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Burkina Faso :Eric P. Zongo impute la crise actuelle du pays à l’échec de tout un système

Publié le mardi 8 février 2022 à 21h00min

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Burkina Faso :Eric P. Zongo impute la crise actuelle du pays à l’échec de tout un système

« Au-delà de l’échec d’un régime, la grave crise que nous traversons est l’échec de tout un système que plusieurs leaders politiques, militaires, coutumiers et traditionnels, religieux, du monde des affaires et de la société civile ont contribué à créer et à entretenir à des degrés divers ».

C’est ce qu’estime l’économiste Eric Stéphane P. ZONGO dans sa tribune libre parvenue à Lefaso.net ce mardi 8 février 2022.

L’intégralité de sa pensée dans le document ci-dessous.

L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, qui était considérée comme une occasion pour le Burkina Faso de rompre avec la mauvaise gouvernance, n’a pas entraîné un changement de gouvernance au Burkina. L’esprit de l’insurrection tant évoqué sous la Transition par les insurgés se retrouvait plus dans le verbe que les actes posés par ses défenseurs.

L’Insurrection a été trahie et pervertie par la poursuite des intérêts égoïstes, à tel point qu’on serait tenté de dire qu’il n’y a jamais eu d’esprit de l’Insurrection, mais « des esprits de l’Insurrection ». Le régime de Roch Marc Christian KABORE, qui est arrivé au pouvoir à la faveur des élections de novembre 2015, considérées par bon nombre d’observateurs comme étant libres et transparentes, a progressivement assombri l’horizon d’un Burkina nouveau.

En effet, confronté à la crise sécuritaire dès l’entame de son premier mandat, le régime KABORE, malgré sa volonté affichée d’apporter un changement véritable, n’a pas su se défaire des mauvaises pratiques de gouvernance tant décriées dans le régime de Blaise COMPAORE.

C’est dans un contexte de grave crise sécuritaire et de résultats mitigés du Plan National de Développement Economique et Social (PNDES) que Roch Marc Christian KABORE a été réélu pour son deuxième mandat au terme d’une campagne électorale marquée par une recrudescence du clientélisme politique et de la corruption électorale selon plusieurs observateurs. C’est avec une majorité confortable que le président KABORE a entamé son deuxième mandant en marquant sa volonté de parvenir à une réconciliation entre Burkinabè, gage d’une unité nationale et d’une cohésion sociale indispensables dans la lutte contre le terrorisme.

La dégradation continue de la situation sécuritaire finira par avoir raison du régime KABORE le 23 janvier 2022, malgré l’ultime sursaut de sa part pour reprendre le contrôle de la situation, un mois plus tôt, avec un nouveau premier ministre et un gouvernement resserré.

Désormais, le Mouvement Populaire pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) avec à sa tête le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo DAMIBA, assure le pouvoir d’Etat dans un processus de transition.
Nous nous trouvons, une fois de plus, dans une situation de crise politique qui a engendré la chute d’un régime, interrompant ainsi le processus démocratique qui semblait avoir de beaux jours devant lui au lendemain de l’Insurrection populaire de 2014.

Au-delà des considérations politiques partisanes, nous sommes tous unanimes sur le fait que le pays traverse une grave crise sans précédent qui menace même son existence en tant qu’Etat-Nation. Nous devons donc transformer cette crise en opportunité pour repartir sur de nouvelles bases, afin de restaurer l’intégrité de notre territoire et de poser les bases d’un développement durable.
Quel chemin devons-nous emprunter pour être sûrs de ne pas nous tromper une de fois de plus ? En d’autres termes, quelles doivent être les priorités de la Transition ?

L’inclusivité du processus de transition

L’un des pièges à éviter dans le processus de transition qui s’annonce est l’exclusion. Depuis la prise du pouvoir par le MPSR, on entend des voix qui s’élèvent pour exiger la mise à l’écart de telles ou telles entités. Les plus visés sont les partis politiques et certains de leurs leaders appartenant à une soi-disant « vielle classe politique ».
L’incapacité du régime sortant à trouver des solutions à la crise sécuritaire qui secoue le pays et la mal gouvernance qui l’a caractérisé ne doivent pas être un prétexte pour incriminer toute la classe politique.

Tous les maux qui minent notre pays actuellement ne sont pas le fait des seuls politiciens. Même si les leaders politiques doivent en assumer une part importante, les responsabilités doivent être partagées. La politique sécuritaire est certes une prérogative du chef de l’Etat, mais sa mise œuvre est de la responsabilité des forces de défenses et de sécurité. Quant à la corruption, elle est un phénomène général dans toutes les sphères de la société.

