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Covid-19 : Quelle problématique de recherche en sciences humaines ?

Publié le vendredi 8 mai 2020 à 16h02min

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Covid-19 : Quelle problématique de recherche en sciences humaines ?

L’Equipe de Géographie de la santé du Laboratoire d’études et de recherche sur les milieux et les territoires (LERMiT) de l’Université Joseph Ki-Zerbo a dégagé des pistes de recherche pour une contribution à la découverte du Covid-19. « Un faisceau de facteurs interagissent autour du virus et autour de l’homme. Il reste donc à déterminer chacun d’eux en vue de construire avec précision le complexe pathogène de la maladie ». Nous vous proposons in extenso, les résultats de leurs recherches.

La pandémie de la maladie à coronavirus : quelle problématique de recherche en sciences humaines ?

Qualifiée par l’OMS le 11 mars 2020 comme étant une maladie pandémique en raison “...de la hausse rapide du nombre de cas en dehors de la Chine au cours de ces 2 dernières semaines, et du nombre croissant de pays touchés” , les spécialistes de la santé s’interrogent sur le fonctionnement (l’épidémiologie) du coronavirus. A défaut de médicaments efficaces, la lutte contre cette maladie repose sur les mesures préventives, impactant négativement la vie des ménages et l’économie de nations entières.

Le port obligatoire de masque, la distanciation sociale (interdiction de rassemblement, fermeture de lieux publics, des écoles), le couvre-feu, la fermeture des frontières, la quarantaine..., ont certes des effets limitant ou évitant la transmission, la diffusion et la propagation du Covid-19, mais ces mesures s’apparentent, surtout en Afrique, à une coercition sociale souvent rejetée. Ainsi au Burkina Faso, des commerçants plaident pour la réouverture des marchés. Ailleurs au Mali et au Sénégal, ce sont les musulmans qui réclament l’ouverture des lieux de cultes durant cette période de Ramadan.

C’est dans un tel contexte d’une maladie « mal connue » qu’est conduite la présente réflexion. Quelle problématique de la recherche en sciences humaines ? S’appuyant sur la littérature, les média et l’observation du terrain, cette réflexion déroule des hypothèses resituant l’homme au cœur de la dynamique spatiale de l’affection.

L’échelle géographique de la réflexion est triple. Il s’agit du Burkina Faso, de l’Afrique et du monde. Une illustration cartographique projette dans l’espace burkinabè, les cas confirmés du coronavirus, du 09 mars au 30 avril 2020. En l’absence de données globales, la présente réflexion utilise des effectifs de cas journaliers publiés par CORUS .

I- Cartographique de l’évolution spatio-temporelle du COVID-19

Le coronavirus est une ‎maladie infectieuse hautement transmissible, causée par un virus (Covid-19) découvert ‎récemment en 2019. Outre le caractère pandémique (ou universel), le monde semble surpris, contrairement au VIH/SIDA du début des années 1980, par la flambée de cette pathologie : selon l’OMS, du début de la flambée en fin janvier à la 17e semaine en fin avril 2020, on compte à l’échelle mondiale 1 350 000 cas et 122 000 décès. Au regard des autres continents, l’Afrique reste peu affectée par le virus Covid-19 avec officiellement 36 460 cas et 1 581 décès. A la date du 30 avril et ce depuis le 09 mars, le Burkina Faso, pays le plus touché dans l’espace sahélien, compte 649 cas confirmés dont 44 décès.

- Dynamique temporelle de la maladie à coronavirus au Burkina Faso

Le diagramme de l’évolution des cas journaliers entre le 09 mars et le 30 avril (figure 1) représente une forme de cloche. On note une flambée de la maladie à partir du 20 mars (22 cas) pour atteindre rapidement le pic le 24 mars (32 cas).

La population découvre la maladie durant cette phase et prend conscience que la pandémie couvre le Burkina Faso. Le gouvernement décrète des mesures de prévention (fermeture des écoles le 16 mars, des frontières le 21 mars, des principaux marchés le 25 mars, le couvre-feu à partir du 21 mars, la mise en quarantaine des villes affectées à partir du 27 mars...) pendant que la presse relaie les gestes barrières.

