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Côte d’Ivoire : Ouagadougou est, plus que d’autres capitales africaines, exaspéré par les circonvolutions de Laurent Gbagbo

Publié le mardi 4 janvier 2011 à 13h10min

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Jusqu’où Gbagbo et ses affidés pousseront le bouchon avant de quitter le Palais ?

La presse française, chaque jour, évoque la situation en Côte d’Ivoire avec une constance qui, jusqu’à présent, n’a jamais été démentie. Mais « la trêve des confiseurs » étant achevée et les choses sérieuses (la crise économique européenne, la situation sociale en France, la perspective de la présidentielle 2012, etc.) étant appelées à revenir sur le devant de la scène médiatique, il ne faut se faire d’illusion.

Très bientôt, plus personne, ne se souciera de cette « république » bicéphale qui, pourtant, a perdu la tête. Sauf, bien sûr, si la situation venait à imploser et que la communauté française en Côte d’Ivoire devienne la cible des « gbagboïstes ». Après le brouhaha suscité par les déclarations de Charles Blé Goudé qui, comme à son habitude, annonçait le pire, un silence de plomb est retombé sur Abidjan dans l’attente du « débarquement » des « rois mages » de la Cédéao, accompagnés cette fois du premier ministre kenyan, Raïla Odinga, en charge du dossier ivoirien pour le compte de l’Union africaine. Ce qui devrait donner un peu de tonus à nos trois envoyés spéciaux, plutôt en retrait.

C’est que tout le monde se lasse de ce jeu de dupes auquel se livre Laurent Gbagbo et dont chacun sait qu’il vise à donner du temps au temps. Et hormis la presse, et le camp Gbagbo, c’est le silence total dans les rangs : Washington, Paris, Bruxelles, après avoir vitupéré, ont adopté une ligne plus soft. Dans les capitales africaines, pas un seul mot. Ce n’est pas que la Côte d’Ivoire qui est prise en otage, c’est toute l’Afrique de l’Ouest et la France qui craignent pour leurs ressortissants.

A Ouagadougou - le Burkina Faso étant en première ligne depuis le début de la crise, en tant que « instigateur » dans un premier temps, « facilitateur » ensuite - ce serait le calme plat si la population n’attendait avec impatience le dénouement et si cette impatience n’était relayée par la presse nationale. Le quotidien privé Le Pays, dans son édition du vendredi 31 décembre 2010, posait la question : « A quand l’intervention militaire ? ». Qui est aussi une réponse à d’autres questions : « La Cédéao est-elle cohérente avec elle-même lorsqu’elle envisage de faire revenir les chefs d’Etat aux bords de la lagune Ebrié ? Qu’a donc pu dire Gbagbo de si intéressant pour que les négociateurs et amis optent de poursuivre la discussion avec leur « ancien » homologue ? Les négociations ont pris le dessus sur la confrontation armée, apparue comme inéluctable ces derniers temps, mais pourra-t-on vraiment éviter cette intervention militaire, à la fois redoutée et souhaitée ? ».

A Ouaga, chacun sait le talent de « boulanger » de Gbagbo. Et il n’est pas un Burkinabè pour penser qu’il faille lui faire confiance. Pas un non plus pour oublier que la mise en valeur de la Côte d’Ivoire a été assurée par les Voltaïques sous le règne du « travail forcé » ; et, depuis, par leurs descendants. Ceux d’entre eux qui, au temps de « l’ivoirité » puis des tensions ethniques qui se sont transformées en pogroms au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002, ont dû tout quitter en Côte d’Ivoire pour revenir au Burkina Faso, attendent avec impatience qu’on en finisse une fois pour toutes avec Gbagbo et sa clique et se demandent pourquoi les Ivoiriens sont capables, aussi longtemps, « de supporter l’insupportable et d’accepter l’inacceptable ».

