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SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

Publié le lundi 31 mars 2014 à 18h27min

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SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

Développer la participation des apprenants à l’expression de la culture, c’est le défi relevé par M. Salam OUEDRAOGO, directeur de l’Institut des Jeunes Sourds du Faso (IJSF) et son équipe enseignante, à la semaine nationale de la culture (SNC) 2014 placée sous le thème : « Promouvoir l’économie de la Culture pour une contribution au développement durable ».

La troupe des écoliers sourds a été classée 3ème en finale en ballet traditionnel, spectacle jeunes et a remporté le prix de l’Assemblée Nationale. Pour une première participation à la SNC d’une troupe artistique d’enfants exclusivement sourds, l’évènement méritait d’être relevé. Qui aurait cru, à première vue, que les jeunes danseurs qui rythmaient leurs pas à la cadence musicale sont tous sourds ? Qui a dit que le sourd ne s’exprime pas ? L’art est un langage universel et les enfants sourds de l’IJSF l’ont démontré en s’exprimant haut et fort. Ils ont parlé par les yeux et par le corps.

L’IJSF, une école qui excelle

L’IJSF de Bobo Dioulasso est une école primaire privée confessionnelle et inclusive. L’institut accueille des apprenants sourds venant de toutes les régions du Burkina Faso et même de la sous-région ouest africaine. Grâce aux efforts chevronnés du corps enseignant, l’IJSF Bobo a réalisé les taux de succès suivants au CEP ces cinq dernières années : 2009 : 87%, 2010 : 77%, 2011 : 100%, 2012 : 78% et 2013 : 85%.

La totalité des d’enseignantes et enseignants qui ont produit ces résultats a été formée ‘sur le tas’ par les pairs en langues des signes et en pédagogie spécialisée ; une formation léguée à l’Afrique francophone par le Pasteur américain Andrew Foster. La formation des formateurs a pendant des années été assurée par les précurseurs de l’éducation des sourds au Burkina Faso qu’ont été Pasteur Daniel COMPAORE, Pasteur Abel KAFANDO et Mme Solange PALE.

La troupe de l’école constituée d’élèves des classes de CE1, CE2, CM1 et CM2 a été entrainée aux pas de danse et à la mise en scène théâtrale pour la SNC avec l’aide d’un chorégraphe, Yaya SANOU. La préparation artistique des enfants a commencé l’année dernière et se faisait uniquement les jours fériés, la rigidité du programme scolaire ne permettant pas aux apprenants sourds de disposer de temps libre en semaine pour mener des activités spécifiques. Le support musical du ballet choisi par la troupe pour sa présentation a été monté sur les pas de danse appris et, ensuite, la cadence musique-danse a été corrigée grâce aux vibrations de la musique ressenties par les enfants ; ce qui donne l’impression qu’ils dansent au son et au rythme de la musique.

Le besoin d’écoute et de compréhension de l’enfant sourd

Dans son ‘Deficit Hypothesis’, Bernstein (1977) affirmait que les performances insuffisantes des enfants issus de minorité linguistiques était dues au déficit de langage. Cela est d’autant plus vrai que l’insuffisance de communication due à la barrière linguistique est un frein à l’épanouissement du sourd. Il en est de même des représentations négatives de la surdité. En langue Moore, le sourd est appelé ‘muka’ (ned sen muki) ce qui veut dire muet. D’aucuns pensent que le ‘muka’ entend mais ne parle pas, ce qui n’est pas le cas du ‘wunga’ ou personne qui n’entend pas ou qui entend mal mais qui parle, d’où l’amalgame entre les concepts « sourd » et « muet ». En Dioula, ‘bobo’ (à ne pas confondre avec Bobo la ville ou l’ethnie Bobo) qui veut dire sourd désigne la personne dont le langage se résume aux onomatopées « bo bo bo bo bo ».

Comment donc comprendre la personne sourde quand on la place irrémédiablement dans le paradigme du handicap, quand on ne s’intéresse pas à son langage, quand on ne sait pas l’écouter et appréhender son message ?

