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Jean-Marc Ayrault : Un Premier ministre français qui refuse « une mise hors jeu diplomatique » de l’Afrique.

Publié le mercredi 16 mai 2012 à 14h53min

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C’est fait. François Hollande a pris officiellement la suite de Nicolas Sarkozy et Jean-Marc Ayrault, conformément à la rumeur, obtient le job de premier ministre. Un président (né en Normandie, son fief politique a été la Corrèze) et un premier ministre (ancré depuis toujours en Loire-Atlantique) tous deux provinciaux, l’exécutif français tire un trait sur le parisianisme qui a caractérisé le précédent mandat présidentiel.

Ayrault n’est pas une tête d’affiche politique nationale ; mais il l’est dans sa région et au Parti socialiste. A l’instar de Hollande, il n’a jamais exercé d’activité ministérielle. Ce qui ne pose problème ni à l’un ni à l’autre. Ce sont des militants politiques et des élus (Ayrault n’a connu aucun échec électoral depuis 1976 !).

Jean-Marc Ayrault est né le 25 janvier 1950 à Maulévrier, au Sud de Cholet, dans le département du Maine-et-Loire, haut lieu de la chouannerie. Fils d’un teinturier, il a fait ses études au lycée Colbert à Cholet puis à la faculté des lettres de Nantes. Engagé dans les rangs de la jeunesse chrétienne rurale, il va, lors du congrès d’Epinay, en 1971, rejoindre le PS adhérant au courant « lutte des classes » animé par Jean Poperen (il deviendra, par la suite, un socialiste réformiste). C’est cette année là, le 4 septembre 1971, qu’il va épouser Brigitte Terrien, une enseignante (ils ont eu deux filles). Licence et CAPES d’allemand en poche, il va débuter comme professeur en 1973. Premier mandat électif en 1976 : il est élu conseiller général de Loire-Atlantique (et le restera jusqu’en 1982).

L’année suivante, en 1977, il accède au comité directeur du PS et sera élu maire de Saint-Herblain (il le restera jusqu’en 1989), dans la banlieue de Nantes. Il accède au bureau exécutif du PS en 1979 et devient président départemental de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains en 1983. Le 16 mars 1986, il sera élu député PS de Loire-Atlantique ; il sera réélu en 1988, en 1993, 1997, 2002 (seul député de gauche élu dès le premier tour), 2007 (il rate, cette fois, le premier tour avec 49,76 % des voix, mais l’emporte au deuxième avec 66,15 % des voix et la satisfaction de faire triompher les candidats de la gauche dans six des dix circonscriptions, prenant deux sièges à l’UMP).

Depuis 1997, il préside le groupe PS à l’Assemblée nationale. C’est l’année où Lionel Jospin a été nommé premier ministre et où François Hollande avait pris, du même coup, la direction du PS. Entre-temps, en 1989, Ayrault aura conquis la mairie de Nantes, alors dirigée par le RPR, dont il préside la communauté urbaine depuis 1991. Il a été président de l’Association des maires des grandes villes de France et un livre (un gros livre : 450 pages), écrit par Alain Besson, lui a été consacré en 2004 (Jean-Marc Ayrault. Une ambition nantaise - Editions Coiffard). Dans ce livre, Ayrault apparaît comme un homme politique qui « ne court pas les médias, ne pratique pas les petites phrases, garde ses distances envers le microcosme politique et cultive une sorte de personnalité à l’ancienne, plus pédagogue que visionnaire, plus sourcilleux sur les principes que sensible aux modes » (note de lecture d’Emile Favard, Les Echos du 14 octobre 2004). A son biographe, Ayrault déclarait alors : « Il faut aujourd’hui mettre à jour le logiciel du PS qui a vieilli. Nous devons reconstituer un corps de doctrine social-démocrate ; parler de rénovation de l’Etat et d’une révolution fiscale favorisant le travail ; travailler à la construction d’une Europe puissante ; s’attaquer à la mondialisation libérale ; refuser la logique gauchiste du pôle de radicalité qui nous éloignerait durablement du pouvoir… ».

