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Dr Basile L. Guissou, Directeur Général du CNRST : « Je ne crois pas en la démocratie, mais en la révolution démocratique et populaire »

Publié le lundi 3 octobre 2005 à 07h39min

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Il y a vingt ans, Laetare Basile Guissou était le chef de la diplomatie burkinabè. Aujourd’hui, directeur général du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), M. Guissou n’a rien perdu de sa verve révolutionnaire. Sociologue de formation, Basile Guissou a soutenu une thèse d’Etat à l’Université d’Abidjan sur la constitution de l’Etat.

Ses propos, sa conviction, ses idées, tout en lui « respire » la Révolution au point qu’on se demande comment se situe-t-il au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), la formation politique où il milite. D’ailleurs lui même le dit : « Je ne crois pas en la démocratie mais en la Révolution démocratique et populaire ». Tout comme il assène sans sourciller : « Je suis derrière Blaise Compaoré parce que c’est lui mon camarade ».

Reçu en invité de la rédaction des Editions Sidwaya, le 19 septembre dernier, l’homme s’est montré « atypique » dans ses réponses. Que ce soit sur le NEPAD, le CNR (Conseil national de la Révolution), le sankarisme, la recherche, l’aide internationale, le Pr Bado, le maire révoqué de Koudougou, Hermann Yaméogo, président de l’UNND etc., Basile Guissou n’a pas eu la langue de bois.

Pas vraiment, même si sa vérité « révolutionnaire » ne laisse pas de marbre, avec ses réponses d’un véritable « non conformiste ». Pourquoi vais-je laisser mes adversaires prendre le terrain ? Je suis derrière Blaise Compaoré parce que lui, c’est mon camarade.

Sidwaya (S.) : Le pays a été confronté, cette année, à une crise alimentaire. Cette crise a touché gravement les populations les plus défavorisées, les plus pauvres. Pensez-vous que l’Etat a fait ce qu’il fallait faire ?

Basile Guissou (B.G.) : Je suis un ancien membre du gouvernement, de 1983 à 1987 j’ai occupé la fonction de ministre des Relations extérieures et de la Coopération. Je sais ce que c’est que gouverner au Burkina Faso. Je suis en mesure de vous dire qu’un gouvernement quel qu’il soit ne peut contrôler la pluviométrie à 100%. Cela est impossible. Une bonne ou mauvaise pluviométrie ne relève pas du fait que le gouvernement a fait tout ce qu’il doit faire ou pas. La pluviométrie, cette année, a eu des caprices en plus de l’attaque des criquets pèlerins. Je ne culpabilise pas le gouvernement car si vous savez tout ce qu’on a mis depuis les 10 dernières années dans le domaine de l’agriculture afin d’essayer de maîtriser la pluie (radar, programme Saaga, avions,...), cela vaut une dizaine de milliards de francs CFA.

Les membres du gouvernement, à l’instar de toute la population, ne peuvent pas être contents de se retrouver dans une situation pareille à celle que nous vivons cette année. Cela dit, je pense que la presse a fait largement écho de tout ce qui a été fait par le gouvernement pour atténuer l’impact de cette situation difficile à l’endroit des populations les plus démunies. Certes, nous vivons avec nos contradictions comme dans toute société, des préfets et des agents indélicats ont posé des actes répréhensibles et le gouvernement a réagi comme il fallait le faire.

S. : A l’instar du gouvernement malien ou sénégalais, pensez-vous que celui du Burkina a bien géré la crise acridienne avec l’aide reçue ?

B.G. : Vous vous adressez à quelqu’un qui ne veut pas de l’aide. J’ai été content de voir l’Inde rejeter après le Tsunami, toute intervention extérieure sur son territoire. On fait avec nos moyens. Le gouvernement fait avec ce qu’il a et je suis pour cette forme de vision. Je ne suis pas pour les cris de détresse.

J’ai été ministre des Relations extérieures et de la Coopération et certaines ambassades m’ont assailli pour me demander de crier famine. C’est du chantage et je n’aime pas cela. Pour moi, si le gouvernement pouvait, à l’interne, juguler cette crise sans recourir à l’aide extérieure, je serais fier. Si on n’a pas pu, on aura fait avec ce qu’on a mais, par principe, je suis contre les appels à l’aide surtout celle alimentaire. C’est une arme dangereuse.

S. : Si on vous demandait d’évaluer le programme Saaga ?

B.G. : Vous êtes des journalistes et moi je suis chercheur. Nous travaillons sur dix ans. Pour tirer une conclusion sur le programme Saaga, il nous faut dix ans. C’est comme les OGM. Des voix s’élèvent pour dire qu’ils sont bons ou mauvais. Un chercheur peut au bout de cinq ans faire des esquisses et les cinq années suivantes viennent confirmer les résultats des cinq premières. Au bout de dix ans, on peut faire des affirmations avec une certaine certitude.

Concernant le programme Saaga, on vient de commencer. C’est, cette année, qu’on a mis en place l’équipe pluridisciplinaire d’évaluation avec l’université, le CNRST, la météorologie, l’armée de l’air, les ingénieurs agronomes, des hydrologues,... On essaie de voir dans tous les domaines, les différentes particularités qu’il y a. On essaie aussi de se demander s’il n’y avait pas le programme Saaga, où en serions-nous. Nous devrons être capables de dire au bout de dix ans, le nombre de millimètres cubes par an emmagasinés dans la nappe phréatique grâce à cette opération.

S. : Est-ce qu’un pays comme le Burkina Faso peut se passer de l’aide extérieure ?

B.G. : De 1983 au 13 mars 1991, le Burkina Faso n’a pas reçu un dollar d’aide extérieure en dehors des projets qui étaient en cours. Lorsqu’on a signé le Programme d’ajustement structurel (PAS) le 13 mars 1991, les bailleurs de fonds ont commencé à intervenir de nouveau dans notre pays. C’est pour vous dire que, par expérience, c’est faisable mais cela coûte cher.

Si on vous demandait de donner 10% de votre salaire pour réaliser divers programmes, vous auriez commencé à crier. Et cela est normal, humain, mais la liberté, l’indépendance ont un prix. Si vous êtes prêt à le payer, vous pouvez vous passer d’aide. Si vous prenez les statistiques, vous verrez que pendant la période en question, le Burkina a marqué les plus importants taux de croissance.

Mais malheureusement, on est dans un contexte où on ne peut pas évoluer en vase clos. Il faut tenir compte des autres. Pendant qu’on faisait des économies, d’autres gaspillaient à côté alors qu’on fait partie de la même zone monétaire. Vous faites pression sur vos salariés alors qu’à côté, on augmente les salaires. Notre compte est au Trésor français. Nous ne dépensons pas, ce qui n’est pas le cas des autres. En fin de compte, ce n’est pas évident qu’on en profite.

Mais je dis que c’est faisable, on peut absolument se passer de l’aide étrangère. C’est l’opinion qu’il faut conquérir et cela n’est pas une mince affaire. Je suis bien placé pour le dire. C’est ce que je pense et cela est une voie de développement. Je viens de réfléchir avec trois autres sociologues (un Malien, un Nigérien et un Béninois) sur le sujet : « Comment sortir de la pauvreté, est-ce une fatalité ? ». J’ai donné mes points de vue et je crois que cela est parfaitement faisable car j’ai vécu une expérience qui me permet de l’affirmer. Ce n’est pas théorique.

Je dis toujours qu’il faut accepter de se développer au ras du sol à partir de ce qu’on a et de ce qu’on peut. Nous ne sommes pas obligés de suivre le chemin que les autres ont pris. Nous pouvons décider que le banco bien fait est notre plus belle architecture. On fera des cités en banco amélioré et les touristes viendront d’ailleurs pour visiter. Quand on parle des cent fleurs de Mao Tsé-Toung, des médecins aux pieds nus, c’est cela et non autre chose.

Personne ne fera votre bonheur à votre place. Si notre bonheur est de se retrouver sous un karité, en culotte et en train d’attendre que le karité tombe pour le manger et savoir que le fruit contient des calories, que quelqu’un ne vienne pas nous dire qu’on vive autrement. Ce sont des choix où il faut gagner la bataille de l’opinion. Je n’invente rien. Si vous lisez Wolfenson, l’ancien président de la Banque mondiale, il a publié l’année dernière, un ouvrage où il dit que tous les pays qui ont pu faire un pas en avant sont ceux qui ont refusé d’appliquer le PAS. C’est un constat.

S. : La bataille de l’opinion ne passe-t-elle pas d’abord par la bataille de l’éducation ?

B.G. : C’est tout à la fois. L’opinion doit être éduquée, éclairée et organisée pour agir comme un seul homme. Tel que nous sommes éclatés en cent quinze ou cent-vingt partis politiques et en autant de syndicats, cela m’étonnerait qu’on puisse réussir un regroupement national pour des objectifs nationaux.

S. : A vous entendre, on a l’impression qu’on a en face de nous, le professeur Laurent Bado.

B.G. : Je n’ai rien à voir avec le professeur Bado. Je ne le connais même pas. Je n’ai jamais discuté avec lui, je n’ai jamais lu ses livres et cela ne m’intéresse pas. On ne s’improvise pas leader politique, cela se forge. Ki-Zerbo est pour moi un homme politique bien que je ne partage pas ses idées. C’est quelqu’un qui a non seulement une carrière politique derrière lui mais qui s’est sacrifié pour une cause. Il était membre fondateur de l’Association des étudiants voltaïques en France, membre fondateur de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, membre fondateur du MLN et membre de l’Internationale socialiste. C’est depuis ses études qu’il a fait ses options politiques. Il n’est pas de ceux qui sont à la veille de la retraite et qui deviennent des leaders politiques.

S. : Que préconisez-vous pour plus d’entraide entre les Etats africains ?

B.G. : Je pense qu’il est possible de faire ce que Kwamé N’Krumah a proposé depuis 1963, contrairement à ce qu’on nous convainc de l’extérieur de ne pas faire. En 1963, le président N’Krumah avait proposé à Addis Abeba de créer un gouvernement, une armée, une administration, une police et une mise en commun de toutes les ressources du continent.

