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Le parc de vaccination de Tougouri transformé en bar-dancing : Les éleveurs crient à la spoliation, le maire se défend, le barman obsédé

Publié le mercredi 29 février 2012 à 01h16min

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Tougouri, commune rurale de la province du Namentenga, renommée pour son élevage, a bénéficié d’un parc de vaccination en 1958. Ce parc qui a toujours fait la fierté des éleveurs est, depuis maintenant 6 mois, menacé d’être transformé en bar-dancing. Du coup, les bénéficiaires du parc crient au scandale, à la spoliation, non sans entreprendre des démarches pour préserver ce qu’ils appellent leur droit. Mais le barman, lui, dit être jusque-là dans la légalité. Il avoue aussi être surpris par la réaction des éleveurs puisque le parc, objet du litige, est de son avis, abandonné au profit d’un autre parc qui a maintenant trois ans. Interrogé, le maire de Tougouri, Issaka Charles Kafando, décline toute responsabilité avant d’affirmer que « le dossier n’est pas défendable ».

En empruntant la route nationale N° 3 (Ouaga-Dori), après 170 km de trajet, c’est la commune rurale de Tougouri qui vous accueille. Dans cette bourgade, depuis déjà 4 mois, règne un climat de méfiance et de mépris entre Issaka Sawadogo alias Issak Barman, détenteur d’un bar et des éleveurs de la localité. A l’origine de cette guéguerre, une tentative d’occupation de certains espaces à savoir, le domaine d’élevage, le parc de vaccination et la piste à bétail, a-t-on appris. Nous nous sommes rendus le vendredi 27 janvier 2012 sur les lieux pour en savoir davantage sur le différend qui oppose les protagonistes. Au service de l’élevage de la commune, aux environs de 10 heures, ce sont des éleveurs mélancoliques que nous avons trouvés.« C’est Sidwaya ! Bark Wend naam (ndlr:Dieu merci en langue mooré), Sidwaya est là aujourd’hui, la lumière va jaillir », lance l’un d’entre eux, remarquant le logo du véhicule.

Un patrimoine historique

Les éleveurs appelés à s’expliquer sur le conflit, se veulent clairs. Selon leur porte-parole, Souleymane Sawadogo, l’affaire remonte au début du mois de novembre 2011, où ils ont constaté que la piste à bétail qui conduit au parc pour les soins vétérinaires a été débroussaillée. Or, une rumeur courait déjà que Issak Barman voulait bâtir en ce lieu, un bar-dancing. Les jours passaient, et cette rumeur se confirmait. Ainsi, a confié Souleymane Sawadogo : « Nous avons vite saisi le responsable départemental des ressources animales, Emile Djiguimkoudré pour mieux comprendre. Celui-ci nous a tristement relaté qu’effectivement, lui aussi aurait appris que le barman entreprendrait des démarches auprès des coutumiers et du maire pour implanter un bar-dancing. Au regard de l’historicité du parc, de ses avantages, nous avons cessé de dormir sur nos lauriers ». Deux jours seulement après leur entrevue avec le service vétérinaire, le tenancier du débit de boissons a entreposé des agrégats pour la confection des briques. « Nous avons compris que Issak Barman nous narguait avec certainement la complicité du maire, auprès de qui nous avons déjà exposé notre préoccupation », a déploré le porte-parole des éleveurs. Et d’ajouter : « le 16 novembre 2011, ?l’affaire a été portée devant le préfet, Arsène Kiéma, qui nous a entendus et nous a rassurés de rendre compte à qui de droit ». Le préfet a confirmé avoir reçu les éleveurs. Cependant, précise-t-il : « dans le cadre de la décentralisation, les questions foncières intéressent beaucoup plus les communes que les préfectures. Néanmoins, j’ai rendu compte à la hiérarchie ». Effectivement, à travers une correspondance référencée N°2011 042/MATDS/RCNR/PNMT/DTGR, le préfet a rendu compte au haut-commissaire du Namentenga. En objet :

« Tentative d’occupation du domaine de l’élevage ». Le corps de la lettre stipule : «  ?Si des dispositions ne sont pas prises à temps, cela pourrait porter préjudice à la santé animale du département, partant, des localités voisines ».

Jalousie ? !

Au départ, Issaka Sawadogo le barman n’a pas voulu se prononcer. C’est sur insistance que ce dernier a accepté s’exprimer sur la question. D’abord pour lui, de conflit d’intérêt, il n’en voit pas. Et d’affirmer que ces détracteurs sont des jaloux. Car, jusque-là, lui, il a toujours inscrit ses démarches dans la concertation. « Suite au retrait de mon ancien site, j’ai prospecté dans la ville en vue de me recaser. Et c’est ici (ndlr : il nous indique son chantier) qui a retenu mon attention. Comme c’est une question de terre urbaine, je me suis rendu chez le maire pour lui en demander. Le maire qui a estimé que c’est une zone non lotie, m’a suggéré plutôt de contacter les propriétaires terriens. Je me suis rendu chez le Tensoaba (chef de terre), Kouka Sawadogo.

