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Ouahigouya : Un matin à la Maison d’arrêt

Publié le mercredi 25 août 2004 à 07h58min

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Le mercredi 17 août 2004, nous étions à la MACO, entendez la Maison d’arrêt et de correction de Ouahigouya, pas celle de Ouaga comme la similitude de sigle pourrait le laisser penser. Objectif : ouvrir, avec la plume, les portes de cet univers carcéral pour mieux connaître les conditions de détention. Nous avons rencontré l’administration pénitentiaire et quelques détenus dont Semdé Issa (condamné à 20 ans pour viol et meurtre) et un mineur (élève de 6e) détenu pour homicide (lire encadré).

Maison d’arrêt et de correction de Ouahigouya (MACO). Il était environ 10h ce mercredi 17 août 2004 lorsque nous y arrivions, accompagné d’un photographe de la place, oubliant que pour prendre des photos, il fallait une autorisation spéciale. Après le passage obligé au poste de sécurité pour l’enregistrement des identités, un garde de sécurité pénitencière (GSP) nous annonce au régisseur de la prison, qui nous attendait depuis un moment. Muni de notre autorisation de reportage, nous lui rappelons l’objet de notre visite. Assisté du chef du service greffe et de celui du poste de sécurité, le régisseur, M. Pascal Béré, nous invite d’abord à une visite guidée des services de la prison.

En moyenne une évasion par mois

Au service du greffe, où sont gérées les situations carcérales des détenus, le premier responsable M. Ibrama Banazaro, explique : "Ici, nous nous occupons du calcul de la durée de peine de chaque détenu, année par année, mois par mois". Ce travail de décompte effectué au quotidien vise à ce qu’aucun détenu ne passe plus de temps que prévu en prison. C’est également à ce service que sont gérés les biens des détenus (argent, habits, pièces, armes...). "Pour ce qui est de l’argent, précise M. Banazaro, le montant maximal qu’on puisse mettre à la disposition du prisonnier est de 2000 FCFA (jugé inférieur aux prix du transport) afin d’éviter toute tentative d’évasion". Outre la cigarette, le café, cet argent servira à faire préparer des repas pour le détenu. Le menu, en prison, est essentiellement constitué de tô de sorgho grossièrement écrasé et préparé sans sauce. Deuxième étape de la visite, le poste de sécurité. C’est le service chargé de l’enregistrement de tout nouveau prisonnier, de la discipline et de la sécurité de la Maison d’arrêt.

C’est aussi le passage obligé pour tout visiteur. Comme dans toutes les prisons, celle de Ouahigouya connaît aussi des problèmes d’évasions : "Nous enregistrons en moyenne une évasion par mois", nous apprend le chef de sécurité, Denis Ouédraogo, avant de préciser : "Ces évasions concernent les détenus placés en corvée (détenus presqu’en fin de peine et qui s’occupent de certaines tâches comme la cuisine, le jardinage, l’élevage...). Mais, poursuit-il, ils reviennent en prison par suite d’autres infractions". Dernière étape de la visite, l’infirmerie de la Maison d’arrêt.

Apparemment, rien n’indique qu’il s’agit d’un service de santé. Nous apprenons que les soins sont apportés gratuitement aux malades grâce à l’existence d’un stock de médicaments (constitué par des dons). En cas de rupture de stock, c’est le détenu malade qui doit honorer ses ordonnances. "Nos responsables apportent aussi du soutien à ceux qui ne peuvent pas payer leurs ordonnances", signale l’infirmier d’une voix hésitante. Les maladies les plus courantes sont le paludisme, les douleurs abdominales, les démangeaisons ; les décès sont rarissimes, à en croire l’infirmier.

Une seule ration par jour

Construite avec une capacité théorique de 100 pensionnaires, la Maison d’arrêt de Ouahigouya abrite aujourd’hui 119 détenus (dont 3 mineurs isolés dans le quartier qui leur est destiné), classés en 3 catégories : 64 condamnés, 33 inculpés et 21 prévenus. Parmi eux, aucune femme détenue. "Entre 2003 et 2004, explique M. Béré, nous avons enregistré 3 femmes. Mais quand il s’agit de femmes détenues, souligne-t-il, on statue rapidement sur leurs situations judiciaires et elles retournent chez elles".

Au problème de relative surcharge carcérale, s’ajoute celui de l’alimentation en terme de qualité et de quantité : une ration journalière par détenu, faite de tô de sorgho, sans sauce et préparée par des détenus. "C’est insuffisant, mais les moyens de l’Etat sont limités, note le régisseur. Parfois, cette ration austère est améliorée grâce aux produits du jardinage, dans le cadre de la mesure d’individualisation de la peine. Avec cette mesure, certains détenus (les corvéables) pratiquent des activités comme le jardinage, l’élevage, la cuisine... en vue de préparer leur réinsertion sociale.

