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Présidentielle 2005 : Ce qui devait arriver arriva

Publié le jeudi 1er décembre 2005 à 07h40min

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Après 21 jours d’effervescence politique, les Burkinabè ont élu leur Président le 13 novembre 2005. Les résultats provisoires de la CENI créditent Blaise Compaoré de 80,30% des voix. Après 18 ans au pouvoir, ce dernier rempile pour un troisième mandat. Du côté de l’opposition, les résultats sont squelettiques. Des voix s’élèvent pour dénoncer les " fraudes et la mascarade électorale " qui auraient émaillé le scrutin. Pour beaucoup, le défi s’est transformé en dépit.

Mais, même si Blaise Compaoré et son CDP se réjouissent de cette " fessée électorale ", il n’en demeure pas moins que ces résultats portent un coup à la démocratie burkinabè. L’écart abyssal entre le vainqueur provisoire et les autres candidats n’est pas sans rappeler les années d’après indépendance caractérisées par la dictature des partis uniques. Une page se referme. Une autre s’ouvre. Quels enseignements tirer pour la classe politique ? Comment se dessinera le destin du peuple burkinabè ?
Eléments d’approche...

Pour la troisième fois consécutive depuis 1991, les Burkinabè se sont rendus aux urnes le 13 novembre dernier pour l’élection du Président du Faso. Dans l’histoire politique du pays, 1991 marque le retour à une vie constitutionnelle normale. Le 1er décembre 1991, date de la première élection, était une promenade de santé pour Blaise Compaoré. Seul et unique candidat, il sera facilement porté au trône (86,19%). Le taux de participation, lui, était extrêmement bas (25,12%). En 1998, Blaise Compaoré remporte son second septennat face à Ram Ouédraogo et à Fréderic Guirma avec 87,52% des voies. Si à ces deux premières élections, l’opposition, dans sa grande majorité, a opté pour la politique de la chaise vide, il n’en a pas été ainsi pour cette année. Les 12 opposants du scrutin nourrissaient tous le secret espoir de coiffer Blaise Compaoré au poteau. Mais, au vu des résultats provisoires de la Commission électorale nationale indépendante(CENI), ils ont purement et simplement raté le coach.

En effet, pour l’élection du 13 novembre 2005, 3 918 103 électeurs étaient inscrits. 2 288 257 ont effectivement voté. Parmi eux, la CENI a dénombré 202 387 bulletins nuls. Cela renvoie le suffrage exprimé à 2 085 870, d’où un taux de participation de 57,5%. Après dépouillement, Blaise Compaoré arrive en tête avec 80,30% des voix. Me Sankara et Laurent Bado arrivent respectivement en 2è et 3è position avec 4,94% et 2,61% des suffrages exprimés. Philippe et Ram Ouédraogo s’en sortent eux, avec 2,27 et 2,03%. Viennent ensuite Ali Lankoandé, Norbert Tiendrébéogo, Soumane Touré et Gilbert Bouda avec un peu plus de 1%. Emile Paré, Hermann Yaméogo, Clément Dakio, et Nayabtigungu Congo Kaboré ferment la marche avec moins de 1% des voix.

Revers cuisants pour l’opposition

" Ce n’est pas possible. Les dieux leur sont tombés sur la tête ". Cri de détresse d’un citoyen face à la performance, ou plutôt la contre performance de l’opposition. Un camouflet qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Il y a d’abord la pléthore de candidats et par voie de fait, l’émiettement de l’opposition. Ensuite, il y a le fait que beaucoup d’opposants sont allés à la présidentielle comme on irait à Canossa ; c’est-à-dire sans réelle préparation. Il est vrai que certains meetings ont drainé du monde.
Mais dans ce genre de circonstances, et au regard de la non démarcation politique officielle des électeurs, parler à une foule, revient à parler à tout le monde et à personne à la fois. Il ne faut pas attraper l’ombre pour la proie ! Une élection présidentielle se prépare plusieurs mois, voire plusieurs années à l’avance. Mais que n’a-t-on pas constaté au cours de la campagne électorale ? Beaucoup ont plus fait du tourisme politique qu’une véritable conquête de l’électorat. Un des candidats a même eu la lumineuse( ?) idée de ne point battre campagne en dehors de sa province d’origine ! Il songeait certainement à ses lendemains après le 13 novembre....

Mais tous les opposants ne sont pas à loger à la même enseigne. Me Benéwendé Sankara, Laurent Bado, Phillipe et Ram Ouédraogo ont par exemple révélé leur stature d’hommes d’Etat tant par leurs discours que par leurs actes. Même si par moment, ils ont été confrontés à des difficultés, ils sont quand même restés tenaces. En dépit des affaires des 03 millions puis des 30 millions qui ont terni son image, Laurent Bado a su rebondir quelquefois avec l’art et la manière. Ali Lankoandé et son PDP/PS paient sans doute pour leur manque de dynamisme.

