LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Abdoulaye Wade a eu une vie avant la présidence de la République. Il veut en avoir une après.

Publié le vendredi 6 avril 2012 à 13h12min

PARTAGER :                          

4 avril. Jour de fête nationale à Dakar. Un mercredi ! Autant dire que cette semaine sera quasiment chômée dans la capitale sénégalaise. Il y a deux jours, le lundi 2 avril 2012, c’était la cérémonie d’investiture du nouveau président de la République, Macky Sall. Puis le changement de locataire au Palais de la République. Moment sans doute très intense entre le « Vieux », Abdoulaye Wade, et celui qui a été son premier ministre après avoir été formaté au sein du PDS.

Sall est déjà entré dans le vif du sujet avec la nomination d’un premier ministre, Abdoul Mbaye, qui n’est pas une tête d’affiche mais un des fils* d’une personnalité africaine majeure : Kéba Mbaye, juriste international, ancien président de la Cour suprême, décédé le 11 janvier 2007 (cf. LDD Sénégal 073/Vendredi 12 janvier 2007). Wade, lui non plus, la déception digérée (si tant est qu’un échec après deux mandats puisse être quelque chose que l’on « digère ») ne reste pas inactif. Il est suffisamment aguerri en matière de combat politique pour savoir que la tâche de Sall ne sera pas facile.

Certes, il a écrasé Wade au deuxième tour (65,8 % contre 34,2 % des voix) mais il n’avait recueilli que 26 % des voix au premier tour. Autant dire qu’il va devoir gouverner avec une flopée de « leaders » politiques qui, tous, penseront qu’il leur doit sa victoire. Une victoire de Sall qui est d’abord la défaite de Wade ; tout comme celle de Wade, en 2000, était la défaite d’Abdou Diouf. Sauf qu’en 2000, Wade était depuis longtemps (pour ne pas dire depuis toujours) une figure emblématique de la vie politique sénégalaise et africaine et que le PDS était un vrai parti rodé aux combats électoraux.

Wade était aussi un opposant à Diouf auquel il ne devait rien ; ce n’est pas le cas de Sall qui doit tout à Wade : son entrée en politique, son expérience gouvernementale, sa fortune. Et si, le dimanche 25 mars 2012, à 21 h 27, Karim Wade a appelé Macky Sall, installé dans une suite du luxueux Radison Blu, pour lui passer son père, puis sa mère, Viviane, et sa sœur, Sindiely, afin que chacun d’eux « reconnaisse » sa victoire, c’était aussi pour rappeler à Sall qu’il appartenait à une « famille » et qu’il convenait qu’il s’en souvienne.

Wade, qui aura officiellement 86 ans le 29 mai 2012, a quitté le Palais de la République sans pour autant abandonner le combat politique. Dans la perspective des prochaines législatives (prévues d’ici la fin du mois de juin 2012), il a appelé son parti, le PDS, dont il demeure le patron, « à aller à la conquête de l’Assemblée nationale ». Battu voici quelques années aux municipales, le PDS voudrait bien que les législatives soient un troisième tour pour faire oublier la défaite de la présidentielle et laisser penser que le « wadisme » est encore vivant. Pas évident. La « transhumance » a déjà commencé pour tous ceux qui considèrent que si le « wadisme » a un passé glorieux, il n’a plus ni présent ni futur. Quant à Wade, il sait qu’il a eu une vie avant la présidence de la République et il veut en avoir une après. Avec d’autant plus d’envie qu’à l’âge qui est le sien il peut plus facilement structurer son passé que se bâtir un avenir ; mais aussi parce qu’il y a Viviane, Sindiely et Karim et qu’il entend les inscrire dans une « nébuleuse » historique qui doit faire oublier qu’il a été cruellement battu à une présidentielle qu’il n’aurait pas dû disputer par un homme qui lui doit tout et qui a près de quarante ans de moins que lui ! Wade est cependant le dernier géant politique sénégalais. Sall est d’une autre génération : une génération qui a un présent, et sans doute un avenir, mais pas de passé.

Après avoir laissé penser à tous les observateurs que le pire était possible au Sénégal, Wade a su exploiter une défaite annoncée pour s’inscrire dans la continuité de ses prédécesseurs qui avaient fait de l’alternance une victoire politique. Diouf s’inscrivait dans la stricte continuité de Léopold Sédar Senghor. Diouf et Wade, c’était la rupture. Wade et Sall c’est, en quelque sorte, le changement dans la continuité. Mais si l’échec de Diouf était d’abord l’échec d’une politique marquée par l’immobilisme, l’échec de Wade est celui d’un homme qui, à l’instar de Nicolas Sarkozy en France, avait érigé l’activisme (et l’hyper-présidence) – avec toutes les dérives que cela implique – en mode de production politique.

Wade, qui, me disait-il, était un « chasseur d’idées », a été l’homme de tous les projets. Mais, pour beaucoup d’entre eux, l’intendance (ou la compétence) ne suivait pas. Wade était boulimique quand son prédécesseur, Diouf, était plutôt du genre extatique, se contentant des acquis (faibles) des « années Senghor ». Cependant, l’entourage de Wade, trop souvent, se contentait de s’inscrire dans le sillage présidentiel, sans jamais oser affirmer qu’il voulait aller trop vite, trop loin. Ou lui faire remarquer qu’il avait quitté la route.

Il n’en demeure pas moins que, au-delà des dérives de ce régime (et de cette ambition qu’avait Wade pour l’Afrique sans jamais, toujours, en avoir les moyens), il reste un bon nombre de chantiers (plus intellectuels que temporels) qui méritent d’être poursuivis jusqu’à leur terme. Des expériences qui doivent être capitalisées. Wade aurait tort de se focaliser, désormais, uniquement sur un combat politique qui pourrait apparaître comme une volonté de revanche.

