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St Joe, styliste-modéliste burkinabè

Publié le lundi 20 novembre 2006 à 07h45min

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St Joe, vous connaissez ? Oui, pour les branchés de la mode vestimentaire. Derrière cette griffe, c’est un Burkinabè du nom de Joseph Ilboudo que nous avons bien voulu faire sortir de sa discrétion. Découverte de ce styliste modéliste qui a fait parler de lui au dernier SIAO à travers sa dernière collection, « Le boucan ».

Sidwaya (S.) : Aujourd’hui, St Joe est une griffe bien connue sur les bords de la lagune Ebrié. Comment en êtes-vous venu à la haute couture ?

St Joe (S. J.) : Le parcours a été long. Je suis arrivé en Côte d’Ivoire en 1969. J’ai fait une année d’apprentissage pour renforcer mes connaissances en couture avant d’ouvrir mon atelier en 1970. De 1970 à 1974, j’ai séjourné en France où je me suis inscrit dans une école de haute couture. A la fin de mes études, j’ai obtenu un diplôme de styliste-modéliste. Je suis revenu en Côte d’Ivoire en 1980.

Depuis cette année, je suis installé en tant que styliste-modéliste. J’avais atteint le niveau d’un couturier.

S. : Quel a été votre secret pour pouvoir vous imposer ?

S. J. : Le seul secret que j’ai, c’est le travail. Le parcours que j’ai effectué m’a permis d’être une référence au niveau de mon métier. Les clients veulent toujours ce qui est meilleur. Et pour arriver à ce niveau, seul le travail compte. J’ai été jusqu’en Europe pour approfondir mes connaissances. Je voulais m’imprégner de ce qui se faisait en Europe. Quand je suis allé là-bas, j’ai constaté que c’était les Noirs et les Maghrébins qui étaient derrière les machines de confection. Pourquoi nous ne pourrions pas être devant et faire pour nous ? C’est ce qui m’a inspiré à mon retour d’Europe. Les gens ont trouvé que ce que je faisais était bien et ont commencé à affluer dans mon atelier.

S. : Peut-on avoir le nom de personnalités habillées par St Joe ?

S. J. : J’ai toujours dis aux gens que j’habille le sommet, c’est-à-dire les premiers responsables. Au Burkina, on ne me connaît pas dans les marchés. Mais allez dans les ministères, les cabinets de ministres, là on me connaît très bien. Depuis maintenant huit ans j’habille le président Blaise Compaoré. Cela fait bientôt 15 ans, que j’ai accès à la Présidence ivoirienne. La première personnalité que j’ai habillée était un ministre ivoirien. C’était en 1985. J’habille toujours des sommités. J’ai des entrées à Abidjan, Ouagadougou, Lomé, Brazzaville.

S. : Quelle est la différence entre un couturier et un styliste - modéliste ?

S. J. : On est styliste - modéliste après une formation. Modéliste dans notre formation, est le chemin de la couture. Ma formation a d’abord consisté à faire des dessins et des tracées.

A ce moment, les tissus ne rentrent pas encore en compte. J’ai fait deux ou trois ans avant d’avoir à faire à du tissu. On rencontre les tissus au moulage. Après, on fait des essayages sur les bustiers (les mannequins). On met maintenant en pratique en cousant et en montant. Après correction, on a un patronat.

Le patronat est un habit conçu sur mesure. C’est lui qu’on appelle prêt-à-porter. Pour aboutir à ce résultat, il faut suivre plusieurs étapes : la coupe à plat, le moulage, les essayages et le patronat fini. Cette formation peut durer trois à quatre ans. Après la formation, on a le diplôme de modéliste. Avec le diplôme, vous êtes opérationnel et pouvez travailler dans des usines où vous serez le cerveau du coin. Maintenant quand notre patron nous demande de sortir une collection pour une période donnée, c’est nous qui faisons tout le travail. C’est à nous de trouver le tissu, la couleur et les modèles qui seront présentés. Vous serez le concepteur de la collection qui devra être réalisée dans un laps de temps.

