Burkina : La souveraineté ne peut pas et ne doit pas se négocier !
Lefaso.net
Pour Sylvestre Poda, écrivain, analyste économique et spécialiste en affaires internationales, les terroristes qui attaquent le Burkina veulent une portion du territoire. Se basant sur l’échec de certains grands traités de paix dans le monde, il estime qu’on ne peut pas négocier un seul centimètre du pays parce que, dit-il, la négociation est presqu’impossible car les compromissions à faire sont insoutenables. Lisez plutôt.
Un proverbe mossi affirme que « ziind tid sonssé, ya ziind tid zabé ». Ce qui veut dire que s’asseoir pour discuter, c’est s’asseoir pour se disputer. En effet, là où il y a des humains qui interagissent, il y a des conflits et des mésententes. Ces conflits sont généralement alimentés par les intérêts individuels, l’injustice ou les frustrations, et peuvent conduire à des conflits armés.
C’est dans cette configuration que de nombreux peuples se sont affrontés par la force des armes, tout au long de l’histoire. Par la suite, les capitulations, l’épuisement des ressources militaires et économiques, ou la prise de conscience des aspects néfastes de la guerre ont incité les belligérants à cesser le feu et à s’asseoir autour d’une table pour discuter et signer des accords de paix.
La paix est formidable. Elle est la sève nourricière du développement. Mais elle n’est pas seulement un mot. Elle est surtout un comportement. Encore faut-il avoir le bon comportement pour la préserver. Depuis des siècles, les accords de paix ont presque toujours échoué car les belligérants ont eu des comportements qui les ont malheureusement fragilisé. Pourquoi les traités de paix échouent-ils ? Quelle leçon tirer des comportements qui fragilisent la paix ? Comment le Burkina Faso peut-il intégrer ces leçons dans son processus de cohésion sociale ?
Comme susmentionné, l’échec des traités de paix n’est pas un phénomène nouveau. Malgré les grands efforts de paix consentis pendant les deux grandes guerres, la guerre se poursuit dans plusieurs régions du monde. L’analyse du traité de Versailles, du pacte de Briand-Kellogg et du pacte germano-soviétique vont nous permettre de comprendre que la paix est un idéal presqu’inatteignable, et ce pour plusieurs raisons.
En 1919, les vainqueurs de la première guerre mondiale organisent une conférence à Paris pour négocier avec les vaincus. Négocier sous-entend un quasi-équilibre des forces entre les camps. Or quand il y a vainqueur et vaincu, c’est que l’équilibre des forces est rompu. Pourquoi les vainqueurs décident-ils alors de négocier ? En vérité, les vainqueurs négocient entre eux pour décider du sort des vaincus, notamment l’Allemagne qui n’a pas son mot à dire.
Le traité de Versailles voit le jour le 28 Juin 1919, consacre la création de la Société Des Nations (ancienne ONU), déclare l’Allemagne comme la principale responsable de la guerre et la condamne à payer de lourds tributs. C’est soit les sanctions, soit son envahissement par la France. C’est malgré elle que l’Allemagne signe le traité de Versailles qui la condamne à céder ses colonies en Afrique à d’autres puissances, une partie de son territoire, et à réparer les dégâts de la guerre : ce qui plombe son économie. Elle ne va pas digérer cette humiliation. Pendant des années, elle va ruminer une vengeance. La suite, vous la connaissez. Ce désir de revanche va contribuer à enclencher la seconde guerre mondiale. En effet, dès qu’elle retrouve ses forces, elle trahit les accords qui lui ont été imposés.
Leçon 1 : Tout accord de paix doit être fondé sur des compromissions qui satisfont tous les belligérants, même les plus faibles. Sinon dès que le rapport s’inverse, les accords sont remis en cause.
Lors de la ratification du traité de Versailles, la création de la Société Des Nations est consacrée. Une sorte de supra-nation qui pourrait contraindre en théorie n’importe quel Etat à respecter les accords de paix internationaux. Sauf qu’en pratique, la SDN est financée principalement par les grandes puissances, et son armée est composée des contingents militaires des autres Etats. Ce qui réduit considérablement la portée de l’organisation.
