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Présidentielle ivoirienne : Henri Konan Bédié sera-t-il l’homme de la réunification PDCI- RDR ?

Publié le lundi 8 novembre 2010 à 13h42min

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Il a perdu. Ceux qui laissaient penser à Henri Konan Bédié, président de la République de Côte d’Ivoire de 1993 à 1999, qu’il aurait pu en être autrement l’ont trompé bien plus qu’ils ne se sont trompés : ils sont déjà en train de négocier leur reconversion. Il a perdu, mais il peut être l’homme qui, historiquement, apparaîtra comme le plus « houphouëtiste » de tous (puisque « l’houphouëtisme » est désormais à l’ordre du jour d’un bout à l’autre de l’échiquier politique ivoirien, « Cinquantenaire » oblige !) en prônant la paix et le dialogue et en réconciliant le PDCI avec le RDR.

Le 30 avril 1994, Djéni Kobina, leader des « rénovateurs » au sein de l’ex-parti unique, avait claqué la porte à l’issue de son congrès extraordinaire et allait créer le Rassemblement des Républicains (RDR) qui, le 27 septembre 1994, sera légalement reconnu comme le 41ème parti politique ivoirien. Aujourd’hui, le candidat du RDR à la présidentielle 2010, Alassane Ouattara, est qualifié pour le deuxième tour et devrait obtenir le soutien de son malheureux rival. C’est ce qui avait été décidé lors de la mise en place du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Bédié-Ouattara, cela ne saurait choquer. C’est le même homme, Félix Houphouët-Boigny, qui, voici tout juste vingt ans, avait choisi l’un et l’autre alors qu’il était confronté à la plus grave crise économique et sociale que la Côte d’Ivoire ait connue depuis son indépendance. Le mardi 6 novembre 1990, Bédié devenait « dauphin constitutionnel » tandis qu’était créé un poste de premier ministre confié, dès le lendemain, mercredi 7 novembre 1990, à Ouattara. Quelques jours auparavant, le dimanche 28 octobre 1990, Houphouët-Boigny (85 ans) l’avait emporté, lors de la première présidentielle à candidatures multiples, face à… Laurent Gbagbo (45 ans). C’est dire que Bédié et Ouattara sont issus du même moule ; et que ce n’est pas le cas de Gbagbo.

Le plus grand dénominateur commun de la Côte d’Ivoire est, incontestablement, Félix Houphouët-Boigny. Il était aussi en Afrique le chef d’Etat qui avait conduit son pays à l’indépendance et qui l’avait géré le plus longtemps. Les autres « pères de l’indépendance » avaient quitté la scène politique (et parfois même la scène tout court) depuis longtemps. Cela n’augure en rien de la « bonne gouvernance » ou de la « mauvaise gouvernance » dont il peut être crédité ; mais c’est une donnée incontournable : l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire se résume, pour une part essentielle, à l’histoire du « Vieux ». Gbagbo l’a bien compris qui s’efforce de gommer son opposition au prestigieux vieillard (cf. LDD Côte d’Ivoire 0266/Vendredi 5 novembre 2010).

Pour la population ivoirienne, confrontée depuis la mort du « Vieux » à une succession de crises de plus en plus dramatiques, la Côte d’Ivoire d’Houphouët c’est l’âge d’or du pays. Abidjan, qui n’avait pas été la capitale de l’AOF, était la capitale de l’Afrique francophone indépendante et une métropole urbaine qui faisait honneur à tous les Africains. Etre ivoirien, c’était appartenir à un pays qui n’avait pas, jusqu’alors, connu de soubresauts politiques majeurs et dont la croissance économique était telle que le pays avait besoin des bras et des têtes des habitants de la sous-région pour se mettre en valeur.

