se peut ses aspirations à la liberté. Par contre ceux-là qui ont bravé le pouvoir dans sa composante régalienne peuvent être mis au rang de héros et de surcroît ceux-là qui sont tombés, élevés au rang de martyrs et en la mémoire desquels nous devrons toujours nous sentir obligés.
Pour revenir à votre question, ne dit-on pas souvent chez nous que le masque ne clame pas lui-même sa parution ? J’ai vu que certains m’ont souvent identifié comme le Rasta, le fils de Jah, le Drogué au travers de votre forum avec pour chacun son signifiant allant de l’affection, de l’ironie à l’aversion. Comme disait Einstein « il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé ». Alors je n’en dirai pas plus. Certains de vos lecteurs me connaissent personnellement et la vie étant ce qu’elle est d’autres encore me connaitront. J’aimerais juste pour l’instant paraitre comme un fils du pays, à qui le pays a beaucoup donné et qui à son tour donnera tout pour le bonheur des siens, je parle là des Burkinabé de tous rangs.
Quel est votre parcours ?
Un parcours renferme en mon sens plusieurs acceptions qui peuvent renfermer chacune leur propre singularité. Si le parcours scolaire et professionnel est malheureusement le plus regardé de nos jours et peut être simple à étayer, le parcours de vie quant à lui l’est moins. Le passage en revue de ce dernier pouvant être une ode de satisfaction ou une élégie nimbée d’insatisfaction, de regret, risque d’être long et s’avérer une litanie pour certains lecteurs. Il me semble alors idoine de ne pas s’y pencher.
Permettez-moi donc de vous présenter uniquement mon parcours scolaire et professionnel qui ne regroupe que des séquences spécifiques de ma vie. Ce que nous appelons communément un Curriculum Vitae. Et comme un CV a souvent été dans l’optique de se vendre ou de se promouvoir soi-même en étalant ses connaissances, j’avoue que cela me dérange un peu dans le cas présent.
Je dirai que par rapport à mes frères et sœurs Burkinabè, j’ai eu beaucoup de chance. Beaucoup de chance d’avoir échappé à ce fléau qu’est la mortalité infantile, et ensuite beaucoup de chance d’avoir eu une scolarité normale. Avec cette chance, je fis mes premiers pas à l’école Sikasso-Cira A, ensuite je fis le premier cycle au CEG et le secondaire au Lycée Ouezzin Coulibaly, toujours à Bobo-Dioulasso avec un bac C à la clé. Subséquemment j’ai atterri en première année à l’Institut des Maths et Physique (IMP) de l’université de Ouagadougou. Je fus plus que convaincu de ma chance quand je me rendis compte que des 118 élèves que nous étions au CP1, j’étais alors le seul à l’université cette année-là. Plus jamais ce relent de culpabilité relative ne me quittera. Ensuite le reste de ma formation se passa en dehors du Burkina Faso. D’abord à Toulouse avec une maitrise de Physique Électronique, puis à Strasbourg avec un doctorat de Micro-électronique (option cellules solaires), et Nancy pour un cursus d’ingénieur en Informatique (nouvelles technologies et réseaux), domaines dans lequel je travaille depuis plus de quinze ans.
Je reviens à ce que j’ai cité plus haut comme étant le parcours de vie, ce que Hampâté Ba appelait le savoir. Pour lui, le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe, tout comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine. Vous convenez que l’on ne peut parler de cela en quelques mots, même pour un enfant qui vient de naître ? C’est certainement ce qui aguerrit l’intellectuel. J’en profite pour saluer avec déférence la mémoire de mes parents, analphabètes, pour ce qu’ils ont su me transmettre.
Quels liens avez-vous avec le Burkina aujourd’hui ?
Avec le Burkina Faso, je n’appellerai pas cela lien. Car en parlant de lien on est tout de suite dans l’affect, le sentimentalisme et l’émotion. J’ai des liens inaltérables avec les Burkinabè et un devoir pour le pays.
Je sillonne depuis près de dix ans les campagnes, dans un but humanitaire, une à trois fois par an, avec pour projet d’aider à l’amélioration de la vie des paysans. La réalité que vivent ces masses paysannes censées nous nourrir, nous imposent de forcer le destin. Nous avons coutume de parler de l’immigration vers l’Europe, alors qu’à notre propre porte, nous avons un exode rural qui ne cesse de faire frémir (enfin pour qui s’y intéresse).
Vous avez été présent dans les débats sur la situation politique en
2014 ; quand et pourquoi avez-vous décidé de vous engager ?
