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Joseph Ki-Zerbo : A quand l’Afrique ?

Publié le lundi 11 décembre 2006 à 09h34min

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Joseph Ki-Zerbo : A quand l’Afrique ?

Entretien avec René Holenstein

Editions de l’aube
Seuil, 2003

A quand l’Afrique ? Voilà bien une question que nous préférons éviter, tant l’Afrique semble sans avenir. Mais Joseph Ki-Zerbo, historien et homme d’action burkinabè, ne peut ni ne veut l’occulter. Un livre passionnant, nourri d’une Afrique vécue et étudiée pendant des décennies, riche de réflexions profondes d’un historien sur le rôle de son métier pour l’action concrète des hommes. Ce livre a obtenu le prix RFI Témoin du monde 2003.


Notes biographiques sur Joseph Ki-Zerbo

Joseph Ki-Zebo, fils d’Alfred Diban Ki-Zerbo et de Thérèse Folo Ki est né le 22 juin 1922 en Haute- Vol ta. Il vit le « royaume d’enfance » (Léopold Sédar Senghor) à Toma, son village natal, dans le Nord-Ouest du pays. II y grandit dans un milieu rural et paysan, au sein d’une grande famille africaine, Son père est considéré comme le premier chrétien de la Haute-Voira. Selon Joseph Ki-Zerbo lui-même, les onze premières années de sa vie à la campagne ont fortement marqué sa personnalité. « L’essentiel de ma relation avec la matrice africaine provient de là, aussi bien la relation avec la grande famille qu’avec la nature. Ce sont les années d’innocence et de forte imprégnation à la hase en ce qui concerne les connaissances et les valeurs de notre société et de notre culture. »

De 1933 a 1940, il est élève dans des écoles des missions (catholiques) a Torna, à Pabré (à une vingtaine de kilomètres de la capitale Ouagadougou), à Faladié (au Mali), puis suit une formation supérieure au séminaire de Koumi (près de Bobo-Dioulasso). A Dakar, il enseigne pendant quelques années tout en exerçant, comme bon nombre d’émigrés, divers métiers. Il est employé des chemins de fer à Dakar pendant quelque temps, et travaille pour l’hebdomadaire catholique Afrique nouvelle.

A l’âge de 27 ans, Joseph Ki-Zerbo passe avec brio le baccalauréat à Bamako. Ses notes excellentes lui valent une bourse d’études à Paris, où il commence des études d’histoire à la Sorbonne en 1949, et suit des cours de sciences politiques à l’Institut d’études politiques. Il achève ses études d’histoire avec l’agrégation.

Les activités politiques de Joseph Ki-Zerbo commencent alors qu’il est encore étudiant. Il est cofondateur et président de l’Association des étudiants de Haute-Volta en France (1950-1956) et de l’Association des étudiants catholiques, africains, antillais et malgaches. En 1954, le jeune combattant anticolonialiste publie dans la revue catholique Tam-Tam un article remarquable sous le titre « On demande des nationalistes ».

À Paris, il rencontre certains des intellectuels d’avant-garde de l’époque, entre autres l’historien sénégalais Cheik Anta Diop et l’actuel président du Sénégal, Abdoulaye Wade. C’est de passage à Bamako qu’il fait la connaissance de sa future épouse, Jacqueline Coulibaly, avec qui il aura cinq enfants, trois fils et deux filles. Jacqueline Coulibaly est la fille d’un syndicaliste malien célèbre, et elle s’engage très tôt dans le mouvement syndical. Après ses études, Joseph Ki-Zerbo est professeur d’histoire à Orléans et à Paris. Il enseigne à partir de 1957 dans un lycée de Dakar, où il jouit du statut de fonctionnaire français en tant qu’agrégé et citoyen français avant les indépendances africaines.