La forme de la cloche est maintenue jusqu’au 23 avril, avec toutefois un creux ou une brève accalmie pendant 3 jours (du 01 au 03 avril). Puis le nombre de cas chute pour se stabiliser à partir du 25 avril (3 à 4 cas par jour), ce qui permit sans doute le “déconfinement” au Burkina Faso. Dans l’ensemble, la droite de tendance du nombre de cas journaliers est à la baisse.

Source : CORUS (2020), Réalisation : LERMiT, 30 avril 2020
Figure 1 : Dynamique temporelle du Covid-19 au Burkina Faso

- Distribution spatiale de la maladie

Selon la carte (figure 2), la distribution spatiale de la maladie présente des discontinuités. Cette distribution est même qualifiée de “pointilliste” : ce sont au total une quinzaine de localités à travers le territoire national qui présente des cas. Les deux plus grandes villes (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) correspondent à des foyers explosifs.

Ouagadougou est l’épicentre avec 538 cas, suivie de loin par Bobo-Dioulasso avec 57 cas. Les autres localités affectées ont au plus 14 cas comme à Gorom-Gorom. Sur 13 chefs-lieux considérés comme des villes de premier niveau au Burkina Faso, 9 restent indemnes. Alors que d’autres petites localités, presque souvent inconnues, sont touchées (Béré, Sabcé, Niankorodougou...). Dans l’ensemble, le coronavirus se manifeste beaucoup plus au Centre et à l’Ouest du pays.

Officiellement, Ouagadougou a contracté la première la maladie à la date du 09 mars 2020. La deuxième localité atteinte est Houndé (le 14 mars), avant Bobo-Dioulasso (17 mars). A partir de Ouagadougou l’épicentre, on note une progression linéaire de la maladie vers l’ouest jusqu’à Banfora (22 mars). Cependant, la ville de Koudougou n’est pas sur la trajectoire. Les contaminations des autres localités du Centre et de l’Ouest du pays sont faites après le 22 mars. Les deux localités du Nord (Falagountou et Gorom-Gorom) sont parmi les dernières contaminées.

Figure 2 : Distribution spatiale de la maladie à coronavirus au Burkina Faso
(30 avril 2020)

II- L’on s’interroge ?

Les chercheurs découvrent avec le temps le fonctionnement du Covid-19, mais beaucoup de questions se posent. Pourquoi existe-t-il cette discontinuité spatiale de la maladie à travers le Burkina Faso ? Pour les chercheurs des sciences humaines, les hypothèses de recherche portent sur le rôle combiné ou non de plusieurs déterminants.

- Une idée reçue : le climat chaud ne favorise pas le développement de la maladie ! En effet, l’Afrique est faiblement touchée par la pandémie car son climat chaud, ne permet pas le développement du Covid-19, semble-t-il. Cela est d’autant vraisemblable que les pays de l’Afrique maghrébine, ayant un climat tempéré, présente plus de cas que ceux de l’Afrique subsaharienne, excepté l’Afrique du Sud.

Il revient à la recherche d’engager le débat pour confirmer ou non cette hypothèse : la température joue-t-elle directement ou indirectement et comment sur le virus ? A l’échelle du Burkina Faso, cette température élevée expliquerait la faible flambée de la maladie (par rapport à l’Europe). Toutefois, parce que l’amplitude thermique reste faible dans l’espace burkinabè, la température n’influerait pas l’inégale répartition de la maladie.

La baisse actuelle du nombre de cas au Burkina Faso correspond à l’installation progressive de la mousson, laquelle apporte de l’humidité dans l’air. Cet apport d’humidité atmosphérique ajouté à une forte température joue-t-il sur la baisse actuelle de nombre de cas ?

- La peau noire limite-t-elle le nombre de cas de la maladie ? Elle est un facteur inné. Pourtant, il apparaît que les Afro-américains sont plus atteints que les Blancs. Ont-ils perdu une résilience physiologique associée à la peau noire ? Des chercheurs géographes cherchent des corrélations entre la maladie à coronavirus et d’autres endémies tropicales telles que le paludisme, la rougeole, le virus Ébola, ceci par une superposition des espaces d’expression. L’hypothèse principale étant que les anticorps développés par les Africains du Sud du Sahara face aux attaques des maladies tropicales et face aux vaccins et remèdes associés, servent de parades au Covid-19. Quel parallélisme avéré entre la peau noire et la résistance au virus ?

