Burkina/Lutte contre le paludisme : Simon Simporé veut mettre fin aux moustiques avec la machine « Rumsa Saamè »
Responsable de Bayiri-PPMF, une entreprise spécialisée dans la réalisation de machines industrielles automatisées, Simon Antoine Simporé, et son équipe viennent de mettre sur le marché un dispositif anti-moustique. Baptisée Rumsa Saamè (Finis les moustiques), la machine fonctionne grâce au concept attraction-capture, un concept qui a déjà fait ses preuves en Occident et tropicalisé à partir de matériaux locaux au Burkina Faso. Dans cette interview, le jeune ingénieur nous parle des avantages à utiliser un tel dispositif pour prévenir les maladies transmises par les moustiques.
Lefaso.net : Pouvez-vous, vous présenter davantage à nos lecteurs ?
Simon Simporé : Je suis Simporé Sidgoamnooma Simon Antoine, fils du regretté colonel Jean Simporé surnommé « Petit Jean » et de madame Simporé née Sako Michèle.
Parlez-nous un peu de votre parcours académique
J’ai toujours été attiré par la technologie, l’électronique, les mécanismes. Cette attirance m’a emmené à beaucoup bricoler quand j’étais petit, ce qui par la suite m’a donné envie de devenir ingénieur pour pouvoir fabriquer de moi-même tout ce que j’avais entre les mains. Les parents m’ont donc donné la chance de faire les études adéquates à l’étranger, c’est-à-dire des études d’ingénierie en conception de systèmes mécaniques automatisés.
Au bout six années d’études intenses, j’ai pu ensuite acquérir autour d’une dizaine années d’expériences professionnelles riches, dans diverses industries connues à l’international. J’en suis donc arrivé au point de me dire qu’il était temps pour moi d’apporter quelque chose à mon pays et donc d’envisager un retour pour pouvoir apporter ma modeste expérience en concevant des machines dont le pays a besoin mais surtout adaptées à la réalité du territoire pour ainsi contribuer au développement endogène du Burkina Faso.
Parlez-nous de la machine anti-moustique que vous avez mise au point !
L’année dernière, depuis l’étranger, j’ai été bouleversé de savoir que l’épidémie de dengue a fait des ravages au sein de notre population. Je me suis demandé, à partir de ce moment-là, comment est-ce que je pouvais aider le pays avec mon expérience professionnelle dans la conception de machines. C’est à partir de là, que, lors des discussions avec des amis burkinabè vivant dans ce même pays étranger, qu’il nous est venu l’idée de concevoir une machine pour lutter contre ces moustiques. Après de longues recherches, j’ai décidé de concevoir une machine utilisant un concept appelé « attraction-capture » qui est en fait, un principe qui existe déjà depuis pas mal d’années en Amérique et qui commence à se répandre en Europe. Après analyse approfondie, il est apparu, que la fabrication d’une machine utilisant ce principe, fabriqué à 100% au pays et adaptés à nos réalités, était bel et bien possible.
C’est comme ça qu’a débuté depuis l’année dernière le projet de machine anti-moustique. De par mes compétences, j’ai pu réaliser en quelques mois un prototype fonctionnel. Ce qui m’a pris le plus de temps, ce sont les divers essais d’attraction des moustiques. Ces essais ont commencé au milieu de l’année dernière et se sont terminées au début de cette année 2024.
C’est donc tout naturellement que j’ai créé en début d’année l’entreprise nommé BAYIRI-PPMF, pour pouvoir commercialiser le plus rapidement possible la machine, afin de participer à cette lutte acharnée contres ces moustiques qui nous font beaucoup de mal.
Pouvez-vous revenir sur la durée des phases d’essais et du lieu où elles se sont déroulées ?
Il faut savoir qu’il existe des milliers d’espèces de moustiques, mais uniquement quelques-uns sont responsables de la transmission de maladies.
Pour nos essais, on s’est intéressé aux moustiques responsables de la transmission de la dengue (Aèdes) et du paludisme (Anophèles).
Cela nous a pris autour de deux années d’essais pour arriver aux très bons résultats que nous avons aujourd’hui avec la machine. Une grande partie des essais s’est déroulée de façon intensive au domicile familial. Les derniers essais de qualification ont été réalisés dans quelques restaurants et grandes places de Ouagadougou.
Et quels sont les avantages de ce dispositif par rapport aux autres méthodes traditionnelles de lutte contre les moustiques ?
Le plus important pour nous, c’est la non toxicité de la machine, qui utilise des produits 100 % naturels, qui vont contribuer à la préservation de l’écosystème tout en permettant de lutter contre les moustiques. C’est le plus gros avantage qu’on voit, parce qu’on a tous utilisé les insecticides ou les spirales et on sait très bien que ce n’est pas bon pour la santé.
L’autre avantage aussi qui est très important, c’est que les moustiques qu’on n’arrive pas à aller chercher dans les endroits cachés d’une cour ou d’un jardin, eh bien, avec ce principe d’attraction-capture, ces moustiques viennent d’eux-mêmes vers la machine. Ainsi, on réussit à les détruire beaucoup plus efficacement car on atteint tout ce qui est gîtes larvaires qu’on oublie de détruire ou qu’on ne peut pas atteindre avec les autres méthodes de lutte.
Comment fonctionne la machine et est-ce difficile à utiliser ?
