Dédougou : Boukaré Ouattara, agriculteur le jour, grilleur de viande la nuit ou l’expression de la résilience d’un déplacé
Les attaques terroristes ont provoqué, dans la région de la Boucle du Mouhoun, entre autres, le déguerpissement de plusieurs dizaines de villages dont les populations se sont réfugiées, la plupart, dans les centres urbains. Parmi ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, il y a Boukaré Ouattara qui, en cette période de campagne agricole, s’emploie le jour au champ et la nuit venue, se retrouve à gérer son point de grillade de viande avec pour objectif de se reconstruire une vie nouvelle à Dédougou. Lefaso.net a rencontré ce déplacé résilient.
Dimanche 20 août 2023 à 18 heures environ, Boukaré Ouattara vient de rentrer du champ : un lopin de terre de deux hectares situé à une vingtaine de kilomètres, dans la périphérie de la commune de Dédougou, que l’un de ses amis lui a cédé pour la production céréalière.
Il se présente à son lieu de grillade de viande après une douche prise pour se débarrasser de la poussière et des sueurs séchées provoquées par le labeur de la journée.
Depuis le début de la campagne agricole 2023, ce trentenaire consacre l’essentiel de son temps à son champ et à sa grilladerie. « La journée, je suis au champ et à partir de 18 heures je reviens, et commence à griller la viande jusqu’à 22 heures », précise-t-il. Bouba, comme ses clients l’appellent, réussit de toute évidence à allier les deux activités à lui seul sans grandes difficultés. « Mes apprentis sont occupés dans leurs champs. Il n’y a plus personne pour m’aider depuis le début de l’hivernage », avoue Boukaré Ouattara.
- Bouba au début de son activité à Dédougou en mars 2023
Dans la pénombre grandissante de la nuit naissante, les clients viennent à compte-goutte. Qui pour acheter de la viande de 500 FCFA qui pour 1 000 FCFA et on en oublie. Bouba est à la manœuvre pour satisfaire sa clientèle. Du haut de ses 1,68 mètres, il tourne et retourne les morceaux de viande sur le grilloir à l’aide d’une petite barre de fer dont un bout est recourbé et l’autre garni de bois.
A l’en croire, la grillade de viande à Dédougou lui rapporte de l’argent, certes, mais c’est moins que quand il était à Sanaba dans la province des Banwa. C’est tout de même ce travail qui lui permet, non seulement de nourrir sa femme et son enfant, sa mère et ses cinq frères et sœurs, mais aussi de payer le loyer ; bref, d’assurer les charges quotidiennes de la famille. « Le loyer, c’est le principal de mes soucis », souffle-t-il. Ce dernier explique que son objectif reste de réaliser des économies afin de s’acheter un terrain d’habitation pour sa famille. Mais hélas ! « Tout ce que je gagne est absorbé par les dépenses familiales jusque-là », regrette l’homme à la paume devenue rugueuse à force de tenir la daba.
Boukaré Ouattara est sur plus d’un front à Dédougou. Ce jeune n’entend pas céder à la résignation ou au fatalisme. Il se bat comme un beau diable, dans la capitale de la région de la Boucle du Mouhoun, pour se faire de la place au soleil. Le jeune Ouattara se laisse saisir par la volonté de faire feu de tout bois pour se donner les chances de vivre du fruit de son travail. Il rêve de se refaire une existence joviale sur la terre accueillante de la belle cité du Bankuy qui lui a ouvert ses bras après sa fuite de son « eldorado » de Sanaba, une commune rurale de la province des Banwa.
- « Même si la situation sécuritaire venait à s’apaiser, je n’envisage pas de repartir à Sanaba, la famille peut-être, oui », dixit Boukaré Ouattara
Une vie brisée
Bouba a souvenance de la « belle vie » qu’il menait avant d’être contraint de prendre la clé des champs. « A Sanaba, je m’occupais à la grillade de viande en saison pluvieuse comme en saison sèche. C’était mon activité principale et ça marchait bien », se remémore-t-il. Celui à qui le job de boucher rapportait gros à Sanaba, ignorait tout de la daba. « Mon père, ma mère et mes frères s’occupaient des travaux champêtres. Moi, j’étais à la grillade. Et comme c’était très rentable, j’avais toujours de quoi venir en aide financièrement à la famille en cas de besoin. C’était vraiment intéressant », confie-t-il, tout grisé par une nostalgie teintée de regret et d’amertume. Boukaré Ouattara avait fait fortune en vendant la viande grillée. Ces richesses amassées, le grilleur de viande les a investies dans l’élevage. Il n’a pu rien sauver de son cheptel du monstre terroriste, et ce bonheur n’existe désormais qu’en réminiscence.
Tout a basculé un de ces matins d’octobre 2022. Sous la pression des groupes armés qui sévissent dans la région de la Boucle du Mouhoun et particulièrement dans la province des Banwa, le restaurateur quitte le centre de la commune rurale de Sanaba pour atterrir, dare-dare, à Dédougou à une époque où le pouvoir politique à Ouagadougou venait d’être « récupéré » par le capitaine Ibrahim Traoré, natif lui aussi de la région, avec pour objectif central de libérer les pans du territoire burkinabè occupés par des bandes armées. Sur sa terre d’accueil, dans le chef-lieu de la région de la Boucle du Mouhoun, il opte de dupliquer son travail de grilleur de viande, avec le peu de sous avec lesquels il a pu s’enfuir.