- La précarité expose à la maladie ? Aux Etats-Unis, le nombre de cas élevés chez les Noirs est plutôt expliqué par la précarité de ce groupe social, en marge de l’économie du pays. La même hypothèse se pose au sujet des migrants qui vivent majoritairement dans la précarité. En Afrique, où du moins au Burkina Faso, le Covid-19 attaque plutôt les riches ; “maladies des ministres” dit-on ! Dans tous les cas, sa propagation jusqu’au Burkina Faso semble associée aux voyageurs par avion (à ceux qui ont les moyens !). En l’état actuel des données médicales difficilement accessibles sur les cas au Burkina Faso, il est hasardeux d’accuser la précarité.

- La mobilité des hommes favorise la diffusion et la propagation du virus. La mondialisation de la mobilité humaine expliquerait la pandémie de la maladie à coronavirus. La propagation du virus depuis la ville Chinoise de Wuhan, est en lien avec le réseau de transport planétaire aérien. Qui des pays de l’Europe ou de la Chine furent-ils des foyers de départ du virus pour le Burkina Faso ? Les deux à la fois certainement !

A l’intérieur du Burkina Faso, le transport interurbain est mis en cause dans la circulation du virus, sans qu’on ne puisse expliquer l’état indemne des villes de Koudougou, Kaya, Dori, Ouahigouya, Fada-NGourma... Par contre, l’insécurité qui sévit dans l’Est du pays peut y justifier la propagation peu visible du virus.
Nombre de petites localités infestées sont des sites d’extraction minières comme Sabcé, Houndé... On sait que la mobilité humaine se montre intense autour des sites d’orpaillage et surtout autour des mines d’or exploitées majoritairement par des sociétés étrangères.

- De l’efficacité de la quarantaine de villes. La mise en œuvre de la quarantaine devrait permettre de réduire la propagation de la maladie mais en dépit de cela des localités comme Nouna, Falagountou ont enregistré des cas positifs de Covid-19. Faut-il lier ces cas aux nombreuses violations de la quarantaine. En effet, de nombreux citoyens des villes en quarantaine en sont sortis par des voies détournées et ainsi ils ont certainement favorisé la propagation de la maladie dans des milieux parfois éloignés de la capitale.

- La démographie. On a constaté que le coronavirus sévit beaucoup plus chez les personnes âgées et rarement chez les enfants. En Europe, 94 % des cas ont plus de 60 ans. Selon les spécialistes, le virus affecte les personnes âgées parce que ces dernières présentent couramment des antécédents en matière de santé. Ainsi, 95 % des patients souffrent de maladies cardiovasculaires. Une hypothèse principale est que si l’Afrique est faiblement atteinte, c’est parce que l’espérance de vie (63 ans) pour la période 2015-2020 , y est moins longue qu’en Europe. En l’état des connaissances, la longue espérance de vie apparaît comme un facteur déterminant.

- Le régime alimentaire n’a pas d’effet. L’interrogation actuelle porte sur le risque d’insécurité alimentaire que peut apporter la maladie à coronavirus, dans les ménages et à l’échelle des États. Car, les mesures de quarantaine, de couvre-feu, de fermeture des frontières et de confinement limitent la production alimentaire et surtout la régulation des produits alimentaires.

Dans le cadre de la présente réflexion, l’hypothèse de recherche peut être ainsi formulée pour engager le débat : il existe un parallélisme entre le développement du Covid-19 et le régime alimentaire. Toutefois et d’une manière générale, au régime alimentaire équilibré en Europe correspond une flambée de la maladie. Ce régime alimentaire carné, salé et sucré y prédispose-t-il l’Européen à la maladie ? Dans les pays du Sahel connaissant des crises alimentaires chroniques ou récurrentes, on y recense bien moins de cas qu’en Europe. La précarité alimentaire ne justifierait donc pas a priori la pandémie dans les pays du Sahel.

Ce sont autant de pistes de recherche pour une contribution à la découverte du Covid-19. Un faisceau de facteurs interagissent autour du virus et autour de l’homme. Il reste donc à déterminer chacun d’eux en vue de construire avec précision le complexe pathogène de la maladie.