Quand j’ai posé ma doléance, le chef m’a informé qu’en ces lieux, se trouvent deux fétiches. Il m’a notifié que si mon bar n’atteignait pas les fétiches, je pouvais implanter mon commerce. Je l’ai rassuré que j’ai juste besoin de 300 m2 et que je ne parviendrai pas à la zone des fétiches. Après l’accord du chef, je suis allé rendre compte au maire qui m’a dit que si les coutumiers sont d’accord, lui aussi, il ne s’y oppose pas. Etant donné que je suis non loin du service d’élevage,
j’ai jugé utile de prendre attache avec le patron du service pour l’informer de mon projet. J’avoue qu’il a opposé une résistance farouche à mon projet », nous a-t-il expliqué. Le responsable vétérinaire, lui, dit n’avoir rien contre le barman. Cependant, « les normes techniques en matière d’implantation d’une piste à bétail, nous obligent à incriminer le projet », justifie-t-il. Du reste, il nous fait remarquer : «  ?tout le monde sait que les activités de bar sont incompatibles avec celles de la production animale ».

Le dossier n’est pas défendable

A entendre le responsable vétérinaire, Emile Djiguimkoudré, il doit y avoir complicité entre le barman et le maire de Tougouri, Issaka Charles Kafando, pour empiéter sur le domaine public. Il en veut pour preuve, ces questions-pièges du bourgmestre. Ce dernier aurait exigé du vétérinaire, les documents de bornage de la zone d’élevage. Et pourtant, « le maire sait plus que quiconque, que le site n’est pas borné », martèle M. Djiguimkoudré. Aussi, à l’intérieur du domaine, sont entreposés des monticules de terre déversés par l’entreprise Oumarou kanazoé depuis le temps de la construction de la route nationale N° 3. Selon le maire, si ces monticules ne gênent pas les activités du service d’élevage, il ne pense pas que celles d’un bar-dancing puissent les nuire.

Donnant sa version des faits, l’édile de Tougouri a témoigné que c’est après enquête qu’il a donné quitus à Issak Barman pour le début de son chantier. « Au départ, quand l’intéressé est venu me voir, je lui ai dit que c’est un espace hors lotissement. Je l’ai plutôt référé aux propriétaires terriens. Ensuite, il est revenu me dire qu’il a l’accord de ceux-ci. J’ai vérifié et c’était vrai. Mais la place qu’il doit occuper est malheureusement à proximité du service d’élevage, non loin d’un parc de vaccination d’ailleurs abandonné. C’est quand il a démarré son chantier, que certains éleveurs m’ont approché pour se plaindre. Le vétérinaire aussi. Je me suis renseigné, d’autres éleveurs m’ont dit qu’un autre parc a été construit et c’est là-bas qu’ils vaccinent leurs animaux depuis trois ans ». Nenni ! rétorque le porte-parole des éleveurs mécontents, Souleymane Sawadogo : « depuis 15 ans, je vaccine dans ce parc. Même le 10 janvier 2012, nous étions 19 personnes à y vacciner nos troupeaux ». Ce que le vétérinaire a confirmé.

Selon l’édile de Tougouri, les plaignants ne sont pas de bonne foi : «  ?On veut me faire croire que c’est un passage d’animaux ». Avant de lâcher : « C’est une mise en scène ». En outre, poursuit-il : « la directrice régionale des Ressources animales du Centre-Nord qui avait été saisie, avait instruit en son temps, le directeur provincial du Namentenga de me saisir afin de clarifier la situation. Mais quand la mission est arrivée, nous nous sommes rendus sur les lieux ; mais chacun s’est rendu compte qu’un animal est passé par là, il y a belle lurette. Si c’est le domaine de l’élevage, moi je suis mieux placé pour le savoir. Mais je dis que le parc est abandonné, la vaccination du 10 janvier passé n’est qu’une machination ». Le vétérinaire s’insurge en faux contre ces affirmations : « les deux parcs sont bel et bien utilisés ».

D’après lui, le premier parc où on veut implanter le maquis, est utilisé par les éleveurs des secteurs 1 et 2 ainsi que les villages de Taonsa et de Paspanga. Le second, lui, par les secteurs 3, 4 et 5, le village de Bagouem. Chaque éleveur utilise donc le parc le plus proche de son quartier.

En dépit de cet argumentaire, le maire estime que « le dossier n’est pas défendable ». Le Tensoaba qui s’est rendu sur les lieux a indiqué avoir certes, autorisé le barman, mais il ne savait pas que son bar dérangerait la piste à bétail. Dr Saidou Kongo, alors directeur provincial des Ressources animales du Namentenga et aujourd’hui directeur régional des Ressources animales de l’Est, joint au téléphone, s’est d’abord indigné de l’occupation du parc à d’autres fins : « le poste de Tougouri fait partie des 100 postes de surveillance actifs, et le 3e important parc de la province ». Aux dernières nouvelles, le barman continue son chantier sur le parc sans inquiétude, laissant les éleveurs dans le désarroi.

Konwoman Rufin PARE (pekker4@yahoo.fr)

Sidwaya

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