Dans une Afrique de l’Ouest en proie à bien des tourments, le Burkina Faso apparaît aujourd’hui comme un pôle de stabilité ; et, plus encore, de sérénité. Et les Burkinabè peuvent regarder avec une réelle condescendance ce qui se passe chez leur voisin ivoirien. Vigilants, certes ; déterminés plus encore ; mais pas décidés à être « les dindons de la farce ». Ouaga connaît la réalité qui prévaut à Abidjan. Et Blaise Compaoré n’est pas le genre de chef d’Etat à avoir des états d’âme vis-à-vis d’un « petit » qui fanfaronne dans son dos mais « s’écrase » dès que le face-à-face est instauré : Gbagbo a une capacité de nuisance incommensurable ; mais le jour où il ira trop loin le rapport de forces ne sera pas en sa faveur. Ceux qui pensent que « Gbagbo joue la montre » (Le Figaro du lundi 3 janvier 2010), oublient que, comme l’affirment les Canadiens, « pour lire l’heure il faut regarder les deux aiguilles, la petite et la grande ». Si la grande aiguille donne sans doute l’heure d’Abidjan, la petite indique celle qui prévaut à Ouagadougou. Et, pour l’instant, à Ouaga 2000, on a plutôt la fibre poétique. « Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ! ». Né (1790) au lendemain de la Révolution française, mort (1869) à la veille de la Commune de Paris, Alphonse de Lamartine, l’auteur de ces vers, est d’actualité. « Mais je demande en vain quelques moments encore. Le temps m’échappe et fuit ; je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore va dissiper la nuit ».

« L’aurore va dissiper la nuit ». Je serais Laurent Gbagbo, je commencerais à « compter mes abattis ». Blaise l’a dit dans son message du nouvel an 2011, sans ambiguïté : « Les développements politiques récents dans certains pays de la sous-région confortent la justesse de notre engagement pour aider et faciliter l’avènement de transitions démocratiques apaisées dans notre espace régional. Le peuple burkinabè est profondément épris de paix et de justice. Il est attaché à la cohabitation harmonieuse des différentes communautés en quelque endroit où elles sont installées et au devoir sacré qui incombe aux différents gouvernements de défendre l’intégrité physique et la sécurité des biens de tous les résidents. Je voudrais rassurer nos compatriotes qui vivent dans des pays à transition politique difficile, que le gouvernement burkinabè restera très attentif et vigilant et oeuvrera de concert avec la communauté internationale et interafricaine pour garantir leur sécurité ». A bon entendeur, salut !

Je sais que, comme le dit Abdoulaye Wade, Gbagbo ne « veut rien comprendre », mais il devrait relire ce « message » de Blaise. Et se le faire expliquer s’il ne le comprend pas tout du premier coup. Pour Ouaga, tout a toujours été clair du côté d’Abidjan : au-delà d’une certaine limite, le ticket de Gbagbo ne sera plus valable. Blaise l’a dit dès 2002 ; il ne le répétera pas mais la marge de manœuvre du « boulanger » devient extrêmement exiguë. Et Gbagbo peut bien aller « chercher » Blaise sur ses 80 % de votes en sa faveur lors de la dernière présidentielle, le président du Faso n’a pas besoin du concours de mercenaires angolais ou libériens pour assurer sa pérennité au pouvoir ! Et s’il lui prenait l’envie de balancer le « boulanger » d’Abidjan dans le pétrin, je suis certain qu’il n’y aurait pas beaucoup de Burkinabè pour dire qu’il « gâte » la farine.

Nous n’en sommes pas encore en cet instant où « l’aurore va dissiper la nuit ». Il faut laisser Gbagbo s’enferrer profondément avant de le mettre définitivement dans la nasse. C’est le job de l’ONU, de l’UA et de la Cédéao. Alors que Gbagbo est habitué, depuis plus d’une décennie, à « jouer en contre », le voilà contraint à monter à l’attaque et à découvrir sa défense. Les morts s’ajoutent aux morts ; les charniers aux charniers. Il faut être fou (ou avocat français) pour penser que Gbagbo pourra, un jour, gouverner la République de Côte d’Ivoire alors que, depuis une dizaine d’années, il va d’échec en échec, instaurant le chaos dans son pays et s’efforçant de gangrener la sous-région. « Solidité, sérénité, solidarité, fraternité, prospérité » ont été les mots clés du message du président Blaise Comparé prononcé à l’occasion du nouvel an le samedi 1er janvier 2011. « Fragilité, fébrilité, exclusion, chômage » sont ceux que revendique la clique de Gbagbo ! Vivement l’aurore !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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