Qualifier la personne sourde de personne muette est donc injuste car les personnes atteintes d’une surdité sévère, profonde ou totale ; pré-linguale, péri-linguale ou post-linguale, ont des organes phonatoires et émettent de la voix. Ils pensent et expriment leurs pensées, ils interagissent dans un language certes non compris par les sujets entendants et parlants, mais ils parlent. Le sourd n’est donc pas muet. La première langue du sourd est la langue des signes et la langue des signes burkinabè, langue naturelle a besoin d’être étudiée, décrite, documentée et reconnue comme une langue à part entière.

La langue des signes américaine (ASL) introduite dans les premières écoles (IJSF Ouaga, IJSF Bobo, CEFISE et Ephata Bobo) au Burkina Faso au cours des années 70 et la langue des signes française (LSF), introduite dans l’année 2000 grâce aux aides en documents et formations venues de France, sont des langues ‘tremplins’ à la scolarisation. Elles ne sont cependant pas explicitement reconnues comme langues d’éducation. Leur évolution dans le temps et leur contact avec les signes et gestes burkinabè a produit un pidgin gestuel dans le système éducatif de base du Burkina Faso. Qu’à cela ne tienne, les écoliers sourds, multilinguistes de fait, communiquent et ont bien communiqué à la SNC 2014.

A l’image de l’actrice Emmanuelle Laborit, de nouveaux talents déficients auditifs sont donc nés grâce à la SNC. Les enfants sourds ont communié avec le public par le langage du corps, langage de l’art. La troupe de l’IJSF de Bobo a relevé le défi de s’exprimer par la danse sur un podium qui a vu passer des troupes d’entendants aux prestations moins riches. Ce succès rappelle la problématique de la scolarisation des enfants à besoin spéciaux.

La problématique de la scolarisation des enfants à besoins éducatifs spéciaux

Le problème de l’autonomisation des enfants à besoins éducatifs spéciaux dans leurs apprentissages réside dans les attentes de l’école burkinabè. Soumis aux mêmes programmes scolaires, au même temps d’apprentissage et aux mêmes examens scolaires que les enfants entendants, l’index de motivation, une distinction initiale largement utilisée en psychologie des apprentissages, reste faible pour les enfants sourds. Produire du résultat en fin de cycle primaire est très laborieux et les taux d’achèvement sont très bas dans ces conditions.

La motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque des enseignants et des apprenants des écoles inclusives accueillant des enfants déficients sensoriels ont besoin de renforcement. Il en est de même de la formation des enseignants et des outils didactiques. La reconnaissance des efforts des acteurs chargés de la prise en charge éducative des apprenants vivant avec des déficiences ou des handicaps est une nécessité.
Le système scolaire devrait innover pour être plus flexible et adapté aux apprenants. Au cycle primaire, les matières peu utiles à court et moyen terme dans les écoles inclusives gagneraient à être remplacées par des matières professionnalisantes telles que la peinture, le théâtre et la danse dans les curricula, surtout que les perspectives d’une formation de niveau secondaire général ou technique sont très limitées, pour ne pas dire inexistantes.

Les programmes gagneraient à être revus afin de prendre en compte les facteurs émotionnels, les capacités, les besoins des apprenants en inclusion et nos réalités sociales et culturelles. Ce sont là des déterminants d’une motivation intrinsèque des apprenants qui faciliteraient la levée des obstacles à l’apprentissage et à la participation mais qui permettraient surtout l’éclosion de nouveaux talents.

A. Carole BAMBARA CONGO
INSS/CNRST

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Vos commentaires

  • Le 1er avril 2014 à 06:32, par Serge Sanou En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

    Félicitation et merci Madame pour cet article édifiant. Merci de parler pour les personnes sans voix et peu considérées.

    • Le 1er avril 2014 à 07:39, par Ollo Alain PALE En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

      Merci pour cet article et toutes mes félicitations aux enfants et à l’encadrement de cet Institut. Tous mes encouragements à ceux qui se battent (souvent avec des moyens dérisoires) pour le bien – être des démunis. Bravo à tous.