Si vous lisez son livre, « L’Afrique doit s’unir », rien du discours qu’on tient aujourd’hui n’est neuf. Est-ce à dire qu’il a eu raison trop tôt ? Je dis non. Ce sont les autres qui étaient trop en retard. Sinon, depuis 1960 tout cela était faisable. Quand on dit attendez, je vais appeler Paris ou Londres pour voir la conduite à tenir, ce sera difficile d’être des responsables politiques autonomes. Je ne crois pas qu’on soit sorti de cette impasse.

N’Krumah a, dans son livre, donné l’exemple des Etats-Unis d’Amérique, de l’Union Soviétique qui ont débuté avec peu d’Etats pour être grands plus tard. A douze Etats, ils étaient plus forts que les autres pays pris individuellement. Chaque fois qu’il y avait des bisbilles, les pays qui n’étaient pas dans l’Union couraient pour demander des soutiens au bloc des douze. Comme l’a dit le président Wade sur une radio, tout le monde ne va pas démarrer au même moment et courir au même rythme. Les plus décidés se mettent ensemble et ils seront toujours plus forts que les quarante autres qui sont éclatés. Tout le monde le dit, l’union fait la force. Dix Etats africains réunis effectivement seront plus forts que les quarante-trois autres éclatés. Je pense que c’est une question de choix et de volonté politique.

Ce qui était faisable en 1963, l’est aujourd’hui. Mais avoir une élite qui fait ce choix et qui est prête à payer le prix serait difficilement trouvable. Le professeur Adotévi le disait dans un journal de la place « l’Afrique a mal dans la tête et c’est dans la tête qu’il faut la soigner ». C’est cela le problème de l’Afrique.

S. : Le choléra est présent dans des localités du pays : Ouagadougou, Koudougou, Réo notamment. Comment appréciez-vous l’action du gouvernement ?

B.G. : Je crois que dès le départ, le problème a été pris au sérieux par les responsables du ministère de la Santé. Le secrétaire général dudit ministère a fait plusieurs interventions dans la presse, les médecins qui sont les pratiquants ont rendu compte de ce qu’ils font sur le terrain. Je pense que jusqu’ici, l’épidémie a été circonscrite et géographiquement, on ne peut pas dire que c’est une pandémie nationale. La maladie a touché des villes comme Ouagadougou, Koudougou, Manga, Kongoussi.

Je n’ai pas dit que la maladie a été éradiquée mais l’essentiel est de savoir où se trouve la maladie afin de ne pas être surpris et de se retrouver devant une situation incontrôlable. Jusqu’ici, les services de santé suivent l’évolution de la maladie. J’ai appris que le Sénégal est confronté à ce même cas. Le choléra est appelé maladie des mains sales.

Nous vivons tous à Ouagadougou et nous voyons dans quelles conditions les populations vivent. On n’est donc à l’abri de rien. C’est comme la question de l’insécurité. S’il n’y a pas l’accompagnement de la majorité de la population, c’est difficile pour les services techniques d’y faire face. On ne peut pas mettre un agent de santé ou des services d’hygiène derrière chacun.

Il y a tellement de choses à faire que tant qu’on n’aura pas obtenu une participation consciente de la majorité de notre population à la prévention, on va toujours courir derrière les faits accomplis. Ailleurs, ils ont pu, en amont, régler ces questions (assainissement, hygiène corporelle, individuelle et collective,...) voilà pourquoi ils ne vivent pas des situations que nous connaissons chez nous, c’est chaque fois le médecin après la mort.
Quel moyen un paysan d’un village a, après avoir voté, de réfléchir sur un plan local ?

S. : L’insécurité s’aggrave, comment expliquez-vous cela ?

B.G. : Sociologiquement, cela s’explique très bien. En 1983, Ouagadougou n’avait pas 300 000 habitants. Aujourd’hui, on n’est pas loin de 1,5 million. Cela veut dire qu’on a multiplié le nombre de brigands et de bandits. Avec les crises en Côte d’Ivoire, au Liberia et ailleurs, les bandits connaissent les zones où ils peuvent se replier après leurs opérations. Notre pays qui a six frontières, qu’on le veuille ou pas, est exposé à l’entrée et à la sortie de ces bandits de grands chemins. Ceux-ci forment nos enfants qui deviennent des stagiaires et les accompagnent dans leurs opérations.

Il y a une explosion démographique aujourd’hui. Si en 1983, il y avait dix bandits, il faut les multiplier par plusieurs en 2005. Le banditisme transfrontalier est en train de se développer.

S. : Les élites ne sont-elles pas en partie responsables de cet état de fait ?

B.G. : On ne va pas mordre la queue du serpent. Je répète que le professeur Adotévi a dit que le problème de l’Afrique, c’est son élite. C’est dans la tête qu’il faut la soigner.

Tant qu’on ne dégage pas une élite capable d’entraîner la majorité des populations pour des objectifs concrets, nationaux et patriotiques, on aura toujours des situations difficiles à gérer. La responsabilité de l’élite est au départ et à la fin. Si tout marche bien, c’est l’affaire de l’élite, si rien ne marche, c’est encore la faute de l’élite.

S. : Il y a aussi l’ultralibéralisme qui a cours dans nos pays.

B.G. : Je disais tantôt qu’on a vécu avec nos ressources propres de 1983 à 1991. On a suffisamment assaini la gestion de la chose publique et équilibré l’économie interne pour que notre pays soit éligible à presque toutes les possibilités que la Banque mondiale et le FMI offrent aux pays pauvres très endettés.

C’est vrai que des masses importantes de financement sont arrivées dans notre pays. Les milliards obtenus des bailleurs de fonds drainent aussi tout ce que vous voyez d’attirant pour les véhicules 4x4, de chefs de projets, de bons d’essence. Un proverbe mossi dit que si tu aimes le néré, il faut aussi aimer les graines, les deux vont ensemble. On a opté pour l’option libérale, on la vit et on la gère avec tout ce que cela comporte comme conséquences.

S. : Les Burkinabè seront appelés à élire leur président le 13 novembre prochain. Est-ce que la quinzaine de candidats constitue une aubaine pour la démocratie ?

B.G. : Le Burkina ne s’est pas constitué en 1992. Ce n’est pas seulement la IVe République. En 1946, il y a eu des élections ici et les populations y ont participé. Je vous dirai que les femmes africaines ont eu le droit de vote avant les Françaises. On a fait une élection présidentielle en 1978 avec plusieurs candidats comme Ki-Zerbo, Joseph Ouédraogo, Macaire Ouédraogo, Sangoulé Lamizana... Il y a eu ballottage, et le président Lamizana l’a emporté au second tour.

En 1991, que vous le voulez ou pas, il y a eu une élection présidentielle avec trois candidats. Ce n’est pas parce que certains ont décidé de ne pas prendre part à ces élections que d’autres ne vont pas y aller. Aujourd’hui, on est à quinze candidats. Est-ce que cela est démocratiquement meilleur, moi je doute. Je crains beaucoup plus qu’on ne fasse de la foire. Je crois que la classe politique a suffisamment d’expérience, de maturité pour être capable d’assainir et de rendre plus lisible, la scène politique.

Aux dernières législatives, il y avait vingt-huit listes. Je suis un sociologue et je dois faire des analyses politiques. Si vous me demandez de définir les sigles de dix partis politiques, je n’en serai pas capable ; à plus forte raison le paysan de Falagountou. La classe politique elle-même contribue à brouiller la compréhension de la population. Demandez au paysan de faire un choix sur une feuille qui comporte quinze photos est une chose difficile. On a l’expérience nécessaire mais je ne sais pas pourquoi on n’arrive pas à mieux nous discipliner pour avoir une scène politique plus claire et plus facile à analyser.

S. : C’est donc la classe politique qui n’est pas à la hauteur ?

B.G. : Elle a tout ce qu’il lui faut pour être à la hauteur. Pourquoi elle ne l’est pas ? C’est aux hommes politiques qu’il faut poser la question. Depuis 1946, on vote dans ce pays, on a donc l’expérience des élections. On sait comment nouer des alliances et regroupements mais malheureusement on constate qu’au lieu d’aller vers une scène politique beaucoup plus simple à analyser comme aux Etats Unis avec trois candidats, tout se complique chez nous. En 1978, la classe politique avait décidé qu’au sortir des législatives, seuls les trois premiers partis seront légalement reconnus. Cela est faisable.

Les hommes politiques doivent trouver des formules qui leur permettent de faciliter la tâche de l’opinion et des électeurs. Si je constate que les choses n’avancent pas dans cette direction, j’ai le droit de le dire. Moi, je n’ai pas la solution. On peut trouver des critères dans notre constitution pour réduire le nombre de partis politiques.

Dans notre constitution, il est dit qu’une partie de l’opinion peut par pétition exiger de l’Assemblée nationale le vote d’une loi. Pourquoi on n’en fait pas usage ?

S. : La candidature du président Blaise Compaoré à cette élection passe aux yeux de certains pour anticonstitutionnelle. Etes-vous d’avis qu’il faut passer à la Ve République ?

B.G. : Le président Blaise Compaoré est mon candidat. Je le sais responsable. S’il était illégal et illégitime, il ne se serait pas présenté. Ensuite, que des juristes discutent sur la rétroactivité ou non de certaines lois de la constitution, je peux le comprendre. En dehors de cela, ce sont des querelles de clochers. Le pays dispose d’institutions chargées de déclarer recevable ou non telle ou telle candidature.

S. : Que pensez-vous de la révocation du maire de Koudougou ?

B.G. : Le maire de Koudougou est le maire de mon village et contrairement à ce que vous dites, je ne le connais pas personnellement. Je le connais comme vous et moi. On n’a pas milité ensemble ni partagé les mêmes opinions politiques. Bien au contraire. Ce qui s’est passé à Koudougou n’est pas un épiphénomène. C’est peut-être la dixième fois ou même plus que des maires sont destitués pour des raisons multiples.

