L’opposition burkinabè : Les causes d’une défaite
Les résultats de l’élection présidentielle du 13 novembre donnent un score minable à l’ensemble des candidats opposés à Blaise Compaoré. Moins de 20% des électeurs ont porté leur choix sur les 11 challengers du président sortant. Une contre performance dont les causes sont difficilement imputables à la seule défaillance du système électoral chargé de l’organisation du scrutin.
L’après élection est parfois plus intéressant que le déroulement de la campagne elle-même, en ce sens qu’elle permet d’avoir des lectures moins passionnées des enjeux. Les acteurs ont surtout l’occasion de livrer les enseignements qu’ils tirent du processus électoral : les raisons de la victoire ou les causes de la défaite. Cet exercice n’est souvent pas aisé car il demande de surpasser les euphories (pour les vainqueurs) et la mélancolie (pour les perdants). C’est dire que le scrutin du 13 novembre dernier reste un événement dont le déroulement et les résultats feront l’objet de polémiques pour longtemps encore.
Même la proximité des élections communales n’ y changeront rien. Tout au contraire, car le principal point d’achoppement concerne le fichier électoral, l’élément central de toute élection. De sa fiabilité dépend en effet la crédibilité du scrutin. Les analyses des résultats de la présidentielle par les différents protagonistes ont toutes mis en orbite le fichier électoral soit pour donner une caution honorable à son succès, soit pour atténuer sa défaite, en émettant des doutes sur sa fiabilité.
Comme on s’y attendait, le camp présidentiel ne trouve rien à redire du fichier, sinon que s’il est défaillant " il l’est pour tout le monde ", selon les propos du directeur de campagne du candidat sortant. Une posture qui, bien que compréhensive, laisse de côté les nombreuses irrégularités relevées ça et là sur l’ensemble du territoire national. Elle ne permet surtout pas de situer la responsabilité sur ces cas bien avérés d’irrégularités.
A Ouahigouya, dans le fief du directeur de la campagne présidentielle, Salif Diallo, des individus formellement connus comme des Cdpistes se faisaient la concurrence dans la distribution de fausses cartes d’électeurs et des actes de naissances. Ils se sont signalés également dans les bureaux de vote où ils ont continué la propagande pour leur candidat. A Banfora, c’est une dame identifiée comme militante très engagée du parti au pouvoir qui distribuait les fameuses cartes avec des complicités bien établies au niveau de la mairie. Dans d’autres localités, des actes similaires ont été signalés, pas seulement par l’opposition, mais aussi par des observateurs nationaux et internationaux. Il y a eu encore le transport des électeurs d’une localité à une autre.
Ces " électeurs volants " ont été signalés surtout sur les axes Ouaga-Koudougou, Ouaga-Ouahigouya et Ouaga-Sapouy. Les véhicules ayant servi à leur transport ne laissaient pas de doute sur leur appartenance politique.
Pour certains candidats de l’opposition, ces cas sont suffisamment nombreux pour entacher la sincérité du scrutin. Néanmoins, ils se refusent à déposer des recours car, selon eux, le Conseil constitutionnel, l’institution chargée de les examiner, serait à la solde du pouvoir. Emile Paré, candidat classé 10ème avec moins de 15 000 voix n’hésite pas à affirmer que " les résultats étaient connus d’avance depuis plus d’un an ". Comme preuve, il renvoie les journalistes " au sondeur du CGD ".
En effet, les deux sondages du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) de juin-juillet et octobre 2005, donnaient Blaise Compaoré gagnant dans tous les cas de figure avec un score proche de 70%. Celui qui avait un caractère national lui donnait même un avantage de plus de 76%. Malgré les appréhensions, souvent justes, sur les capacités du Centre à réaliser un travail du genre, il reste que les résultats de ses sondages traduisaient une réalité : la quasi inexistence des partis de l’opposition sur le terrain en tant qu’entités structurées. C’est la principale cause de la défaite de l’opposition.
