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Affaire Justin Zongo : Les enseignements d’un procès

Publié le lundi 5 septembre 2011 à 15h38min

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Tant attendu par l’opinion publique nationale, le verdict judiciaire de ce qui est convenu d’appeler l’Affaire Justin Zongo est tombé le mardi 23 août 2011 aux environs de 12 heures. Quels sont les enseignements qu’on peut tirer de ce procès  ?

Les faits dans cette affaire se résument en une altercation banale entre deux élèves d’un même établissement de Koudougou qui a pris une tournure inattendue. Le 16 décembre 2010, une bagarre a lieu entre les élèves Justin Zongo et Aminata Zongo. Le premier porte la main sur la deuxième qui après avoir vainement tenté de régler le problème au sein de l’établissement commun, saisi la police d’une plainte contre son camarade Justin Zongo.

Elle entendait voir Justin Zongo rembourser les frais d’ordonnances occasionnés par la bagarre et les coups reçus. Malheureusement Justin Zongo n’a pas fait venir ses parents comme exigé par l’administration contrairement à Aminata Zongo qui a fait venir les siens. Le problème n’ayant donc pas trouvé solution à ce niveau, elle saisi la police.

L’officier de police Narcisse Kaboré et ses hommes délivrent une convocation à Justin Zongo. Lorsqu’il répondra à la convocation après plusieurs relances selon la version des policiers, une amende lui est infligée de même qu’il lui est intimé l’ordre de rembourser les frais d’ordonnance d’Aminata Zongo. Justin Zongo demande à aller réunir de l’argent pour faire face aux frais et quitte le commissariat de police. C’était le 17 janvier 2011.

Ne revenant pas avec la somme demandée, une mission de police est envoyée le cueillir dans son lycée le 2 février 2011. C’est au cours de cette interpellation qu’il a reçu une gifle de l’agent Béma Fayama. Ce dernier explique que Justin Zongo intervenait de façon intempestive dans les débats alors que Aminata Zongo expliquait comment la bagarre était arrivée. Embarqué au commissariat, celui-ci sera entendu à nouveau et mis au « violon ».

En voulant le faire entrer au « violon » et face à sa résistance, Justin Zongo qui s’agrippait aux barres de fer de la cellule a été poussé par l’agent Bélibé Nébié. Sa tête a alors heurté les barres de fer. Libéré avec l’injonction de revenir s’acquitter des frais d’amende et d’ordonnance, Justin Zongo ira se plaindre de coups et blessures chez le Procureur du Faso. Il se fera consulté au dispensaire plusieurs fois pour ce même motif avant de rendre l’âme le 20 février 2011.

Des fautes commises par les policiers

Dès l’annonce du décès de l’élève Justin Zongo, ses camarades d’école qui suivaient de près les rebondissements de l’affaire descendent dans la rue. Pour ces derniers, il n’y a pas de doute quant au fait que leur camarade est décédé du fait de coups reçus au niveau de la police. Certains élèves qui ont défilé comme témoins à la barre à l’audience du lundi 22 août 2011 ont affirmé que Justin Zongo en plus de la gifle reçue, a été bastonné au commissariat de police.

Cette éventualité paraît plausible d’autant plus qu’il s’est plaint de coups et blessures au niveau du procureur du Faso et qu’il a eu à faire des consultations médicales pour le même motif. Si les policiers se défendent de l’avoir battu, le débat contradictoire à l’audience a relevé clairement qu’il a au moins été giflé et que sa tête a heurté la barre de la cellule.

Ces deux faits à eux seuls suffisent pour constater les fautes commises par les agents de police dans l’accomplissement de leur mission. Ils ont fait preuve de brutalités. En reconnaissant, l’un avoir giflé Justin Zongo et l’autre l’avoir poussé, toutes choses qui ont fait que sa tête a cogné la barre, on se demande légitimement si c’est seulement ce qu’ils ont fait à l’élève. N’a-t-il pas subi d’autres sévices entre les 4 murs du commissariat ? ?

Lorsque l’on sait que les commissariats de police et les brigades de gendarmerie s’illustrent parfois et même très souvent négativement dans le respect du droit des suspects ou des personnes interpellées, on comprend aisément ce que pense l’opinion de ce qu’a pu subir le malheureux Justin Zongo au commissariat de police de Koudougou.

Même si ce dernier n’a pas subi des sévices, si ce qu’ont dit les policiers est vrai, il n’en demeure pas moins qu’ils sont en faute. En effet l’interpellation ou la garde à vue d’une personne en l’occurrence d’un élève ne doivent pas donner lieu à des exactions. L’intégrité physique des personnes est protégée et toute personne qui porte atteinte à ce droit est punissable, selon la loi.

Voilà pourquoi les policiers ont été punis. Les agents Béma Fayama et Bélibé Nébié écopent chacun de 10 ans de prison ferme pour « coups mortels sans intention de donner la mort » tandis que l’officier chef de poste, Narcisse Kaboré se voit infliger une peine de 8 ans de prison ferme pour « complicité de coups mortels ». Ce dernier bien que n’ayant pas eu directement à faire à Justin Zongo est tenu en partie pour responsable du comportement de ses agents en sa qualité de supérieure hiérarchique. Il n’a pas pu empêcher les excès, le zèle de ses agents qui ont outrepassé leurs prérogatives.

