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Boureima Badini : « La sortie de crise est à portée de main »

Publié le lundi 21 décembre 2009 à 00h33min

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A l’heure où la guerre des fichiers électoraux se poursuit en Côte d’Ivoire, le représentant spécial du facilitateur Blaise Compaoré dans la crise ivoirienne, Boureima Badini, estime pourtant que « la sortie de crise est à portée de main ». C’était dans un entretien accordé à trois journalistes de Telesud en France, dirigée par notre compatriote Jean-Philippe Kaboré, de L’Indépendant du Mali et de L’Observateur Paalga du Burkina, le 17 décembre 2009 à Abidjan.

Monsieur le représentant spécial du facilitateur, rappelez-nous brièvement votre mission en Côte d’Ivoire

• Ma mission est celle du chef de l’Etat burkinabè, Blaise Compaoré, nommé médiateur par ses pairs de la CEDEAO dans la crise ivoirienne. Je pense que le président du Faso a eu le nez creux de désigner un représentant spécial en Côte d’Ivoire suite à la signature de l’Accord politique de Ouagadougou (APO). Notre rôle ici, c’est de servir d’interface entre les différents signataires de l’APO, leur donner des conseils et les accompagner au quotidien dans les engagements qu’ils ont pris pour l’exécution des différents accords et leurs suppléments.

Parce qu’il s’agissait d’abord de deux belligérants, le camp présidentiel et les Forces nouvelles (FN), qui ont signé l’Accord politique. Mais l’inclusion, c’est que par la suite, tous les partis politiques et les organisations de la société civile de la Côte d’Ivoire sont aujourd’hui parties prenantes de l’application de cet accord.

Nous sommes là donc au quotidien pour essayer, autant que faire se peut, d’être l’interface et de donner les conseils nécessaires à tous afin que cet accord soit exécuté dans de meilleures conditions. Notre rôle est vraiment tout à fait important et pas de tout repos. Parce que chaque jour que Dieu fait, nous avons des audiences, des médiations à faire et des conseils à donner.

Quelle appréciation faites-vous du bilan ?

• A mon avis, le bilan est assez satisfaisant. Comme l’a dit le président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, on ne sort pas d’une guerre comme on sort d’un dîner gala. Ce qui est évident, nous savions déjà dès le départ que les choses n’allaient pas être faciles, et que nous nous sommes donné pratiquement 10 mois pour exécuter l’Accord politique de Ouagadougou. Mais comme vous le constatez vous-mêmes, il y a eu beaucoup d’amendements qui ont été faits à ce programme, compte tenu de la complexité de la nature de la crise ivoirienne.

Nous sommes cependant satisfaits, parce que quand nous arrivions il n’était pas évident que nous puissions réaliser les audiences foraines, qui avaient fait l’objet à l’époque de pas mal de violences, mais tout compte fait elles ont été menées à bout. Nous sommes passés à la phase d’identification et de recensement électoral qui est pratiquement terminé et nous sommes actuellement à celle du contentieux.

Nous avons dû faire un quatrième accord complémentaire pour le règlement des questions militaires. Il était d’abord nécessaire de résoudre ces différentes phases de la crise, le problème électoral mais aussi la question militaire, de concert. A mon humble avis, le résultat est satisfaisant parce que nous sommes pratiquement vers la sortie de crise. Après donc moult péripéties, nous avons avancé avec beaucoup d’assurance, et je crois qu’aujourd’hui la paix est retrouvée en Côte d’Ivoire. Les gens vaquent à leurs occupations et on constate le retour de pratiquement tous les bailleurs de fonds.

N’arrive-t-il pas aux belligérants de vous suspecter d’impartialité ?

• Ce n’est pas toujours facile. Mais conformément à la mission à moi assignée par le président du Faso, je me suis fixé une ligne de conduite dans cette médiation. En effet, dans un rôle de conciliateur, il faut que vous ayez d’abord des valeurs cardinales à respecter. Notamment que vous vous mettiez en tête que vous devez être objectif et impartial et savoir surtout écouter comme sait bien le faire le président du Faso, Blaise Compaoré. Nous nous sommes donc mis à son école et essayons autant que faire se peut de donner les conseils à tout un chacun afin que les engagements qui ont été pris soient vraiment exécutés.

Il faut donc savoir jouer. C’est difficile de nager entre deux eaux sans se mouiller, mais Dieu merci, nous touchons du bois, jusqu’à preuve du contraire nous sommes compris par tous les partenaires en Côte d’Ivoire. Comme nous tendons pratiquement vers la sortie de crise, je peux me satisfaire de la bonne collaboration et de la compréhension que nous avons eues non seulement auprès des signataires de l’APO, des partis politiques mais également de la société civile ivoirienne.