Un modéliste n’est pas forcément un couturier. Le couturier coud pour la masse. La différence entre couturier et styliste - modéliste est une question de temps.

S. : Avant, les métiers de la couture étaient classés en arrière - plan. De nos jours, ce sont des métiers émergeants avec de grandes écoles. Comment l’expliquez-vous ?

S. J. : J’explique cela par le travail des devanciers. Quand je suis arrivé en Côte d’Ivoire, j’ai croisé des couturiers qui ont fait leurs études en Europe et qui se sont installés dans ce pays . Cela m’a inspiré et je suis aussi allé me former dans ce continent. Actuellement, les couturiers sont assez nombreux. Nous sommes connus et beaucoup de gens s’intéressent à nous. Au départ, les gens pensaient que le couturier est celui qui a échoué aux études. Les couturiers vivent de leur art et ne sont pas des malheureux. Cela fait que beaucoup de jeunes s’intéressent au métier.

S. : En matière de couture, qu’est-ce qu’une collection ?

S. J. : On fait une collection par rapport à un événement.

S. : A la 10e édition du SIAO, nous avez présenté la collection « Boucan ». Pourquoi cette collection et cette appellation ?

S. J. : Quand on fait une collection, c’est par rapport au temps, par rapport à un événement. Cette année, j’ai choisi telle ou telle couleur. Quand vous faites une collection, vous lancez une mode, un événement. On a créé la collection « Boucan » pour les vacances 2006 - 2007. Une collection est un phénomène de mode. Si vous remarquez, en musique, il y a le phénomène. Dans les vêtements, il fallait trouver quelque chose qui s’approche de la musique. Les vêtements de cette collection sont colorés et sont adressés principalement aux jeunes qui veulent s’affirmer. Ce sont des étudiants et de jeunes cadres qui veulent attirer l’attention sur eux.

S. : Combien de collections avez-vous déjà présentées depuis le début de votre carrière ?

S. J. : J’ai fait de nombreuses collections. Mais la plus importante est celle qui m’a fait connaître. J’ai créé l’abacost qui est un vêtement en compétition avec le costume. L’abacost est un costume fait. On n’a plus besoin d’une chemise, ni d’une cravate pour l’abacost. C’est exactement comme un costume. C’est cet habit qui m’a lancé en Côte d’Ivoire. A un moment donné, j’ai ajouté du pagne dans les tenues Abacost parce que j’utilisais beaucoup de pagnes.

Les Ivoiriens apprécient le pagne et le portent dans toutes leurs cérémonies. J’ai trouvé que la veste était un peu incommode dans les cérémonies. Le problème était de concevoir une tenue aussi recherché que la veste. L’idée de l’abacost en pagne n’est donc venue. Il est cousu exactement comme une veste, mais le pagne apparaît à l’extérieur. C’était dans les années 1982-1983.Cette tenue a eu beaucoup de succès. Après, j’ai créé les chemises-mélanges. Si vous vous rappelez, c’était des chemises cousues avec un mélange de pagne et de tissu jean.

C’était dans les années 1988. C’est la période que Hooding a choisie pour lancer sa nouvelle boutique. Hooding a dénommé son pagne Miss St Joe. A partir de ce pagne, j’ai associé du tissu, du jean et quelquefois du lin pour réaliser mes chemises. Les chemises-pagnes sont revenues à la mode.

Dans les innovations, on a créé la chemise avec broderie. On a fait ça avec les tissus lins. Maintenant, tout le monde copie ce modèle.

S. : Comment se comporte le marché de la haute couture dans cette situation de crise en Côte d’Ivoire ?

S. J. : Comme toutes les entreprises, on a eu des problèmes. On en a toujours. Le pouvoir d’achat des clients a diminué. Mais la haute couture continue, résiste parce que les gens cherchent toujours les tenues de qualité. On ne peut pas dire qu’on tourne à 100%. Mais on résiste.