III- Perspectives

Le confinement n’est point un fait culturel chez l’Africain. D’une manière générale, la lutte contre la vulnérabilité face aux risques sanitaires, de famine, de guerre... s’appuie sur le réseau social. On comprend que le confinement soit perçu comme une barrière au mode de vie du Ouagalais qui ne se retrouve plus face aux lieux de prière fermés. Il est vrai que la fermeture des marchés, des lieux de réjouissance, de certaines industries..., peut entrainer un effondrement de l’économie. Mais en Afrique, on peut avancer que ce qu’il faut sauver, c’est la vie sociétale. Face à ce qu’on peut appeler une “résistance culturelle” de la société, quelles perspectives de lutte contre le virus.

- Améliorer la perception de la maladie. “Je n’ai pas encore appris que mon oncle ou ma tante est décédé du Coronavirus”. Cette déclaration d’un villageois à la périphérie de Ouagadougou, traduit la posture lointaine qu’on a de la maladie. La population du Burkina Faso et d’ailleurs en Afrique ont une perception d’une maladie inconnue, “invisible”, qui sévit à l’étranger en Europe et ceci est relayé par la presse.

- Connaître et maîtriser les gestes barrières. Fort heureusement, les gestes barrières ne sont pas étrangers au mode de vie, du moins dans les pays du Sahel où les populations portent habituellement des masques et des écharpes contre la poussière de l’Harmattan. Et on voit maintenant un autre intérêt non religieux qu’est le port du voile chez les musulmanes. La culture des gestes barrières doit être maintenue, sans une baisse de la garde.

- Améliorer le système de santé. Comme noté en introduction, que représentent les cas testés au Burkina Faso ? Quelle est la proportion de la population de cas suspects ? Les décès sont-ils dus à la sévérité du virus ou à l’insuffisance du dispositif sanitaire du pays ? La mise en cause du dispositif sanitaire est palpable : l’ambulance spécialisée répond bien souvent des jours plus tard à l’appel du numéro d’urgence 3535. L’avènement du Covid-19 rappelle au politique la nécessité d’améliorer davantage le système sanitaire du pays. D’autre part, la recherche internationale de médicaments et vaccins efficaces et accessibles est interpelée.

- Suivre la propagation des “fake news” sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sont devenus le lieu privilégié où de nombreux citoyens s’informent. Pourtant ces canaux diffusent de nombreuses fausses informations sur la maladie.

Pour des populations faiblement alphabétisées, les informations qui circulent sur ces canaux sont considérées comme des sources fiables. Ainsi le bref séjour des médecins chinois au Burkina Faso pour appuyer le système sanitaire a été interprété par certains comme une absence de la maladie. La suite est que les populations du secteur informel ont revendiqué sur la voie publique l’ouverture des marchés et plus tard celle des mosquées. Les “fake news” diffusés sur les réseaux pourraient avoir conforté les populations à douter de la véracité de la maladie.

- Avoir un plan de suivi. Le suivi des manifestations de la maladie permet la prévention pour éviter une crise sanitaire. Ce suivi nécessite des données scientifiques accessibles, sous forme d’une banque nationale de données allant au-delà de la santé humaine pour intégrer les sciences humaines, biologiques, les sciences exactes, les sciences informatiques ! Ce dispositif donne la voie à la recherche pour une veille de la circulation du virus.

Conclusion

Il incombe à l’État d’améliorer l’équipement sanitaire, d’émettre des mesures préventives et de veiller au respect de celles-ci. Il revient à la société de prendre conscience de la dangerosité du Covid-19, de se familiariser avec les gestes barrières en vue d’éviter une 2e flambée (éventuelle). Quoiqu’il en soit, l’homme se retrouve au cœur même du complexe pathogène du coronavirus, et à ce titre il lui revient de prendre ses responsabilités pour anticiper, affronter ou éviter la maladie. Dans l’attente d’une problématique de recherche authentique pour une prophylaxie non hasardeuse, les gestes barrières doivent s’inserrer dans les habitudes de la vie quotidienne du Burkinabè.

En ce début de “déconfinement” au Burkina Faso comme ailleurs dans le monde, cette réflexion se veut d’être une contribution des sciences humaines pour mieux connaître le fonctionnement de la maladie (dynamique spatio-temporelle du foyer, les modalités de transmission, de diffusion et de propagation, la riposte...), ceci dans le combat pour le développement durable qu’opère au quotidien le Burkina Faso.

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