La seconde moitié des années cinquante est une période de bouleversements profonds sur le continent africain. Le Ghana, en tant que premier pays d’Afrique de l’Ouest à le faire, conquiert son indépendance le 6 mars 1957. Joseph Ki-Zerbo crée en 1957 le Mouvement de libération nationale (MLN) dont il présentera le manifeste de création à Kwame Nkrumah, le premier président du Ghana. Ki-Zerbo se souvient encore aujourd’hui du dirigeant indépendantiste charismatique (voir p. 131).

Le programme politique du MLN, en bref : indépendance immédiate, création des États-Unis d’Afrique et socialisme. Le MLN mène dans plusieurs pays d’Afrique occidentale une campagne, somme toute infructueuse, pour le non au référendum organisé par le général Charles de Gaulle sur la création d’une Communauté franco-africaine. De tous les pays d’Afrique occidentale, seule la Guinée-Conakry préconise une indépendance immédiate, et vote le non au référendum. À la demande de Sékou Touré, à l’époque président de la Guinée-Conakry, Joseph et Jacqueline Ki-Zerbo, avec un groupe compact de cadres volontaires, se rendent alors à Conakry. Ils doivent y remplacer les enseignants français qui, après le vote en faveur de l’indépendance, ont été rappelés par la France. À propos de cette décision, Jacqueline Ki-Zerbo dit aujourd’hui : « Ou bien on se limitait au discours de salon sur l’indépendance ou bien on allait se coltiner avec les réalités de l’indépendance. » Pour Jacqueline Ki-Zerbo, qui a été directrice du cours normal de jeunes filles de Conakry, l’engagement en Guinée était un acte de solidarité politique et de crédibilité personnelle.

En 1960, Joseph Ki-Zerbo retourne en Haute-Volta. Il justifie ce retour en ces termes : « J’ai expliqué à Sékou Touré qu’il fallait que je retourne chez moi pour continuer la lutte pour l’indépendance dans d’autres territoires. » Après quelques années d’enseignement à Ouagadougou - à l’époque, il était non seulement le premier enseignant africain du secondaire dans son pays, mais aussi le mieux formé -, Joseph Ki-Zerbo est nommé en octobre 1965 inspecteur d’académie et directeur général de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports. Il est ensuite professeur à l’université de Ouagadougou (1968-1973). Il est cofondateur et secrétaire général (de 1967 à 1979) du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), qui prône une politique académique autonome des pays africains. Le CAMES joue un rôle de pionnier dans la recherche sur la pharmacopée africaine et la promotion de la relève scientifique en Afrique.

Joseph Ki-Zerbo expose ses idées sociales et politiques dans de nombreuses publications sur l’histoire et la culture africaines. Il rédige un manuel scolaire d’histoire qui paraît en 1963. En 1972, paraît sa célèbre Histoire de l’Afrique noire, des origines à nos jours, qui devient l’ouvrage de référence en histoire africaine. Dès l’introduction, l’auteur réfute la description, alors courante en Europe, empreinte de mépris et de racisme, de l’Afrique comme un continent noir, sans culture et sans histoire. Ki-Zerbo prouve au contraire que l’Afrique avait atteint un haut niveau de développement politique, social et culturel avant que la traite des esclaves et la colonisation par les puissances européennes n’amorcent le déclin du continent. Le livre de Ki-Zerbo, écrit seulement quelques années après que plusieurs pays africains eurent accédé à l’indépendance, témoigne de l’espoir de nombreux Africains et Africaines en un avenir positif, dans la liberté et l’autodétermination.

À côté de la recherche scientifique et de l’enseignement, Ki-Zerbo poursuit ses activités politiques. Sous le régime du président Maurice Yaméogo (1960-1966), tous les partis politiques sont interdits. Le MLN recrute ses militants surtout dans les milieux syndicaux enseignants et la paysannerie. Ali Lankoandé, ancien ministre de l’Enseignement et compagnon de lutte de Ki-Zerbo, se souvient : « Nous allions dans les campagnes ; Joseph était tout le temps au volant de sa voiture. Nous restions des journées et des nuits entières à discuter avec les paysans. » Les syndicats et le MLN jouent un rôle important dans l’organisation du mouvement populaire qui, le 3 janvier 1966, conduit à la chute du président Yaméogo. En tant que secrétaire général du MLN, Joseph Ki-Zerbo se présente aux élections législatives de 1970, où son parti obtient six sièges.