Le président de la CEI que nous avons rencontré nous a fait savoir que tout semble bien parti pour aller à l’élection fin février-début mars. Votre avis ?

• C’est certainement en fonction de l’état d’avancement de l’opération du contentieux électoral que le président de la CEI a laissé entendre cela. Et s’il le dit, c’est qu’il a les éléments nécessaires pour apprécier le processus, et théoriquement cela doit pouvoir se faire. En tout cas, c’est envisageable vu que nous sommes actuellement à la phase du traitement du contentieux électoral.

C’est une étape contenue dans un délai légal de un mois huit jours à l’issue de laquelle il faut que les opérateurs techniques tels que la SAGEM et l’Institut national de la statistique (INS) reprennent la liste pour pouvoir sortir une liste définitive.

Et comme vous le savez bien, lors de la dernière réunion du Cadre politique de concertation (CPC) à Ouagadougou, le 3 décembre 2009, ce délai a été cautionné par les principaux animateurs des pourparlers interivoiriens. Nous pensons vraiment que la sortie de crise est à portée de main. On attend la liste définitive à partir de laquelle la CEI pourrait fixer d’une manière sereine la date de la présidentielle. Il faut réellement œuvrer pour que l’élection puisse se tenir dans le mois de mars.

N’est-ce pas une victoire pour le Burkina passé de cobelligérant, pour certains, à un statut de médiateur ?

• Pourquoi dites-vous cobelligérant ? Non, nous ne sommes pas cobelligérant !

Nous disons bien pour certains !

• C’est vrai, à un moment donné il y a eu des incompréhensions ; on a entendu beaucoup de récriminations et souvent même des accusations, mais il est évident que tout le monde reconnaît aujourd’hui que la crise en Côte d’ivoire est une crise ivoiro-ivoirienne.

Nous sommes donc venu ici en médiateur et je pense que c’est un honneur pour nous d’être là, étant donné que nous sommes de bons voisins. C’est vrai que nous y avons une forte communauté, mais vous ne devez pas perdre de vue que nous travaillons sous le couvert non seulement de la CEDEAO mais aussi de l’Union africaine. Et en dernière analyse, l’accord politique de Ouagadougou a été adoubé par la Communauté internationale à travers des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

C’est dire que le facilitateur Blaise Compaoré travaille sous le label international en Côte d’Ivoire. Et nous pensons que c’est une victoire non seulement pour le peuple ivoirien mais aussi pour l’Afrique et le monde entier que de voir une résolution de conflits africains par les Africains eux-mêmes. Cela est à saluer parce que, comme vous le voyez bien, la réussite relative en Côte d’Ivoire amène le président du Faso sur d’autres chantiers tels que le Togo et la Guinée. J’estime donc que c’est à l’honneur de l’Afrique tout entière.

Qu’est-ce qui vaut, à votre avis, à Blaise Compaoré d’avoir aujourd’hui le statut de sage de l’Afrique alors qu’il n’est pas le plus âgé des chefs d’Etat ni dans la durée de la fonction ?

• Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années, comme on le dit. La force du président Compaoré, c’est de savoir prendre toujours la patience nécessaire pour écouter ses interlocuteurs, d’arriver à faire la synthèse des desiderata des uns et des autres et d’y revenir quand ça ne va pas. Ces qualités n’ont de lien ni avec l’âge ni la durée au pouvoir. Nous avons une méthode Compaoré que nous essayons de vulgariser dans le monde entier.

Tout récemment j’avais été invité par la communauté de Saint-Egelio à Rome pour faire un exposé portant sur « le règlement des conflits en Afrique, le cas de la Côte d’Ivoire ». Nous avons essayé de partager cette méthode avec les uns et les autres et je pense que cela a été bien apprécié. Et tel que je le vois, si les exemples au Togo et en Guinée réussissent aussi, ce serait une méthode à incruster dans le règlement de conflits au niveau des Nations unies.

A mon avis, les Africains d’une manière générale sont fiers parce qu’ils se sont appropriés les règlements des conflits sur leur continent. Il y a donc de quoi s’en réjouir.

Quels sont vos rapports avec les institutions internationales en Côte d’Ivoire ?

• Nous entretenons de très bons rapports. Mon rôle, c’est d’ailleurs de parler à tout le monde. Le premier jour de mon arrivée en Côte d’Ivoire, j’ai été clair avec les Ivoiriens. Je leur ai dit que je me donne le droit de pouvoir aller voir qui je veux et à tout moment dans le cadre de ma mission. Je crois qu’ils m’ont très bien compris et m’ont accompagné dans cette démarche. J’ai de très bonnes relations aussi avec la communauté internationale. Beaucoup viennent soit pour avoir notre avis sur une situation donnée ou pour savoir à quel niveau nous sommes dans le processus de sortie de crise. Je suis ouvert à tout le monde et je donne beaucoup d’audiences à des ambassadeurs ou à des personnalités de passage à Abidjan. L’objectif étant de discuter avec eux et d’avoir d’autres idées car c’est dans ces échanges-là que nous arrivons souvent à trouver la meilleure manière pour appréhender les problèmes.

