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Retour sur deux semaines de fièvre sociale

Publié le vendredi 18 mars 2011 à 02h04min

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La brusque montée de la température sociale ces derniers jours dans notre pays, conséquence de la mort le 20 février dernier de l’élève Justin Zongo, dans des conditions suspectes, appelle quelques observations. Le limogeage du gouverneur du Centre-ouest, du directeur régional de la police de la région, l’arrêt et l’inculpation des policiers mis en cause et l’engagement du ministre de la Justice à faire la lumière sur cette affaire n’ont pas suffi à rassurer les manifestants quant à la volonté du gouvernement d’arrêter, juger, punir ou acquitter les éventuels coupables à l’issue d’un procès libre et équitable.

Il y a manifestement un gros déficit de confiance des gouvernés vis-à-vis des gouvernants et cela est très inquiétant dans une démocratie encore fragile comme la nôtre.

Conséquence de ce qui précède, la parole publique est discréditée et l’autorité des représentants de l’Etat terriblement affaiblie.
A Koupéla, face à la détermination des élèves d’incendier des bâtiments publics, notamment le haut commissariat, la mairie et le commissariat de police, seule l’autorité traditionnelle a réussi-le maire et l’évêque ayant échoué- à les dissuader de renoncer partiellement à leur projet. Les deux premiers édifices ont été épargnés, mais le commissariat de police est parti en fumé après que les délinquants qui y étaient détenus aient été libérés, et cela en présence des policiers assistant impuissants, à la destruction de leur lieu de travail.

A Diabo, dans les environs de Fada N’Gourma, c’est littéralement à genoux que le préfet de la localité a supplié les élèves d’épargner la mairie, couvrant son désarroi en invoquant la parenté à plaisanterie qui existerait entre lui et les natifs du coin. A Ouahigouya, le lieutenant Julien Zongo a préféré s’adresser aux manifestants prêts à mettre le feu au palais de justice, non en tant que gendarme, mais en tant que père. D’après « Le Pays » qui rapporte le récit des évènements du 9 mars dernier, l’homme de tenu a ôté son béret avant de lancer à la foule ivre de violence : « Regardez très bien mes cheveux. Ils sont bien blancs n’est-ce pas ?

Donc j’ai parmi vous mes enfants. Je vous demande pardon, ne brulez pas le palais de justice ».
Ceux qui ont tenté un soir d’aller voir un film au Ciné Burkina pendant le dernier Fespaco ont pu constater le manque d’autorité des policiers à faire respecter l’ordre. « Monsieur, je n’y peux rien, je me cherche », a lâché, désemparé, l’un deux, quand un cinéphile lui a demandé de mettre fin à la pagaille qui régnait devant la porte d’entrée.
Il y a urgence. L’autorité publique doit, au plus vite être, restaurée, c’est un impératif catégorique de sauvegarde de la paix sociale.

Cela passe par une révolution de type épistémologique, c’est-à-dire démocratique, dans le comportement des corps habillés avec la population, de plus en plus instruite, mieux informée et consciente de ses droits et devoirs. On ne s’adresse pas à un citoyen comme si on avait à faire à un simple habitant. La nuance est de taille. Peu après son interpellation, l’élève Justin Zongo n’a-t-il pas déposé une plainte auprès du procureur du Faso ? Une démarche qui relevait de l’exception dans un passé pas aussi lointain.

L’image du policier inspirant la peur, la crainte et incarnant la répression et la brutalité, doit changer ; il doit être désormais perçu comme le protecteur des citoyens et garant de leur sécurité. Pour cela, la formation de base qu’il reçoit à l’école doit être renforcée par des formations continues afin de le mettre à niveau des exigences d’un état de droit.

Au plan politique, faut-il absolument croire à la thèse selon laquelle « des forces occultes à l’affût se sont saisies de cette situation que nous déplorons pour déstabiliser notre pays en accord avec leurs alliés extérieurs », comme le soutient le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) ? Rien n’est moins sûr !

Si Hermann Yaméogo, -puisqu’il s’est senti suffisamment morveux et s’est mouché- est capable de mobiliser des milliers de manifestants dans plusieurs provinces du pays en l’espace de quelques jours, le CDP devrait sérieusement se faire du souci pour les prochaines échéances électorales.

Au mieux, cette thèse est une fuite en avant et au pire, une tentative de camoufler les contradictions qui minent la majorité présidentielle. Dès les premières manifestations des élèves à Koudougou, les leaders locaux de CDP ont été sollicités pour jouer les médiations auprès des associations des élèves et des membres de la famille de la victime pour apaiser les esprits. En vain ! Ceux-là même qui paradaient le jour du meeting de Koudougou lors de la campagne présidentielle ont manqué de courage et failli à leur mission.
S’il faut absolument trouver une main invisible qui manipulerait les élèves, est-il interdit de la chercher du côté de la majorité présidentielle ?

Sinon, comment explique t-on le fait que c’est à Ouahigouya que les manifestations aient été les plus violentes en terme de destruction de biens publics, une ville où pourtant l’opposition est quasi inexistante ? Tous ceux qui observent la vie politique burkinabè savent bien qu’une partie du CDP voit d’un mauvais œil la création et la montée en puissance de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP/BC).

Cette association s’est illustrée lors des inondations de septembre 2009 par des dons et autres soutiens aux sinistrés et a partagé avec le CDP l’organisation des meetings de Blaise Compaoré en novembre 2010. Au présidium, son président Gaston Soubeiga, côtoyait le patron du CDP, Christian Roch Kaboré, ce qui a agacé de nombreux cadres du parti au pouvoir, contraints d’accepter que « le président d’une association apolitique soit logé à la même enseigne que les leaders de partis politiques ».

Le CDP n’est plus le seul lieu de pouvoir et il n’est pas difficile de rencontrer des caciques de cette formation dénonçant en « off », des nominations qui leur échappent. Faut-il le rappeler, le CDP est composé pour l’essentiel de groupuscules politiques ayant animé la période révolutionnaire et qui disposent d’un savoir faire dans l’agit-prop, ce que n’a pas la FEDAP/BC. Même dans un contexte démocratique, ça peut servir ! Du côté de l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA), on crie à voix basse à l’arnaque politique, estimant n’avoir pas obtenu assez de postes dans le dernier gouvernement conformément au deal qui aurait été conclu avec le CDP durant la campagne présidentielle.
Peut-on exclure qu’autant de frustrations aient trouvé, dans les manifestations récentes, l’occasion de s’exprimer sans se dévoiler ?

Joachim Vokouma

Lefaso.net

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