En février 1974, le Parlement est dissous, les activités politiques interdites et la Constitution abrogée à la suite d’un coup d’État militaire. Le pays vivait une tension politique motivée par la sécheresse qui sévissait depuis des années dans le Sahel. En octobre, l’interdiction des partis politiques est levée ; un mois plus tard, la Constitution adoptée. Au nombre des sept partis nouvellement constitués : l’Union progressiste voltaïque (UPV), sous la direction de Joseph Ki-Zerbo. Cette organisation politique a succédé au MLN. L’UPV représente l’opposition au nouveau parti gouvernemental, l’Union démocratique voltaïque - Rassemblement démocratique africain (UDV-RDA).

De 1972 à 1978, Ki-Zerbo est membre du conseil exécutif de l’Unesco, et travaille à la publication sous l’égide de l’Unesco d’une histoire de l’Afrique en huit tomes. L’Histoire générale de l’Afrique résume pour un large public les résultats les plus importants de l’historiographie africaine et réhabilite, de l’avis de Amadou Mahtar M’Bow, ancien directeur général de l’Unesco, l’identité du continent africain, trop longtemps négligé. Joseph Ki-Zerbo, président de l’Association des historiens africains de 1976 à 2001, est également professeur à l’université de Ouagadougou. Il fonde en 1980 le Centre d’études pour le développement africain (CEDA), dont la devise est : « On ne développe pas, on se développe. » Sur la base d’une analyse critique de l’impérialisme dans les relations Nord-Sud, Ki-Zerbo postule un « développement endogène » qui tiendrait compte des valeurs écologiques et sociales, et de l’identité culturelle de l’Afrique.

En 1983, un groupe de jeunes officiers prend le pouvoir sous la direction du capitaine Thomas Sankara. Une ère nouvelle commence pour la Haute-Volta, qui devient le Burkina Faso (« pays des hommes intègres ») à partir de 1984. Le Conseil national de la révolution prône la rupture totale avec l’héritage colonial et une transformation sociale radicale qui accorderait aux masses paysannes une participation plus importante aux pouvoirs politique et économique. Sous la pression du nouveau gouvernement militaire, Joseph et Jacqueline Ki-Zerbo sont obligés de quitter le pays en 1983. « On l’a considéré comme un réformiste, dit Jacqueline Ki-Zerbo. Et en tant que bon historien, il a bien compris ce langage ; il a donc décidé de partir. »

En 1985, un tribunal populaire révolutionnaire condamne Joseph et Jacqueline Ki-Zerbo par contumace à deux ans de détention et à une forte amende pour - fraude fiscale ». (Le jugement sera révisé âpres son retour d’exil et la Cour suprême prononcera un verdict de non-lieu.) La bibliothèque des Ki-Zerbo, riche de onze mille ouvrages, est saccagée. En 1987, le président Thomas Sankara est assassiné lors d’un coup d’Etat qui porte au pouvoir Blaise Compaorê, son ancien compagnon de lutte.

Pendant son exil, Ki-Zerbo fonde un nouveau centre de recherches, le Centre de recherche pour le développement endogène (CRDE). Il enseigne à l’université Cheik Anta Diop et poursuit ses recherches à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) à Dakar. En 1990 paraît, en collaboration avec l’Unesco et l’Unicef, son livre Eduquer ou Périr qui traite de la crise du système éducatif africain. En 1992, le CRDE publie, sous le titre la Natte des autres, les actes d’un colloque international organisé par Ki-Zerbo à Bamako (Mali) sur le thème du développement endogène.
Même en exil, Ki-Zerbo reste actif dans des réseaux internationaux. Depuis 1986, il est membre du Groupe de Vézelay, l’Alliance pour un monde responsable et solidaire, un regroupement international de personnalités.