L’idée selon laquelle il faut balayer « la vielle classe politique » n’est pas nouvelle au Burkina Faso. L’ironie du sort est que cette classe politique que certains, par opportunisme ou par conviction, appellent à balayer, a été elle-même porteuse de cette idée. Pouvons-nous aujourd’hui affirmer que l’idée a porté des fruits pour le développement du Burkina Faso ? La réponse est tout simplement non.
L’avènement d’une nouvelle classe politique ne garantit pas la moralisation de la politique au Burkina. Ce dont la politique a besoin, c’est un retour aux valeurs fondamentales de la politique telles que l’intégrité, le patriotisme, l’altruisme, le sens du sacrifice et de l’intérêt général.

Ces valeurs peuvent être incarnées aussi bien par des jeunes que des personnes âgées. Même si le renouvellement de la classe dirigeante est nécessaire pour le renouvellement des idées, les autorités actuelles doivent le promouvoir avec lucidité en évitant d’opposer les générations entre elles, et en faisant un savant dosage des deux générations, en vue de garantir la transmission intergénérationnelle des compétences.

Le processus de transition doit prendre en compte toutes les sensibilités du pays pour garantir sa réussite. Cette inclusivité n’est pas forcément un partage de postes dans un gouvernement ou dans un conseil de transition, mais surtout dans l’écoute, le dialogue et la concertation. C’est de cette façon que nous pourrons réaliser une union sacrée autour de nos forces de défenses et de sécurité dans la lutte contre le terrorisme.

La restauration de l’intégrité territoriale

Le MPSR, comme l’a annoncé le nouveau chef de l’Etat, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo DAMIBA lors son premier discours, sera surtout évalué sur sa capacité à améliorer la situation sécuritaire. La période de grâce dont elle disposera sur cette question sera très courte, au regard des fortes attentes de la population. Elle sera plus exigeante avec les nouveaux dirigeants qui sont considérés comme des « spécialistes » de la défense et de la sécurité.

Les résultats attendus par les populations ne sauraient être le nombre de terroristes neutralisés, ni la quantité de matériels saisis, mais plutôt le nombre de km2 repris aux mains des terroristes, et le nombre de déplacés internes retournés chez eux.

La restauration de l’autorité de l’Etat

La question de l’incivisme qui compromet la mise en œuvre des politiques publiques doit figurer parmi les priorités du nouveau régime. Il est urgent de restaurer l’autorité de l’Etat qui s’est considérablement effritée sous le régime KABORE. Les nouvelles autorités doivent rompre avec le laxisme et veiller au respect strict de la loi. Pour ce faire, ils doivent être des exemples de probité morale. Il serait difficile d’exiger des citoyens un comportement exemplaire quand les premiers dirigeants eux-mêmes ne l’ont pas. Il faut adopter le principe de la « gouvernance par l’exemple ». C’est-à-dire que le nouveau gouvernement doit être exigeant envers lui-même avant d’imposer une rigueur à la population. Tout sacrifice ou effort demandé à la population doit être au préalable consenti par les dirigeants eux-mêmes.

La réconciliation nationale

L’une des causes de la crise sécuritaire au Burkina Faso est l’effritement de la cohésion sociale. En effet, la succession des crises politiques, la mal gouvernance, l’inégal accès aux ressources productives, ont constitué un terreau favorable au développement du terrorisme. Pour faire face à ce redoutable ennemi de notre pays qui est le terrorisme, nous n’avons pas le choix que d’être unis. Pour parvenir à cette union, il nous faut panser nos blessures et nous donner la main pour vaincre cette adversité.

La réconciliation apparaît alors comme une nécessité pour le régime du MPSR s’il veut faire de la transition un tremplin pour le développement du Burkina Faso. Du régime de Blaise COMPAORE en passant par la transition jusqu’au régime déchu de Roch Marc Christian KABORE, la question de la réconciliation a toujours constitué une priorité pour ces différents pouvoirs qui se sont succédés. Si la transition veut se pencher sur la question de la réconciliation, elle pourra bénéficier d’un travail déjà fait sur lequel elle pourra s’appuyer pour parvenir à une réconciliation véritable entre Burkinabè.

Sans pour autant remettre en cause l’évidence selon laquelle les nouvelles autorités doivent changer de paradigme de gouvernance pour sortir le pays de cette situation chaotique, il faut noter que certains acquis du régime KABORE peuvent servir de bases de travail. C’est le cas du processus de réconciliation qui avait été entamé dès le début du second mandat de l’ex président à travers la création d’un ministère en charge de cette question.