Un an avant la présidentielle de 2007, Ayrault prendra de l’ampleur médiatique. France 5 diffusera, le 18 juin 2006, un portrait du maire de Nantes. Alors que Ségolène Royal est en campagne, on évoque son nom pour être son premier ministre. Lui revendique une vie « normale » (un mot d’ordre repris, six ans plus tard, par Hollande), ses balades en France avec son épouse, professeur de français à mi-temps, dans leur vieux camping-car (un Combi VW). On le décrit alors comme le « Raffarin du PS », ce qui ne le choque pas ; il n’est pas du genre à participer aux émissions de télé « people » où les hommes (et les femmes) politiques aiment déballer leur vie privée.

Avec un tel parcours, on pourrait penser que l’international n’est pas une préoccupation du député-maire de Nantes. Ce serait oublier que Nantes a été la capitale du commerce triangulaire et qu’Ayrault s’est beaucoup investi dans un travail de mémoire, considérant que les « non-dits doivent être levés » et « qu’en tout cas, pour la ville de Nantes, qui était le premier port de commerce transatlantique des esclaves, c’était, en quelque sorte, une responsabilité morale d’aborder ce passé ».

Ce sera, d’abord, en 1992, l’exposition « Les anneaux de la mémoire » qui lui a permis de prendre contact avec celui qui était alors président du Bénin, Nicéphore Soglo, avec lequel il va nouer des relations privilégiées. Soglo a d’ailleurs participé, du 23 au 25 mars 2012, à l’invitation de Jean-Marc Ayrault, à l’inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage à Nantes. « L’histoire de la traite, dira Ayrault, est une histoire profondément humaine, politique, économique et culturelle, avec ses résistances et ses guerres, ses lâchetés et ses courages. Elle nous en dit long sur ce que nous sommes et sur ce que sont nos sociétés. Il faut savoir nommer les choses pour ne pas ajouter de malheurs au monde. L’esclavage ne fait pas partie du passé. La traite négrière, l’esclavage, l’abolition ont bouleversé notre droit, notre philosophie, notre économie, notre art, notre culture, nos goûts mêmes et nos modes de vie sans que nous en soyons d’ailleurs toujours conscients ».

En août 2011, Ayrault s’était rendu à Cotonou (dont Soglo est le maire) et s’était entretenu, à cette occasion, avec le président Thomas Boni Yayi, des « enjeux actuels du Bénin et de l’Afrique subsaharienne (crise énergétique, urbaine et alimentaire) ». « L’entretien, soulignera Ayrault, a également porté sur la place de l’Afrique au sein du futur G 20. L’Afrique devrait abriter un tiers de l’humanité à l’horizon 2100, et je souhaite que nous réfléchissions à la place de l’Afrique dans ce futur G 20. De la manière dont l’Afrique se développera dépendra l’avenir du monde. Ne pas voir que nos intérêts sont étroitement mêlés constituerait une faute historique ».

Lors de la crise « post-présidentielle » ivoirienne, début 2011, Ayrault réclamera une « reconstruction » de l’Internationale socialiste (dont le FPI de Laurent Gbagbo est membre) qu’il jugeait « caduque » dès lors qu’elle accueillait en son sein des partis dont la pratique était très éloignée de la démocratie. « Il faut la reconstruire, dira-t-il, car on a besoin d’un espace de dialogue à l’échelle internationale ». A cette même époque, alors que l’Afrique du Nord est en ébullition, Ayrault va interpeller le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, dénonçant « l’aveuglement de Nicolas Sarkozy qui, depuis son élection, fait perdre à la France la confiance et la crédibilité nécessaire à l’établissement de rapports durables avec l’Afrique, à un moment où tant d’autres pays, la Chine, l’Inde, le Brésil réussissent une implantation spectaculaire sur ce continent ». Il conseillera de « revenir à quelques principes inspirés par une certaine morale internationale, ce qui n’est pas contradictoire avec la défense des grands intérêts de notre pays […] S’agissant de l’Afrique, la France doit apporter son concours actif aux efforts de démocratisation en mobilisant son ingénierie, en multipliant les jumelages, les contacts entre élus du Nord et du Sud. L’aide au développement doit devenir un véritable projet politique avec pour ambition assumée de favoriser le passage d’une économie de captation, de prédation, de rente (minière, pétrolière ou agricole) excessivement dépendante des marchés, à une économie de production ».

Ce mercredi 2 mars 2011, dans le cadre de l’Assemblée nationale, il terminera son intervention par ces mots : « Monsieur le ministre, une nouvelle Afrique émerge. Elle mérite une nouvelle politique ». Espérons que le Premier ministre de la France qu’il est devenu se souviendra de ce discours… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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