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« Les filles de la rue » de Ouagadougou » : Clandestines le jour, prostituées la nuit

Publié le mardi 2 mai 2006 à 05h54min

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Plus de 400 filles clandestines âgées de 9 à 20 ans ont pour seul repaire la rue à Ouagadougou. Ces filles « invisibles » le jour, se prostituent la nuit. Nous les avons suivies, guidé par une équipe de « Médecins Sans Frontières » pendant deux mois.

Le constat est désolant, le sexe se vend comme de petits pains et fait vivre des milliers de personnes, le tout dans une ambiance faite de langage sans tabou, de violences sexuelles, d’alcoolisme et de tabagisme.

« Viens on va ...! Tu ne veux pas fouka fouka ! Eh messieurs, viens faire un coup je vais te caresser, c’est pas cher oh, 3000 FCFA seulement », lancent les filles de joie à leurs clients. « Si c’est hôtel, un coup c’est 5000 FCFA » renchérissent d’autres. La prostitution, jadis l’affaire des filles venant de pays voisins pour certains, est maintenant pratiquée par les nationaux. Elle a un visage : la pauvreté et les pesanteurs sociales. La prostitution clandestine se développe de jour en jour dans notre capitale. Elle est pratiquée par des filles dont l’âge est compris entre 9 et 20 ans. Elles sont « invisibles » le jour et se prostituent la nuit.

Ayant rompu tout contact avec leur famille pour diverses raisons, elles élisent domicile dans la rue ou cohabitent avec d’autres ou encore s’associent pour louer une maison. Ces filles de la rue ont, soit, quitté leurs parents en province pour se retrouver à Ouagadougou à la recherche d’un emploi, soit ont été bannies. Une situation qui les pousse dans la rue où elles élisent finalement domicile. « Nous avions rencontré une fille de 18 ans qui y a tout fait et y a procréé. Lorsque, nous avons dîné ensemble à quatre, elle a fondu en larmes en disant ceci : c’est ma première fois de manger avec au moins quatre personnes depuis que je vis », a confié un ancien travailleur de Médecins Sans Frontières (MSF), M. Sawadogo.

Vraisemblable, et pourtant c’est la triste réalité. Les filles vivent cette situation à Ouagadougou. Mais, si elles n’ont pour seul repaire que la rue où elles satisfont tous leurs besoins, elles y acquièrent des compétences et un savoir-faire. MSF estime leur nombre à 400. Elles arpentent les rues, les maquis, les chambres de passe et les espaces publics de notre capitale. Ce chiffre est peut-être même en deçà de la réalité. « Le phénomène va grandissant avec des chiffres alarmants », martèle, Adélaïde Sawadogo, la chargée du suivi psychosocial des filles clandestines à MSF. Elle précise que leur nombre en 2003, était estimé à 85. Ce chiffre a accru pour atteindre 400 en 2005. D’ailleurs, MSF y a tissé un lien permanent avec 300 filles reparties sur divers sites à travers la ville. La rue est devenue donc un milieu de vie à part entière.

La rue, univers de tous les dangers !

Se vêtir, se nourrir, s’abriter, se soigner... dans la rue. Face à l’adversité de la vie, du moins de la société, ces filles clandestines s’exposent à d’énormes risques : viol, abus sexuel, drogue, grossesses prématurées et/ou non désirées, rafles policières, coups et blessures, etc. Pour Nebon Badolo de MSF lorsque les filles sont raflées par la police, les tenanciers de chambre de passe paient quinze mille francs (15000 F) pour les libérer.

En retour poursuit-il, elles doivent se prostituer pour payer 45000 FCFA à leur « sauveur ». Contrairement à l’opinion publique, M. Badolo a déclaré que les cas d’infection au VIH/Sida sont rares ; « En deux ans, je n’ai rencontré que trois cas de Sida » a-t-il précisé. Toutefois il a indiqué que 15 % des filles clandestines ont avoué avoir été violées par un agent de sécurité. « Beaucoup d’entre elles se muent ainsi en prostituées et deviennent précocement mères.

Ce sont pour la plupart des filles caractérielles qui adoptent un comportement auto-destructif, qui prennent la drogue ou les médicaments de la rue », renchérit Mme Sawadogo. D’autant plus, a-t-elle poursuivi, que le viol y est comme un baptême de feu. Ainsi, elles se disent sales et ont tendance à continuer à se souiller. Elles portent l’étiquette de prostituées et de bonnes à rien. Ces propos sont corroborés par ce témoignage. Mimi, 19 ans, s’est retrouvée dans la prostitution à la suite d’un problème familial : « Ma tante me battait tous les soirs.