En rejoignant Bédié dans l’exigence de « la reprise du comptage des bulletins de vote » (ce qui peut surprendre dès lors qu’il est qualifié pour le second tour), Ouattara joue le jeu de l’alliance au sein du RHDP (qui compte aussi, hormis le PDCI et le RDR, l’UDPCI de Toikeuse Albert Mabri et le MFA de Kobena Innocent Augustin Anaky) et s’efforce de démoraliser plus encore son adversaire. Avec plus de 83 % d’électeurs, il n’est pas question, lors de ce scrutin, de mobiliser au second tour les abstentionnistes du premier tour ; et le RHDP, dans la configuration actuelle, c’est plus de 60 % des voix ! Autrement dit, en toute logique (mais c’est une donnée permanente de la démographie ivoirienne) le candidat du RHDP devrait laminer celui étiqueté LMP (La Majorité présidentielle). Son porte-parole, Affi N’Guessan, l’a bien compris qui appelle à mobiliser le « grand centre » - l’électorat du PDCI - dès lors que le Nord, le grand Ouest, l’Est ont naturellement basculé dans le camp des « houphouëtistes », le camp qui avait été exclu de la présidentielle d’octobre 2000 « remportée » par Gbagbo !

Gbagbo ne peut pas gagner seul. Et on imagine mal Bédié appeler à voter pour celui qui n’a cessé de l’humilier, quand il était président de l’Assemblée nationale, quand il était président de la République, quand il a été un président de la République déchu. Il y a eu, par le passé, ponctuellement et opportunément, une alliance FPI-RDR ; il n’y a jamais eu d’alliance FPI-PDCI. Et un gouvernement de coalition est impensable entre les deux formations politiques que tout éloigne dès lors que Gbagbo a construit sa carrière politique sur l’image « d’opposant historique » à Félix Houphouët-Boigny ! Reste que les leaders politiques, même en Afrique, ne sont pas propriétaires des voix de leurs électeurs ; mais ceux-ci, contrairement à ce que l’on pense, savent compter.

Sur environ 4,5 millions d’électeurs, la différence entre les « houphouëtistes » et les autres à l’issue du premier tour est de plus de 1 million ! C’est dire que parier sur la victoire de Gbagbo, c’est prendre un gros risque ; et il n’est pas sûr que les Ivoiriens soient prêts à prendre ce risque. On peut bien « motiver » les électeurs, au moment du vote, le sponsor ne leur tient pas la main !

Bédié a 76 ans. Ce n’est pas « injurier l’avenir » que de constater que sa carrière est derrière lui. Il a marqué les « années Houphouët » ; il a été choisi par le « Vieux » comme « successeur constitutionnel », il a présidé la Côte d’Ivoire pendant six ans, il a été élu, une fois, président de la République et il restera dans l’Histoire comme le premier chef d’Etat ivoirien a avoir été « détrôné » par l’armée, une chute qui a ouvert la porte à plus d’une décennie d’incertitude. Il faut reconnaître d’ailleurs, que n’ayant pas entrepris de résister en 1999, ni même d’ameuter le terre entière, sa chute aura été « soft ». Et qu’il aura su, malgré cela, maintenir l’unité (et la dignité) du PDCI, tenté (sous la férule de Laurent Dona Fologo) par des alliances inappropriées.

En 2005, il lui aura permis de rejoindre le RDR, l’UDPCI et le MFA, rassemblant ainsi au sein du RDHP la famille « houphouëtiste » divisée par les contingences de la vie politique. Son honneur et sa gloire seront d’aller au bout du processus. Et d’engager le combat pour la victoire de Ouattara au second tour. Ce qui le réconciliera avec ceux dont il a blessé la sensibilité lors de sa gestion des affaires entre le 7 décembre 1993 et le 24 décembre 1999.

Quant à Gbagbo, parvenu au pouvoir dans des conditions qu’il a jugé lui-même « calamiteuses », ce double mandat ressort du miracle. Venant d’où il venait et étant ce qu’il était, il ne pouvait pas l’espérer et ne l’avait, d’ailleurs, jamais espéré. D’où son impréparation lorsque l’Histoire a basculé dans son camp et qu’il a su saisir une opportunité que les autres ont laissé passer. Il avait hérité d’une Côte d’Ivoire en mauvaise posture. Il laisse un pays en miettes, en sang et en larmes. Un pays qui, justement, peut se recomposer autour de la candidature d’un homme : Ouattara.

A la place de Gbagbo, je me poserais des questions sur des alliances ratées autrefois, par trop d’orgueil, trop d’ambition, trop de dogmatisme. Il se dit homme de religion ; il serait temps de passer à la contrition. A l’âge qu’il a, il n’a pas de raisons de totalement désespérer. Même s’il a désespéré la Côte d’Ivoire. Cette présidentielle en fait la preuve.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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