- En plus de la grilladerie qui constitue jusque-là le gagne-pain de Boukaré Ouattara et des siens, ce dernier est propriétaire d’un champ de plus de deux hectares.
La flamme de l’espoir maintenue
Le natif de Sanaba s’installe à proximité d’une buvette à Dédougou. Mais pour pouvoir occuper le lieu qu’il juge stratégique pour son activité, il lui a fallu passer par un intermédiaire et proche du propriétaire de la buvette. Autorisation lui est accordée, mais en contrepartie, il verse chaque jour une certaine somme à ses bienfaiteurs d’intermédiaire et de propriétaire du débit de boisson. Inutile de chercher à savoir la somme versée quotidiennement puisque notre interlocuteur a observé le silence sur le sujet.
Le malheur ne venant jamais seul, trois mois seulement après leur arrivée dans la cité du Bankuy, Bouba devient orphelin. Son père a choisi le mois de janvier 2023 pour s’en aller définitivement. De ce fait, il devient le pilier de la famille. « Tout le monde dans la famille compte sur moi », affirme celui qui soutient n’avoir d’autre choix que de travailler pour s’occuper des siens. En se lançant ainsi dans l’agriculture, il souhaite une bonne pluviométrie afin de réaliser une excellente production céréalière qui l’évitera au moins d’avoir à acheter des vivres.
Malgré le départ de son patelin natal doublé du décès de son père, Boukaré Ouattara espère retrouver le bonheur d’antan par la réalisation de nouveaux projets qui fourmillent dans sa tête.
Yacouba SAMA
Lefaso.net
Vos commentaires
1. Le 26 août 2023 à 07:26, par Kalou En réponse à : Dédougou : Boukaré Ouattara, agriculteur le jour, grilleur de viande la nuit ou l’expression de la résilience d’un déplacé
vous faites souvent l’apologie de certaines choses, vraiment... Vous savez tres bien que le prochain prochain probleme au BF sera justement ces PDI et les populations qui les ont accueillis à cause des problemes de terres cultivables surtout. Je pense qu’il faut plutot travailler à les faire retourner dans leurs localités d’origines.
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2. Le 26 août 2023 à 08:33, par Souk En réponse à : Dédougou : Boukaré Ouattara, agriculteur le jour, grilleur de viande la nuit ou l’expression de la résilience d’un déplacé
Ce témoignage montre à la fois que la détermination est la meilleure voie pour s’en sortir, mais également que le terrorisme s’est aggravé depuis le Coup d’État militaire.
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3. Le 26 août 2023 à 16:21, par Lynn Hien En réponse à : Dédougou : Boukaré Ouattara, agriculteur le jour, grilleur de viande la nuit ou l’expression de la résilience d’un déplacé
Bon courage à ce jeune homme résilient et bonne chance aussi pour que demain soit meilleur à aujourd’hui.
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4. Le 26 août 2023 à 20:51, par Renault HÉLIE En réponse à : Dédougou : Boukaré Ouattara, agriculteur le jour, grilleur de viande la nuit ou l’expression de la résilience d’un déplacé
Je suis très ému par ces petits reportages.
Ils montrent la dure tâche et le courage des petites gens du BF, ceux dont le travail est la principale richesse du pays.
Ce ne sont ni les mines d’or ni les « pilotes de bureau climatisé » (fonctionnaires assis) qui font les rentrée fiscales de l’État burkinabè, ce sont les petits et gros entrepreneurs, les ouvriers, les commerçants, les transporteurs, et aussi, bien entendu, les investisseurs nationaux ou étrangers ... tant qu’on ne les fait pas fuir dans les pays alentour à coups de fiscalité destructrice d’emplois.
VIVE LES TRAVAILLEURS ! Et que les parasites en excédent ferment leur bec !
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5. Le 27 août 2023 à 05:00, par Alpha2025 En réponse à : Dédougou : Boukaré Ouattara, agriculteur le jour, grilleur de viande la nuit ou l’expression de la résilience d’un déplacé
Sans contredire Kalou qui affirme qu’il faut travailler à ce que les PDI retournent dans leurs localités d’origine, je pense plutôt que le réalisme nous commande de considérer que les situations antérieures ne seront jamais entièrement recouvrées et que le terrorisme va modifier profondent et définitivement l’urbanisme et le peuplement de nos villes. Il faut travailler à intégrer cette donnée et atténuer voire annihiler ses effets négatifs sur notre société. Cela fait huit ans qu’il y a des PDI. Pensez vous objectivement que tous pourront retourner dans leurs terroir ? Ceux qui auront pu se reconstruire dans leur localités d’accueil le voudront t’il ? Les enfants qui seront nés en exil ont il des attaches suffisantes avec leur terre d’origine pour tenir à y retourner ? Certains ont subi des bouleversements familiaux tels qu’ils pensent surtout à se reconstruire loin des sites qui on vu leur malheur. Je crois que nous devons plutôt travailler à traiter les problématiques liées au phénomène PDI, travailler à ce qu’ils vivent dignement d’une activité et éviter qu’ils soient dans l’assistanat, et réfléchir à l’usage qui sera fait des terres définitivement délaissées. Nous n’avons pas voulu le terrorisme, mais il va impacter définitivement notre société. Nous devons l’acceptef et y faire face.
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