Ma mère étant décédée et face au silence de mon père, j’ai quitté le domicile familial pour me retrouver dans la rue. Je me prostitue tous les samedis au Casino et à la pharmacie de Garde (un bar) et j’ai été plusieurs fois victime de viol ». Comme Mimi, de nombreuses filles sont obligées de se prostituer pour survivre. Elles fument, consomment l’alcool... Le tout est de pouvoir vendre leurs corps. « Dans le quartier, on me qualifie de bordel. J’ai fumé de la drogue car ça permet d’avoir les yeux secs et de supporter le regard des gens. Quand on se prostitue, on se sent mal à l’aise mais que voulez-vous on est obligé de se vendre pour subvenir aux besoins. Je n’aimerais pas que mes enfants sachent que leur mère était dans la merde », clame Fifi, mère de deux enfants qui fonde l’espoir de sortir définitivement de ce milieu qu’elle qualifie de « pourri ». Cette paire éducatrice de MSF sensibilise ses soeurs sur les MST, les aident à établir un lien avec cette structure et à avoir des soins en cas de maladies. A 17 ans Fifi était chef de famille : « j’ai donc été contrainte de me prostituer pour nourrir, soigner et vêtir mes frères et soeurs car personne ne voulait s’occuper de nous après la disparition des parents ». Mais aujourd’hui, elle caresse le secret espoir de fonder un foyer et de vivre une vie normale. « Mon copain ne sait pas que je suis prostituée. Je fais tout pour qu’on se marie. La prostitution n’est pas une vie, il est vrai qu’on y gagne l’argent mais c’est juste pour se nourrir. Les dangers sont trop énormes. On te viole, te rackette,... », a-t-elle poursuivi. En fait, l’attrait de la ville, le bannissement, la rupture familiale du fait d’une grossesse, les grossesses hors mariages, la fuite pour cause de mariage forcé, la maltraitance, etc, expliquent l’arrivée massive des filles clandestines dans la prostitution. « Je pense que la dévalorisation des valeurs socioculturelles, l’individualisme désorientent ces filles en ville qui se retrouvent ainsi sans parents », a soutenu, Mme Adélaïde Sawadogo avant de déclarer : « nous voulons interpeller l’opinion nationale sur l’ampleur du phénomène ». Car, a-t-elle regretté, quand bien même ces filles veulent sortir de la prostitution, il n’existe malheureusement pas de structures d’accueil pour elles ». Aussi, MSF a ouvert un centre d’accueil qui interne actuellement une quinzaine de filles. Elles y apprennent des métiers (couture, coiffure, etc.) dans la perspective de leur réinsertion sociale.

A qui profite le « crime » du sexe ?

Y a-t-il une industrie du sexe à Ouagadougou ? Difficile d’être affirmatif à cent pour cent. Mais attention, on n’en est pas loin. Le sexe se banalise dans les chambres de passe à Ouagadougou. ka ya ka (qui veut dire ici c’est ici) au secteur n°27, le poulet à Gounghin, Wa ti nooma (qui signifie en mooré ici c’est bon), sous le manguier à Dapoya, Miramar à Tampouy, Tegtaaba ou « on se soutient », Nonsin, la BIB, etc. Tous ces endroits sont des lieux privilégiés du sexe. En réalité, la ville de Ouagadougou pillule de chambres de passe. Mais combien sont-elles ?

Notre constat ne permet pas de les dénombrer avec certitude. Toutefois, elles seraient des centaines disséminées dans les quartiers. Et leur taux de fréquentation est très élevé. Dans une de ces chambres de passe en l’occurrence « chez le Vieux », notre reportage nous a permis en l’espace de quinze minutes de constater une affluence d’au moins 10 clients. Le propriétaire qui a accepté témoigner a encaissé plus de 10 000 FCFA reversés par des prostituées qui ont défilé avec des clients dans ses chambres. Il est resté cependant muet comme une carpe sur le montant de ses recettes journalières.

Quand on sait qu’une douzaine de filles « travaillent » dans ses locaux. Admettons qu’il gagne entre 15 000 et 20 000 FCFA par jour, dans le mois, le Vieux empocherait aux bas chiffres quatre cent cinquante mille (450 000) à six cent mille francs (600 000 FCFA).

Soit le salaire de quatre fonctionnaires moyens de la fonction publique burkinabè. L’industrie du sexe rapporte donc mais les propriétaires de chambres observent un mutisme quant à la rentabilité de leur affaire.