    • Le 1er avril 2014 à 09:40, par HOMME En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

      Félicitation aux enfants sourds du Faso et a leur encadrement. c’est bon de parler de ces enfants et des enseignants qui se battent depuis des années pour leurs mieux êtres mais sans l’appui concret (UNE BONNE POLITIQUE) de nos dirigeants (ÉTAT BURKINABÉ) comme dans les autres pays (GHANA) ça sera difficile pour ces privés de pouvoir encadrer et construire des établissements secondaires ou créer des emplois pour ces braves enfants.
      "FÉLICITATION ENCORE A IJSF de BOBO, IL Y’A UN DÉBUT POUR TOUT"

  • Le 1er avril 2014 à 07:37, par horizon En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

    De tout coeur merci de donner une autre image, de révolutionner et impulser une vie nouvelle à ce monde. Dieu vous le rendra au centuple.

  • Le 1er avril 2014 à 07:44, par T A O En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

    Bravo Carole. Si les sourds parlent, c’est qu’il y a des hommes et des femmes qui en ont fait un défis. Il faudra que l’autorité s’implique d’une manière vigoureuse. L’État burkinabé, très soucieux de nos jours parle de mesures sociales. Voici des cas sociaux. Je suggère la création d’une grande école de formation pour les enseignants qui s’occupent des enfants sourds en particulier et de tous les enfants handicapés en général. Que l’État burkinabé fasse des écoles publiques pour sourd, car nous voyons que ce domaine n’est visible qu’à travers les activités du privé. Mme Bambara,avec vous,nous voyons que la recherche s’intéresse aux sourds. Courage et surtout faites beaucoup de propositions à l’État. Tous les sourds du Burkina vous rends hommage. "merci d’être la voix des sans voix."

    • Le 1er avril 2014 à 11:04, par joel En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

      Merci de défendre une cause noble. J’espère que des milliards seront investis pour faciliter la formation des enfants en situation de handicap. Non à la fatalité et oui à la solidarité, à l’entraide. Je félicite et encourage tous les encadreurs et enseignants des enfants en situation de handicap, Dieu vous le rendra au centuple.

    • Le 1er avril 2014 à 12:02, par karim traoré En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

      Vraiment grand merci pour cet article, En tant que parent d’élève sourd à l’IJSF, je tiens ici à remercier le Directeur de cette école ainsi que toute l’équipe d’encadrement car sans cette école mon fils n’allait pas savoir lire et écrire .
      Alors qu’on nous casse les temps avec éducation pour tous au burkina, à ma connaissance, je ne vois une seule école que l’Etat à créer pour s’occuper de ces enfants là.
      Cependant , à l’IJSF, non seulement on s’occupe de nous enfants et on nous offre des sessions de formations pour nous faciliter la communication en famille .
      Malheureusement compte tenu des difficultés financières, l’ijsf n’a que le cycle primaire , donc j’ai déjà des cauchemar quant à la suite de l’éducation de mon fils au collège .
      Pour conlure je les reitère mes vifs remerciements et les encourage à maintenir leurs efforts

  • Le 1er avril 2014 à 08:48, par Ed En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

    Merci chère collègue pour cet article très édifiant sur le savoir faire des enfants sourds. J’ai beaucoup appris en le lisant. Je t’encourage à continuer dans cette perspective qui lève le voile sur l’univers des enfants sourds et du même coup amènera les uns et les autres à les regarder autrement que comme des gens anormaux.

  • Le 1er avril 2014 à 10:50, par joel En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

    Merci de défendre une cause noble. J’espère que des milliards seront investis pour faciliter la formation des enfants en situation de handicap. Non à la fatalité et oui à la solidarité, à l’entraide. Je félicite et encourage tous les encadreurs et enseignants des enfants en situation de handicap, Dieu vous le rendra au centuple.

  • Le 1er avril 2014 à 11:57, par salam En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

    Bonjour
    Oui très bien dit et il faut que toutes les écoles spécialisées se reveillent pour changer les regards négatifs sur le monde du Handicaps . L’exemple des jeunes de l’ijsf de bobo est formidable et doit etre soutenu. tous les acteurs disons les encadreurs doivent recevoir une distinction honorifique pour ce grand effort. Ils ont prouvé aux yeux du monde que la surdité n’est une fatalité. Nous devons les encourager. Une chose est à deplorer le jury n’a meme pas fait une mention spéciale aux jeunes sourds qui ont fait plud d’effort que les autres troupes. Carole merci et on luttera ensemble pour changer ce regard négatif ; je peux meme dire que ça déjà commencé.Je demande aux autorités de s’impliquer .