La particularité de cette démarche adoptée par le gouvernement, qui se veut holistique, est qu’elle tire leçons des insuffisances des démarches précédentes et essaye de trouver des solutions aux problèmes de réconciliation de façon inclusive et participative. Contrairement à certaines critiques non fondées, la démarche de réconciliation adoptée par le régime sortant est loin d’être un arrangement entre hommes politiques.

Fondée sur le principe du triptyque vérité-justice-réconciliation, la démarche a consisté dans un premier temps à identifier sur la base des expériences passées et d’une large consultation, six (06) besoins de réconciliation parmi lesquelles figurent en bonne position la réconciliation sociocommunautaire. Les problèmes qui ont engendré ces besoins de réconciliation, ainsi que les solutions à apporter à ces problèmes, ont été recensés sur toute l’étendue du territoire national à travers des concertations dans les 378 communes du Burkina.

En plus des concertations, un sondage réalisé par le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) a permis de confirmer les tendances dégagées lors des concertations. Les données issues des concertations et du sondage devaient servir à l’élaboration d’une stratégie nationale de réconciliation et d’un pacte de vivre-ensemble. Ces deux documents, en plus de la stratégie nationale de cohésion sociale et celle de la lutte contre l’extrémisme violent, devraient être présentés au Forum national de réconciliation pour adoption.

S’il est clair que le gouvernement de la Transition doit apporter sa vision de la réconciliation, il n’en demeure pas moins qu’elle va disposer d’une base de travail consistante.

Les réformes à opérer sur le plan politique

La situation que traverse notre pays s’explique en grande partie par l’incapacité de notre système démocratique à répondre aux aspirations du peuple. Le jeu politique tel que pratiqué au Burkina Faso ne peut pas apporter de changement majeur dans la conduite des affaires de l’Etat.

Le clientélisme politique est le mal de la démocratie Burkinabé qu’il faut exorciser aux moyens de profondes réformes. Les réformes à opérer dans ce processus démocratique doivent viser essentiellement à réduire de façon considérable l’impact de la corruption sur le choix des dirigeants lors des consultations électorales. En plus de la moralisation de la classe politique, les réformes doivent également apporter une cure de désintoxication à une grande partie de l’électorat qui a développé une addiction à la corruption et à la recherche du gain facile.

Comme pistes de réflexion, on pourrait évoquer le plafonnement des dépenses de campagnes et la mise place d’un système de veille permettant de dénoncer la corruption pendant les campagnes électorales.

Les partis politiques, dans les cadres des réformes politiques doivent jouer pleinement leur partition à travers des propositions allant dans le sens d’une moralisation de la vie politique au Burkina Faso.

La situation actuelle du pays nous offre une nouvelle occasion de prendre un nouveau départ dans la construction de notre pays. Au-delà de l’échec d’un régime, la grave crise que nous traversons est l’échec de tout un système que plusieurs leaders politiques, militaires, coutumiers et traditionnels, religieux, du monde des affaires et de la société civile ont contribué à créer et à entretenir à des degrés divers. Vouloir tenir la classe politique pour unique responsable de la situation, c’est trouver un bouc émissaire pour se donner bonne conscience.

Les nouvelles autorités, qui ont la lourde tâche de remettre le pays sur le bon chemin, doivent faire preuve de modération, de tolérance et surtout d’imagination. Elles doivent éviter tout esprit de règlement de compte et tirer les leçons du passé pour écrire une nouvelle page glorieuse de notre cher Faso. Elle doit se garder d’écouter ou d’appliquer les idées extrémistes de certaines personnes ou organisations qui voient en cette nouvelle situation une occasion rêvée d’ascension sociale.

Elle doit plutôt être à l’écoute de toutes les composantes de notre société, afin de ne pas laisser sur le bord de la nouvelle route qu’elle doit tracer et emprunter, une composante de la société. Nous devons tous saisir cette ultime occasion pour prendre un nouveau départ vers la paix, la sécurité et le développement.

Eric Stéphane P. ZONGO
Economiste
Téléphone : 76 67 16 73

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Vos commentaires

  • Le 9 février 2022 à 09:56, par Kalifa En réponse à : Burkina Faso :Eric P. Zongo impute la crise actuelle du pays à l’échec de tout un système

    Très belle analyse il faut que le nombre de parti politique dimuni.Pas plus de 3.Parce que ça devient pléthorique et pas de valeur ajoutée.En plus il faut que les postes de responsabilité comme les DG PCA et autres se fasse par appel à candidature et que le mérite soit le maître mot de toute action Publique.Car pour la réussite il faut une vraie cure de désintoxication dans toutes les couches sociales de notre pays.

