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Forfait de Me Hermann Yaméogo : Kafka au Conseil constitutionnel

Publié le lundi 24 octobre 2005 à 09h06min

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Hermann Yaméogo

C’est un peu comme l’histoire de ce monsieur qui voulait ouvrir boutique. Il criait à qui voulait l’entendre que dans sa boutique à lui, contrairement aux échoppes dégarnies du quartier, il ne manquerait rien.

Après qu’il eut fini d’achalander ses étagères avec une fierté non dissimulée, un petit garçon (son premier client) arriva et lui demanda s’il avait une aiguille. Sans trop comprendre pourquoi, le bambin assista à un spectacle insolite : le boutiquier s’était mis à pleurer. Avec toutes ses marchandises, il n’arrivait pas à comprendre qu’il puisse lui manquer une aiguille.

Quand bien même on le voyait venir, et il a fini par arriver, le moins qu’on puisse dire est que Me Hermann Yaméogo, en décidant de signer forfait 72 heures avant le début officiel de la campagne, a pris de court le Conseil constitutionnel. Tout commença le 10 octobre 2005, date limite du dépôt des recours des candidats à la présidence auprès du greffe du Conseil constitutionnel.

Des prétendants au fauteuil présidentiel firent un tir groupé contre la candidature de l’enfant terrible de Ziniaré, au motif que « l’acceptation de sa candidature » viole l’esprit et les objectifs de la loi constitutionnelle et enlève à l’article 37 sa raison d’être. Mais curieusement, le chantre du « tékré », qui avait mené ses dernières années la mère des batailles politico-juridiques, se garda d’ester en justice. Le vendredi 14, les membres du Conseil, au grand complet et dans leur tenue d’apparat, ont débouté de leurs prétentions les différents requérants.

Le regard en coin, Hermann a suivi tout le manège sans ciller. Il était suspendu à la décision de cette haute juridiction, même s’il disait ne pas se faire d’illusions sur la nature du délibéré qui allait être lu à la fin des réquisitoires. Et si par prudence, nous nous étions posé la question suivante :« Hermann va-t-il jeter l’éponge ? » dans l’édition du 13 octobre, nul n’était dupe de ce qui allait arriver. Bien avant (soit le 11 octobre 2005), à une réunion du BEN de son parti, le fils de monsieur Maurice Yaméogo n’avait-il pas d’ailleurs affirmé qu’ « aller à l’élection avec un pareil fichier, c’est aller au devant d’une crise majeure » ? Et patatras !

Le 17octobre 2005 à 18 heures donc, sur convocation de son président, le Bureau exécutif national de l’UNDD se réunit et la tendance dégagée lors de la dernière rencontre se confirme : « ...ne jamais accepter la candidature de Blaise et... la combattre par toutes les voies légales et constitutionnelles », ne pas maintenir la participation de Me Hermann à une élection « viciée » par la candidature incriminée « et au surplus ficelée par des manipulations, des subordinations et des techniques électorales et informatiques perfides ». Le sort en est donc jeté.

Mais un sort qui semble avoir pris de court les magistrats et juristes réputés chevronnés (1) dont est composé le Conseil constitutionnel. Pour comprendre un tant soit peu la complexité de ce puzzle juridico-politique, il serait bien d’être imprégné des tractations qu’il y a eu entre le célèbre démissionnaire et le Conseil constitutionnelle, au lendemain de la décision du BEN de l’UNDD.

En effet, selon l’intéressé, le Conseil l’a invité pour lui notifier qu’il n’ y avait aucun texte juridique pour régler le cas de figure où un candidat jette l’éponge après la validation de la liste des candidats à la présidentielle. Tant sur le sort à réserver au nom du candidat démissionnaire sur la liste officialisée, sur la caution déjà versée et la subvention de l’Etat destinée aux candidats que sur les plages horaires réservées à chaque candidat dans les médias publics.

En un mot, avec ce vide juridique, une question épineuse se pose : faut-il maintenir malgré lui Hermann Yaméogo comme candidat, avec toutes les conséquences que cette décision peut entraîner ? Alors, « comme vous êtes avocat, que faut-il faire ? », lui auraient demandé à l’unisson les membres du Conseil. Il aurait répondu qu’il ne saurait trop quoi faire, l’essentiel pour lui étant qu’on prenne acte de sa démission. Un point un trait ! Face à ce casse-tête juridique, promesse lui a été finalement faite de vérifier « s’il n’y a pas un texte de loi quelque part » sur la base duquel trancher.