    • Le 1er avril 2014 à 16:35 En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

      "Ephata", "Ephata" Ouvre ta bouche pour le sourd.
      Merci beaucoup Madame ; Cet article est un cri de coeur pour nous autres responsables des structures de scolarisation pour enfants en situation de handicap auditif.
      Bravo à Mr OUEDRAOGO Salam ainsi qu’à tout le personnel d’encadrement de l’IJSF de Bobo, sans oublier les autres acteurs que sont les parents d’enfants, encadreurs artistiques, partenaires techniques et financiers qui ont bien voulu accompagner ces jeunes qui ne demandent qu’on leur donne l’occasion de s’exprimer. La preuve est là qu’ils ne sont pas moins que les autres mais seulement que c’est l’occasion qui manque souvent. Personnellement, j’ai vu la troupe se produire avant et je me disait qu’elle pouvait aller de l’avant. La preuve est là...
      Bravo encore à vous. Nous tenons à dire merci au membre du Jury ainsi qu’aux organisateurs de la SNC pour la confiance faîte à nos élèves. Merci à chacun et à chacune.
      D’avance merci à toute personne qui aura confiance aux sourds d’aujourd’hui, de demain et pour l’éternité. Nous devons parler pour eux car ils ne parlent et les aider à parler. Toute action allant dans ce sens est salutaire.
      Madame Carole BAMBARA, je vous invite à persévérer dans la voie de la recherche pour cette voie sans voix.

      Xavier ILBOUDO
      Président National de la Fédération Nationale des Ecoles de Sourds du Burkina Faso.

      • Le 2 avril 2014 à 01:03, par traoré En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

        Bravo Aoua pour ton infatigable combat en faveur de ce groupe marginalisé. Ce qui m’impressionne le plus chez toi, c’est ta ferme conviction, depuis belle lurette, que quelque chose peut être fait pour l’épanouissement des enfants dans les écoles de sourds afin de faciliter l’éclosion de leurs talents au profit de la construction de ce pays. La performance des élèves de l’école des sourds de Bobo à la dernière SNC est la preuve de la noblesse du combat qui est le tien. Ton écrit est un article savamment construit ; un mélange de données scientifiques et de faits tirés du vécu quotidien des Burkinabè, le tout dans un structuration argumentative à la portée de tous. Vivement que qui de droit t’entende, afin que tous les Burkinabè, sans aucune exclusivité, puissent participer à la construction de la nation. Courage Aoua ; l’homme de demain se prépare aujourd’hui. Cette ferme conviction, tu l’as toujours clamée à travers tes recherches pour une éducation de qualité en faveur des jeunes sourds du Faso. Que Dieu te garde !

  • Le 1er avril 2014 à 20:36, par Carole, auteur de l’article En réponse à : SNC 2014 : Les enfants sourds de l’IJSF ont parlé

    Chers forumistes

    Mes salutations à chacun et à tous. Amen pour les bénédictions. Merci du fond du cœur pour l’attention que vous avez portée à l’article. Merci pour vos contributions. Au Burkina, il y a 20 écoles pour enfants sourds disséminées dans 11 provinces su 45, au moins 4 écoles pour aveugles et malvoyants et, autant d’écoles pour déficients intellectuels, relevant quasiment toutes d’initiatives privées. Ce sont des écoles très actives qui ont besoin de soutien, d’encouragement et de visibilité. Une direction de l’éducation inclusive a été crée par le MENA. C’est une initiative que nous saluons. Il lui faudrait aller sur le terrain pour vivre les réalités des écoles afin d’être pertinente dans le plaidoyer et l’accompagnement. Le droit à l’éducation est un droit de l’Homme et l’engagement du Burkina Faso d’assurer l’éducation pour tous doit se traduire en actions concrètes en faveur des enfants vivant avec des déficiences et des handicaps. Nous continuerons à mener la réflexion et nous écrirons encore pour faire bouger les choses.

    Encore merci à tous.

    Bien cordialement,

    Carole

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