S. : Quelles sont les couleurs que vous appréciez le plus ?

S. J. : J’aime bien le blanc. Maintenant, est-ce que je peux obligé tout le monde à porter cette couleur ? Non. Dans mes créations, j’utilise plus le blanc. J’y associe aussi des accessoires et d’autres couleurs.

S. : Utilisez-vous fréquemment le Faso Dan Fani ?

S. J. : Oui. Mais j’ai commencé à l’utiliser il y a quatre ans. Le Faso Dan Fani était lourd. J’en ai profité pour critiquer ses fabriquants. On ne peut pas le porter dans les pays chauds et la couleur n’était pas fixe. Il était très difficile pour nous de l’utiliser. Après nos critiques, ils l’ont amélioré.

S. P. Quelle est la vision de Saint Joe dans le combat que mènent nos chefs d’Etat en faveur du coton africain ?

S. J. : Les premiers qui doivent soutenir les chefs d’Etat, c’est bien nous. Nous achetons 10 fois plus cher, le coton en provenance d’Europe. Nous sommes pour le combat des chefs d’Etat. En les soutenant, nous commençons en même temps à faire nos tissus à partir de cette matière. Les gens recherchent la qualité et lorsqu’un produit fini est bien fait, ils le consomment. Le coton maintenant avec le Faso Dan Fani est devenu léger par rapport à ses débuts et sa couleur n’était pas fixe.

S. P. : Vous êtes d’origine burkinabè et contrairement à un autre couturier, Pathé’O, installé aussi aux bords de la lagune Ebrié, vous n’êtes pas bien connu ici. Est-ce votre humilité ou votre discrétion ?

S. J. : Je suis réellement beaucoup discret. Je dis souvent aux gens que c’est ce que je fais qui m’oblige à la discrétion. J’habille beaucoup de personnalités. Compte tenu de ce fait, je suis obligé d’être discret et moins vu sur les écrans que Pathé’O. Mais ceux qui connaissent le milieu de la couture savent qui est St Joe. Je suis revenu de la France en 1980 avec un diplôme de modéliste. Ceux qui ont atteint ce niveau en Afrique se comptent sur le bout des doigts. Cela veut dire qu’à la base, nous sommes même à la base de réussite de plusieurs stylistes et modélistes.

S. P. : Malgré cette discrétion, n’avez-vous pas des points d’attache ?

S. J. : Ah si ! J’ai beaucoup de points d’attache. J’ai des magasins d’exposition ici au Burkina. Tous les couturiers presque sont de ma promotion et on se connaît bien. A chaque fois que nous avons l’occasion, nous nous rencontrons pour discuter, bavarder. Certains petits frères dans le domaine aussi n’hésitent pas à venir s’entretenir avec moi parce qu’ils me considèrent un peu comme un modèle.

C’est déjà une bonne chose parce que maintenant si tu n’as pas une bourse, tu ne peux plus aller étudier en France aussi facilement comme à notre époque. Nous donnons alors des conseils à ces jeunes qui veulent atteindre un certain niveau de formation.

S. P. : Est-ce que le marché burkinabè que vous connaissez bien est rentable pour les couturiers ?

S. J. : Si ! Dans le temps, les Burkinabè ne consommaient pas trop le vêtement. Aujourd’hui, il y a le boucan au Burkina. Beaucoup de jeunes s’affirment. Je suis une fois allé à un défilé de mode et j’ai été ébahi par le nombre de véhicules 4X4 qui étaient alignés au parking. Je ne peux pas citer une ville en Afrique où il y en a de la sorte, mais c’étaient les meilleurs.