Je dirais que j’ai été visible dans le débat politique en 2014 dans des journaux, dont le vôtre, et je vous en sais gré. Mais mon engagement quant à lui ne date pas d’hier. Dépeindre la situation complexe que nous avons connue en 27 ans, ne peut se faire avec un intérêt subit de la chose publique. Mais je conviens qu’une indignation face à l’injustice et l’iniquité peut entrainer une révolte impétueuse. Je fais partie d’une génération qui a fait ses premiers pas sous la révolution du capitaine Thomas Sankara, même si nous n’étions qu’enfants et que nous mimions ces héros aux noms impérissables. Beaucoup militaient en silence, espérant le départ de Blaise Compaoré grâce à l’alternance. La peur que ce régime avait réussi à instaurer presque de façon scientiste, empêchait toute autre forme d’issue. Mais lorsqu’il s’est agi de la mise en place du sénat et de la modification de l’article 37, on ne pouvait que se rendre à l’évidence de la duplicité toujours orchestrée par ce régime et constater que rien ne changerait sans véritable lutte. C’était le signe que la bataille des tranchées était belle et bien terminée. J’ai commencé par des mass-mailing pour appeler à manifester et publier des écrits à visage couvert, puis les choses ont naturellement évolué avec l’intensité de la lutte. Surtout quand des plumitifs du sérail, payés avec des deniers dont le peuple a été spolié, se sont mis à opérer dans l’optique de circonvenir l’opinion. Le reste vous connaissez.
Comment avez-vous vécu l’insurrection populaire des 30 et 31
octobre 2014 au Burkina Faso ?
Les arabes disent souvent « Mektoub », même si je ne suis pas déterministe. Cela fait presque dix ans que je suis normalement présent au Burkina entre mi-octobre et début novembre. Exceptionnellement ce ne fut pas le cas cette fois, comme si les éléments naturels avaient conspiré pour m’en empêcher. J’ai donc suivi ces évènements à distance, pendu au téléphone et en ligne sur internet. Je crois que je n’ai pas perdu une minute de ce qui se passait. Imaginez un instant, qu’un des jeunes que vous avez galvanisés par l’argumentaire de la nécessité de cette lutte salvatrice vous appelle pour vous dire, « grand frère, on tire, y a quelqu’un qui est mort, qu’est-ce qu’on fait ? », vous ne pouvez que pleurer. En même temps que les larmes que vous tentez de retenir emplissent votre gorge, vous tentez de trouver les mots avec une voix presqu’inaudible pour lui dire quelque chose dont vous ne vous souviendrez même pas. Voilà qu’il n’a plus de forfait sur son téléphone et vous êtes coupés. Alors vous tentez de le rappeler, mais cette fois-ci en vain. Le reste n’est qu’angoisse et peur.
Puis le téléphone n’arrête pas de sonner. Ceux qui savent que je devais normalement me trouver au Burkina en cette période sont affolés. Déjà qu’ils me trouvaient en danger avec mes tribunes ! Alors on explique et on réexplique.
Puis des messages d’amitié qui pleuvent d’un peu partout, Cameroun, Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali pour ne citer que cela, de personnes dont vous ignorez comment ils vous connaissent. Vous vous dites alors que c’est la renaissance de cette intégrité, qui a tant fait notre fierté. Vous devenez à l’image de votre pays vous-même l’objet sur lequel les phares sont braqués.
Mais vu le caractère inattendu du scénario, il fallait cependant rassembler ses esprits et tenter de faire une analyse à distance de la situation ubuesque qui s’en est suivie car la lutte continuait. Ma dernière contribution à votre journal, le 7 novembre, en est la traduction.
Vous n’êtes pas sans ignorer que la communauté des Burkinabè de Strasbourg a également, à sa manière saluer cette victoire du peuple par une manifestation publique ?
Comment appréciez-vous la fin du régime Compaoré ?
Si la fin du régime Compaoré est synonyme de liberté retrouvée pour le peuple burkinabè, de l’instauration de la justice et l’investissement en la seule vraie ressource dont nous disposons pour bâtir notre devenir collectif, à savoir les Burkinabè, alors je serai pleinement satisfait. Sinon, cette satisfaction ne sera qu’à demi-teinte car j’aurai le sentiment d’avoir contribué à l’avènement d’un autre régime du même acabit. Si le premier s’est arrogé le pouvoir d’État par les armes et dans le sang d’autres Burkinabè pour qui justice devra être rendue, nous n’avons pas le droit d’en assoir le second dans le sang de martyrs tombés à la fleur de l’âge. Les effluves de leur sang encore frais nous interpellent et nous imposent cette responsabilité.