  • Le 9 février 2022 à 10:14, par kwiliga En réponse à : Burkina Faso :Eric P. Zongo impute la crise actuelle du pays à l’échec de tout un système

    Cher Monsieur Zongo,
    à la vu de cette phrase, j’ai failli arrêter ma lecture : "Quant à la corruption, elle est un phénomène général dans toutes les sphères de la société", mais qu’entendez-vous donc par "toutes les sphères de la société". Les paysans sont-ils célèbres pour être de grands corrupteurs ? les petits commerçants, les artisans, les ouvriers agricoles ou du bâtiment, les repasseurs, les cireurs de chaussures, les femmes au foyer, les vendeuses de fruit, les étudiants,...
    Ou bien, considérez-vous que ces gens n’existent pas, qu’ils n’ont pas à être pris en compte dans "les sphères de la société ?
    Pourtant, le paysan, l’ouvrier,... souffrent de la corruption, des détournements, de la gabegie et des mille maux qui les accablent et sont parfaitement capables, avec toute la simplicité qui est la leur, d’identifier l’origine de ces maux : les gouvernants, l’administration, les fonctionnaires.
    Alors, toutes les sphères, non. Simplement une caste de privilégiés, qui défend bec et ongles ses avantages, dont la corruption est un des éléments, inhérent à un système pourri depuis des décennies.
    Vous prônez ensuite :
    "la mise place d’un système de veille permettant de dénoncer la corruption pendant les campagnes électorales", j’hésite entre l’euphémisme et la litote. Dans l’état où se trouve notre démocratie (on n’en a plus d’ailleurs), notre système électoral, la veille est loin d’être suffisante. Un procédé de surveillance complexe et impartial, doit chapeauter toute élection, mais surtout, des sanctions exemplaires doivent être prises à l’égard des individus fautifs et de leurs mouvements politiques.

  • Le 9 février 2022 à 12:26, par Adèle Z. En réponse à : Burkina Faso :Eric P. Zongo impute la crise actuelle du pays à l’échec de tout un système

    Tres belle analyse Monsieur ZONGO !
    Il ya un prix à payer pour que le burkina retrouve le salut ! Ce prix doit être consenti par tous les fils et toutes les filles de ce pays. Tant que nous penserons que la corruption est seulement l’affaire des haut cadres et des politiciens, que la sécurité est l’affaire des seuls Fds..., nous n’allons pas nous en sortir ci tôt. Chacun d’entre nous, à l’image du colibri qui apporte de l’eau avec son bec pour etteindre un feu de brousse, chaque burkinabè a une partition à jouer. Ouvrons les yeux sur nos familles et nos voisins ! Arretons nos mauvaises habitudes. Ca sera deja un bon debut !
    Surtout prions pour notre faso !

  • Le 9 février 2022 à 21:35, par Jonassan En réponse à : Burkina Faso :Eric P. Zongo impute la crise actuelle du pays à l’échec de tout un système

    Mr Kwiliga Les paysans et les petits commerçants au Burkina sont les plus corrompus. Ce sont ceux généralement qui trouvent les 20% normal. Il vous faut aller vivre au village pour comprendre le délitement exécrable du pays. Tout est pourri de la ville à la campagne et de la campagne à la ville, de la caserne à la prison civile. Et c’est d’ailleurs pourquoi ils entretiennent la corruption au sommet.
    OU ON SE MET AU SÉRIEUX OÙ ON ARRÊTE D’EN PARLER.
    L’analyse de Mr Zongo est pertinente pour qui souhaite poser des bases fondamentales à la gestion de la cité.

    • Le 10 février 2022 à 09:21, par kwiliga En réponse à : Burkina Faso :Eric P. Zongo impute la crise actuelle du pays à l’échec de tout un système

      Bonjour Jonassan
      Je ne suis pas certain de bien comprendre votre réponse, mais si je résume ce que j’ai saisi : d’après vous, le délitement du système serait imputable aux "petites gens", qui, le subissant, sont bien obligés de le supporter et par là même le cautionnent. Raisonnement que vous concluez par : " Et c’est d’ailleurs pourquoi ils entretiennent la corruption au sommet"
      Désolé, mais j’ai vraiment du mal à vous suivre.
      Une simple question (qui mériterait une réponse simple, si vous en avez le loisir) : si l’on cherche à réduire la corruption, par où faudrait-il commencer à sévir ? En haut ou en Bas ?

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