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Chronique de la fondation « houphouëtiste » de la République de Côte d’Ivoire (5/5)

Publié le mardi 16 août 2011 à 15h25min

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A relire, aujourd’hui, les discours de Félix Houphouët-Boigny d’avant l’indépendance, le choix des mots étonne. Des mots de « planteur colonial » : « masses », « indigènes », « collaboration », « communauté des intérêts », « avenir franco-africain », « compréhension mutuelle »… Faut-il s’en étonner ? En 1925, Houphouët possédait 300 ha ; en 1939, il était devenu le plus grand propriétaire terrien de Côte d’Ivoire : 15 à 20.000 ha de plantations de caféiers, de cacaoyers, de terres à igname ou à manioc, de cultures de tabac, de rizières…

« Seules, des sociétés comme la SPROA pouvaient avoir de plus grandes exploitations agricoles », se vantera, par la suite, le « Vieux ». On comprend mieux pourquoi les planteurs vont constituer la « locomotive de la lutte anti-coloniale ». « En Côte d’Ivoire, écrira un commentateur, l’agriculture spéculative a constitué l’essentiel de l’espace vital que Félix Houphouët et ses compagnons ont cherché et réussi à conquérir en sacrifiant les espérances des autres couches sociales ». Et les autorités coloniales avaient perçu l’intérêt qu’il y avait, pour la métropole, à développer une couche bourgeoise intermédiaire entre les colons et le lumpen-prolétariat. André Latrille, nommé gouverneur de la Côte d’Ivoire en août 1943, parviendra, l’année suivante, à faire exempter les planteurs ivoiriens de café et de cacao des réquisitions du travail forcé. Et le Syndicat agricole africain (SAA) obtiendra de ce même Latrille l’autorisation de vendre en bloc la production de ses membres directement aux grossistes, empochant ainsi les bénéfices des traitants intermédiaires.

La culture du cacao et du café, nouvellement introduite, était le fait, principalement, des autochtones ; au début des années 1950, sur les 425.000 ha mis en culture, 20.000 seulement étaient exploités par les planteurs européens qui n’assuraient que 10 % de la production de café et 5 % de celle de cacao. L’autre caractéristique de l’exploitation agricole ivoirienne était la diffusion des plantations : 110.000 environ au début des années 1950, soit une moyenne de 3,65 ha par producteur autochtone.

Et Raymond Descleres, qui était, dans les années 1950, président de la Chambre d’agriculture et d’industrie, soulignera que l’exploitation des plantations est passée de familiale à extensive ; il notera à ce sujet : « le développement pris par la culture caféière et cacaoyère a, en quelque sorte, provoqué l’éclatement de la forme traditionnelle des exploitations et les planteurs tendent à devenir des employeurs de main-d’œuvre extérieure. Il y a là un problème social nouveau qui surgit, consécutif aux trop faibles ressources démographiques de la Basse Côte ». Et l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo écrira que les planteurs du SAA ont eu recours au Moro Naba de Ouagadougou et à Gbon Coulibaly de Korhogo, « deux gros fournisseurs de main-d’œuvre forcée », pour recruter des manœuvres volontaires originaires de la Haute-Volta. Si le premier ministre de l’Agriculture a été Joseph Anoma, instituteur devenu planteur, membre fondateur du SAA, ce sera un Français qui lui succédera le 30 avril 1959 : Georges Monnet ; avec le titre de ministre de l’Agriculture et de la Coopération, ce qui laissait penser que c’était dans le domaine rural que la coopération financière et technique avec Paris était la plus recherchée.

C’est dire que Houphouët-Boigny, tel qu’il était entre 1945 et 1960, a formaté durablement la Côte d’Ivoire. Et il ne faut pas s’étonner d’entendre chez ce « planteur », fondateur d’un syndicat professionnel de défense des intérêts des planteurs, bien plus d’arguments économiques que politiques ou sociaux. Ainsi que la nécessité du maintien d’un lien avec la France. La seule souveraineté que revendiquait Houphouët-Boigny était celle « permettant de féconder les immenses richesses » de la Côte d’Ivoire « et d’enrichir le patrimoine commun ». Il ne cachait pas que cette « immense richesse » ivoirienne devait permettre, dans le même temps, à la France de ne plus assurer le fardeau des pays de l’AOF ; il faut concentrer tous les moyens - financiers et humains -sur la Côte d’Ivoire, sous-peuplée, pour assurer l’hégémonie de celle-ci au sein de la sous-région. D’où résultera, bien sûr, la mise en place du Conseil de l’Entente.