Certains hommes et femmes rentrent dans l’Histoire parce que les circonstances l’ont décidé en rapport au noble combat qu’ils auraient mené pour l’humanité toute entière. On les appelle les grands Hommes. Ils restent dès lors éternels et demeurent des référentiels immuables qui nous éclairent pendant les moments difficiles de notre temps. Tels étaient le capitaine Thomas Sankara, Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Rosa Parks … et bien d’autres que je ne citerai pas, non pas que je les ai oubliés, ni par naïveté intellectuelle. Qu’ils me pardonnent.
Il en est aussi qui rentrent dans l’Histoire parce qu’ils l’ont eux-mêmes décidé car guidés par leurs seuls intérêts égoïstes quel que soit le prix à payer. Ceux-là aussi seront cités par la postérité en termes de « plus jamais ça ». On dit alors communément qu’ils sont rentrés dans l’Histoire par la petite porte. C’est dans cette dernière catégorie que la funeste décision prise par Blaise Compaoré l’aura hélas expédié car la jeunesse départie de sa peur a décidé d’avancer, de vaincre.
Si les Dieux ne nous abandonnent pas ce pays ne peut que connaitre des jours heureux avec une telle jeunesse.
Comment appréciez-vous la contribution de la presse à ces événements
La presse malgré la posture interlope du régime Compaoré quant à la liberté de la presse où tout était passé au peigne fin, a su tenir son rang même si nous pouvons déplorer quelques fébrilités. Je tiens donc à remercier la presse dans son ensemble. Il faut qu’elle serve de terreau pour une éducation populaire, même si peu de Burkinabè y ont accès. Mais comme on dit si les petites rivières font de grands fleuves, de petites graines, des grands arbres, les petits échos peuvent faire de grand bruit.
Le pouvoir est aujourd’hui l’art de la communication, cela veut dire qu’il est avant tout théâtral et en cette ère du numérique son champ de représentation est décuplé. La presse aura donc de plus en plus de place à cet égard. Il faudra constamment se renouveler tout en s’arrimant aux valeurs intrinsèques qui sont les nôtres. Partout nous devrons faire un état des lieux pour avancer. Il en va de même pour la presse. Votre métier émane de votre liberté, alors battons-nous pour toujours conserver l’un et l’autre.
Que pensez-vous de la présence de leaders de la société civile à
des postes politiques ?
Qu’est-ce donc que la politique ? Au sens aristotélicien, ce serait la manière dont les individus réunis en Cité entendent donner un sens à leur existence. Si c’est donc pour gérer nos rapports humains, notre vivre ensemble, donc notre société, alors les leaders de la société civile en ont parfaitement le droit. Ce sont les circonstances qui font les hommes. Le tout est d’agir sans aucun désir de bénéfice personnel en retour, sans compromission. Il faudra faire de la Realpolitik. Mais si c’est en tant qu’opportunistes, qui n’ont qu’une seule ambition, celle de se faufiler au pouvoir et récolter les fruits de la lutte ou parce que nuitamment ils ont signé un nouveau contrat vassalique avec un cacique de la politique politicienne en contrepartie de subsides, ce serait fortement regrettable.
Quel regard portez- vous sur la transition telle qu’elle est conduite ?
Voici une question bien difficile à laquelle je ne puis pourtant me dérober. Pendant les tous premiers jours qui ont suivi la chute de Blaise Compaoré, j’ai écrit ce que je pensais nécessaire pour assurer un socle de succès à cette transition dans une tribune parue dans votre journal. Et je n’ai pas changé. Tant que les jalons de ces préalables que j’ai évoqués ne sont pas posés, nous marcherons sur des œufs. Je ne suis pas un adepte de la litote alors je dis franchement ce que je pense quitte à déplaire. Je disais donc que :
• L’organe de transition ne devra pas être sous influence.
• Le RSP devra se fondre à l’armée régulière sans aucun privilège particulier et sans condition. Il est important qu’un tel corps armé ne puisse plus exister dans l’État Républicain que nous espérons de tous nos vœux. Cette réforme structurelle de l’armée devra être clairement annoncée.
• Le Lieutenant-Colonel Isaac Yacouba ZIDA devra rendre son tablier de Chef de l’État sans autre condition que celles que la Nation lui confère.
• Les membres du RSP ayant commis des forfaitures devront répondre de leurs actes.
• Il faudra en plus mettre à la retraite tous les « hauts-gradés » parvenus par coterie sous le système Compaoré.
Zida n’est plus chef de l’État, mais il est premier ministre.
L’opinion est aujourd’hui divisée en trois franges :
– Celle qui fait une confiance totale en la transition, depuis les premières déclarations tonitruantes faites avec une théâtralisation révolutionnaire et qui ne tolère aucune critique.
– Celle circonspecte, mais qui laisse le bénéfice du doute et s’accommode à arrondir les angles pour éviter une pétaudière.
– Et enfin celle qui ne fait aucune confiance et se met hors de toute entreprise, en attendant de prouver la fourberie des dirigeants de la transition. Et comme une ordalie, la transition est devenue leur épreuve.
Ce clivage ne facilite évidemment pas la tâche lourde qui incombe à ces nouveaux dirigeants
En plus de ces trois franges de l’opinion nous avons des partis politiques qui si ils pouvaient, accéléreraient encore plus le processus pour être sûrs d’arriver aux prochaines élections avec le plus de munitions possibles quitte à consentir certaines compromissions. Ainsi donc si des problèmes apparaissent, ils sont occultés mais non résolus quitte à faire entorse à nos textes et à la morale.
Si nous voulons préparer l’avènement d’un État nouveau qui rompt avec les pratiques d’avant il nous faut savoir que cela ne passera pas par la seule organisation des élections prochaines. Si nous ne posons pas maintenant les fondations de cet État, alors je crains que nous ne déchantions. Nous devons nous munir d’une feuille de route conforme aux aspirations du peuple, ce qui a suscité en lui ces espérances et cette abnégation à vaincre.
J’ai entendu un dignitaire du CNT dire ceci : nous faisons comme ça parce que nous avons trouvé les textes qui commandaient à cela (à peu de chose près). Je ne suis donc pas sûr que nous obtenions un quelconque changement au final.
Si la transition doit faire comme avant alors le régime qui viendra fera comme avant. D’où mon immense crainte, car avec les protestations légitimes ou non que nous connaissons maintenant, la préparation à un soulèvement ne se fera plus crescendo et le nouveau régime n’aura sans doute pas les ancrages nécessaires pour le contenir.
Si j’avais affirmé que la maturation politique des Burkinabè ferait mentir toutes les cassandres, quand à un chaos après Blaise Compaoré, ce chaos hélas pourrait tout simplement venir du fait de n’avoir pas consolidé nos instruments de vérité, à savoir nos textes pendant cette transition. « La vérité est un lieu, par hypothèse le lieu où il n’y a rien, si ce n’est des textes » (P. Legendre).
Si les vraies réformes structurelles ne sont pas amorcées et jalonnées pendant cette transition, alors elles ne se feront plus. Rares sont les pays qui ont su faire des réformes audacieuses susceptibles de peser sur l’électorat, hors période de transition. N’embrassons pas la simplicité, osons. « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. » (Oscar Wilde).
Pensez-vous que les conditions sont réunies pour une participation de la diaspora aux élections ?
Si les conditions sont réunies ? Non. Mais cela n’induit en aucune manière que celles-ci ne puissent pas être réunies. C’est aussi cela notre ambition. Nous battre pour que ce qui n’est pas évident le soit, dans le strict respect de nos textes. Mais si dès lors qu’une contrainte matériel se pose, nous devons tourner le dos à nos textes alors ceux-ci ne serviront plus de vérité.
C’est se tromper que de penser que le vote des Burkinabè de la diaspora serait un danger pour la réussite et la transparence des élections à venir. On ne pourrait dissimuler que cela soit une violation volontaire de nos textes. Il serait malhonnête d’avoir sollicité leur concours pour empêcher une forfaiture de modification et subséquemment leur demander de souscrire à une autre en serinant des raisons encore plus fallacieuses que celles qui tentaient de justifier la première.
Ceux qui redoutent qu’ils exercent une influence suspecte, perverse, se méprennent doublement et mésestiment le désir ardent des Burkinabè pour le changement, ceux de la diaspora compris. Tous pétris du même patriotisme.
C’est le droit des Burkinabè de la diaspora de donner une expression politique aux aspirations de transformation profonde de leur pays que le côtoiement d’autres pays a fait naître en eux. C’est cette altérité qui nous sert souvent de miroir pour nous centrer sur ce que est fondamental. Cela fait partie de notre humanité.
Le devoir et la responsabilité assumée qu’ils ont fait montre dans la lutte contre le pouvoir inique du système Compaoré, devrait nous interdire de leur prêter une quelconque félonie.
Il y a quand même un paradoxe. On ne peut pas croire que cette diaspora peut influer sur les élections si elle votait et ne pas se soucier du fait qu’elle pourrait aussi le faire même sans bulletin car elle reste pourvoyeur de fonds pour beaucoup de résidents locaux, si telle était l’intention.