A sa grande surprise, il apprendra par la voie des ondes que la demande de retrait de sa candidature a été rejetée, parce que déposée « hors délais ». Autrement dit, sa candidature est maintenue. En vertu de quel article ? On ne le sait trop. Et de quels délais parle-t-on ? Mystère et boule de gomme, puisque si vide juridique il y a sur la démission même, comment peut-on parler de délais relatifs à un sujet que la loi ignore ? En fait, on comprend quelque peu l’embarras du Conseil constitutionnel face à l’étrangéité de cette situation.

Le seul cas récent connu a eu lieu au Togo, où à la dernière élection, un candidat a jeté l’éponge deux ou trois jours avant le vote. On sait aussi qu’une loi ne se vote pas au pif et en quelques jours. On ne peut donc pas non plus trop en vouloir au Conseil constitutionnel, pour n’avoir pas prévu toutes les éventualités, d’autant plus que le vide juridique n’est pas un concept inventé par nos législateurs et existe sous tous le cieux ; et que quand il y a le silence de la loi, les « pneus de secours » ne sont pas toujours légion.

Mais messieurs du Conseil, peut-on maintenir quelqu’un, malgré lui, dans une course même aussi importante que celle qui conduit à la gestion, pendant cinq ans, de la destinée d’un pays ? Si le CSC et la CENI, à qui le candidat démissionnaire a notifié sa décision, ont pris acte, nonobstant les désagréments que cause une telle situation (comme la présence du « forfaitaire » sur le bulletin unique), pourquoi ça grince au niveau de la structure garante du respect de la Constitution ? Il faudra donc, à notre sens, qu’un consensus soit trouvé au plus vite.

Face au vide juridique, le Conseil constitutionnel ne pourrait-il pas se baser sur le droit comparé pour statuer, ou, à défaut, sur la logique et le bon sens ? Sinon, dans le cas où sa candidature serait maintenue, on pourrait assister à une situation pour le moins kafkaïenne (2) : pour boire la coupe de la légalité jusqu’à la lie, le « candidat malgré lui », Hermann Yaméogo, pourrait utiliser son temps d’antenne à appeler à la [dé]mobilisation électorale, retranché derrière les fortifications que lui donne son cher article 167 de la Constitution sur la désobéissance civile.

Autres questions induites : que deviennent les 5 millions de francs de caution qu’il a versés ? On les lui rend ou alors on considère que, n’ayant pas participé au scrutin, il aura 0% de suffrage et de ce fait ne pourra pas prétendre au remboursement de sa caution ? Dans ce cas, n’est-ce pas aussi logique qu’il ait sa part des 200 millions que les candidats doivent se partager au titre de la subvention de l’Etat ?

Mais finalement, on remarquera tout simplement que dans une machine qui paraissait aussi bien huilée que le Conseil constitutionnel, il n’a fallu qu’un simple petit grain de sable pour en bloquer les rouages. Et allez savoir si Hermann, qui n’est pas le plus bête de nos juristes, n’avait pas, dans le secret de ses recherches et de ses cogitations, imaginé une telle intrigue particulièrement bien nouée.

Quoi qu’il en soit, il aura fait œuvre utile, car c’est de ces situations que naissent les lois. Au fait, puisque la décision du Conseil constitutionnel sur l’article 37 et la candidature de Blaise Compaoré tombe désormais sous l’autorité de la chose jugée, et donc ne sera plus sur le tapis en 2010, que fera Hermann si, élu cette année, Blaise voulait rempiler encore à la fin de son mandat ? Va-t-il continuer à bouder les urnes ?

(1) Selon l’article 2 de la loi organique, le Conseil constitutionnel comprend : un président nommé par le président du Faso, trois magistrats nommés par le président du Faso sur proposition du ministre de la Justice après avis du Conseil supérieur de la magistrature, trois personnalités nommées par le président du Faso et trois personnalité nommées par le président de l’Assemblée nationale. (2) Dont l’absurdité, l’illogisme, rappelle l’atmosphère des romans de Franz Kafka, écrivain tchèque de langue allemande (1883-1924). _

Observateur Paalga

P.-S.

Lire aussi :
Présidentielle 2005

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