Vous pouvez me dire que le contexte ou la période laisse supposer qu’il y avait des intentions politiciennes derrière la décision, c’est légitime. Je ne peux pas faire de commentaires là-dessus car le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation est mieux placé que moi pour savoir que nous sommes en période électorale et que cela peut susciter des commentaires malveillants. Cela fait partie de la marche de notre scène politique avec ses hauts et ses bas.

Je n’ai pas un jugement sur l’acte car je crois qu’il appartient à ses responsables hiérarchiques de décider. Aurait-il été meilleur d’attendre au sortir de l’élection présidentielle avant de le faire ? Je ne me prononcerai pas là-dessus car je ne suis pas convaincu que ce serait mieux après qu’avant. D’aucuns diraient que ce serait mieux avant.

Mon problème à ce niveau c’est que les mairies trouvent des mécanismes de fonctionnement qui mettent les premiers responsables des conseils municipaux à l’abri des situations que nous avons vécues. Les maires actuels sont les premiers maires élus du Burkina. J’ai appris comme vous qu’ils n’avaient pas de salaire mais des indemnités. Avec cela on ne peut pas jurer de la volonté des maires de servir au nom de Dieu, la communauté. C’est une expérience et il faut qu’on sache sans passion tirer les leçons pour l’améliorer.

S. : Dans cette occurrence n’est-il pas prématuré d’aller vers la communalisation intégrale ?

B.G. : Karl Marx disait que les sociétés ne posent les problèmes qu’elles peuvent résoudre, et au moment où elles les posent, les conditions de leurs résolutions existent. Je crois en cela. Si on n’avait pas besoin de maires, ils n’auraient pas existé. Pendant longtemps, le pays a fonctionné sans maires. Si aujourd’hui on pense qu’on peut passer à trois cent maires, c’est que les conditions pour le faire sont là. Maintenant il faut tirer les leçons de ce qui est arrivé aux premiers maires pour faire en sorte que si on devait vivre trois cent trente trois crises on n’en connaisse que vingt-cinq.

S. : Mais, est-ce que l’infrastructure actuelle permet de déterminer cette superstructure ?

B.G. : J’ai fait partie de la Commission nationale de la décentralisation et j’ai été dans la cellule stratégie et méthode. A l’époque on avait même proposé le village comme entité. En tant que sociologue, je pense que c’est cela la vérité scientifique de notre société. Qu’on le veuille ou pas, chacun est de son village. En partant du village, on a plus de chance d’asseoir une armature administrative qui tienne la route. Mais on continue avec l’esprit de l’administration coloniale en contournant la chefferie. On sait que si on passe par le village, on sera l’otage du chef. Où est le mal ?

S. : N’est-ce pas cela qui explique l’échec des CDR ?

B.G. : Les CDR étaient dans les villages, ce n’était pas l’administration où la chefferie mais des CDR. Ce n’était pas Ouagadougou qui allait vers le village mais c’est le village qui venait vers Ouagadougou.

S. : N’y a-t-il pas un hiatus au plan culturel car il y a des gens qui partaient nuitamment faire allégeance au chef ?

B.G. : Cela fait partie de la dynamique. La Révolution, selon moi, a donné du nerf à la chefferie. Contrairement à ce qu’on dit, on n’a jamais pris un décret supprimant les chefs coutumiers, bien que des présidents l’aient fait. Maurice Yaméogo a destitué le chef de Tenkodogo qu’il n’a pas nommé. La Révolution n’a pas fait des aberrations de cette nature. On a voulu les contourner certes. Le chef du village met son fils comme délégué CDR et c’est ainsi qu’il contrôle les CDR. Les réunions se tiennent alors chez lui. Cela prouve que la chefferie traditionnelle a montré plus d’intelligence, de connaissance du terrain et de capacité à s’adapter.

Pendant et après la Révolution, la chefferie s’est toujours retrouvée dans la sphère de décisions. La preuve en est qu’à l’Assemblée nationale, il y a des chefs coutumiers. Cela a d’ailleurs été le sujet de ma thèse d’Etat. J’ai travaillé sur la construction de l’Etat post-colonial au Burkina Faso. J’ai montré que quelque soit la construction institutionnelle, avant pendant et après la colonisation, la chefferie est incontournable. Mieux vaut prendre son courage à deux mains et regarder la situation en face pour dire que les vraies structures politiques et administratives de nos sociétés sont dans nos villages. Allons les retrouver, faisons avec pour qu’on puisse construire quelque chose qui tienne la route.

Nous avons une belle constitution mais si on va aux abords du marché et on demande à 100 personnes ce que dit l’article 37 de la Constitution du Burkina, ils ne le sauront pas. Seuls quelques- uns de ceux qui sont allés à l’école et qui suivent la question peuvent en dire quelque chose. Mais c’est loin de refléter l’opinion de la large majorité des Burkinabè.

Quand je lis parfois dans la presse, les déclarations du genre « le peuple veut ceci ou cela », ça me fait rire. Je sais qu’il n’y a pas 5% de notre population qui a le niveau BEPC, capable de maîtriser la langue française. Si Sidwaya ne tire pas à 10 000 exemplaires alors que Labari qui est un journal d’une ONG de l’Est tire à 15 000 exemplaires, il faut y réfléchir. Ce journal est en langue nationale gulmachéma.

Deux enseignants de l’université de Ouagadougou ont fait une enquête en essayant d’évaluer les Burkinabè qui maîtrisent la langue française de niveau BEPC et plus. C’est 01,09% soit 113 335 personnes. Quand on fait de la science politique, on sait que nos systèmes ne tiennent pas la route. C’est un système qui fonctionne en vase clos.

Quel moyen un paysan d’un village a, après avoir voté, de réfléchir sur un plan local ? Il ne s’exprime pas en français alors que dans les maternités et dispensaires, à la justice et dans l’administration publique, c’est cette langue qui est utilisée. C’est la barrière numéro 1. On n’en fait pas un problème car quel parti politique en parle ? Aucun. A cause de notre français de France, on est parmi les privilégiés.

S. : Est-ce cela qui explique les crises identitaires et la xénophobie que connaissent nos Etats, particulièrement la Côte d’Ivoire ?

B.G. : On dit la même chose de l’immigration en France. Les Sarakolé vont égorger leurs moutons dans les baignoires des appartements et c’est cela qui fait qu’on ne les aime pas. Cela n’est pas vrai. Je pense que c’est une situation de crise dans laquelle la réaction comme en 1936 en Allemagne était de dire que « ces chiens de Juifs mangent notre pain à notre place et qu’il faut les éliminer ». Dans toutes les sociétés, c’est comme cela.

J’ai fait sept ans à Paris comme étudiant et je vous assure que je n’ai pas vécu de scènes de racisme en tant que telle. Mais aujourd’hui quand je fais trois jours, je les vois manifester à côté des masses. La xénophobie en Côte d’Ivoire n’est pas due à une situation d’exception. Aux Etats-Unis, on a un melting pot mais cela n’est pas une entrave. C’est simplement parce que c’est une société ouverte qui a su trouver la soupape de sécurité, des espaces, de telles sortes que les équilibres se font, chacun gardant son identité. Vous allez à New-York et vous verrez Chinatown ou little Italy. Quand vous y êtes, vous vous croyez en Chine ou en Italie. Ce n’est que les Italiens, le capuchino,... c’est la capacité de chaque société à créer des espaces pour que les identités s’expriment sans forcément créer chez les autochtones des sentiments de frustration.

S. : Comment expliquez-vous alors la crise en Côte d’Ivoire ?

B.G. : Je vous donne des chiffres. La Côte d’Ivoire de 1970 à 1980 a emmagasiné 1 000 milliards hors budget par an à cause de la hausse du café-cacao. Les Ivoiriens avaient prévu dans le budget le kilo du café à 500 F CFA alors que sur le terrain c’est 1 500 à 1 700 F CFA le kilo. L’excédent n’était pas prévu dans le budget. C’est ce qu’on a appelé le miracle ivoirien mais mon ami Samir Amin a dit que c’était un mirage. Ce mirage est fini. Vous imaginez ce que cela peut créer comme dysfonctionnement dans une société. C’est cela le vrai problème. Ce n’est pas parce que les Mossi ont acheté des champs de café à Daloa ou à Bouna que ça explose.

Deuxièmement, en 1909, ce n’est pas nous qui avons créé la colonie de Côte d’Ivoire et décidé que la seule façon de mettre en valeur les terres fertiles, c’était d’exclure tout projet de développement en Haute-Volta et exporter la main d’œuvre en Côte d’Ivoire dans le cadre des travaux forcés.

Quand je faisais mes enquêtes pour ma thèse d’Etat, j’ai rencontré un chef traditionnel qui m’a confié hors micro que son père, pour fidéliser la main d’œuvre en Côte d’Ivoire, a été obligé d’envoyer son propre petit frère rester dans les plantations avec les populations et recréer le village. Le frère du chef est le représentant du chef. Les Mossi étant disciplinés et respectueux de leur chef, ils vont rester en place. C’est pour vous dire que ce n’est pas de gaieté de cœur que les Burkinabè se sont retrouvés là-bas.

L’ancien ministre des Affaires étrangères (de 1984 à 1987) qui vous parle est allé en mission à plusieurs reprises voir le président Houphouët Boigny pour ces mêmes questions de terre. Ce n’est pas un problème nouveau. On a toujours su gérer quand il y avait le matelas café-cacao. Houphouët avait les moyens de dédommager les Burkinabè qui avaient été injustement spoliés. Ces moyens n’existent plus. Résultat, c’est ce qu’on voit.

Je crois qu’il faut avoir la capacité de lire sans passion l’histoire et les conséquences de cette dépendance accrue aux produits d’exportation dont on ne maîtrise pas les coûts. On a des problèmes aujourd’hui avec le coton parce qu’on ne décide pas des coûts. Il y a 50 ans on trouvait Koupéla, Koudougou ou Ouahigouya en Côte d’Ivoire et cela contribuait à fidéliser les populations. Les Mossi ont toujours été disciplinés, travailleurs et productifs. On ne va pas aujourd’hui instrumentaliser cela parce qu’il y a la crise.