La preuve, partout où un parti de l’opposition est bien implanté, son candidat a engrangé un pourcentage acceptable. Bénéwendé Sankara dans le Passoré (18,70%), Emile Paré dans le Nayala (11,94%), Laurent Bado dans le Sanguié (14,31%), Philippe Ouédraogo dans le Séno (12,84%). La querelle faite à la CENI de ne pas pré financer la prise en charge des délégués des partis traduit également cette absence de ces partis sur l’ensemble du territoire national.
Un parti présent dans une localité n’aura pas de mal à trouver des délégués pour surveiller des bureaux de vote entre 6h et 20h. Ce parti n’aurait pas besoin de transporter des militants de la capitale vers les autres provinces pour jouer aux délégués électoraux. La question de moyen ne se poserait donc pas. Si ce sont réellement des militants, le sacrifice d’un jeûne partiel de 14h ne serait pas de trop. Si cela constitue une corvée pour ces militants, c’est qu’il y a une grave crise de militantisme dans les formations politiques.
La crise du militantisme
La faiblesse organisationnelle de l’opposition sur le terrain est accompagnée d’une crise du militantisme pour de vieux partis comme le PDP/PS et le PAI et d’une balbutiante ferveur militante chez les jeunes partis. Cette situation, bien que n’étant pas le propre des partis d’opposition, les défavorise plus, parce que le camp en face dispose de moyens matériels et financiers pour pallier la carence du militantisme. L’absence d’enthousiasme militant peut être imputable à un déficit, voire à l’inexistence de formation politique dans les partis.
La plupart de nos partis fonctionne en effet comme des structures informelles dirigées par des analphabètes, ne disposant d’aucun agenda, encore moins de calendrier de rencontres et de formations pour les militants. S’il y a formation, cela provient en grande partie des initiatives extérieures comme des institutions nationales et internationales. Et ceux qui y participent font rarement des restitutions appropriées.
La crise d’identité
Un autre facteur non moins négligeable dans la déroute électorale de l’opposition, c’est l’image exécrable qu’ont donné certains de ses animateurs depuis le retour au multipartisme intégral du début des années 1990. De révoltantes volte-faces des principaux leaders de l’opposition ont semé le désarroi dans les rangs des militants qui, pour beaucoup, se sont laissés convaincre par les événements qu’aucun combat n’était encore digne d’être mené.
Les participations des opposants aux différents gouvernements dits d’ouverture ou d’union nationale n’aura profité qu’au régime en place qui n’hésite pas, le moment venu, de présenter ses opposants comme des plaisantins qui ne savent pas ce qu’ils veulent. Dans une certaine mesure, cet argumentaire fait mouche dans l’opinion. C’est une raison suffisante pour nombre d’électeurs potentiels de s’abstenir lors des consultations électorales.
Les taux d’abstention relativement élevés dans les villes pourraient être imputés à cette situation. La plupart des jeunes qui brocardent à longueur de journée le pouvoir, mais qui s’abstiennent de voter pour l’opposition le font souvent par dépit. Même en campagne, l’argumentaire paie car, les gens se disent, à quoi sert de voter pour quelqu’un qui n’assume pas sa différence jusqu’au bout ?
Les querelles intestines à l’intérieur des partis d’opposition ces dernières années ont aussi joué en leur défaveur. Quels scores auraient faits le PDP/PS et le Paren par exemple s’il n’y avait pas eu des défections en leur sein ? Très probablement meilleurs que ceux qu’ils ont engrangés. Le PDP/PS paie à coup sûr les dissensions internes qui le minent depuis 5 ans. Il a complètement touché le fond car, du premier parti de l’opposition, son leader et candidat a obtenu moins de 50 000 voix, se classant 5ème derrière des partis qui viennent de naître comme l’UNIR/MS (le seul à avoir tiré son épingle du jeu) et le RDEB de Ram Ouédraogo.
La relance de l’opposition passera également par une meilleure communication de ses leaders et de leurs partis. La récente campagne présidentielle a permis d’étaler toute leur carence en la matière. A l’exception encore d’un ou deux partis, le reste naviguait dans l’imprécision des dates et lieux des meetings. Les communales prochaines seront un test pour voir si dans son ensemble, l’opposition a pu tirer des leçons de ce scrutin. L’alibi d’absence de moyens ne saurait prospérer indéfiniment
Idrissa Barry
L’Evénement