En effet, pour chaque client, les prostituées reversent 1 000 FCFA au propriétaire de la chambre de passe. « Quand je sors la nuit, je peux gagner entre 10 000 F et 25 000 F, cet argent me permet de payer des habits ; j’envoie une partie à mes parents », a confié Bébé. « Moi, je peux aller au lit par nuit avec trois, voire quatre partenaires, je dois payer la chambre 1 000 FCFA et à mon protecteur 1 500 FCFA », réplique de son côté Pépé. « Vraiment 1 000 FCFA tous les jours, on ne peut plus », s’insurge en guise de protestation une prostituée à l’équipe de MSF. « Dans notre maison on est six. Comme le propriétaire sait que nous sommes des prostituées, on doit lui payer chacune mille francs par jour », explique-t-elle.

Ainsi, ce propriétaire loue sa bicoque à 6 000 francs/jour. Le cumul mensuel donne 180 000 mille francs. Soit le prix de la location d’une villa. A qui profite donc le « crime » du sexe ? Pas plus aux travailleuses du sexe qu’à ceux qui gravitent autour d’elles. Le circuit est long. Il va des propriétaires de chambres de passe aux prostituées en passant par les proxénètes jusqu’aux gérants de chambres... Tous ceux-ci vivent de la prostitution à Ouagadougou. X. K., un jeune âgé de trente ans environ, est gérant de chambres de passe depuis 8 mois.

Affirmant que mener cette activité ne le dérange pas, il évalue ses recettes nocturnes à au moins 10 000 FCFA. MS un autre gérant pense ceci : « Nous cherchons à manger en travaillant avec les prostituées. On peut gagner par nuit au moins 7 500 F qu’on remet au patron ». Interrogé sur l’identité de son patron, il affirme ne pas connaître son nom : « je sais tout simplement qu’il n’est pas ici et qu’il est fonctionnaire en province ».

Et d’ajouter : « je fais ce boulot ici dans la clandestinité, je peux encaisser 100 000 FCFA pour mon patron par semaine ». Aujourd’hui MS n’a qu’un rêve, celui de trouver un job sain, et de quitter ce monde pourri. « Parfois on peut gagner moins. Moi, je perçois 2 000 FCFA pour mes services par nuit. Mais si je gagne un quelconque métier, je vais quitter la gérance des chambres », a-t-il déclaré. A la Patte d’oie où nous avons été dans une chambre de passe guidé par une équipe de MSF, dès l’entrée, l’un d’eux dit ceci : « C’est le propriétaire du coin comme ça. On l’appelle le Vieux ». Il veille à la porte et encaisse les sous « himself ». Un homme peut-être la soixantaine, est assis sur un fauteuil, autour de lui se trouve une tablette contenant divers articles... et des capotes.

Par la suite, il affirme être le patron de la chambre de passe depuis une dizaine d’années et souffrirait d’une hypertension. Il se dit ancien commerçant de Rood Woko, mais a-t-on appris il serait en réalité un ex agent de sécurité à la retraite. Le Vieux justifie sa présence par le fait qu’il est très regardant sur la propreté des lieux. « Je suis sur place ici, et ne peux aller nulle part. Je vis uniquement de la prostitution ».

Interrogé sur le montant de ses recettes, le Vieux est catégorique : « je ne peux affirmer combien je gagne par jour, ni par semaine, ni par mois. On ne peux pas épargner l’argent de la prostitution, je le dépense au fur et à mesure ». Soit, mais ce n’est pas mal d’autant qu’il soutient avoir en charge une grande famille de 30 personnes.

Après 10 ans dans la prostitution, quels conseils pouvez-vous donner aux filles, aux femmes, aux jeunes, au public ? A cette question le Vieux observe un long silence. Puis fond soudain en larmes en remuant la tête : « C’est difficile !... », certes dit-il. Et pourtant !

S. Nadoun COULIBALY (coulibalynadoun2002@yahoo.fr)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 2 mai 2006 à 12:49, par Wendenda K En réponse à : > « Les filles de la rue » de Ouagadougou » : Clandestines le jour, prostituées la nuit

    "Contrairement à l’opinion publique, M. Badolo a déclaré que les cas d’infection au VIH/Sida sont rares ; « En deux ans, je n’ai rencontré que trois cas de Sida » a-t-il précisé." A mon avis, cette partie ne devrait pas ressortir dans votre article car elle contribuera à la propagation du phenomène si toutefois, vous voulez lutter contre la prostitution. en effet, d’autres personnes voulaient approcher ces vendeuses de sexe, mais par peur de la maladie, ils ne le faisaient pas. Avec vos statistiques, je suis convaincu que courage est donné à ces gens. Mais moi je tiens à porter à leur connaissance que ce n’est que "des statistiques"