Les produits du travail de ces corvéables sont gérés par un comité de gestion qui siège une fois par mois. Quant aux activités de loisir comme le sport, elles sont inexistantes malgré le terrain de football. "L’absence de mur d’enceinte ne permet pas l’organisation d’activités sportives", explique M. Béré avant de lancer : "Le mur de clôture est une nécessité absolue pour la Maison d’arrêt de Ouahigouya". Malgré les conditions de travail éprouvantes (insuffisance en moyens matériels et humains, problème de sécurité dû au manque de clôture), le patron des lieux demeure enthousiaste et chaleureux envers les prisonniers.

Durant la visite suivie de l’entretien avec les pensionnaires de la prison (lire encadré), c’est avec courtoisie et une réelle familiarité qu’il s’est adressé aux réclusionnaires, appelant certains par leurs prénoms. "Il faut humaniser les prisons", a-t-il répondu à notre question sur cette familiarité, avant de laisser entendre : "Ce sont des êtres humains comme nous. Aujourd’hui ce sont eux, demain ça pourrait être nous". On ne peut cependant que déplorer ces nombreuses situations irrégulières de personnes détenues depuis des mois, voire des années sans jugement, car c’est nager en pleine illégalité.

Alain St Robespierre


Nous avons rencontré Issa Semdé

A l’issue de la visite guidée suivie de l’entretien avec le personnel pénitencier, nous avons rencontré quelques détenus. Ils se prononcent ici sur les causes de leur détention et sur les conditions de vie en prison.

• Hamadé Guindo, 31 ans (détenu depuis 1995 sans jugement) : C’est par suite d’un vol au secteur 10 de Ouahigouya que je me suis retrouvé en prison. Ce jour-là, le 6 mars 1995, j’ai volé un vélo. Mais en ressortant de la cour, j’ai rencontré le propriétaire qui entrait. Alors je l’ai assommé avec une hache et il est mort. J’ai été retrouvé la même année et conduit ici. Jusque-là je n’ai pas été jugé. Toutes mes demandes de mise en liberté provisoire sont restées sans réponse. Si j’étais jugé, je saurais au moins combien de temps il me reste à passer en prison. Je n’ai jamais été maltraité ni par les gardes ni par mes codétenus. je n’ai jamais été malade non plus. Tout mon souhait est que les autorités judiciaires daignent examiner mon cas.

• Issa Semdé (instituteur condamné à 20 ans pour viol et meurtre d’une élève) : Je suis détenu depuis 2002 et j’ai été jugé en 2003. Quand on commet un tel acte, on ne peut que demander pardon. On ne peut pas réparer le crime en payant de l’argent. On ne peut pas non plus l’effacer de sa conscience. Même la peine de 20 ans n’est pas à la hauteur de mon crime. Même si mon avocat (NDLR : commis d’office) voulait faire appel, je n’allais pas accepter. Quelqu’un est mort de par mon acte, alors je dois payer. Actuellement, je mène, grâce à l’ONG prisonniers sans frontières, des activités d’alphabétisation au profit des autres détenus. En retour, je perçois 7 500 FCFA par mois. Mais avec la saison pluvieuse, on a suspendu les activités. Les conditions de détention ne sont pas très mauvaises. Je ne suis pas maltraité.

• Issoufou Niampa (15 ans, élève en 6e) : J’étais élève en classe de 6e au lycée départemental de Tikaré (Bam). A cette fin d’année scolaire, j’ai obtenu une moyenne annuelle de 16,82/20. Je suis détenu depuis le 8 juin 2004 par suite d’un homicide. C’était au cours d’une bagarre avec un jeune rapatrié de la Côte d’Ivoire qui nous frappait chaque fois. Un jour, il voulait me frapper comme d’habitude. Alors j’ai sorti un couteau pour le piquer à la main, mais malheureusement c’est son ventre qui a été touché. Il est mort sur place. Je suis parti annoncer cela à mes parents et par la suite la police est venue me chercher. Je n’ai pas de problèmes avec mes codétenus (je partage ma cellule avec deux autres dans le quartier des mineurs). Je mange bien et mes parents me rendent visitent.

• Abdoul Rasmané Ouédraogo, 27 ans : Je suis détenu depuis 8 mois, sans jugement. Lors de la nuit du riisso (retour du roi du Yatenga de sa retraite de quelques jours), un jeune homme a été mortellement battu par les éléments de la sécurité du roi. J’ai été faussement accusé et transféré ici avec l’un des deux meurtriers. Le deuxième est actuellement en fuite. Ici nous avons des problèmes avec l’alimentation. Personnellement, je reçois de l’aide de ma famille. Il y a aussi des problèmes avec les nattes.

Entretiens réalisés par Alain St Robespierre
L’Observateur

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