S. : La longévité du président Houphouët Boigny n’a-t-elle pas contribué à favoriser cette crise ?

B.G. : Il y a combien de royaumes au monde ? Ils sont nombreux. Les rois ne sont pas élus et ils meurent au pouvoir. Ce n’est pas cela qui crée les crises. J’ai pris l’exemple extrême pour vous montrer que ce n’est pas le type de régime qui détermine la stabilité ou non d’un pays. Prenez l’Union européenne et faites le point avant qu’elle ne passe à vingt-cinq Etats. Il y avait plus de dix royaumes dans cet ensemble. Je ne pense pas qu’Houphouët a eu un long règne, il y a eu plus long règne que lui.

Maintenant est-ce qu’il y a eu des capacités endogènes à gérer cette descente au niveau des recettes économiques qui autorise la relève avec une autre mentalité. Quand vous avez des entrées importantes de ressources, votre marge de manœuvre est plus grande, mais quand vous n’en avez plus, il faut être capable d’avoir une élite capable de gérer avec le moins. C’est là où il y a eu problème.

J’ai écouté à la radio nationale une émission de Benao Batien qui rappelait que Ouezzin Coulibaly et René Bassinga (Burkinabè démobilisés de guerre) de passage à Yamoussoukro sont allés voir Houphouët, jeune médecin. Il les invite à manger et Bassinga se plaint en disant qu’Houphouët ne veut pas leur servir du vin. Ouezzin éclate de rire. Houphouët qui demande au Bobo pourquoi il rit comme cela et Ouezzin répond que c’est son petit frère qui dit qu’il ne veut pas leur donner du vin à boire.

Houphouët rétorque qu’il ne boit pas du vin. Bassinga souffle à l’oreille de Ouezzin qu’il a vu des dames-jeannes dans la chambre et qu’il a vu du vin. Ouezzin réplique en disant à Houphouët que son petit dit qu’il a vu des dames-jeannes à l’intérieur. Il les amène dans sa chambre où il y avait plus d’une vingtaine de dames-jeannes mais remplies de poudre d’or pur. C’était l’héritage de la famille. Tout cela s’est passé en 1945-1946.

Aujourd’hui, ce ne sont plus les mêmes problèmes qui sont posés. L’accès aux ressources et au pouvoir est lié. C’est ce problème qui existe en Côte d’Ivoire. L’avantage d’un pays comme le Burkina, c’est de n’avoir jamais eu de trop. Les autres serrent la ceinture alors que nous ne l’avons jamais desserrée. Ce n’est plus la même élite ni la même prédisposition d’esprit. Karl Marx disait qu’on ne pense pas de la même chose ni de la même façon selon qu’on vit dans une chaumière ou dans un palais.

S. : Alors, comment sortir de cette crise ?

B.G. : Le plus petit commun dénominateur qui puisse permettre à tous les acteurs de faire le diagnostic est de dire qu’on vient de là, la situation a évolué, voici ce qui est possible de faire ensemble. Marcoussis, Johannesburg, Accra ont essayé cela mais jusqu’ici on constate que tous les acteurs ne sont pas parvenus à s’entendre. Tant que ce petit commun dénominateur n’est pas trouvé, on ne sortira pas de la crise.

S. : Les hommes politiques burkinabè ne doivent-ils pas s’impliquer davantage dans la résolution de cette crise ?

B.G. : Personnellement, à part le ministre des Affaires étrangères, Mamadou Bamba qui a été mon camarade à la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, je n’ai pas de camarade dans le gouvernement. Je ne sais pas ce qui en est pour les autres hommes politiques. Je constate que si on pouvait le faire, c’est dans notre intérêt. Nous n’avons aucun intérêt à être nez-à-nez avec un pays en crise contrairement à ce que la presse internationale raconte comme balivernes. Si ça va en Côte d’Ivoire, ça ne peut que nous arranger.

Je ne vois pas en quoi la situation actuelle de la Côte d’Ivoire peut nous réjouir alors que nous avons plus de trois millions de nos compatriotes qui y vivent. Je sais en tant qu’ancien membre du gouvernement, combien de capitaux les travailleurs burkinabè en Côte d’Ivoire rapatrient chaque année. Et cela contribue à faire face à certaines dépenses. Je sais ce qu’on perd financièrement avec une Côte d’Ivoire en crise.

S. : Cette crise qui perdure, c’est aussi l’échec de l’UA...

B.G. : L’Union africaine est le reflet de ce que chaque Etat africain lui permet d’être. On a supprimé l’OUA en disant qu’elle était inefficace mais je ne crois pas du tout à cela. L’OUA a fait tout ce qu’elle pouvait faire avec les moyens que les Etats lui ont donnés. Ce n’était pas une ONG, l’OUA n’avait pas de financement extérieur et vivait grâce aux cotisations de ses Etats membres. Si les mêmes conditions qui ont fait que l’OUA n’a pas pu réaliser les Etats-Unis d’Afrique, si les Etats ne font pas plus que ce qu’ils ont fait pour l’OUA, on sera encore dans la même impasse. Ça commence par la gestion à l’intérieur de chaque Etat.

Je disais tantôt que le Burkina n’a rien à gagner à côté d’une Côte d’Ivoire en crise. Si la solution au niveau national n’est pas trouvée, il est illusoire de croire que l’UA peut venir en Côte d’Ivoire trouver une solution. L’ONU ne peut même pas le faire. Tant qu’il y aura des acteurs qui ne peuvent pas se mettre ensemble pour trouver un compromis on va toujours durer dans la crise. Je pense que la solution ne viendra pas de l’UA mais des Ivoiriens.

S. : Que peut-il se passer en Côte d’Ivoire après le 30 octobre, date prévue pour l’élection présidentielle ?

B.G. : Il est difficile de répondre à cette question. Il y a eu des accords et en toute logique, si le plus petit dénominateur commun avait été trouvé il n’y aurait pas eu de problème. Dieu seul sait ce qui va arriver.

S. : L’ancien Premier ministre sénégalais, Idrissa Seck a des ennuis politico-judiciaires dans son pays pour détournement de fonds. L’alternance au Sénégal aurait-elle accouché d’un monstre qui dévore ses propres fils ?

B.G. : N’oubliez pas que le même Abdoulaye Wade a été prisonnier avant d’accéder à la Magistrature suprême. Il a fait la prison sous l’ancien régime. Ce n’est donc pas ce petit phénomène qui doit, de mon point de vue, mettre fin ou perturber outre mesure la volonté des acteurs politiques sénégalais à construire une démocratie dans leur pays. Ils viennent de loin. C’est en fait peut-être la première fois que Idrissa Seck goûte à la prison mais beaucoup d’acteurs de la scène politique sénégalaise savent ce que c’est.


S. : Avez-vous, vous aussi, fait la prison ?

B.G. : Moi j’ai fait quatre mois de prison (rires), mais j’avoue que je n’irai pas l’acheter au supermarché. Je ne crois pas que c’est une voie obligée mais malheureusement je constate qu’il y a beaucoup de leaders politiques dans le monde qui ont connu la prison. Mandela n’aurait pas fait vingt cinq ans à Robben Island, je ne sais pas s’il aurait la sagesse qu’il incarne aujourd’hui. Je me rappelle ces Vietnamiens qui appelaient la prison de Kuala Lumpur l’ »Université de la Révolution », parce que c’est de là-bas qu’ils formaient leurs cadres.

Je pense que, sans aller aux extrêmes, ce qui se passe au Sénégal entre Wade et Idrissa Seck, finira bien par trouver son dénouement. Je l’espère et cela participe du renforcement de la démocratie au Sénégal. C’est vrai que sur la scène, il ne manque pas de jeunes loups souvent trop pressés et qui créent des problèmes aussi aux vieux loups qui pensent que le temps n’est pas venu pour que les jeunes loups se positionnent. La seule réflexion que je peux faire c’est que les acteurs politiques en Afrique manquent souvent de patience. Ceux qui ont eu la patience ont fini par réussir. Wade a fait 30 ans dans l’opposition avant d’être chef d’Etat.

Malheureusement ici quant on crée le parti, on veut que dans les six mois qui suivent, on soit le président. Ce n’est pas facile. La maturation, l’expérience, qu’on veuille ou pas, sont irremplaçables. A vouloir courir trop vite, on s’expose aussi à des situations dommageables. Je suis d’accord pour la gouvernance mais ce n’est pas très bon de voir un ancien Premier ministre, il n’y a même pas deux ans, se retrouver dans les démêlées de cette nature avec son président qui le présentait à l’époque comme son fils et son dauphin politique. Ce sont les choses de la vie.

S. : Etes-vous de ceux qui pensent que l’ancien président libérien, Charles Taylor doit être extradé du Nigeria et juge devant la Cour pénale internationale ?

B.G. : Franchement, je n’ai pas d’avis là-dessus. Je vous ai déjà dit ce que je pense de la Cour pénale internationale. Je crois que son pays qui est d’abord fondamentalement interpellé peut décider d’agir ou pas. Par rapport à ce dont on l’accuse c’est sur la Sierra Leone. Je constate que toutes ces choses se font à la tête du client. Quand on veut de vous, vous êtes un démocrate ; quand on ne veut plus de vous, vous êtes un dictateur, un voleur, et on vous traîne là où on veut.

C’est ce que je constate. Indépendamment du fait, je n’ai pas d’atome crochu pour Taylor, je pense tout simplement qu’il est d’un pays et que s’il doit être jugé c’est d’abord dans ce pays. La proposition de l’extrader devant un tribunal pénal en Sierra Leone n’est pas forcément une volonté de servir les intérêts du peuple libérien encore moins du peuple sierra léonais. Je crois plutôt que c’est des règlements de comptes qui relèvent d’intérêts extérieurs.

S. : A vous écouter, vous n’êtes pas très optimiste ?

B.G. : Si je n’étais pas optimiste, je ne dirais pas que je suis un révolutionnaire ; parce que par définition, être révolutionnaire, c’est être optimiste. Les deux vont ensemble. Comme le disait mon président, ce n’est pas parce que la nuit est très noire que le jour ne se lèvera pas.