Vous ne pouvez pas alors être dans une grosse cylindrée et sortir mal habillé. C’est votre propre femme qui va vous chassez. Alors les gens sont obligés d’associer l’habillement à tout ce qu’ils veulent faire. Le Burkinabè a changé et ce sont les femmes qui l’obligent à bien s’habiller. Quand la femme voit quelqu’un qui est bien habillé, elle veut que son mec soit comme lui. C’est un phénomène de mode aujourd’hui. Vous ne pouvez plus posséder une grande villa, une grosse cylindrée et paraître comme un mendiant, quelqu’un à qui on peut vouloir tendre facilement une pièce alors que c’est tout à fait le contraire.

S. P. : Vous avez l’occasion d’apprécier nos stylistes, modélistes et couturiers lors des salons et soirées de gala. Comment est-ce que vous jugez leurs productions ?

S. J. : Il y a beaucoup d’évolution. Depuis 1994, je participe au SIAO. Au fur et à mesure que l’on y vient, non seulement on critique mais les gens viennent également voir ce qu’il y a comme nouveautés. Quand ils s’aperçoivent que l’écart est grand, ils cherchent à s’améliorer. Il se trouve maintenant que vous pouvez trouver une chemise fabriquée à Ouagadougou, mais vous pouvez facilement imaginer qu’elle a été faite à Abidjan ou en Italie, au Cameroun. Cette année, j’ai découvert ici des jeunes couturiers qui bossent dur et bien, et cela nous fait plaisir.

S. P. : Comment voyez-vous l’avenir de la haute couture dans la sous-région et en Afrique ?

S. J. : Si je dis que je suis pessimiste, vous allez dire que j’exagère. Mais il reste beaucoup de batailles à faire, car nous ne sommes pas protégés. Tout de suite, nous avons évoqué le cas du coton. Il y a la friperie qui nous polluent l’atmosphère. Vous y trouvez tout dedans (chaussures, vêtements, sacs, etc.). Tout cela freine notre développement. Moi j’ai déjà peut-être atteint le milieu dans le domaine. Mais ceux qui viennent d’embrasser la profession, vont-ils pouvoir résister ? Il faudrait que nos responsables essayent de protéger ces jeunes-là. Les Chinois ont déjà envahi notre marché. Lorsque vous prenez une chemise faite là-bas et qu’on vend à 2000 F CFA, alors que rien que votre tissu coûte déjà 5000 F CFA, comment est-ce que vous pouvez concurrencer ?

S. P. : Est-ce qu’il n’existe pas aussi dans votre milieu, des batailles rangées et des crocs-en-jambe ?

S. J. : Les grands couturiers se connaissent bien. A un certain niveau, vous êtes obligé de vous respecter. Lorsque vous prenez Oumou Sy, la première fois qu’on s’est croisé au Burkina Faso, c’était en 1993 lors du FESPACO. Elle est créatrice et maintenant beaucoup plus dans le cinéma. Alphadi qui est à Niamey est tout le temps à Abidjan. Pathé’O est aussi basé à Abidjan. Alors à un moment donné, vous ne pouvez pas contourner un autre. Nous avons à peu près le même niveau de connaissance et de popularité. Nous nous côtoyons et de toute façon, vous êtes obligé de vous rencontrer. Chacun a son style et c’est cela qui est très important.

S. P. : Auriez-vous un complément d’information par rapport à tout l’entretien ?

S. J. : Nous n’avons pas évoqué la formation de la jeunesse. Vous avez voulu savoir si l’avenir de la mode est promoteur et j’ai répondu que je suis inquiet pour la mode africaine parce qu’elle est en train de perdre le terrain de la consommation. Pour dire que les jeunes qui veulent embrasser le métier doivent fournir beaucoup plus d’efforts. La concurrence est dure et il faut prendre le temps d’apprendre avant de vouloir s’installer à son propre compte. Il faut chercher à acquérir le maximum d’expériences.

Entretien réalisé par Jolivet Emmaüs Pagbelguem
Ismaël BICABA

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 9 décembre 2009 à 18:04, par Duda En réponse à : St Joe, styliste-modéliste burkinabè

    Bonjour,

    Pourrais je avoir les coordonnées ou le site web de St Joe, c’est pour une recherche de partenariat...

    Cordialement.

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