En 1992, Joseph Ki-Zerbo et sa femme retournent au Burkina Faso dont le système politique, sous l’influence des bouleversements internationaux, a connu des changements. À Ouagadougou, Ki-Zerbo s’efforce de reconstituer le CEDA et crée le Parti pour la démocratie et le progrès (PDP) dont il assure la présidente. Aux élections législatives de mai 1997, le PDP obtient 10,1 % des voix, soit 6 des 111 sièges de l’Assemblée nationale, et devient ainsi le parti d’opposition le plus important du pays. Ki-Zerbo est élu député au Parlement, mais démissionne en 1998.

Après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, le l3 décembre 1998, il participe à la création du Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques, un regroupement de plusieurs partis d’opposition et d’organisations de la société civile, qui luttent contre l’impunité des crimes politiques et économiques. Ki-Zerbo devient un des leaders et une figure de proue du mouvement, et participe, malgré son âge, à presque toutes les marches et manifestations. » L’affaire Norbert Zongo a suscité chez lui la même révolte que celle qu’il éprouvait vis-à-vis du colonialisme et des exactions coloniales », dit Jacqueline Ki-Zerbo. De l’avis de Halidou Ouédraogo, président du Collectif, c’est grâce à la lutte contre l’impunité que la jeunesse burkinabé a découvert la grandeur et l’importance de Joseph Ki-Zerbo. « Le Burkina Faso a en lui un homme, un monument, une personnalité, une richesse qu’il n’exploite pas suffisamment », déclare-t-il. Et il ajoute : « Quand on côtoie le professeur, on a l’impression qu’il sera éternel. Le professeur m’a pris comme son fils et cela me rassure, car il est un leader naturel. » Tolé Sagnon, dirigeant syndical actif au sein du Collectif, admire aussi la fraîcheur juvénile de Ki-Zerho : « J’admire beaucoup sa disponibilité et sa volonté de discuter à l’aise avec tout le monde. C’est quelqu’un qui soumet ses idées à débat comme tout le monde et qui plaisante avec les jeunes comme avec des copains de son âge. Il encourage la jeunesse à se battre pour son avenir en lui disant qu’il n’y aura pas de salut lorsqu’elle reste assise les bras croisés. » Sur le plan international, Ki-Zerbo a récemment étendu son engagement à la lutte pour la reconnaissance de l’esclavage et de la traite des Noirs comme crimes contre l’humanité et pour que l’Afrique reçoive des réparations.

Il obtient en 1997 le prix Nobel alternatif pour ses recherches sur des modèles originaux de développement. Le prix Nobel alternatif - plus connu internationalement sous le nom de Right Livelihood Award - est décerné à des personnes ou des projets qui s’efforcent de trouver des solutions pratiques et exemplaires aux questions urgentes de la protection de la nature et de l’environnement, de l’aide au développement, des droits de la personne humaine ou de la recherche pour la paix. En 2000, Joseph Ki-Zerbo reçoit le prix Kadhafi des droits de l’homme et des peuples, et en 2001, il a reçu le titre de docteur honoris causa de l’université de Padoue en Italie.

Historien et homme politique, Joseph Ki-Zerbo est l’intellectuel africain qui a le mieux réussi à associer science et action politique. « Je crois que c’est un vrai intellectuel. Il ne se laisse pas ébranler par les attaques, les critiques et les analyses à court terme. Il a une espèce de fermeté dans les choix », dit son épouse Jacqueline Ki-Zerbo lors de l’une de nos rencontres. Je lui demande : « Pourquoi votre époux n’est-il pas resté à l’université et n’a-t-il pas saisi la chance de poursuivre une carrière scientifique internationale ? » « Oui, c’est un grief que beaucoup de gens lui font, répond-elle. Ils disent que Joseph aurait pu jouer un autre rôle s’il ne s’était pas mêlé de politique. Mais il ne pouvait pas. Toutes ses analyses l’ont amené à prendre position contre ce qu’il observait. C’est justement le prolongement de l’intellectuel qui s’investit dans la politique pour infléchir l’ordre des choses. »

René Holenstein

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