S. : Le NEPAD a-t-il un avenir ?

B.G. : Pas forcément. J’ai lu une interview du président Wade il n’y a pas deux mois où il disait qu’il ne croit plus au NEPAD, que le NEPAD est un échec. C’est écrit ; je n’invente rien. Cela dit, les intentions sont louables, mais je pense que c’est à l’interne. Vous voulez qu’on vous respecte, respectez-vous d’abord. On ne finance pas le développement de quelqu’un. Il arrête ses priorités, trouve ses ressources et il commence. Si d’autres ont intérêt dans ce que vous faites, ils viendront s’associer à vous, parce que leur intérêt y est.

Personne ne va venir à vous parce que vos intérêts sont dans tel ou tel projet d’infrastructure ou autre mettre des milliards. Non, je ne crois pas. Ce n’est pas la Croix-Rouge. La Banque mondiale n’est pas Save the Children ; ce ne sont pas des associations de bienfaisance. Ce sont des vendeurs d’argent. Ils vendent de l’argent pour faire des bénéfices et pour vendre de l’argent il faut être sûr que l’argent en question va produire et vous rendre plus riche que celui que vous avez aidé sinon ça ne sert à rien.

S. : René Dumont a eu à écrire que « l’Afrique noire est mal partie ». Quel commentaire en faites-vous ?

B.G. : Je ne suis pas d’accord avec lui. Je pense qu’il raconte des balivernes. C’est la présence européenne en Afrique qui est mal partie. Il est venu ici raconter ses balivernes aux étudiants de la Faculté des sciences économiques qui l’ont « ramassé » parce qu’il a suggéré de tuer toutes les chèvres. Il dit que la chèvre détruit plus qu’elle ne rapporte.

Entre ce que la chèvre broute et ce qu’elle rapporte si on la tue pour la vendre, il estime que la destruction coûte trop cher par rapport au prix de la chèvre. Il pense qu’il est mieux de tuer toutes les chèvres pour sauver notre environnement. Il exclut tout l’aspect culturel et affectif de la chèvre dans notre milieu. Ce calcul économiste, je ne le partage pas. L’Afrique n’est pas mal partie. C’est la présence occidentale et européenne en Afrique qui est mal partie. C’est la divagation d’une élite extravertie qui fait piétiner l’Afrique.

Mais au fur et à mesure des échecs je crois que les leçons se tirent parfois au niveau où on ne les soupçonne pas au ras-du-sol comme on le dit. Les gens apprennent à faire avec ce qu’ils ont et ils ne reculent pas ; ils avancent. Je pense qu’un pays comme le Burkina Faso, même s’il ne marche pas à 200 km/h, il ne recule pas. Depuis vingt ans, il y a des acquis sur lesquels aucun régime ne pourra revenir au Burkina. Personne ne peut faire disparaître le fait qu’en 1983 il y avait 300 millions de mètres cubes d’eau dans tout le Burkina Faso et qu’avec le seul barrage du Sourou, on a multiplié cette quantité par deux, c’est-à-dire 600 millions de mètres cubes. On ne peut pas faire disparaître cela.

Aujourd’hui, avec la philosophie de tout faire pour recueillir le maximum d’eau pour pouvoir développer une agriculture de contre-saison, nous sommes à près de 6 milliards de mètres cubes. Ce sont des acquis importants qu’on sous-estime, qu’on minimise dans l’euphorie de la démocratisation, de la libéralisation. Mais pour moi qui ai vingt ans d’activités politiques aussi bien dans le gouvernement qu’en dehors, je ne peux pas négliger cela. Je pense que le Burkina a fait des pas de géant et il faut en être fier. Je visite beaucoup les pays voisins. Je ne veux pas critiquer ou comparer parce que diplomatiquement ce n’est pas bien mais...

Comme je le dis, nous n’avons jamais eu de café, cacao, pétrole, diamant. On a appris à gérer au plus près ce qu’on a. C’est un état d’esprit qu’aucun régime ne va changer. Il suffit simplement de se positionner pour pousser, accélérer ou alors ralentir. Parfois quand on va aussi trop vite on court le risque de se casser le cou. Je maintiens que mon pays est un pays qui est géré correctement pour l’essentiel, avec une population qui est travailleuse et qui a besoin d’un minimum pour s’organiser mieux, produire mieux et surtout garantir que nous ne vivrons plus des situations comme celle de cette année faite de déficit céréalier, d’attaque acridienne.

Le sac de maïs de 100 kilos est vendu à 25 000 F CFA ; c’est du jamais vu et il faut qu’on prenne le taureau par les cornes.

Nous pouvons produire pour ne pas nous retrouver dans des situations de ce genre. Nous pouvons protéger notre marché ; parce que peut-être la moitié de la récolte est passée de l’autre côté de la frontière où le même sac de maïs est vendu à 30 000 F CFA ou plus.

Nous pouvons contrôler nos commerçants, nos circuits de distribution, etc. Il y a à améliorer à l’interne. Si les critiques prennent cette direction, je les partage. Mais peindre le tableau en noir comme si le peuple attendait que le messie arrive avant de se réveiller, je dis que le peuple s’est réveillé depuis longtemps.

S. : Vous êtes aujourd’hui chercheur, directeur général du Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST). Vous avez été ministre de l’Environnement et du Tourisme, ministre des Affaires étrangères et ministre de l’Information sous le Conseil national de la Révolution (CNR). Quelles sont les grandes leçons que vous tirez de ce parcours ?

B.G. : Il faut dire que j’ai d’abord commencé comme responsable d’étudiants. J’ai été Secrétaire général de l’Association des étudiants voltaïques de Ouagadougou. C’est là que j’ai connu ma première prison politique pour avoir manifesté dans la rue avec les lycéens. Après, j’ai été en France où j’ai passé sept (7) ans à Paris en tant que militant de l’Association des étudiants voltaïques en France et de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). C’est un cursus syndical et politique dont je suis fier et que j’arbore avec fierté.

J’estime que la FEANF était la plus grande université politique pour les étudiants africains. C’est dommage pour des cadres ou des étudiants qui ont été en France, à Paris et qui ont refusé de militer dans ces cadres de formation parallèle. Ça se voit aujourd’hui dans le comportement politique citoyen. Ceux qui sont passés par ces écoles n’ont pas les mêmes attitudes, les mêmes comportements. Avec la petite expérience de quatre ans au niveau du gouvernement, je suis fier d’avoir participé à une période historique du Burkina qui continue de marquer le cheminement de la vie politique.

Quel que soit le jugement de valeur qu’on peut porter sur la période révolutionnaire, sur les quatre ans et même plus, je dirai que cette expérience a porté beaucoup de fruits que nous avons de la peine à évaluer parce qu’on est encore des acteurs et c’est difficile d’être juge et partie. Je reste convaincu que les historiens diront plus tard que cela a été un virage important dans la volonté de ce pays de se forger une identité, d’exister comme un Etat indépendant et souverain capable de générer des ressources pour son propre développement.

S. : Pouvez-vous nous relater les faits marquant des divers postes de responsabilité que vous avez occupés ?

B.G. : J’étais ministre révolutionnaire du Conseil national de la Révolution (CNR). L’organe dirigeant était le CNR. Le gouvernement n’étant que l’exécutif chargé d’exécuter les directives de l’instance politique qui était le CNR.

Nous avons initié la Révolution démocratique et populaire en nous appuyant sur les 8 000 Comités de défense de la Révolution (CDR) des villages qu’on a mis sur pied spontanément sans notre présence. Je précise cela parce que souvent on a comme l’impression que c’est le CNR qui s’est déplacé pour « fabriquer » les CDR dans les 8 000 villages. Ce n’est pas vrai. Cela s’est passé le 4-Août en même temps que le CNR naissait. C’est normal que les CDR aient été des réceptacles de n’importe qui et de n’importe quoi. On n’était pas dans les 8 000 villages ni dans tous les quartiers des villes pour dire il faut voter telle ou telle personne. Ce sont les populations elles-mêmes qui ont élu leurs responsables.

Si ces responsables ont compris que dans leurs quartiers ou dans leurs villages, il y avaient des bandits qui opéraient et qu’il fallait la Kalachnikov pour assurer la sécurité et qui par la suite les ont utilisées pour terroriser des individus, pour retirer de force des animaux « aller égorger ou vendre » ou encore terroriser telle ou telle fille pour la soumettre au charme, je dirais que c’est des épiphénomènes que tout mouvement de masse traîne et qu’il faut savoir gérer.

Je pense aussi que c’est parce qu’il y a eu une structure villageoise des CDR dans les quartiers et villages qu’il y a eu des acquis par rapport aux trois (3) luttes de l’Environnement et du Tourisme à savoir la lutte contre les feux de brousse, la lutte contre la divagation des animaux, la lutte contre la coupe abusive de bois. C’est grâce à ces structures que le reboisement intensif a pu se faire. Le taux de scolarisation était à peine à 12 ou 14% à l’époque. En moins de dix ans on a constaté un changement.

La période révolutionnaire a permis de faire un bond en avant. En 1990 par exemple il se construisait à peu près 700 écoles chaque année et l’Etat avait de la peine pour trouver l’équipement et les enseignants.

L’Information, on ne le dit pas assez parce que les gens croient que l’histoire politique du Burkina a commencé en 1992 depuis qu’ils ont décidé de faire de la politique. Ce n’est pas vrai. La première radio libre du Burkina Faso, c’est Basile Guissou, ministre de l’Information du CNR qui a signé cette autorisation. Moustapha Laabli Thiombiano est là, il peut le confirmer. Une autre radio libre « Entrez parler » a existé sous la Révolution. Ce sont des choses dont on ne parle pas. La Révolution n’était pas menée par des dictateurs incultes et ignorants de l’environnement international. Bien au contraire.