C’est donc le lieu pour nous d’interpeller toute personne investie d’une parcelle de pouvoir et surtout nos forces de défense et de sécurité qui se croient tout permis. La personne physique est sacrée et son intégrité inviolable sous peine de sanctions. Dans l’exercice de toute fonction, il faut s’en tenir qu’aux droits et devoirs que vous confèrent les textes, la loi.

Les peines jugées sévères

C’est l’avis de nombreux Burkinabè qui ont suivi les péripéties de l’affaire. Il convient de signaler ici que les accusés encouraient une peine maximale de 20 ans puisque nous sommes en matière criminelle. C’est ce que prévoient les textes pour les chefs d’inculpations visés. Si les agents ont pris chacun 10 ans fermes et l’officier 8 ans, c’est que le tribunal leur a trouvé des circonstances atténuantes.

En effet, en matière pénale, le doute profite à l’accusé d’où le principe qui veut que le tribunal procède à la relaxe pure et simple en face d’un doute. Ne dit-on pas que « mieux vaut laisser courir 100 délinquants que d’emprisonner un innocent ? ? ».

Dans cette affaire Justin Zongo et en dehors de toute autopsie, les experts qui ont défilé au tribunal n’ont pas pu affirmer avec certitude que la mort de Justin Zongo est liée à la gifle ou à des coups reçus. Seule l’autopsie pouvait permettre d’établir cela avec exactitude alors que le père de la victime a refusé l’exhumation du corps. Il était donc difficile dès lors d’établir un lien de causalité direct entre la mort de l’élève et la gifle ou les coups reçus.

Mais en définitive on peut estimer que Justin Zongo a opposé une certaine résistance lors de son interpellation et lorsque l’on a voulu le mettre au violon. Excédés, les policiers, faisant dans le zèle, l’ont brutalisé. Les moyens utilisés par les agents étaient-ils proportionnels à la résistance ? ?

Pour le tribunal, malgré les circonstances atténuantes, ce sont bien les brutalités policières qui ont tué Justin Zongo. Les avocats de la défense n’ont pas manqué pour leur part, de relever les faits et les questionnements des circonstances atténuantes pour demander la relaxe de leurs clients. La pertinence de certains de leurs arguments a amené beaucoup d’élèves venus soutenir leur camarade disparu à applaudir leur plaidoirie.

A un certain moment, la relaxe des accusés a effleuré, nous en sommes sûrs, l’esprit de beaucoup d’entre ceux qui ont effectué le déplacement du palais de justice. C’est pourquoi beaucoup ont estimé au prononcé du verdict qu’il était sévère. Pourtant justice a été rendue. Dura lex, sed lex. Cependant certains ont mis ce verdict sur le compte de la pression sociale et le souci d’apaisement de l’opinion nationale. Pour eux, les accusés avaient déjà été jugés par l’opinion qui les avait déjà condamnés.

En tout état de cause, le droit a ses secrets que ne perçoit pas toujours le profane. Les avocats de la défense ont dit qu’ils allaient se pourvoir en cassation et on attend de voir ce que nous dira la juridiction supérieure à savoir la Cour de cassation qui juge sur la forme et non le fonds. Pour tous ceux qui disaient que le dossier Justin Zongo allait être enterré, eh bien ils en ont pour leur compte. L’institution judiciaire a relevé le défi en vidant ce dossier.

Comme l’a d’ailleurs rappelé à plusieurs occasions le Procureur général près la Cour d’appel, Honorine Méda, la justice, ce sont les preuves. Lorsque l’instruction permet de rassembler suffisamment des éléments de preuve contre X ou Y, il n’y a pas de raison que le dossier dorme dans les tiroirs.

Angelin DABIRE
L’Hebdomadaire du Burkina

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Vos commentaires

  • Le 6 septembre 2011 à 10:45, par l’étudiant noir En réponse à : Affaire Justin Zongo : Les enseignements d’un procès

    "Cependant certains ont mis ce verdict sur le compte de la pression sociale et le souci d’apaisement de l’opinion nationale. Pour eux, les accusés avaient déjà été jugés par l’opinion qui les avait déjà condamnés." C’est bel et bien ce que pensent tous les burkinabés. Personnellement quand jai appris ce qui s’était réellement passé, jai mille fois regretté d’avoir participé aux manifestations. Je demande pardon à la police et je les encourage à continuer de faire leur travail car l’insécurité est très grandissante ces derniers temps.

  • Le 6 septembre 2011 à 11:05, par citoyen En réponse à : Affaire Justin Zongo : Les enseignements d’un procès

    Bonne analyse l’étudiant noir et j’ajoute "Dans cette affaire Justin Zongo et en dehors de toute autopsie, les experts qui ont défilé au tribunal n’ont pas pu affirmer avec certitude que la mort de Justin Zongo est liée à la gifle ou à des coups reçus. Seule l’autopsie pouvait permettre d’établir cela avec exactitude alors que le père de la victime a refusé l’exhumation du corps. Il était donc difficile dès lors d’établir un lien de causalité direct entre la mort de l’élève et la gifle ou les coups reçus." En matière de droit c’est le non lieu immédiat ! De toutes les façons que me jette la première pierre celui qui n’a jamais giflé quelqu’un ! Chers amis si gifler pouvait tuer j’aurais deja perdu ma femme, mes 2 enfants, mon voisin d’en face et ...mon deuxième bureau. Serieusement, reconnaissons que ces flics ont été sacrifiés pour preserver la "paix sociale ?"

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