C’est un système en réalité complexe, mais simple pour les utilisateurs car la machine, une fois installée, est 100% autonome. En fait, tout se fait de façon automatique. La complexité de la machine vient du fait qu’elle est à la fois mécanique, mais aussi électronique. Le côté électronique provient du fait que la machine possède une carte électronique développée par la société et fabriquée sur place au Burkina Faso. Montage des composants électroniques, soudures, assemblage, tout est fait localement. Le système électronique est comme un cerveau. Il va agir en fonction de différents facteurs environnementaux et gérer certains composants qui font partie de la machine. Donc, vue de l’extérieur, la machine paraît simple, mais en fait, elle est très complexe.
Combien de clients avez-vous à ce jour ?
Nous avons moins d’une dizaine de clients pour le moment, parce que la promotion a débuté, il y a à peine deux semaines. Pour l’instant, des retours qu’on a sur la plupart des promotions qu’on a faites, c’est que les gens sont sceptiques. Malheureusement, vu la quantité de fake news qui existe maintenant sur les réseaux, cela ne nous étonne pas. J’invite donc les sceptiques à faire l’effort de voir la machine en fonctionnement pour se rendre compte que c’est bel et bien vrai, qu’on a ce qu’il faut aujourd’hui pour lutter efficacement contre les moustiques. On a des taux de capture qui paraissent incroyables pour ceux qui découvrent la machine mais qui sont normaux pour nous vu la technologie et les efforts qu’on a mis dedans. Sur certains sites, vous avez au minimum 800 moustiques par jour. Je vous défie de trouver une machine qui puisse capturer 800 moustiques par jour.
A qui est destinée votre machine ?
Pour acquérir cette machine, il faut quand même un peu d’argent. La technologie, les consommables qu’utilise la machine coûtent cher. On n’a pas le choix. On espère que tout au long de la commercialisation de cette machine, on pourra recevoir de l’aide, peut-être de la part de l’État ou d’autres acteurs, pour pouvoir baisser énormément les coûts et faire en sorte que ce soit accessible au plus grand nombre. Actuellement, les tarifs qu’on pratique sont assez élevés. Pour les frais de fonctionnement de la machine, il faut prévoir 55 000 FCFA par mois. Pour notre niveau de vie au Burkina Faso, on a conscience que ce n’est pas donné. Mais, on a tout fait pour que le bénéfice soit minime, parce qu’on souhaite démocratiser la machine le plus possible.
La machine elle-même coûte 195 000 FCFA. Certaines personnes pensent que le prix est élevé, mais en fait, le prix n’est pas du tout élevé. Parce que, comme je l’avais expliqué, on a de l’électronique de bord, qui nécessite en fait des compétences d’électronicien, d’automaticien. On a tout un mécanisme qui est fait en mécano soudure et on a surtout du plastique technique qui est du plastique très résistant, ce qui fait que nous proposons une garantie de deux ans à l’acquisition de la machine. S’il y a une quelconque panne, on vient vous la réparer facilement. Si on devait vraiment vendre la machine au prix auquel elle vaut, et par rapport aussi à toute la recherche et développement qu’on a mis dedans pendant deux ans et qui n’ont pas été compté dans le prix de la machine, on serait bien au-delà des 250 000 FCFA.
Avez-vous déjà pensé à un partenariat avec le ministère de la Santé ?
Oui, on est ouvert à toute proposition, mais pour être honnête, je pense qu’on aura besoin du soutien des autorités pour pouvoir avoir un impact encore plus fort sur la lutte contre les moustiques afin de réduire la dengue et le paludisme. Si on était accompagné par les autorités et qu’on pouvait installer des machines dans des lieux publics, les hôpitaux, les camps de personnes déplacées, partout où c’est nécessaire, on pourrait arriver à lutter encore plus efficacement contre toutes les maladies que ces moustiques nous transmettent.
Avez-vous entamé un processus de certification de la machine ?
Pour l’instant non. Notre priorité, surtout que nous sommes en pleine saison de maladie transmises par les moustiques, c’était de sortir rapidement la machine et la mettre en vente. On sait comment se passe ce processus, c’est quelque chose de très laborieux, qui prend beaucoup de temps. On s’est dit : “est-ce qu’on va perdre une année, deux années à chercher à certifier la machine alors qu’on sait qu’elle fonctionne très bien et est 100% naturelle, ou alors on décide de la mettre immédiatement sur le marché pour agir tout de suite pour le pays qui en a urgemment besoin ? Le choix a été vite fait.
Où trouver le produit ?
Le produit est disponible aujourd’hui sur commande. Tout est fait localement, à Ouagadougou. J’aime bien insister sur ce point-là. Il n’y a rien qui est fait à l’extérieur. Tout ce qu’on voit des images et vidéos qu’on a publiées est fait localement par de la main d’œuvre locale. Le délai d’acquisition de la machine, après passage de commande, est de deux semaines aujourd’hui.
Un mot de fin !
On espère pouvoir apporter beaucoup au pays dans la lutte contre les maladies transmises par les moustiques qui endeuillent sans cesse nos familles. C’est vraiment notre objectif numéro 1. Aujourd’hui, parmi les solutions qui existent déjà sur le marché, on pense que ce qu’on propose mérite d’être adopté à grande échelle.
Entretien réalisé par Herman Frédéric Bassolé
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