S. : Mais comment expliquez-vous l’échec du CNR ?

B.G. : Le CNR n’a pas échoué. Il a fini sa mission historique, c’est tout. Personne n’a renversé le CNR. C’est lui-même qui a implosé. On n’a pas eu une agression extérieure. C’est le CNR lui-même qui a créé les conditions de sa propre implosion.


S. : Quelles étaient ces conditions ?

B.G. : C’est le pouvoir qui a implosé oui ou non ? Il était à bout. C’est ce que ça veut dire. S’il n’était pas à bout il n’aurait pas implosé. Il serait là encore. Il avait donc terminé sa mission. Dialectiquement c’est ce que ça veut dire. La fin ne vient pas si ces conditions ne sont pas remplies.

S. : Cela a été brutal quand même ?

B.G. : C’est vous qui la percevez comme une fin brutale, pas les acteurs (rires). Personnellement, je ne peux pas prétendre avoir été surpris. Ce n’est pas vrai.

S. : Avez-vous senti cette fin venir, puisque vous avez quitté le gouvernement en avril 1987 ?

B.G. : Non je ne l’ai pas sentie. Mais c’était clair, c’était évident. Je l’ai dit dès le départ. De la façon dont vous vous installez dépend aussi la façon dont vous allez finir. Si on a démocratisé le pouvoir jusqu’au plus petit village, c’était un risque en soi, parce que cela va remonter jusqu’au niveau du sommet.

Si vous n’avez mis en place aucun mécanisme pour gérer vos contradictions, le jour où il y aura contradiction, c’est à la Kalachnikov que vous allez vous départir. On est d’accord ? C’est ce qui s’est passé. Je pense qu’en dehors de tout subjectivisme ou d’analyse de regret moral, je dirai objectivement que ce n’est pas une agression extérieure. C’est l’implosion d’un système qui n’a pas su générer des mécanismes capables de gérer ses crises sans passer par la violence telle qu’on l’a vue. C’est ainsi que je lis les choses. Je ne rentre pas dans des considérations sentimentales.

S. : Vous ne semblez pas reconnaître l’échec du CNR. Le Front populaire est venu pour rectifier quelque chose ?

B.G. : Moi je n’étais pas là. J’étais à la gendarmerie (rires).

S. : Il paraît que vous y aviez été torturé ?

B.G. : Ce n’est pas il paraît, c’est vrai. J’ai fait quatre mois. J’ai été du 16 décembre 1987 au 25 mars 1988 à la Brigade de prévention routière (BPR) avec Salvi Charles Somé dans la même cellule, nus comme des vers, chicotés tous les soirs sans savoir pourquoi. Nous n’avons jamais été interrogés.

S. : Mais pourquoi selon vous, vous étiez torturés ?

B.G. : On peut deviner. C’est des règlements de comptes classiques entre élites de façon générale et révolutionnaires de façon particulière parce que là-bas en général c’est plus méchant.

S. : Est-ce que vous êtes d’accord avec ceux qui ont soutenu que le président du CNR était autocrate et que le CNR était devenu réactionnaire ?

B.G. : Ils sont seuls responsables de leurs propos, pas moi. J’ai publié un livre sur mon expérience au CNR. Il est là depuis 1995. Ceux qui veulent peuvent le lire. C’est aux Editions L’Harmattan à Paris. J’ai mes points de vue là-dedans et je les assume.

S. : Après quatorze ans d’expérience démocratique, êtes-vous toujours nostalgique de la période révolutionnaire au point de vouloir un jour participer à une aventure sankariste ?

B.G. : Qu’est-ce qu’un sankariste ? Je ne sais pas ce que c’est. J’ai toujours défendu mes idées. Je n’ai jamais suivi quelqu’un. J’ai commencé à militer depuis 1970 et j’ai toujours défendu mes convictions, mes idées. Je ne suis pas « Blaisiste » ou « Sankariste » comme vous dites. Non. Si je retrouve mes idées dans une action politique, je m’y engage.

Ce qui se passe aujourd’hui dans mon pays n’est pas étranger à l’action que j’ai menée depuis avec mes camarades. C’est une continuation et selon les conditions historiques données il y a des actions qui sont possibles et d’autres qui ne le sont pas. Je ne suis pas le bon Dieu et je ne peux pas réinventer l’histoire. L’histoire c’est l’histoire.

Maintenant je peux aménager le futur. Rien ne sert de pleurer le passé. Il faut améliorer l’existant et ce qui vient. Je préfère penser en termes de quelle peut être ma contribution aujourd’hui et demain pour que mon pays aille de l’avant ?

A quel poste et en faisant quoi ? Je n’ai pas cessé d’être révolutionnaire. Je le suis dans le contexte de 2005. Je ne regrette rien du tout. Je ne pleure pas 1983. 83 c’est 83 ; nous sommes en 2005 et je fais avec 2005.

S. : Que pensez-vous des partis qui se réclament de Sankara ?

B.G. : Je crois avoir déjà répondu à la question. Je ne sais pas ce que c’est que le sankarisme. Seuls les partis en question peuvent le dire. Je suis mes convictions, je n’ai jamais suivi quelqu’un. Je défends toujours mes idées. Si mes idées et celles d’un autre vont ensemble, on fait chemin ensemble. Le jour où ça ne va pas, je quitte comme je l’ai fait en 1987. En 1987 quand je n’étais plus d’accord j’ai été le 27 avril le dire à Sankara. Je m’en vais. J’ai quitté le gouvernement. Je ne suis pas d’accord et je suis parti.

Le 15 octobre 1987 je n’étais plus membre du gouvernement. J’étais assis au CNRST. Ça ne m’a pas empêché de prendre le bâton mais bref, je me suis assumé. En aucune façon, je me suis engagé à être advitam aternam derrière un individu quelconque. Non. Je respecte mes présidents. Sankara a été mon président pendant quatre ans et j’ai tout le respect que je garde pour lui mais il n’a pas été mon maître et mon Dieu. C’est un bon président. Et en tant que ministre discipliné et militant, j’avais des rapports de ministre à président avec lui, sans plus.

S. : Vous êtes membre du parti transnational. Vous avez même siégé au parlement européen. Qu’est-ce que vous tirez de ce parti ou est-ce de façon opportune que vous vous êtes retrouvé dans ce parti ?

B.G. : C’est en 1983 que j’ai connu Marco Panela, Emma Bonino et plusieurs autres. En 1983, il y a eu à Rome la première conférence pour l’organisation de l’aide aux pays victimes de la sécheresse. J’y étais en tant que ministre de l’Environnement et du Tourisme pour représenter le Burkina. C’est là que j’ai connu les membres du Parti radical mais aussi les membres du gouvernement italien de l’époque, la démocratie chrétienne comme des socialistes et même des membres du Parti communiste italien. Mais le parti qui m’a semblé être le plus proche de nos idées par rapport à la lutte, la désertification et la sécheresse était le Parti radical.

Ce n’est pas en 1987 ou 1988 que j’ai connu ou que j’ai adhéré au combat de Panela. Le parti était un parti transnational dans lequel militaient des Sénégalais, des Ivoiriens, etc. Par principe, j’étais d’accord avec leur approche et j’ai pris la carte de ce parti.

Panela est venu ici plusieurs fois sous la Révolution. Il est ami d’ailleurs de Gérard Kango Ouédraogo qui était à l’époque détenu politique. Grâce à l’action de Panela, je crois, le CNR a eu à élargir beaucoup de détenus politiques. Panela est un défenseur des droits de l’Homme de la première heure. Que ça soit dans les pays de l’Europe de l’Est ou en Union Soviétique, il a fait des grèves de la faim, il a organisé des marches et sit-in pour exiger la libération des prisonniers d’opinion. Ce n’est pas un homme né de la dernière pluie.

Dans mon livre je parle de lui en montrant dès l’introduction qu’en 1984 quand il est venu au Burkina, il a eu à dire que si nous ne faisions pas une Constitution pour organiser la façon dont on doit accéder ou quitter le pouvoir, on s’exposerait à ne donner comme alternative au changement que la voie que nous-mêmes avons suivie pour arriver au pouvoir. Je l’ai écrit dans mon livre. Il l’a dit en 1984-1985.

C’est pour dire que c’est un homme qui savait de quoi il parlait. C’est un homme d’expérience. Sur la scène italienne, je ne compte pas le nombre de victoires qu’il a remportées par rapport à la conquête des droits pour les femmes, l’égalité des chances dans la société, etc. Je précise que le parti à l’époque était un parti de pression.

Aujourd’hui, on a de la difficulté à imaginer ce que c’est. C’était un parti particulier, voilà pourquoi je me suis retrouvé dans ce parti et avec intérêt. Je ne voyais pas d’incompatibilité. Quand j’étais en prison, Panela était l’unique député européen qui a payé le billet d’avion de sa poche pour venir demander notre libération à Ouagadougou. Et le 25 mars 1988 quand nous avons été libérés, il a loué un avion à Lomé pour venir me voir. Ce ne sont pas des choses qui s’oublient. Je ne pense pas qu’il ait fait cela par calcul politique. S’il avait fait des calculs je ne pense pas que ma petite vie valait l’allocation d’un avion. C’est un ami, un aîné pour lequel j’ai beaucoup d’estime, de respect et il me le rend bien.

S. : On peut dire que vous êtes idéologiquement proches, quand on regarde votre cheminement avec Panela. Aujourd’hui vous êtes dans un parti où on trouve du tout ?

B.G. : Aujourd’hui, on est dans le rassemblement large et solidaire. Et comme je le dis, une fois que vous dites que vous élargissez, vous démocratisez et vous libéralisez, acceptez que dans le même réceptacle, on puisse trouver des poissons de couleur et de poids différents, de passés différents. Je pense que vous avez un parti social- démocrate, vous ne pouvez pas le comparer à un parti communiste. Moi je suis un militant de l’ULCR (Union de lutte communiste et révolutionnaire).

Je cohabite aujourd’hui avec des réactionnaires et le RDA, première formule en 1946 comme avec des MLN (Mouvement de libération nationale) réformistes impénitents. On est dans les mêmes instances, on se frotte, on s’affronte et je pense que ce n’est pas mauvais.