Nous avons été invité très souvent par le groupe africain des ambassadeurs en poste à Abidjan pour parler de la sortie de crise. Rien qu’hier (NDLR : le 16 décembre 2009), nous étions à l’ONUCI, l’hôte du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Choi, avec qui nous avons eu des échanges dynamiques et fructueux. Il faut retenir que la représentation spéciale du facilitateur est pratiquement le centre névralgique du processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire. Par conséquent, les gens viennent à nous pour avoir les meilleures informations que nous sommes fiers de partager ainsi que de recueillir les observations et les conseils qu’ils peuvent nous donner pour une bonne approche de cette sortie de crise.

Le désarmement est une question essentielle non seulement pour la sécurisation du processus électoral mais aussi pour la stabilité de la Côte d’Ivoire. Qu’en est-il exactement de cette situation, qui semble plus ou moins bloquée actuellement ?

• Moi, je ne pense pas que la situation soit bloquée. Comme vous l’avez vu, le 4e accord complémentaire est tout à fait clair sur la sortie de crise en ce qui concerne la résolution des questions militaires. Le président de la République de Côte d’Ivoire vient de prendre sept décrets à ce sujet. Il en reste trois qui vont être bientôt pris. Le problème des com-zones a également été résolu dans le cadre du 4e accord complémentaire. Il est dit qu’ils doivent aller à la retraite à la sortie de crise. Maintenant, c’est de voir quel est le moment opportun pour la signature de leur décret. Tout cela fait vraiment l’objet d’approche parce que vous avez vu qu’après la signature du 4e accord complémentaire, il a fallu des discussions dynamiques pour sa mise en oeuvre.

Je suis tout à fait convaincu qu’on trouvera la bonne solution avant l’élection. Ce, dans la mesure où les signataires de l’Accord politique de Ouagadougou , le président de la République et le Premier ministre Guillaume Soro ont affiché leur volonté, laquelle n’a jamais été démentie jusque-là. Donc quelle que soit la difficulté, je crois que dans une approche interactive, une solution sera trouvée à ce problème. Moi, j’estime que cela ne constitue pas un obstacle majeur étant donné que nous avons eu à résoudre énormément de problèmes plus graves que ceux-là. Je pense aussi que le plus difficile est maintenant derrière nous.

Des gens avaient dit qu’on n’allait pas pouvoir faire le quatrième accord complémentaire. Cela s’est bien passé et comme vous le voyez, l’harmonisation des grades a été faite accompagnée par la prise des différents décrets ; même des officiers des Forces nouvelles ont été nommés généraux dans l’armée régulière. Ce qu’on disait donc impossible avant est en train de se réaliser par la volonté des deux signataires de l’Accord politique de Ouagadougou.

Il faut alors aller par la persuasion, le dialogue et surtout par l’explication. Oui, il nécessaire, avant la prise de textes, de prendre le temps d’expliquer à ceux qui ne comprendraient pas. Il est vrai que les gens pourraient avoir l’impression qu’il y a des retards ou des difficultés, mais en réalité c’est toujours pour s’assurer que tout le monde est embarqué afin qu’on puisse avancer ensemble. Il n’y donc pas, à mon avis, des difficultés majeures dans l’application de ce 4e accord complémentaire.

Pensez-vous que les bases de la réconciliation soient suffisamment solides pour que la Côte d’Ivoire ne retombe pas dans le chaos ?

• C’est une question délicate que vous me posez. Il faudrait savoir que l’Accord politique de Ouagadougou ne prétend pas résoudre tous les problèmes de la Côte d’Ivoire. Il est vrai que ce sont des problèmes identitaires et électoraux qui ont conduit à la crise qui est en train d’être résolue.

Ce sont là des questions qui sont en train d’être résolues, mais il est évident que tant qu’un pays vit, il n’est jamais à l’abri d’éventuels problèmes qui puissent créer des crises majeures.

On ne peut pas dire qu’à partir des élections on aura résolu tous les problèmes en Côte d’Ivoire. Mais ce qui est sûr, si les institutions républicaines sont mises en place et ne souffrent d’aucune instabilité, elles pourront faire face à la résolution des différents problèmes qu’elles vont rencontrer. Dans tous les cas, nous pensons que c’est déjà un grand pas qui est en train d’être fait et qu’on peut se satisfaire pour l’instant des évolutions auxquelles nous sommes parvenues.

Propos recueillis à Abidjan par Hamidou Ouédraogo

Documents joints

L’Observateur Paalga

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