Houphouët-Boigny ne cessera d’avoir une vision économique de la gestion politique de la Côte d’Ivoire. : tout est acceptable dès lors que nous sommes en mesure de développer nos richesses ! Il aimait a rappeler le mot d’ordre du gouverneur François-Joseph Reste de Roca : « Enrichissez-vous par le travail ». Il aurait pu préciser : « …par le travail des autres ». Car Reste de Roca s’est illustré dans les années 1930 par un programme de relance de la colonie de Côte d’Ivoire grâce à la mise en place d’un « syndicat ivoirien d’acheminement de la main-d’oeuvre » et à la suppression de la Haute-Volta le 5 septembre 1932 son territoire étant, pour l’essentiel (14 des 19 cercles me semble-t-il), rattaché à la Côte d’Ivoire (au Burkina Faso, les élèves de CM2 apprennent, à juste titre, qu’il « s’agissait, pour les autorités coloniales, de fournir de la main d’œuvre voltaïque aux grands chantiers de l’AOF ») ; ceci étant, il déclarera la colonie spécialisée dans le café-cacao. Ce qu’elle deviendra, Houphouët instituant la cession de terres aux hommes liges de son régime ; ceux-ci en confiant la mise en valeur à des « allogènes ».

Houphouët-Boigny a-t-il mieux réussi que les autres ? Au cours des premières décennies de l’indépendance, à ceux qui pestaient contre son discours « réactionnaire » (dans le contexte de l’époque), on rétorquait « miracle économique ». Il est vrai que la Côte d’Ivoire brillait de mille feux quand les anciens territoires de l’AOF semblaient éteints au mieux, n’être plus que cendres (à l’instar de la Guinée) au pire. Sauf que l’histoire est têtue et a des lois « plus fortes que les appareils bureaucratiques ». 15 années miraculeuses vont déboucher sur 15 années de crise économique, politique et sociale ; auxquelles vont venir s’ajouter, en héritage (à Henri Konan Bédié d’abord, Robert Gueï ensuite, Laurent Gbagbo enfin), vingt années dramatiques pendant lesquelles la Côte d’Ivoire va se déconstruire (si tant est qu’elle s’était construite).

Or, c’est bien à « l’houphouëtisme » que se réfèrent aujourd’hui ceux qui ont remporté la présidentielle : Alassane D. Ouattara et son challenger Henri Konan Bédié. On en retrouve tous les ingrédients : connexion étroite et sans état d’âme avec la France ; priorité à l’économie et au business ; parapluie sécuritaire français ; retour des gloires passées sur le devant de la scène ; vision administrative plus que politique du rôle des partis… Mais si, dans un entretien accordé au journal Le Patriote (samedi 6 août 2011), Bédié est dithyrambique sur le « Vieux » (« visionnaire », « grand bâtisseur », « humaniste », « sage », « génie politique », etc.) - qui, il est vrai, l’a « inventé » - Ouattara, dans son discours à l’occasion de la célébration du 51ème anniversaire de l’indépendance est dans la retenue. S’il évoque « nos pères fondateurs », il ne cite qu’une seule fois Félix Houphouët-Boigny sans omettre, d’ailleurs, « ses compagnons de lutte », dont « l’héritage », dit-il, « se fonde sur une indépendance chèrement acquise, que nous devons coûte que coûte préserver ».

C’est, la même histoire ; mais pas la même lecture. Il est vrai que Bédié et Ouattara n’ont pas le même parcours. L’un s’est servi du régime ; l’autre s’est efforcé, par le passé, de le servir. C’est schématique mais reconnaissons à Ouattara le mérite d’avoir battu les deux « méchants » de l’histoire : Bédié et Gbagbo, et d’avoir osé faire alliance avec le premier pour battre le second. Pour le reste, tout reste à faire… Y compris à tourner la page de « l’houphouëtisme » qui n’est pas la réponse aux questions que se posent les Ivoiriens.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 16 août 2011 à 19:27, par Joukov En réponse à : Chronique de la fondation « houphouëtiste » de la République de Côte d’Ivoire (5/5)

    Bien Dit et j’espère qu’ADO en vacance vous lit. J’espère qu’il utilise l’houphouetisme pour juste assoir son pouvoir sinon....

    Il a été constaté que le Laisser- Passer instauré par les colonels en 1980 au Faso a fait beaucoup de mal à la CI. Y’a til un rapport entre ce laisser-Passer et la suite des troubles politiques qui s’en sont suivi içi en 1982, je me pose la question. N’y a t il pas la main de Celui Ci derrière Novembre 1982, je me pose la question.

    • Le 18 août 2011 à 00:29 En réponse à : Chronique de la fondation « houphouëtiste » de la République de Côte d’Ivoire (5/5)

      Sans etre dans le secret des dieux, Houphouet n’allait jamais s’ atacher les serrvices de communistes de plusieurs bords qu’ il ne maitrise pas. Le 7 novembre 1982 est arrive apres des realites objectives et subjectives ; La gauche a fait son travail et avait en fin les moyuns de se saisir du pouvoir d’ etat. Un epartie de la droite (Yorian, Kamboule, Guibre Fidele) n’ ont pas ete suffisamment integres dans le CMRPN. Huntington nouas enseigne que leas revolutions naissent du fait qu’ une partie de l’ intelligentsia a ete laisee pouir compte dans le syteme. Sinon, on n’ a jamais vu des paysans de Falangouta marcher a pied pour faire tomber un regime impopulaire. Lecon que la 4eme republique devra faire sienne en negligeant la jeunesse scolarisee qui passe son temps a boire du the et des pastis frelates..

      LOP

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