    • Le 7 mai 2011 à 12:17, par Ludovic SAVADOGO En réponse à : > « Les filles de la rue » de Ouagadougou » : Clandestines le jour, prostituées la nuit

      salut !
      Avant tout propos, je ne peux que salut la qualité des récits, témoignages et autres avis qui s’avèrent vraiment pertinents et reflètent la dure réalité des filles clandestines dans les rue de Ouaga ! La situations de ces filles est très préoccupante mais loin d’être alarmante car des efforts y sont fournis afin de parer au plus urgent. Voilà pourquoi, se base sur les efforts que fournis MSF/Burkina, on peut dire que la prise de conscience est si total à tel enseigne que les pathologies chez ces filles jadis observées tendent à devenir de lointains souvenir. Toutefois, il convient de rester vigilent car la vulnérabilité de cette couche est si étalée si bien que les efforts doivent être multi-latéral si nous voulons plus des résultats probants. MSF/Burkina a été le levain qui a donné espoir aux personnes vulnérables en général et particulièrement aux travailleuses de sexe, filles clandestines !
      Je pense donc qu’il va du ressort des uns et des autres d’encourager ce qui est déja fait et de se mettre au travail car la voie reste loin est franchement, très difficile à cerner totalement.
      Peut-être dans les jours à venir la question du IST-VIH/SIDA ne sera qu’il lointain amère souvenir et que d’autre combats se présenteraient. Mais tous ces combats à venir trouvent leur voie dès aujourd’hui pour peu que l’on soit vigilent et tenace !
      Merci au Docteur Nebon BADOLO, que je connait bien, pour ses éclairages !
      0 vous qui allez lire, puisse le Seigneur nous donner courage et soutenons-nous mutuellement pour un monde plus juste et plus épanoui pour les citoyens du monde que nous sommes.

      Je suis Ludovic SAVADOGO, intervenant auprès des enfants et jeunes vivant en rue.
      Bye !!!

    • Le 7 mai 2011 à 12:20 En réponse à : > « Les filles de la rue » de Ouagadougou » : Clandestines le jour, prostituées la nuit

      salut !
      Avant tout propos, je ne peux que salut la qualité des récits, témoignages et autres avis qui s’avèrent vraiment pertinents et reflètent la dure réalité des filles clandestines dans les rue de Ouaga ! La situations de ces filles est très préoccupante mais loin d’être alarmante car des efforts y sont fournis afin de parer au plus urgent. Voilà pourquoi, se base sur les efforts que fournis MSF/Burkina, on peut dire que la prise de conscience est si total à tel enseigne que les pathologies chez ces filles jadis observées tendent à devenir de lointains souvenir. Toutefois, il convient de rester vigilent car la vulnérabilité de cette couche est si étalée si bien que les efforts doivent être multi-latéral si nous voulons plus des résultats probants. MSF/Burkina a été le levain qui a donné espoir aux personnes vulnérables en général et particulièrement aux travailleuses de sexe, filles clandestines !
      Je pense donc qu’il va du ressort des uns et des autres d’encourager ce qui est déja fait et de se mettre au travail car la voie reste loin est franchement, très difficile à cerner totalement.
      Peut-être dans les jours à venir la question du IST-VIH/SIDA ne sera qu’il lointain amère souvenir et que d’autre combats se présenteraient. Mais tous ces combats à venir trouvent leur voie dès aujourd’hui pour peu que l’on soit vigilent et tenace !
      Merci au Docteur Nebon BADOLO, que je connait bien, pour ses éclairages !
      0 vous qui allez lire, puisse le Seigneur nous donner courage et soutenons-nous mutuellement pour un monde plus juste et plus épanoui pour les citoyens du monde que nous sommes.

      Je suis Ludovic SAVADOGO, intervenant auprès des enfants et jeunes vivant en rue.
      Bye !!!

  • Le 10 mai 2019 à 13:23, par Mor’alex Sage (la CIV) En réponse à : « Les filles de la rue » de Ouagadougou » : Clandestines le jour, prostituées la nuit

    Mes salutations au MSF, vous faites du bon boulot.
    Le probleme de la prostitution est fortement ettendu sur le continent africain, et cela fond en larme de voie des enfants (agé de 0 à 18ans) qui se livres à ce fleau pour suvivre et même des Dames (au Ghana).
    L’Etat a une grande possibilité d’eradiqué ce fleau, en créant des centres d’accueille et de formation femminine et faire inserer ces filles, les assemblés de leur familles.
    créer des structures de lutte contre la prostitution et la chèreté de la vie...ect. (eleve-en-classe-de-CE2-abidjan-adjamé)

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