Les autorités de la transition doivent prendre leurs responsabilités, au regard du devoir moral qu’elles ont accepté, celui de se mettre au service de notre nation. C’est à eux de mettre en place les institutions qu’il faudrait pour garantir l’assurance de cette transparence. Si on sait que des ambassadeurs, des consulats sont suspects alors pourquoi les maintenir en état ?
Et si réellement ce vote ne peut avoir lieu, il faut alors user de pédagogie et l’expliquer car sans cela cette décision sera accueillie à juste titre comme une mascarade.
Depuis le départ de Blaise Compaoré, vous êtes moins présent dans le débat ; pensez-vous que le combat est fini ?
Vous savez, les batailles ne sont pas faites que de salves et de coups d’éclat. C’est comme en musique, il y a les sons entendus et les silences sans lesquels ce serait une cacophonie. Ne voyez donc pas en mon silence un retrait. D’ailleurs j’en profite pour adresser mes vœux à vos lecteurs en ces termes, puisqu’il est encore temps. Je leur souhaite suffisamment de bonté, d’amour, de paix et d’harmonie pour enrichir leurs voix, leurs mots et leurs silences sans faiblir pour qu’ensemble, avec justesse, nous relevions le défi de la nouvelle partition.
En Blaise Compaoré nous avions un ennemi commun identifié. Cette bataille en somme était peut-être la plus facile à mener car nous concourions à la victoire avec une sorte d’union sacrée. Mais ne nous méprenons pas, il était un maillon d’un système, d’un ordre qui tentera de toujours reprendre la main pour pérenniser ce système néocolonial despotique et corrompu qui depuis 27 ans à partir de l’assassinat du président Thomas SANKARA a mis le pays sous coupe réglée pour garantir les intérêts locaux et régionaux de l’impérialisme français, appelé communément la France-Afrique. Le combat n’est donc pas fini. Et le plus dure est à venir car nous aurons maintenant des ennemis et des adversaires. Pourtant il faudra aussi le gagner. Mais je crains que le que seul courage du peuple burkinabè ne suffise pas. Il faudrait en plus, des dirigeants politiques déterminés et animés d’un idéal patriotique et panafricaniste.
La lutte continue donc. Nous sommes coupables d’avoir pu rester observateurs muets, même de façon passagère, donc complices de ces forfaitures pendant 27 ans. Nous ne pouvons plus nous permettre aucune négligence ni de pensée, ni d’action.
Comment voyez-vous l’évolution du Burkina pour les années à venir ?
Je n’ai pas une vision certaine à ce jour de l’évolution du Burkina pour les années à venir. Je n’ai hélas pas ce don. De grandes échéances nous attendent et les issues ne dépendent que de nous. Du pacte collectif que nous mettrons en place. Mais je rêve d’un Burkina pour lequel, je ne peux faire l’économie d’aucun sacrifice. Que chaque Burkinabè puisse être fier de son apport à la construction d’un tel pays, en même temps qu’il serait fier de ce que ce pays lui aura pourvu pour son émancipation, sa capacitation et son développement humain.
Certes nous partons de tellement loin que tout semble prioritaire. Mais s’il est des domaines où nous devons nous atteler, ce sont ceux de la gouvernance, de la santé et de l’éducation. Sans ces trois leviers toute tentative de développement risque d’être un vœu pieux. Avec la démographie mondiale galopante et son corollaire de globalisation sauvage, nos pays seront les proies à toutes les formes de prédations en quête de ressources. Nous devons nous y préparer avec nos propres valeurs que seule peut nous conférer la réappropriation de toutes nos cultures, pour ne pas essuyer une énième aliénation.
On nous a vendu des années durant, des modèles, des paradigmes de tous types, économiques, sociales, politiques, de développement, de gouvernance dont il faudra nous résoudre à abandonner car plusieurs cas nous montrent leur déboire sur les lieux-même où ils ont été conçus. Aussi je n’ai jamais vu un marchant vendre pour le seul bien de son client. Ce qui compte pour lui, c’est sans conteste le bénéfice en retour. Nous devons nous en convaincre. Nous devons inventer notre propre modèle, en ayant pour transcendance ce grand acte de responsabilité qui nous lie, à savoir la sémantique même du Burkina Faso. C’est de ce nouveau pacte social dont je rêve pour mon pays.
Puisse le Burkina Faso sortir grandi de ces épreuves et puisse la paix, éternellement y régner.
Entretien réalisé par Cyriaque Paré
Lefaso.net