S. : Est-ce que ce n’est pas difficile pour un révolutionnaire comme vous, de nager avec des réactionnaires ou des réformistes... ?

B.G. : La révolution, c’est la difficulté. C’est comme si vous me dites que le poisson est dans l’eau. Le poisson est fait pour vivre dans l’eau. Le révolutionnaire est toujours dans des difficultés. Ce n’est jamais de gaieté de cœur que les gens acceptent qu’on bouleverse leurs habitudes. Or la révolution, c’est le bouleversement des habitudes, des acquis, des certitudes. Quand vous venez, vous diminuez les salaires des gens de 10% pour équiper l’hôpital en ambulances, pour vous c’est bien mais celui à qui on coupe les 10%, c’est mauvais.

Je pense qu’être révolutionnaire c’est oser aller à contre-courant mais en étant inscrit dans le courant principal de l’histoire. C’est tout. On ne peut pas s’en sortir autrement. Cela va prendre le temps que ça prendra mais seuls nos propres efforts vont nous conduire au développement. Maintenant, le mécanisme peut passer par « l’EPI » (Effort populaire d’investissement) comme on l’appelait à l’époque. Ça peut aussi passer par d’autres mécanismes. Mais en tous les cas, je crois qu’une société qui veut avancer doit sécréter ses propres ressources pour pouvoir contrôler son avenir.

S. : On vous voit régulièrement à Koudougou, aux côtés de Hubert Yaméogo, battre campagne ; est-ce un signe que vous serez candidat à la députation ?

B.G. : Est-ce que j’ai déjà été candidat ? Je ne l’ai pas été, je ne le suis pas et je ne le serai pas. De moi-même, je n’ai aucune ambition électorale. On ne m’a jamais élu ministre mais je l’ai été. Je l’ai dit et redit. Le bulletin de vote, on peut y croire, moi pas.

S. : Pourquoi battez-vous compagne alors ?

B.G. : Pourquoi vais-je laisser mes adversaires prendre le terrain ? Je suis derrière Blaise Compaoré parce que lui, c’est mon camarade. Si ce sont ceux d’en face, ils vont me régler mes comptes (rires). Je défends mes camarades. Si le CDP est renversé, je vais subir la dictature des autres comme ils disent qu’ils subissent la dictature du CDP aujourd’hui. C’est le retour du bâton. Je me bats donc pour que cela ne se passe pas.

S. : Est-ce que vous pensez comme Balla Kéita qu’un bout de papier n’a jamais élu un président en Afrique ?

B.G. : Je ne suis pas l’étudiant de Balla Kéita. Je suis un révolutionnaire qui pense que le pouvoir est au bout du fusil.

S. : Ne croyez-vous donc pas en la démocratie ?

B.G. : Je n’y crois pas. Je crois en la révolution démocratique et populaire.

S. : Est-ce que votre franc-parler au sein du CDP passe ?

B.G. : On gère. Cela ne passe pas pour certains, mais pour d’autres oui. Le franc-parler d’autres personnes ne passe pas pour moi aussi, mais je fais avec. Je ne peux pas les faire disparaître ; eux aussi ne peuvent pas me faire disparaître donc, on vit ensemble.

S. : Koudougou semble chercher difficilement le compromis de la paix ; d’abord, entre ses fils et ensuite, au plan national. A quoi tient cette situation ?

B.G. : Comme d’autres régions du Burkina, on a connu des moments difficiles mais petit à petit, je crois qu’on est en train de sortir du tunnel. Mais c’est la difficulté liée à l’histoire aussi. Depuis les années 1946, Koudougou a toujours été une zone très disputée et a laissé des séquelles. Il y a eu beaucoup de frustrations au sein de la classe politique et c’est cela qui continue indirectement à alimenter les moments de surchocs à Koudougou. Je suis personnellement optimiste.

S. : Quels rapports entretenez-vous avec l’opposant Hermann Yaméogo ?

B.G. : Aucun rapport.

S. : On a l’impression que ce n’est pas la Gauche qui va résoudre le problème de l’Afrique ?

B.G. : C’est votre point de vue et non le mien. Vous êtes libres de croire et de dire que c’est le point de vue de Keynes ou de Galbraight qui va résoudre le problème de l’Afrique. Moi je suis de la Gauche. J’ai mon choix et j’ai bien dit que je ne suis personne. Je suis un des signataires de la motion de la sous-section de Paris en 1978 qui a dit que nous avons décidé de penser par nos propres têtes, trouver nos propres solutions aux problèmes de notre pays.

Je suis le premier signataire de la motion qui dénonçait le suivisme, les Kolkozes au sein des mouvements étudiants. Je ne suis pas le mouton de Mao, ni celui de Lénine ni de Karl Marx. J’ai un cerveau. Karl Marx n’est pas Burkinabè ; il n’a jamais vécu au Burkina, il n’a pas connu le Burkina, il n’a pas non plus pensé pour le Burkina. C’est à nous de penser pour le Burkina. Mais je pense que ce Mao Tse Toung enseigne pour amener son peuple ou un pays à sortir des besoins primaires (basic needs comme le disent les Anglais) est plus proche de mes réalités que ce que Keynes dit. Keynes parlait dans une Angleterre industrialisée pour dire que c’est l’offre et la demande qui sont la croissance à souhaiter. Je suis dans un contexte où à 100%, nous ne sommes que des importateurs. Nous ne produisons rien, à part l’agriculture et l’élevage.

Du point de vue de la réflexion, ceux qui m’inspirent le plus, en termes de leçons et capables de me servir pour trouver des solutions aux problèmes de mon pays, ce sont ceux qui ont vécu la même situation que moi. Ils sont plus proches. Cela dit, je ne dis pas que le marxisme n’a pas sauvé l’Afrique et ce n’est pas le libéralisme qui va nous sauver. C’est l’élite africaine qui va trouver sa voie. Je ne sais pas si pour vous, l’Inde est un pays marxiste ou capitaliste, si la Chine aujourd’hui est un pays communiste ou capitaliste mais je constate qu’ils s’en sortent. Le jour où l’Afrique trouvera sa voie, elle va s’en sortir.

Mais si c’est Tartampion qui s’assoit à New York ou à Washington pour dire que c’est le capitalisme libéral ou que c’est le marxisme communiste dictatorial, je dis que c’est son affaire. L’essentiel est que ma population puisse manger à sa faim, se soigner, s’instruire, s’habiller, satisfaire ses besoins et contribuer à la marche de mon pays de façon consciente et responsable. C’est cela ma vision.

Je ne quitte pas un impérialiste pour un autre. Je ne joue pas sur les contradictions inter-impérialistes pour dire que l’impérialisme occidental est plus succulent que l’impérialisme soviétique, russe. Je pense qu’il faut éviter d’être sous la coupe de l’impérialisme.

S. : Peut-on être acculturé et responsable ?

B.G. : Je ne crois pas. Je pense que c’est au fur et à mesure qu’on se libère de l’acculturation qu’on devient responsable. Moins on est acculturé, plus on est utile à sa société. Plus on est acculturé, plus on est utile aux valeurs du dehors, puisque ce sont les valeurs du dehors que vous défendez à l’interne.

S. : Est-ce qu’on peut s’attendre à voir un jour Basile Guissou dans le gouvernement ?

B.G. : Pour ce qui me concerne, je n’ai pas été candidat aux élections municipales ou législatives parce que simplement cela ne répond pas toujours à ce que je conçois comme terrain de lutte politique. Par exemple, le système électoral, je ne le partage pas, je ne me retrouve pas dedans. C’est pourquoi je n’ai jamais été candidat. Et on ne m’a pas appelé pour être ministre. Si on m’appelle, je vais réfléchir.

S. : Quels sont les résultats les plus importants auxquels le CNRST est parvenu ces cinq dernières années ?

B.G. : Il faudrait peut-être un livre. Je dirai simplement qu’il y a quatre instituts au CNRST : Un institut des sciences de la santé qui, aujourd’hui a à son actif un produit qu’on appelle le Pharca qui est l’unique médicament actuellement disponible sur le marché ouest africain, je dirai même continental contre les drépanocytoses.

Ce produit a été fabriqué sur la base de nos plantes et commercialisé en pharmacie. C’est un exemple que je donne. Si je prends l’Institut de technologies appliquées (IRSAT), je peux dire que le Burkina a produit au dernier FRSIT la première décortiqueuse de fonio. Les femmes savent ce que c’est que la pénibilité du travail du fonio. Cette décortiqueuse sort le fonio à l’état prêt à passer à la cuisson. Actuellement nous sommes en train de monter un projet avec la Guinée, le Mali pour voir dans quelle mesure nous pouvons vulgariser au maximum cette technologie. Je passe sur les technologies alimentaires à l’IRSAT.

Aujourd’hui, le Burkina sort le bissap sous forme de Nescafé et il suffit de mettre de l’eau et de consommer. Il y a un laboratoire de technologie alimentaire et nous sommes en train de lutter pour avoir un label qualifié à l’UEMOA afin d’offrir nos services à nos exportateurs de produits transformés localement, donc avec valeur ajoutée. Jusqu’ici un de nos problèmes, c’est qu’on exporte par exemple la gomme arabique à l’état brut alors qu’en le travaillant localement on peut quadrupler le prix de vente à l’export.

Le troisième institut est celui des sciences de société. Si vous êtes aujourd’hui avec presque 40% de taux d’alphabétisation et qu’on s’en vante, sachez que c’est parce qu’il y a un institut des sciences de société du CNRST qui, depuis 1981 a élaboré et publié la carte linguistique du Burkina Faso. C’est grâce à cet institut que les 59 langues parlées au Burkina Faso sont répertoriées sur une carte coloriée et que toutes les langues ont un corpus disponible à partir duquel les alphabétiseurs viennent prendre les éléments de base pour traduire les ouvrages du français au fulfuldé ou dans toute autre langue, pour procéder à l’alphabétisation. On ne le dit pas assez.