Si l’Allemagne se lance dans la seconde guerre mondiale, c’est parce qu’elle croit que la SDN ne peut l’arrêter (surtout que les Etats Unis n’y sont pas membres) et qu’elle a toutes ses chances. L’histoire lui prouvera le contraire mais toujours est-il qu’il n’y avait pas assez de dissuasions pour l’en empêcher.
Leçon2 : Tout accord de paix n’est durable que s’il y a des dispositifs suffisamment dissuasifs pour dissuader les différentes parties de reprendre les hostilités.
L’absence de sanctions dissuasives est aussi la raison principale de l’échec du Pacte de Paris. Ce pacte encore appelé pacte Kellogg-Briand est un traité de paix signé le 27 août 1928. Il condamne le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux. Cette fois-ci, les dispositifs dissuasifs sont présents (comme la présence des Etats-Unis dans les accords) mais malheureusement, le pacte est flou sur de grandes questions comme la légitime défense et les moyens de négociation en cas de conflits.
Leçon3 : Tout accord de paix doit reposer sur des fondements clairs et précis. Toutes les parties doivent être bien connues, leurs attentes bien exprimées et les cas de résolution de litige bien anticipés.
Quelques années plus tard, les allemands et les soviétiques signent un traité de non-agression le 23 Aout 1939. Ce traité proclamait un renoncement au conflit entre les deux pays ainsi qu’une position de neutralité dans le cas où l’un des deux pays signataires était attaqué par une tierce partie. L’une des raisons de la signature de ce pacte de non-agression est que les deux Etats étaient déjà engagés militairement sur d’autres fronts.
Chacun voulait gagner du temps pour préparer une guerre qui était inévitable. Ils signèrent donc le pacte afin de concentrer leurs énergies sur les autres fronts. Cette guerre inévitable se produisit. Le 22 Juin 1941, Hitler déclenche contre l’URSS l’Opération Barbarossa, la plus grande invasion de l’histoire militaire en termes d’effectifs engagés et de pertes. L’opération Barbarossa marque de facto la fin du pacte germano-soviétique.
Leçon 4 : Tout accord de paix fondé sur le mensonge, la ruse et les subterfuges est voué à l’échec. La sincérité, l’honnêteté et l’harmonie sont les ciments qui consolident l’édifice de la paix.
Le Burkina Faso est en guerre. Tous les Burkinabè recherchent la paix. Mais les stratégies proposées divergent selon les sensibilités. D’aucuns proposent que l’on négocie avec les terroristes tandis que d’autres suggèrent que l’on poursuive la guerre.
Tout accord de paix ne peut durer que si les quatre leçons tirées de l’histoire sont intégrées dans nos décisions. Il est donc essentiel de se poser les bonnes questions : Que veulent les terroristes ? Peut-on leur donner ce qu’ils veulent ? Savons-nous même qui sont-ils ? Des gens qui tuent et endeuillent des familles peuvent-ils présenter un gage de sincérité et d’honnêteté ?
De mon humble avis, les terroristes veulent une portion du territoire, en tout cas certains d’entre eux. Je ne crois pas que l’on puisse négocier ne serait-ce qu’un centimètre du pays. La négociation est presqu’impossible car les compromissions à faire, sont insoutenables. En plus, il existe plusieurs groupes terroristes qui s’affrontent entre eux. Peut-on négocier dans un tel désordre surtout lorsque l’adversaire ne présente aucun gage de sincérité et d’honnêteté ?
A chacun de tirer ses propres conclusions, mais ce qui me semble le plus évident, c’est ceci : NOUS NE POUVONS PAS NEGOCIER ET NOUS NE DEVONS PAS NEGOCIER NOTRE SOUVERAINETE.
Sylvestre Poda
Écrivain, Spécialiste en Affaires internationales et analyste économique