Avec un peu plus de jeunesse et de fougue, les résultats auraient pu être autres. Pour une première participation, Norbert Tiendrébéogo, Gilbert Bouda et Soumane Touré, peuvent se consoler des scores atteints. La plus grosse déception vient d’Emile Paré ; 0,87% . Où sont passées les griffes du " chat noir " ? Pourquoi n’a-t-il pas suffisamment miauler ? Après le feuilleton du PDP/PS, on l’avait quelque peu oublié jusqu’à ce qu’il ressurgisse avec le MPS/PF. Les cinq premiers opposants, auxquels on peu ajouter Soumane Touré, ont sans doute bénéficié de leur position de députés à l’Assemblée Nationale.

Il est vrai que Me Sankara a démissionné de l’hémicycle pour se consacrer à la présidentielle. Mais le simple fait d’y avoir été au cours de cette année lui a valu des dividendes. En plus de cela, le capital confiance d’Emile Paré a fondu comme beurre au soleil auprès des électeurs après l’histoire des 30 millions de l’OBU. Il n’a sans doute pas eu le même charisme que Laurent Bado pour battre en brèche cette image " d’opposant corrompu " qui lui collait à la peau. Il y a en outre un manque de visibilité du MPS/PF qui semble se réduire à sa seule individualité.

A côté de tous ces facteurs, intervient celui des moyens (financiers, matériels, humains...). Sur ce plan, le match était déjà plié par Blaise Compaoré avant l’entame même de la partie. Bénéficiant de soutiens multiples et multiformes, Blaise a déployé l’artillerie lourde. Hélico, montgolfières, posters géants, T-shirts, pagnes, casquettes..., le tout, dit-on, pour 983 millions. Dans une situation de précarité et d’extrême pauvreté, offrir un t-shirt ou un pagne à un électeur peut l’influencer psychologiquement.

Les opposants l’ont peut-être compris ( même si certains refusent de le faire), mais beaucoup avouent qu’ils ne pouvaient absolument rien face aux moyens " titanesques ", voire " insultants " de leur vis-à-vis. Ici encore, se pose la problématique du plafonnement des dépenses électorales et du financement des partis politiques. Une décision en ce sens permettrait sans doute de mettre plus de " piquant " dans les échéances électorales. Elle éviterait surtout que les compétitions politiques ne soient récupérées par les magnats économiques qui y trouvent une sacrée aubaine pour faire prospérer leurs " business ".

Pour un opposant comme Emile Paré qui se retrouve à la 10è position, les résultats de le CENI " sont loin de la réalité du terrain politique ". D’autres, comme lui dénoncent aussi les fraudes ( votes multiples, anomalies du fichier électoral...). Même si les faits sont avérés, l’absence des délégués de l’opposition dans la majorité des bureaux de vote rend complexe l’établissement de preuves formelles de " récupération politicienne des voix ". Mais cela ne dédouane en aucun cas la CENI. De nombreux observateurs comme le MBJUS et la RADDHO ont par exemple révélé de nombreuses failles comme les doublons, le vote sans carte d’électeurs... Il faudrait donc revoir la copie.

Mais l’un dans l’autre, la présidentielle permet aux opposants de mesurer leurs capacités intrinsèques. Ils pourront ainsi mieux se préparer pour les municipales de février prochain et les législatives de 2007. En cela, ils peuvent être galvanisés par leurs plus gros scores réalisés dans certaines provinces. Ainsi dans le Passoré et le Kadiogo, Me Sankara s’en tire avec 18,70% et 14,82% des voix. Laurent Bado réalise un score de 14,31% dans le Sanguié. Dans le Séno, Philippe Ouédraogo décroche 12, 84%. Emile Paré rafle 11,94% dans son Nayala natal. Dans la Gnagna, Ali Lankoandé remporte 11,60%.
L’écart, pour l’instant, est sans commune mesure entre Blaise et ses concurrents. Ces derniers savent désormais ce qui leur reste à faire pour parvenir un jour au palais de Kosyam.

Blaise face au peuple

Pour le quinquennat à venir, Blaise, s’il était confirmé, compte travailler au renforcement de la démocratie, à la valorisation du capital humain, au rayonnement international du Burkina. Il entend également créer des emplois et des richesses, éduquer la jeunesse, œuvrer à la promotion de la femme... C’est sur ce programme qu’il a été élu. Les projets à coût de milliards annoncés dans certaines provinces ne doivent pas être des chimères. L’homme d’Etat, c’est l’homme de parole ! Sur le plan politique, cette victoire peut également constituer un casse-tête pour lui. Comment repartir les dividendes afin de ne pas créer de frictions au sein du CDP ? Comment récompenser le soutien de l’ADF/RDA et des autres partis de la mouvance ?

A ce qu’on dit, les querelles de leadership pourraient être acerbes. Mais l’une des questions sur laquelle les Burkinabè attendent toujours Blaise Compaoré, c’est bien la lumière sur l’assassinat de Norbert Zongo, sept ans après. Mais au delà de tout, se pose l’incontournable question de l’alternance au pouvoir. L’expérience est riche d’enseignement quant aux conséquences des longs règnes

Aimé Franck Bazié

L’Evénement

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