A ma connaissance, c’est la seule carte linguistique qui existe en Afrique de l’Ouest. Mieux, l’Institut des sciences de société peut se vanter d’abriter aujourd’hui le 1er docteur d’Etat en histoire africaine du Burkina Faso. Le docteur Moustapha Giomiougou a soutenu en juin dernier à l’Université de Lomé une thèse d’Etat en histoire française. C’est la première thèse d’Etat en histoire africaine du Burkina Faso depuis l’indépendance.

On a aussi un collègue, Nahiré Evariste Poda qui a soutenu son doctorat d’Etat l’année dernière sur le pourquoi de l’échec des politiques de développement dans le Sud-Ouest. Les travaux sont disponibles pour les étudiants et autres chercheurs.

Il y a enfin l’Institut agronomique. Aujourd’hui au Burkina Faso, quiconque mange le haricot doit savoir que c’est du haricot de la recherche qu’il mange. Il n’y a pas une semence ici actuellement qui ne soit pas sélectionnée par la recherche scientifique. Si vous demandez, quels types de maïs vous consommez, on vous dira que c’est la variété FRK12, FRK16, de Sariaso, etc. Ce sont donc des produits de la sélection faite dans les stations de l’Institut de recherches agronomiques du Burkina Faso.

Pour ce qui est du coton, jusqu’à l’heure où je vous parle, il n’y a pas une semence de ce produit chez un paysan du Burkina Faso qui n’est pas produite ou contrôlée par l’INERA. Ce sont nos variétés locales issues de la recherche agronomique du Burkina avec des noms. C’est donc l’Institut agronomique qui encadre les paysans semenciers du projet coton. Et les performances de 500 mille ou de 600 mille tonnes de coton que le Burkina enregistre, il faut savoir, sont des fruits de la recherche scientifique. Même le contrôle des engrais et des pesticides se fait dans nos laboratoires. Il y a donc quatre instituts au sein du CNRST et je crois que des résultats existent, palpables, même si la presse n’en fait pas ses choux gras. Le Burkina fait partie des rares pays qui ont réussi à regrouper dans un seul centre l’essentiel de l’activité de la recherche scientifique liée aux options de développement.

S. : On a l’impression que beaucoup de nos recherches sont financées de l’extérieur.

B.G. : C’est l’impression mais ce n’est pas vrai. Personne ne nous a financé pour la recherche du médicament Pharca contre la drépanocytose. Ce sont des chercheurs burkinabè qui ont travaillé sur la base de plantes burkinabè. Nous avons un bon laboratoire de recherche qui a coûté plus de 4 milliards. Il a été acquis grâce à un financement belge mais il y a quatorze ou quinze ans de cela.

Nous avons des partenaires qui nous donnent des moyens parce que nous avons la capacité de valoriser nos compétences en partenariat avec eux, et ils y gagnent quelque chose. On finance des laboratoires au CNRST parce que les chercheurs européens des pays qui financent peuvent venir ici aussi ou envoyer leurs étudiants et être sûrs que l’encadrement scientifique est à la hauteur. Sinon on n’aurait pas cet appui.

Je pense que l’Etat a fait des efforts pour doter le CNRST de ressources humaines de qualité et un minimum d’équipement ; ce qui fait que de l’extérieur les autres chercheurs ou les autres structures de recherches savent qu’en venant au Burkina, en allant dans tel laboratoire ils vont trouver la qualification et l’équipement nécessaires pour travailler ensemble. On appelle souvent cela un partenariat croisé.

Des étudiants burkinabè sont actuellement en Suède et nous accueillons aussi des Suédois dans nos laboratoires. C’est un échange qui permet aux étudiants burkinabè de voir comment les chercheurs suédois travaillent sur les plantes et aux étudiants suédois de venir voir comment nous aussi nous menons nos recherches. Mais du point de vue qualité ou de niveau de maîtrise scientifique nous sommes à égalité avec les autres. ,

S. : Quelles sont vos propres recherches ?

B.G. : Moi j’ai travaillé sur la constitution de l’Etat. Je suis un sociologue et je me suis très tôt intéressé à l’histoire des institutions politiques et leur marche et surtout au pourquoi des difficultés des pays africains, à commencer par le mien, à trouver des dispositifs institutionnels adaptés à leur environnement sociologique et culturel. Je pense que c’est une réflexion qui participe aussi à améliorer le dispositif qui va permettre à la société réelle à savoir la société villageoise d’être en adéquation avec ce qu’on prétend être, la modernité.

Nous avons aujourd’hui des structures modernes : l’Assemblée nationale, le Médiateur du Faso, le Conseil constitutionnel, etc. Comment faire pour que la société réelle trouve son ancrage dans cet univers ? Nos sociétés fonctionnent à deux vitesses et il faut bien qu’on travaille à être sur la même vitesse. Cela exige un travail de recherche et je suis dans ce domaine.

S. : Certaines personnes s’inquiètent des conséquences des Organismes génétiquement modifiés (OGM) qui sont en expérimentation dans nos pays. Ont-elles raison de s’en inquiéter ?

B.G. : Les gens ont raison de s’en inquiéter. C’est l’ignorance qui crée l’inquiétude. Si vous ne savez pas ce que c’est, vous vous inquiétez mais pour ceux qui savent ce que c’est, il n’y a vraiment pas d’inquiétude à avoir. La réponse à la question : est-ce que les OGM sont bons ou mauvais pour nous, ne peut être correctement solutionnée qu’au sortir des travaux de recherches. Or nous n’en sommes qu’au premier protocole. C’est la troisième année par rapport au coton sur lequel nous avons déjà fait des essais. C’est vraiment insuffisant pour commencer à tirer des conclusions.

Au bout de cinq ans peut-être, on pourra avoir des esquisses et au bout de dix ans, on pourra dire que telle variété de coton importé OGM produit 10 tonnes à l’hectare mais les conséquences sur le sol, sur l’eau, la flore ou sur la faune sont ceci ; que telle variété burkinabè améliorée par un gêne quelconque que nous aurons identifié permet d’avoir sept (7) tonnes à l’hectare avec telle et telle conséquence, que par contre telle variété de semence importée donnera tel résultat et telle conséquence pour que les décideurs politiques, au vu des résultats de recherches, fassent le choix. Ils pourront choisir de conserver les variétés burkinabè en l’état parce qu’entre ce qu’on gagne et ce qu’on perd ce n’est pas évident de savoir choisir. On peut aussi opter pour des solutions intermédiaires, parce qu’il y a des pays qui font ce choix.

En Afrique du Sud par exemple, il y a des producteurs blancs qui se spécialisent uniquement en OGM. D’autres ont des partenaires qui demandent que ça soit du bio et ils produisent du bio. Tout cela constitue des solutions qu’il est trop tôt d’agiter. C’est l’expérimentation qui nous aidera à lever les inquiétudes.

S. : Que dites-vous du clonage humain ?

B.G. : Je suis contre le clonage. C’est inhumain et je ne discute pas de ça. C’est ma position de principe. L’homme n’a pas inventé l’homme et il n’appartient pas à l’homme de vouloir fabriquer d’autres hommes, d’autres espèces. Il y a un Dieu et moi je crois en Dieu. Contrairement à ce que Pierre ou Paul peut penser, je suis un déiste et je pense que c’est Dieu qui a créé l’homme et non un laboratoire.

S. : Vous avez pourtant des amis athées comme Mario Panela.

B.G. : Moi je crois en Dieu, maintenant que j’ai des amis qui ne croient pas en Dieu c’est leur affaire, cela ne m’engage pas. Si Mario Panela n’est pas un déiste, c’est son affaire. En tout cas, on était au Vatican ensemble, on a marché pour demander l’aide au CIPAP pour assister les pays du Sahel. Est-ce mauvais ?

S. : Est-ce que vous avez des passions ?

B.G. : J’adore la musique classique, l’agriculture et l’élevage. J’ai un champ de 12 hectares dans mon village, j’ai une vingtaine de bœufs, une vingtaine de moutons. Je suis tous les week-ends au village. J’ai 20 hectares que j’ai reboisés en 12 ans, en y plantant 1000 plants chaque année. En 1995, mon ami Salif Diallo m’a offert 1000 pieds de gomme arabique que j’ai mis sur trois hectares.

S. : Avez-vous une devise ?

B.G. : Non

S. : Si vous deviez jeter un regard rétrospectif sur votre carrière, quel bilan en tireriez-vous ?

B.G. : J’ai essayé de faire de mon mieux ce que j’avais à faire en étant convaincu que je donne le meilleur de moi-même.

S. : Que pensez-vous de la presse burkinabè ?

B.G. : En tant qu’ancien ministre de l’Information je ne peux pas dénigrer la presse. J’ai vu dans quelles conditions les journalistes ont cherché l’information parfois auprès des voix les plus autorisées pour rendre compte de la façon la plus objective et se faire balancer, parfois même humilier ou sanctionner. Parfois je lis des papiers qui me rebutent mais j’essaie de comprendre. J’ai toujours cherché des circonstances atténuantes pour ne pas avoir un jugement expéditif, sévère sur la presse. Cela dit, je ne rougis pas en parlant de la presse au Burkina Faso qu’elle soit étatique ou privée. Je pense que l’un dans l’autre le Burkina tient la route.

Je crois que les journalistes font le minimum qu’il faut pour être à la hauteur de leurs missions. Cependant le niveau de culture générale des journalistes pose parfois problème. Si vous écoutez les commentaires il y en a qui ne parlent pas français. Il y a un effort à faire pour ne pas raviver les passions même dans les médias partisans. Si je dois noter la presse burkinabè elle sera nettement au-dessus de 10 sur 20.

Je tiens à vous dire que je suis disponible, je ne ferme pas ma porte à un journaliste quel que soit son bord, quelles que soient ses options. J’espère que cet entretien ne vous amènera pas à vous éloigner de moi. Je suis disposé à apporter des éclaircis sur tel ou tel aspect. Je ne suis pas protocolaire. Je réponds à toutes les questions qui visent à faire comprendre quelque chose à l’opinion.

Sidwaya

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