Après tout, l’alternance qui vient de se produire n’a pas permis la résurgence politique d’une opposition sinon radicale tout au moins en rupture avec celle menée par Wade. Le PS, plus que jamais, est éradiqué en tant que formation politique historique ayant été au pouvoir pendant quarante ans ! Et le nouveau locataire du Palais de la République est un « petit jeune » dont Wade connaît tout. Rien d’une tête d’affiche politique comme l’étaient ses prédécesseurs. Senghor, Diouf, Wade étaient des grandes pointures nationales et internationales ; Sall, c’est la rupture (un joueur de troisième division promu d’un coup dans l’équipe leader de la première division) et l’incertitude. Pas en ce qui concerne sa compétence technocratique ou même politique, mais pour ce qui est des moyens qui seront à sa disposition pour rassembler les Sénégalais dans un projet commun alors que la situation économique et sociale du Sénégal est délicate dans un contexte régional plus délicat encore.

Diouf, après sa défaite, avait pris le large et ne s’était plus mêlé des affaires sénégalaises. Mais il avait encore du temps devant lui pour rebondir dans une autre carrière. Wade quitte la présidence, lui aussi sur une défaite (ce qui prouve la vitalité de la démocratie sénégalaise qui n’aime pas les régimes qui perdurent au-delà d’une limite raisonnable ; je suis certain que si Senghor n’avait pas démissionné, il aurait, lui aussi, été battu dans les urnes). Mais il a 86 ans quand Diouf n’en avait que 65 ! On comprend que le « Vieux » n’ait pas l’envie d’être totalement hors jeu. D’autant moins qu’il a été le fondateur du PDS quand Diouf n’avait fait qu’hériter du PS.

Par ailleurs, Diouf pouvait être certain que Wade serait un hyper-président occupant totalement le terrain ; ce ne sera pas le cas avec Sall qui n’a pas le charisme de son ancien mentor. Ajoutons à cela que les « héritiers » de Wade – ceux qui ont pensé l’être à un moment ou à un autre – anciens premiers ministres, ex-ministres d’Etat, etc. l’ont tous « trahi ». Quant à son fils, Karim, il est bien évident que sa carrière politique a été stoppée nette par la défaite de papa. Wade peut donc espérer voir émerger, maintenant qu’il n’est plus au pouvoir, un homme qui pourrait être le continuateur de sa vision originale du Sénégal et de l’Afrique.

Reste surtout que Wade doit s’employer à faire écrire, à partir de ses archives personnelles, l’histoire vraie de sa gestion du Sénégal pendant douze ans et de ses interventions dans les affaires africaines et internationales. Car ce ne sont pas ses anciens amis, qui ont basculé du côté de Sall, qui accepteront de le faire : ils ont été les grands bénéficiaires de ces deux mandats présidentiels et n’entendent pas qu’on en dévoile les zones d’ombre.

* Son frère, Cheikh Tidiane Mbaye, a été nommé l’an dernier PCA de la Sénélec par Wade.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 6 avril 2012 à 14:00 En réponse à : Abdoulaye Wade a eu une vie avant la présidence de la République. Il veut en avoir une après.

    ce journaliste se croit qui lui. en afrique nous n’avons besoin des tetes d’affiche pour nous gouverner,nous n’avons pas besoin des messi,des ronaldo,des zidane comme dans le footall mais nous avons besoin des institutions fortes et si macky sall doit jouer en division inférieure dans un club bien géré,c’est tant mieux pour le peuple sénégalais pcq on sait comment vos supposées tetes d’affiche africaines gèrent nos états et cela vous arrange bien,vous les toubabs.
    vive macky sall pour que naissent d’autres macky sall à travers toute l’afrique

  • Le 6 avril 2012 à 16:28, par rabaziz En réponse à : Abdoulaye Wade a eu une vie avant la présidence de la République. Il veut en avoir une après.

    Bonjour Bejot,
    je voudrais d’abord vous remercier pour votre plume alerte et pertinente que je prends un plaisir constant à lire.Seulement, je ne partage pas votre jugement sur Maky SALL, qui tend (sans le vouloir peut être) à sous estimer la valeur du nouveau président senégalais .
    1. Vous le qualifiez de "joueur de troisième division ,promu d’un coup dans l’équipe leader de la première division" ou de "petit jeune" n’ayant rien d’une "tête d’affiche politique".
    Là,Vous semblez oublier que SALL a occupé les fonctions de Ministre, de Premier Ministre et de Président de l’Assemblée Nationale. Ce qui veut dire qu’il n’est pas un novice ou un néophyte en matière de gestion des affaires publiques
    2.Au titre des comparaisons, il ne faut pas oublier que AbdoU DIOUF arrivé au pouvoir à 46 ans était également un "petit jeune" préféré et propulsé par SENGHOR .Mais cela ne l’a pas empêché d’être un grand président. Du reste sur ce point, SALL semble plus méritant car n’ayant pas "hérité" de son pouvoir au contraire de Diouf qui a été préparé et "coaché" pour succéder (au regard de la constitution) à son père SENGHOR.
    3. Par conséquent, il convient de reconnaitre le mérite de SALL qui , moins de 3 ans, après sa disgrâce parvient à obtenir plus de 25% alors que WADE , comme vous le rappelez, malgré les multiples combats électoraux et le statut d’opposant historique et radical a obtenu 28% après quarante années d’opposition.

    En conclusion, je pense qu’il faut faire confiance à MAKY SALL et attendre de le voir à l’œuvre.Dans tous les cas, en cas d’echec, il sait à quoi s’attendre en 2015.......
    Abdoul Aziz ROUAMBA

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique